• Aucun résultat trouvé

5. Les catégories de comportements

5.1 Les communicatifs et les extracommunicatifs

5.1.5 Les activités de déplacement chez l’homme

A partir d’une perspective évolutionniste, les caractéristiques fonctionnelles et causales des activités de déplacement sont également applicables à l’être humain, tout du moins par analogie40. Tinbergen (1953) indique que certains comportements humains sont à considérer comme des activités de déplacement, étant donné leur « [...] organisation instinctive, fondamentalement semblable à celle constatée chez les animaux » (p. 292), mais néanmoins ne sont pas aussi facilement reconnaissables que chez l’animal. Ces activités sont accomplies

40 La notion d’analogie signifie qu’il existe une fonction similaire à des caractères semblables quelle que soit l’espèce concernée, alors que la notion d’homologie postule que les organes ont une même origine embryonnaire ou sont dérivés d’une structure commune, mais peuvent cependant avoir des fonctions différentes.

dans différents contextes, par exemple une situation embarrassante où apparaissent des comportements comme se gratter l’oreille, manipuler sa barbe ou sa moustache ou encore réajuster sa coiffure ; Tinbergen rattache ces activités à « l’instinct de confort » ou soins de peau, qui sont dans le cas du « grattage de déplacement » également observés chez les primates infra-humains. Le sommeil représenterait également une activité de déplacement, ainsi que sa forme plus modérée, le bâillement ; ces comportements se mettraient en place dans une situation de danger ou situation de « perplexité » (Ibid., p. 293). Néanmoins, Walusinski et Deputte (2004) souligne que le bâillement se met en place dans différents contextes, premièrement en fonction des rythmes circadiens (activité-repos), deuxièmement dans des situation liées à l’alimentation et enfin dans celles relatives aux interactions sociales et à la sexualité.

A partir du modèle de Tinbergen (1940 ; 1952), d’autres chercheurs ont émis des hypothèses concernant des comportements particuliers chez l’humain. Barnett (1955) effectue notamment une analogie entre les activités de déplacement chez l’animal et les comportements psychopathologiques de l’être humain, par exemple les comportements stéréotypés du rat en cas de frustration et les troubles obsessionnels compulsifs chez l’humain. De même en ce qui concerne les symptômes psychosomatiques engendrés par une situation stressante et qui résultent en l’apparition d’une pathologie comme l’asthme par exemple ; cette dernière s’expliquerait par un état d’excitation autonome traduit par une décharge motrice différente de son état normal.

Ekman et Friesen (1969b), postulent à la différence de Darwin, que les adaptateurs subissent une évolution ontogénétique plutôt que phylogénétique ; en effet les adaptateurs sont appris dès le plus jeune âge chez l’humain en tant que nouveaux comportements et ils se modifient progressivement au cours du développement ontogénétique. Chez l’adulte, ces gestes sont le plus souvent exprimés de manière réduite voire partielle ou fragmentaire. Ainsi, les adaptateurs sont perçus comme un comportement habituel, mais aléatoire et non porteur de signification explicite au sens du modèle de la communication de Shannon et Wiever (1949/1975). Selon Ekman et Friesen, les adaptateurs ont pour fonction d’ « adapter » l’être humain à différentes situations et, en dehors de leur fonction première orientée vers les satisfactions des besoins physiologiques, ils permettent plus spécifiquement de gérer les émotions et de développer et de maintenir un contact interpersonnel. Les mouvements de la zone orale, comme se lécher les lèvres et claquer (ou cliquer) la langue contre le palais

représentent des exemples d’auto-adaptateurs (self-adaptors) exprimés par les humains au cours d’une conversation sociale. De même, la main portée vers le visage représente une source importante d’information en lien avec les expressions faciales manifestées parallèlement. Cependant, Ekman et Friesen soulignent que si les auto-adaptateurs peuvent être l’expression de la culture et du groupe social auquel appartient l’individu, ils ont une signification essentiellement idiosyncrasique évolutive. Les conditions d’apparition de ces comportements sont aussi caractérisées par des variations intra-individuelles. Les hétéro-adaptateurs (alter-adaptors) représentent une catégorie de comportement qui a émergé à partir des contacts interpersonnels en fonction des contextes spécifiques (par exemple, hostiles, affectifs ou sexuels). Plus spécifiquement, les changements de posture de confort et la variation de la distance à autrui représentent des hétéro-adaptateurs, mais qui peuvent également être considérés comme des régulateurs de l’interaction. Enfin les adaptateurs à l’objet (object adaptators) sont liés aux activités instrumentales, comme fumer une cigarette, manipuler un outil, et contrairement aux auto- et hétéro-adaptateurs sont appris plus tardivement au cours du développement.

