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Les études descriptives : entre neutralité et imprécision

B. L’anglicisme

3. Les études descriptives : entre neutralité et imprécision

Cependant, comme le laisse supposer le DFP de Poirier, il existe un camp descriptif, celui des chercheurs adeptes des études objectives visant à une analyse de l’anglicisme en contexte ou à une classification. Ils choisissent assez souvent entre trois options. La première consiste à préciser que par peur ou refus du débat sur l’acceptation du terme ‘anglicisme’, ils préfèrent l’omettre entièrement et le remplacer généralement par ‘emprunt à l’anglais’. Lamontagne (1989) note que

« lorsque le phénomène de l’anglicisme est étudié de façon plus neutre, les auteurs [des années 1800 à 1930] tentent d’utiliser d’autres dénominations étant donné que le terme ‘anglicisme’ est très marqué, qu’il véhicule pour tous les auteurs – puristes ou non – une valeur négative » (1989 : 17). Johnson (1985) explique privilégier l’expression ‘mot anglais’ car celle-ci est « plus claire » que les termes ‘anglicisme’, ‘américanisme’ ou ‘emprunt à l’anglais’ qui, selon elle, « n’évoquent pas de notions bien définies » (1985 : 38). Plus récemment, Loubier (2011) choisit précisément cette démarche et spécifie en introduction :

Nous privilégions le terme emprunt à l’anglais pour désigner tout emprunt à la langue anglaise, quelle que soit la variété géographique (américaine, britannique, etc.). Nous émettons des réserves sur l’emploi du terme anglicisme, généralement considéré comme synonyme d’emploi fautif (2011 : 7).

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D’autres s’orientent vers une deuxième option qui consiste à préciser qu’aucune distinction particulière de sens ni aucune connotation ne sera établie entre ‘anglicisme’ ou ‘emprunt à l’anglais.’ Nous pouvons par exemple noter ici Harris (2009) qui explique que « for all intents and purposes, the two words [borrowing and anglicism] will be used synonymously in this paper » (2010: 13). Enfin, la troisième option, qui est sans doute la plus répandue, consiste à alterner de façon aléatoire entre différentes dénominations dans une même étude, sans donner d’indication précise. Privat (1994) ne fait par exemple part d’aucune démarche particulière mais introduit une équivalence indiscutable entre emprunt et anglicisme (voir 1994 : 168) et n’hésite pas à parler également de « terme anglais », de « mot anglais » ou encore de « forme anglaise ». On retrouve la même façon de procéder chez Pergnier (1981), Trescases (1983), chez Bossé-Andrieu et Cardinal (1988), chez Mareschal (1988, 1989), Meney (1994) ou encore chez Klein et coll. (1997) pour ne citer qu’eux.

Forgue (1996) y ajoute le terme de « franglais » qu’il définit comme « words or phrases taken from English (of whatever variety), or patterned after English, or vaguely English looking, non-French concoctions » (1996: 288). Dernier-né des appellations liées à l’anglicisme, « franglais » a été créé par André Nigaud en 1955 mais a assis sa place dans la lexicographie française à la suite du succès du livre d’Etiemble Parlez-vous franglais ? en 1964. Le Larousse de 1971 l’intègre pour la première fois sous la définition d’« ensemble des néologismes d’origine anglaise introduits dans la langue française », laquelle est ensuite reprise par les puristes pour devenir le mot privilégié d’une définition péjorative de l’emprunt à la langue anglaise. Nous souhaitons également nous arrêter sur les parenthèses de la définition de Forgue qui renvoient directement à ‘américanisme’, popularisé dans les années 1950 pour désigner tous les emprunts issus de l’anglais des États-Unis.

Reconnu officiellement par le Larousse en 1866 sous l’entrée « terme dont on se sert en Angleterre,

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et même en France, pour exprimer certaines particularités de style ou de prononciation qu’on rencontre assez souvent dans la conversation ou dans les écrits des habitants des États-Unis », il ne s’installe dans la lexicographie qu’après la Seconde Guerre mondiale, une fois que le terme de prédilection de l’époque « anglo-américanisme » ne lui fait plus concurrence (Storz, 1990).

