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A. L’emprunt

3. Intégration dans la langue

Ce degré d’assimilation est une caractéristique importante car il laisse libre champ à la création d’équivalents dans la langue réceptrice pour contrer les mots avant qu’ils ne s’intègrent

36 Sablayrolles et Jacquet-Pfau (2008) le rejoignent sur ce sujet même s’ils ne dénombrent que trois sortes de néologie : la néologie de forme, de sens et d’emprunt.

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entièrement. La majorité des linguistes s’accordent à dire qu’il existe différents niveaux d’intégration des emprunts linguistiques dans la langue, notamment entre les fameux Fremdwörter (mots qui sonnent étrangers) et les Lehnwörter (emprunts intégrés à la langue) des linguistes allemands même si cette catégorisation très dichotomique est remise en question par beaucoup37. Les trois catégories suivantes, qui font écho aux phases de Haugen, sont les plus communément acceptées.

 Les occasionnalismes38 : Deroy (1956/1980) les définit comme étant des « mots étrangers qui sont employés à 1'occasion, par une sorte de connivence avec un auditeur ou un lecteur qu'on sait ou qu'on suppose averti, pour exprimer une nuance, une singularité, une fantaisie ou toute autre particularité considérée en l'occurrence comme autrement inexprimable » (1956/1980 : 222). Ils n’ont pas vocation à entrer dans la langue de façon permanente et sont généralement accompagnés de marques typographiques (italiques, guillemets) ou associés à un ou plusieurs équivalent(s) lorsqu'ils sont retranscrits dans la langue emprunteuse, ce qui accentue davantage leur côté ‘étranger’.

 Les xénismes ou pérégrinismes que Deroy définit comme étant des « mots sentis comme étrangers et en quelque sorte cités (les Fremdwörter des linguistes allemands) » (Deroy 1956 : 224). Ces pérégrinismes sont généralement issus de la langue savante ou plus souvent encore, des langues spécialisées (le domaine du sport par exemple), et perdent leur statut une fois qu’ils intègrent le langage courant. Leur utilisation est intentionnelle et répond à un besoin ou à un trait particulier du locuteur (précision, snobisme, localisation

37 Lire Tesch, G. (1978). Linguale Interferenz: theoretische, terminologische und methodische Grundfragen zu ihrer Erforschung (Vol. 105), Gunter Narr Verlag pour plus d’informations à ce sujet.

38 On peut également rencontrer le terme « hapax » qui s’utilise lorsque le vocable relevé n’a qu’une seule occurrence dans un corpus donné.

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linguistique39…). Ils sont donc, à l’inverse des xénismes, des emprunts en devenir. En effet, bien que les deux concepts puissent parfois sembler interchangeables40, leur degré d’intégration fait la différence. Pour Guilbert, le xénisme est « le terme étranger qui reste toujours étranger » (1975 : 93) alors que le pérégrinisme équivaut à la « phase d’installation, de diffusion initiale » (1975 : 93) d’un mot dans la langue emprunteuse. Il met ainsi l’accent sur le côté temporel du processus d’emprunt car « un terme d’origine étrangère cesse d’être néologique à partir du moment où il est entré dans le système linguistique de la langue d’accueil, c’est-à-dire quand, précisément, il cesse d’être perçu comme terme étranger » (1975 : 95). Humbley précise que le « xénisme est un emprunt qui conserve une connotation étrangère, mais dont le référent est néanmoins connu dans la communauté linguistique d’accueil » (1974 : 79) alors que Pergnier le décrit comme étant un « mot [étranger] inséré, pour des causes diverses et pour y remplir des fonctions diverses, dans un énoncé français, mais ne faisant pas pour autant l'objet d'une utilisation habituelle chez les francophones » (1989 : 20). Steuckardt explique que la transition du xénisme vers l’emprunt peut également s’opérer selon une approche privilégiant le « critère de la dénotation » (2008 : 14) qui consiste à séparer le mot étranger de sa référence étrangère (kopek, geyser) pour lui accoler un sens plus générique. On peut donc en déduire que le xénisme reste toujours xénisme car il se réfère à des réalités typiquement étrangères

39 « La localisation est […] l’un des deux aspects de la globalisation/mondialisation de produits, processus, et concepts, et de leurs mises en œuvre. En effet, le processus de globalisation fait intervenir, dans cet ordre, une phase d’internationalisation et une phase de localisation. Plus simplement, il s’agit d’abord de supprimer tout ce qui pourrait s’opposer à la diffusion internationale des produits et processus (internationaliser), puis de prendre en compte les particularités irréductibles, dont les spécificités de langues (localiser) ». Gouadec, D. (2003). Le bagage spécifique du localiseur/localisateur: Le vrai « nouveau profil » requis. Meta: Journal des traducteurs-Meta:/Translators' Journal, 48(4), pp. 526-545.