Activités de déplacement, régulation des affects et processus cognitifs

Bien qu’il n’existe pas de résultats issus de la recherche expérimentale qui permettent de confirmer le lien entre un état affectif ou un processus cognitif particulier et les activités de déplacement, des études empiriques et corrélationnelles ont permis de mettre en évidence des résultats intéressants.

Dans une perspective développementale, quelques études ont été effectuées sur les activités de déplacement chez les enfants et sont orientées vers deux courants : les recherches sur le lien entre les traits de personnalité et les autocontacts et celles sur le type de contexte environnemental dans lequel ces activités apparaissent. Selon les observations de McGrew (1972) au sein des garderies, les enfants définis comme « soumis » expriment plus d’autocontact (sucer son pouce) que ceux qui sont définis comme « dominants », mais il existe également une différence sexuelle quant à la fréquence de ces geste, les filles effectuant significativement plus d’autocontacts que les garçons. Cependant, ces comportements décroissent en fréquence lorsque l’enfant s’habitue à son lieu de garderie. Un contexte socialement stressant, comme la présence d’un étranger dans la pièce ou la lutte pour un objet convoité, élicite également une plus grande fréquence d’autocontacts (Blurton Jones, 1972).

En ce sens, ces gestes auraient pour fonction de rassurer et de réconforter l’enfant dont

l’équilibre affectif est modifié par des éléments contextuels perturbateurs. Montagner (1978) a également mis en évidence que les autocontacts exprimés par un enfant soumis apaisent l’enfant dominant qui le menace et par conséquent représentent un moyen de canalisation de l’agressivité d’autrui. D’alessio et Zazzetta (1986) émettent l’hypothèse qu’il existe un lien entre les autocontacts et l’émergence des attributs externes de l’identité, attributs qui contribuent à la construction l’image de soi.

A partir d’une étude chez des adultes souffrant de troubles psychiatriques, Wolff (1945, cité par Argyle, 1988, p. 197) a observé les mouvements de la main en fonction des types d’affects manifestés. Notamment les mouvements vers le visage, plus particulièrement vers les cheveux, le croisement et le décroisement des doigts sont présents avec l’anxiété et les mouvements stéréotypés ou étrangers à la situation se manifestent conjointement à une inhibition extrême. De même, Krout (1954) a mis en évidence que les gestes autistiques sont régulièrement associés avec des émotions. Certains auto-adaptateurs sont exprimés lors d’un contexte stressant ou embarassant (Ekman & Friesen, 1969a), élicitant la honte (Ekman &

Friesen, 1972; Wallbott, 1998), ou encore permettent de désactiver un état de tension (Freedman & Hoffman, 1967). Une interview effectuée dans un contexte émotionnel « froid » produit plus de gestes d’autocontact chez les interviewés (Freedman, O'Hanlon, Oltman, &

Witkin, 1972) et des questions personnelles semblent également solliciter plus d’autocontact et de manipulation d’objet que les questions impersonnelles (Sousa-Poza & Rohrberg, 1977).

En outre lorsque la distance interpersonnelle décroît et que le sujet de conversation devient plus intime, les autocontacts augmentent en fréquence (Schulz & Barefoot, 1974). Ces comportements sont souvent observés dans un état d’agitation et sont corrélés en fréquence avec d’autres activités telles, fumer, manger, boire, regarder la télévision, écouter de la musique (Mehrabian & Friedman, 1986). Dans un état de motivation conflictuelle, comme l’obligation de rester assis alors que l’étudiant souhaite se lever et partir à la fin d’un cours, apparaissent des comportements d’autocontacts et de manipulation d’objet (de Lannoy &

Feyereisen, 1973).

Des études ont montré que les autocontacts sont régulièrement associés à des affects à valence négative. Ainsi Ekman et Friesen (1972) observent que les auto-adaptateurs augmentent avec l’inconfort psychologique et l’anxiété. Rosenfeld (1966) trouve notamment que les sourires sont négativement corrélés avec les autocontacts dans un contexte d’interactions dyadiques.

