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1. Orientation des recherches sur les relations entre l’être humain et l’animal

1.4 L’Umwelt du chien

1.4.3 L’olfaction

L’olfaction, comme le goût, appartiennent à la catégorie des sens chimiques, c’est-à-dire qu’ils captent des molécules chimiques qui se fixent sur des cellules sensorielles spécifiques.

Le chien perçoit les odeurs en reniflant et par courtes aspirations l’air passe par les narines alors que la gueule reste fermée (Neuhaus, 1981). Ce procédé permet d’augmenter la concentration des molécules olfactives qui seraient plus diffuses si elles étaient mélangées avec d’autres molécules présentes dans l’air. En outre, le comportement de reniflement améliore les capacités de sensibilité olfactive y compris chez l’être humain (Laing, 1983).

Lorsque le chien renifle une portion de l’air, les molécules chimiques sont dirigées vers les parties postérieures (profondes) des cavités nasales et se déposent sur la muqueuse épithéliale18 constituée de cellules réceptrices sensorielles. L’ensemble de ces éléments

16 Selon Mech (1991), le loup (Canis lupus) est capable de détecter les hurlements de conspécifiques se situant à plus de 10 kilomètres.

17 Ce processus est appelé transduction.

18 La muqueuse épithéliale est composée de nombreuses circonvolutions ou replis qui ont pour fonction d’augmenter la surface de contact entre les molécules chimiques et les cellules olfactives.

tapissent une structure nommée os éthmoïdale (Bradshaw, 1992; Lindsay, 2000). Les cellules olfactives19 sont caractérisées par une structure bipolaire, le pôle dendritique constitue la partie réceptrice de la molécule olfactive et le pôle axonal, à l’autre extrémité, s’enfonce dans le tissu épithélial; par transduction, l’information olfactive transformée en information électrique est véhiculée vers les bulbes olfactifs, puis vers le cortex cérébral. Les bulbes olfactifs ont subi une évolution phylogénétique plus importante chez les canidés par rapport aux primates, et plus particulièrement l’être humain. A noter que les bulbes olfactifs font partie intégrante du système limbique, zone sous corticale impliquée dans les réponses émotionnelles, l’apprentissage et la mémoire. L’épithélium olfactif du chien est composé d’environ 220 millions de récepteurs sensoriels (Fogle, 1990) et d’une surface comprise entre 18 et 150 cm2 (Bradshaw, 1992), mais qui varie cependant en fonction de la race. Par comparaison, le nombre de chémorécepteurs olfactifs est d’environ 10 millions chez l’humain et la surface épithéliale ne s’étend que sur 3 à 4 cm2. Contrairement à l’idée usuelle de faibles performances olfactives chez les primates humains et infra-humains20, Cometto-Muniz, Cain

& Abraham (1998) ont montré que l’humain est très performant dans la détection des odeurs composées de chaîne longue d’acide carboxylique (grande molécule de carbone), alors que le chien est plus performant dans la détection de chaînes courtes de ce même type d’acide. Des résultats similaires ont été trouvés chez les primates infra-humains qui démontrent ainsi une grande sensibilité olfactive (Laska, Seibt, & Weber, 2000). D’un point de vue évolutionniste, les gènes olfactifs des primates et des oiseaux (par rapport aux canidés) ont perdu progressivement leur fonction en faveur de gènes codant une autre compétence sensorielle, la vision (Pernollet, Sanz, & Briand, 2006).

Selon Bradshaw (1992), la durée des comportements de flairage du chien indique le niveau maximum de l’intensité olfactive atteinte par la muqueuse épithéliale en fonction du stimulus olfactif. En outre, la fréquence du flairage est un indicateur du niveau d’intensité du signal olfactif, ainsi plus le signal est de faible intensité plus la fréquence du comportement de flairage est élevée et non pas sa durée. La capacité de détection des molécules olfactives chez le chien est considérablement influencée par les conditions atmosphériques, notamment le taux d’hygrométrie (humidité), la température de l’air (Teroni & Cattet, 2000). Ainsi l’efficacité olfactive est réduite lorsqu’il fait chaud, car le chien ne possède pas de glandes

19 Les neurones olfactifs du chien et de l’homme, ainsi que des mammifères inférieurs, subissent une neurogenèse, c’est-à-dire qu’ils sont continuellement renouvelés (durée de vie d’environ deux mois) contrairement aux autres neurones (Imbert, 2006; Lindsay, 2000).

20 Le terme de « microsmate » est utilisé pour décrire la faible capacité olfactive d’une espèce (versus « macrosmate »).

sudoripares et le comportement d’halètement représente le principal moyen de thermorégulation du corps (Crawford, 1962). Etant donné que le chien ne peut effectuer simultanément les comportements d’halètement et de flairage, la régulation thermique corporelle est prépondérante au détriment de la capacité de détection des odeurs dans des conditions de chaleur importante (Gazit, Goldblatt, & Terkel, 2005).

Il existe également des différences qui sont fonction de la race du chien ; les Beagles sont ainsi considérés comme d’excellents détecteurs d’odeurs (Krestel, Passe, Smith, & Jonsson, 1984) et de fait sont abondamment utilisés par les autorités douanières lors de la détection de nourriture dans les bagages, notamment en Australie. La sensibilité sensorielle serait en grande partie génétiquement déterminée, mais elle acquiert un développement maximal lorsqu’elle est combinée à un entraînement spécifique. Aussi l’être humain a su exploiter les considérables compétences olfactives du chien, d’une part en sélectionnant les lignées les plus performantes et d’autre part en développant des conditions d’apprentissage favorables.