Les multiples acceptions et l’évolution des différentes appellations montrent donc bien à quel point définir le phénomène de l’anglicisme est une tâche complexe car elle est entièrement dépendante de positionnements plus ou moins impartiaux, d’approches plus ou moins descriptives et de visées plus ou moins normatives. Ainsi, selon l’époque, la classe sociale, les idéaux personnels ou les objectifs de recherche du chercheur, ce dernier pourra privilégier « anglicisme » à « emprunt à l’anglais » ou encore « américanisme » à « franglais ».

En proposant cet aperçu des écrits déjà publiés sur le sujet, nous souhaitions mettre en évidence la grande plurivocité du terme ‘anglicisme’ et surtout faire remarquer les deux grands courants qui en découlent :

Figure 1 Les deux définitions de l'anglicisme les plus courantes

 Nous avons donc d’un côté les travaux qui privilégient une définition large, neutre et descriptive englobant tous les cas de figure correspondant au phénomène purement linguistique de l’emprunt, c’est-à-dire tous les mots hérités de la langue anglaise.

Anglicisme

Emprunt à

l'anglais Emprunt à l'anglais critiqué

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 De l’autre, nous trouvons les études plus prescriptives dont l’objectif est de proscrire autant que possible le recours aux anglicismes et qui réduisent le concept aux seuls emprunts ‘critiqués’ à l’anglais, pour lesquels il existe un équivalent en français et qui sont donc jugés inutiles.

Ces anglicismes critiqués sont principalement traités par les linguistes québécois étant donné qu’ils sont utilisés dans un cadre favorisant des échanges interlinguistiques bien plus fréquents que ceux que l’on peut trouver en France. Poirier explique en effet que « poser le problème de l’anglicisme au Québec, c’est avant tout poser un problème d’ordre historique » (1978 : 46) car comme beaucoup de communautés en situation d’insécurité linguistique, les Québécois ont tendance à englober sous l’appellation d’anglicisme tous les usages qui ne font pas partie du standard du français de référence. Ainsi, Poirier trouve-t-il « important d’éclairer le problème difficile de l’anglicisme au Québec en développant les arguments qui pourraient servir à démontrer l’origine essentiellement galloromane de certains emplois qu’on rattache généralement à l’anglais » (1978 : 46).

De plus, même si la France et le Québec ont tous deux mis en place une politique linguistique visant à réduire l’anglicisation du français par le biais de la néologie, ils n’ont pas adopté tout à fait le même aménagement terminologique pour franciser les emprunts à l’anglais. Alors que la France ne dispose que de la recommandation et de l’officialisation, le Québec y ajoute la notion de proposition dans laquelle il propose trois catégories (termes privilégiés, termes à usage restreint et termes déconseillés) (Kim, 2015 : 86) et cherche ainsi à faire de sa population une partie intégrante de la démarche. Cependant, même si le processus de francisation du gouvernement français semble plus prescriptif que celui du gouvernement québécois étant donné qu’il ne fait qu’imposer certains termes, son étendue et son impact sur le lexique courant sont beaucoup plus

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restreints car il n’agit que sur certains domaines spécifiques. C’est ainsi que la politique linguistique de la France vise à diffuser et à implanter certains équivalents dans la langue alors que le Québec voit dans cette diffusion un moyen supplémentaire de stimuler la créativité de la langue française et d’élargir son lexique (Kim, 2015 : 87) en proposant divers équivalents possibles.

Notre étude s’attache à examiner si ces différences que nous venons d’évoquer jouent sur la fréquence d’utilisation des anglicismes dans la presse francophone actuelle, notamment lorsqu’il s’agit des anglicismes avec équivalents et don critiqués. Il nous semble en effet important de nous pencher sur cette distinction conceptuelle car il y a beaucoup d’emprunts pour lesquels il n’existe pas encore d’équivalent en français, ou alors pour lesquels la tentative de substitution a échoué (on pense par exemple à marketing/mercatique), et dont l’utilisation est, de fait, quelque peu inévitable.

À quelle sorte d’incidence empirique peut-on s’attendre entre une étude prenant en compte tous les emprunts à l’anglais et une autre ne s’intéressant qu’aux emprunts à l’anglais critiqués ? Que nous dit la recherche quantitative de corpus sur ce sujet ?

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III. Nos prédécesseurs en étude des anglicismes dans des corpus