A la différence des personnes souffrant de dépression dont les gestes des mains sont quasi

absents (Waxer, 1974) et ralentis, les patterns non verbaux et plus particulièrement les autocontacts augmentent conjointement à l’anxiété, ce qui, selon Waxer (1977), semble indiquer qu’il existerait des patterns non verbaux différents en fonction des affects. Troisi et al. (2000) montrent que des personnes ayant des traits prononcés d’alexithymie41 produisent une plus grande fréquence d’autocontacts au cours d’entretiens cliniques. En outre, les résultats indiquent une dissociation entre l’auto-évaluation cognitive de l’état affectif des personnes souffrant d’alexithymie (résultats similaires aux personnes ne souffrant pas d’alexithymie) et les activités de déplacement qui reflètent au contraire une activation émotionnelle. Selon Troisi et al., cette dissociation peut être interprétée en fonction du concept d’ébruitement non verbal (emotional leakage) rapporté par Ekman et Friesen (1969a).

Enfin cette étude met également en évidence, le lien possible entre les mécanismes physiologiques et les activités de déplacement. La difficulté à réguler les affects négatifs au moyen de processus cognitifs semble engendrer des réponses exacerbées du système nerveux autonome (SNA). Ainsi, une activation élevée du SNA tend à produire des modifications somatiques qui engendrent des réponses comportementale, comme par exemple : se gratter ou se toucher le visage. D’un point de vue neurobiologique, ces réponses impliquent la sécrétion d’opiacés par le SNC qui provoquent un effet de relaxation, notamment en abaissant le rythme cardiaque. A partir de cette interprétation, les activités de déplacement représentent alors un mode alternatif et « primitif » de régulation des affects négatifs indifférenciés.

Plusieurs hypothèses ont été émises concernant la fonction des comportements d’autocontact exprimés sous la forme de stéréotypies. Selon de Lannoy et Feyereisen (1987), les comportements rythmiques se produisent chez l’enfant incapable de produire une réponse plus adaptée en raison de son développement cognitif et affectif. En outre, ces mouvements répétitifs seraient à la base d’autres activités motrices acquises plus tardivement dans le développement ontogénétique. Chance (1962) suggère que ces mouvements représentent des

« comportements de coupure » (cut-off acts and postures) qui permettent de détourner l’attention d’autrui vers d’autres objets et diminue ainsi une possible mise en danger de l’organisme. Selon Grand, Freedman, Steingart et Buchwald (1975), les stéréotypies motrices permettent de réguler les déficits du traitement cognitifs des stimuli issus de l’environnement chez des personnes souffrant de schizophrénie ayant une tendance à l’isolation. Quant à Delius (1970), il indique que les gestes d’autocontact et les mouvements rythmiques peuvent

41 Terme imaginé par Sifneos en 1972, l’alexithymie représente l’incapacité de pouvoir exprimer ses émotions. ("Grand dictionnaire de la psychologie", 1991).

représenter un filtre par rapport aux stimulations externes. Ces stéréotypies joueraient ainsi un rôle dans la mise en place de l’homéostasie de l’organisme face à un environnement contraignant et si celui-ci ne peut effectuer ces comportements, il subit un stresseur psychologique supplémentaire (Friend, 1991).

A partir des résultats de l’étude de Schwartz, Ahern et Brown (1979) issues des mesures myographiques des parties gauches et droites du visage en fonction des émotions sollicitées, Ruggieri, Celli et Crescenzi (1982) se focalisent sur le lien entre la gestualité et les autocontacts par rapport à la dominance cérébrale. Les auteurs postulent que l’hémisphère gauche est impliqué dans la production d’autocontacts dans un contexte où les aspects sociaux et relationnels prédominent, alors que l’hémisphère droit le serait dans un contexte où les émotions sont prépondérantes. D’autres recherches explorent l’association possible entre les autocontacts et les performances cognitives. Les tâches qui nécessitent une plus grande attention engendrent une augmentation des gestes d’autocontacts (Barroso, Freedman, Grand,

& Van Meel, 1978) et plus particulièrement ces gestes semblent être corrélés avec les divers états attentionnels (Barroso, Freedman, & Grand, 1980).