40 Deroy commence son explication par « les pérégrinismes ou xénismes » (1956/1967 : 224), puis n’utilise que pérégrinisme pendant une dizaine de pages avant de préciser que « théoriquement, les xénismes gardent le plus souvent leur forme étrangère » (1956/1967 : 232), ce qui est le cas pour bon nombre d’emprunts.

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(par exemple, cow-boy, kilt, attorney…) alors que le pérégrinisme devient au fil du temps et de son intégration dans la langue emprunteuse, un emprunt à proprement dit.

 Les emprunts à proprement dit sont justement ces termes que Deroy (1956/1967 : 224) décrit comme étant « tout à fait naturalisés (les Lehnwörter) » dans la langue emprunteuse et qui ne sont plus identifiables par le locuteur ordinaire. Contrairement aux pérégrinismes et xénismes, les signifiants sont intégrés avec leur signifié, c’est-à-dire que l’on emprunte le terme et la réalité qu'il représente. Il s’agit alors d’un « emprunt total ».

Cet emprunt que Deroy qualifie de total ne concerne par contre qu’une certaine forme d’emprunt linguistique, celle des emprunts de mots. Il l’oppose à une autre forme d’emprunt, celle des emprunts partiels, dans laquelle il range calques et emprunts de sens. Lorsque la langue emprunte un terme, elle pratique généralement ce que l’on appelle la ‘monosémie de l’emprunt’. Ce concept, que Pergnier décrit comme étant « un mot pour un concept; un concept pour un mot » (Pergnier, 1988 : 115), est basé sur l’idée de Darbelnet (1986) selon laquelle le locuteur cherche naturellement à ce que la langue soit ‘nomenclature’ dans laquelle un signe équivaut à un seul signifié41. Ceci s’explique principalement par le fait que l’intérêt même de l’emprunt repose sur une recherche de précision, de clarté, notamment dans le langage technique. De fait, dans la très grande majorité des cas, la langue n’emprunte du signifiant étranger que le signifié qui traduit le plus exactement le concept qu’il cherche à définir car « la langue courante, populaire, n’a que faire de longues périphrases. Elle tend à les abréger. Elle leur préfère si elle a l’occasion, des mots simples, au besoin empruntés » (Deroy, 1956/1967 : 166). L'emprunt est donc une « innovation du domaine de la parole » (1956 : 4), ou en d’autres termes, un mot nouveau, ce que l’on appelle un

41 Ce que réfute entièrement Haugen (1956).

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néologisme. De nature allogène, que ce soit par sa graphie, sa sémantique ou encore son registre d’origine, il pénètre, s’intègre et se diffuse dans la langue qui l’accueille de différentes manières.

Rey-Debove (1973) donne la priorité à l’emprunt lexical car elle explique que ce que l’on emprunte sont en général des

choses nouvelles [qui viennent] de l’étranger, où elles sont déjà nommées [ce qui fait que]

l’emprunt est non seulement un phénomène essentiellement lexical (opposé à grammatical), mais encore et surtout un phénomène nominal (1973 : 95).

Elle restreint donc sa définition de l’emprunt en la limitant à un phénomène opérant au niveau du vocabulaire, au niveau du contenu, laissant ainsi délibérément de côté l’emprunt d’expression (sémantique ou syntaxique).

Pourtant, même si « quand on parle d’emprunt linguistique, c’est d’abord aux mots que l’on pense » (Deroy,1956 : 67), tous les experts du sujet s’accordent à dire qu’« il y a, pour une même langue, plusieurs sortes d’emprunts » (Darbelnet 1986 : 201). Humbley (1974) insiste sur le fait que l’emprunt existe à « tous les niveaux de langue » (1974 : 53) et fait écho à la remarque de Deroy concernant les suffixes en remettant en cause l’association exclusive de l’emprunt et de la lexicologie vu que « des éléments autres que les lexies peuvent être empruntés » (1974 : 48).

Certains morphèmes (comme par exemple ‑ing ou ‑man en français ou ‑isier en allemand) peuvent en effet faire état d’une très grande vitalité morphologique (voir Höfler, 1982) et donner naissance à de nombreux néologismes issus d’un modèle étranger.

Un emprunt ne prend donc pas toujours que la forme d’un terme simple : il peut opérer au niveau de la phonétique, de la graphie, de la sémantique ou encore de la syntaxe (Humbley, 1974 : 53-55) et faire intervenir une lexie complexe et/ou composée, un morphème, un syntagme ou bien porter

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sur le sens d’un mot ou encore sur une tournure syntaxique. Il peut donc être classé dans différentes catégories selon sa nature et selon sa facilité de repérage dans la langue emprunteuse. Bien entendu, tout comme pour sa définition, sa typologie fait l’objet de maintes et maintes propositions depuis le début de l’exercice.