La capacité de détection et de différenciation des odeurs

De nombreuses recherches ont pu mettre en évidence l’acuité olfactive du chien, c’est-à-dire sa sensibilité à détecter et à différencier les odeurs. Une des premières étude menée au XIXe siècle par Romanes (1887), a pu montrer les capacités du chien à discriminer les individus humains à partir de leur odeur. De nos jours les compétences olfactives du chien sont utilisées dans différents contextes avec des objectifs variés ; dans la recherche d’êtres humains lors d’une catastrophe naturelle (Komar, 1999), afin de discriminer les odeurs des suspects dans la cadre d’une enquête criminelle (Stockham, Slavin, & Kift, 2004), pour détecter une tumeur maligne (Williams & Pembroke, 1989; Willis et al., 2004), de l’hypoglycémie chez une personne souffrant de diabète (Chen et al., 2000; O'Connor, O'Connor, & Walsh, 2008), afin de prévenir une crise d’épilepsie chez un humain (Dalziel, Uthman, McGorray, & Reep, 2003), pour repérer des explosifs (Gazit et al., 2003) ou encore des substances illicites (Lorenzo et al., 2003).

Dans le contexte des expériences de reconnaissance et de pistage des être humains, Bradshaw (1992) souligne que « these olfactory abilities are about as sensitive as our own visual abilities when telling people apart » (p.48). Lohner (1924, cité in King, Becker, & Markee, 1964) avait déjà montré que le chien est apte à détecter, à identifier et à discriminer les odeurs humaines en provenance de différentes régions du corps (comme la paume de la main ou le

pied) : même si ces odeurs sont distinctes d’un point de vue du nez humain, le chien parvient à identifier l’individu auquel elles appartiennent.

L’olfaction représente ainsi le sens le plus important pour les canidés, mais son fonctionnement d’une grande complexité n’a pas encore été entièrement élucidé.

L’organe voméro-nasal

Distinct du système olfactif, l’organe voméro-nasal (OVN) ou organe de Jacobson21 représente un système chémosensoriel spécifiquement destiné à la réception des phéromones22 (Imbert, 2006). Considéré comme le troisième sens chimique chez la plupart des mammifères (Bradshaw, 1992), l’OVN est atrophié chez l’humain et son rôle n’est pas aussi prégnant que chez les canidés. D’un point de vue structural, l’OVN est très semblable au système olfactif, mais il existe des différences quant à ses fonctions, notamment dans l’expression du répertoire des comportements de chaque espèce (Halpern, 1987). Histologiquement différent chez le chien par comparaison à d’autres mammifères comme le cochon d’inde (Cavia porcellus) (Adams & Wiekamp, 1984), l’OVN est situé sous la partie antérieure du palais osseux de la cavité nasale, avec une ouverture vers la cavité buccale située derrière les incisives de la mâchoire supérieure ; il est composé d’une muqueuse comprenant des cellule réceptrices sensorielles quasi semblables aux cellules olfactives (Lindsay, 2000). Les molécules olfactives, plus spécifiquement celles non volatiles présentes dans l’urine ou les sécrétions corporelles, s’introduisent par le canal palatin23 et parviennent directement à l’OVM ; après transduction, ces informations sont transférées via le bulbe olfactif accessoire vers le système limbique, plus particulièrement l’amygdale et l’hypothalamus (Lindsay, 2000).

Pendant les interactions socio-sexuelles, la plupart des mammifères24, notamment les ongulés font un mouvement, que l’on nomme la « mimique Flehmen », qui permet le transfert des molécules non volatiles vers l’OVN. Ainsi l’animal lève la tête après un contact avec la source odorante (par exemple, l’urine), fronce le museau, relève la lèvre supérieure et s’arrête de respirer un court instant (Doving & Trotier, 1998). L’éléphant d’Asie (elephas maximus), par exemple, effectue cette réponse en positionnant l’extrémité de sa trompe vers la voûte

21 Se référer à Doving & Trotier (1998) pour une revue de la littérature concernant l’historique et les fonctions de l’OVN.

22 Selon McFarland (2001) : « Une phéromone est un produit, ou un mélange de produits, chimique libéré dans l’environnement par un organisme et qui provoque un comportement ou une réaction physiologique spécifique chez l’organe receveur de la même espèce. » (p. 210).

Les comportements induits sont d’ordre social et sexuel.

23 Canal étroit qui perfore le palais.

24 Parmi les carnivores, le chat (Felis catus), le chacal à flancs rayés (Canis adustus) et le coyote (Canis latrans) effectuent également la mimique Flehmen (Bradshaw, 1992).

palatine à l’endroit précis où se trouve l’ouverture de la cavité buccale et où sont situés les canaux de l’OVN (Johnson & Rasmussen, 2002) ; chez le cheval, ce pattern implique la rétraction de la lèvre supérieure, le froncement du nez mettant ainsi à nu ses gencives (Weeks, Crowell-Davis, & Heusner, 2002). Le chien n’exprime pas cette « grimace », néanmoins il produit une réponse analogue en effectuant un mouvement de claquement de la langue contre le palais qui a pour effet de pousser les molécules olfactives vers la voûte palatine (Tanzarella, 2006).

Même si l’OVN n’est pas aussi développé chez le chien que chez d’autres mammifères25, ses fonctions sont probablement impliquées dans l’échange d’information, au moyen des phéromones, sur le statut social et les prédispositions sexuelles du conspécifique (comme une chienne en chaleur) (Doving & Trotier, 1998; Lindsay, 2000). Selon Fogle (1990), l’OVN ne serait pas impliqué dans des mécanismes conscients d’appréciation des odeurs, mais dans la perception inconsciente d’hormones sexuelles.