Les étapes de la semaine III 88

SEMAINE III Objectifs de la semaine RÉALISATIONS

Mettre en œuvre les conditions nécessaires à l’engagement des joueurs.

Explorer les possibilités de transformation des scènes : entre le vécu des joueurs (réel) et le jeu (fiction).

Étape V- Action éducative V avec l’atelier : « L’arrivée du cri ».

L’objectif général de cette étape est d’explorer les possibilités de transformation de la scène par l’improvisation. La spontanéité rejoint la réalité, la concentration, le corps et l’émotion. Placé en cercle, chacun contribue à l’écriture d’une scène sociale. À la suite de la lecture du premier jet, les cochercheurs sont invités à choisir les comédiens pour chaque personnage.

Par ailleurs, j’ai pu constater qu’une des jeunes, plutôt timides, prenait beaucoup plus de place qu’avant et guidait ses compagnons avec plus d’assurance.

Étape VI - Action éducative dans l’atelier intitulé « La

transformation du cri ». L’accent est mis sur l’improvisation de scènes mettant en évidence les mouvements poétiques et dramatiques du corps. Les scènes sont explorées et reliées entre elles avec des techniques d’improvisation permettant aux cochercheurs de s’approprier la scène qui sera ensuite transcrite.

Les cochercheurs s’investissent dans l’aventure créative en laissant leurs corps exprimer plusieurs images et inventer des mouvements qui deviennent dialogues corporels. L’intervention sociale des cochercheurs visait à révéler des problématiques cachées qui, trop souvent, restent invisibles pour la plupart des citoyens. Le choix du titre du spectacle « Invisible présent » a donné un côté poétique à ce désir de révéler une problématique sociale et de la transformer.

Étape VII- Action éducative avec l’atelier « La poétique du cri ». Le

but général de cette étape est d’élargir l’acte créateur collectif, de le mener de la somme à la multiplication par un dialogue poétique entre les éléments du théâtre, la musique et le scénario. Les cochercheurs transforment les scènes de façon poétique en intégrant des éléments déjà utilisés et explorés. Cette activité permet de se libérer du stress tout en s’amusant. Cela permet aussi au groupe de discuter des différents thèmes présents dans la scène : conformisme, individualisme et intimidation. Cette rencontre a permis la transformation de toutes les scènes et d’explorer la finale. À plusieurs moments, les cochercheurs ont spontanément créé des tableaux vivants.

5.3.3.1 Réflexion sur la troisième semaine La confiance en soi

Pendant cette semaine, les jeunes se sont davantage affirmés, ils ont participé aux décisions et à la construction de l’œuvre. Ils ont dialogué dans le respect mutuel. Une jeune a notamment évoqué qu’elle appréciait de connaître le groupe depuis longtemps, car elle n’avait pas peur de parler sachant que le groupe respecterait sa proposition, peu importe qu’elle soit bonne ou mauvaise. Dans ce contexte, j’ai remarqué que la participation et l’engagement des cochercheurs devaient être valorisés parce que tous étaient capables de partager leurs idées. Mais ils avaient besoin d’être encouragés, cela faisant partie du processus de construction de la confiance en soi. Par exemple, à un moment, Camille a dit : « je me concentre, je pense vraiment à mon personnage, je me laisse aller et c’est mieux pour moi. Le fait que je m’approprie mon personnage comme s’il était dans ce corps et comme si ses mouvements étaient aussi les miens. Je l’aime! Je me sens libre » (extrait du journal de bord, 28 mars 2014). Le travail d’équipe développé au début des ateliers a permis de construire un espace de liberté qui solidifie la confiance en soi, la confiance en l’autre, la motivation et l’estime de soi. J’ai aussi remarqué que les jeunes se touchaient plus. En arrivant à l’atelier, ils se faisaient des accolades au lieu de juste se saluer ou de se serrer la main.

La formation de l’acteur social

Cette semaine-là, j’ai laissé plus de place aux cochercheurs. J’ai augmenté le nombre d’activités dramatiques et théâtrales avec l’intention de construire des outils de communication dialogique entre le monde intérieur et extérieur de chaque cochercheur. Au cours de ce processus dramatique de construction des personnages, les cochercheurs devaient se déplacer, parfois être interprètes (comédiens), d’autres fois être des spectateurs. « Le spectateur — être passif, réceptif, dépositaire — se transforme en protagoniste d’une action dramatique, en sujet, en créateur, en transformateur » (Boal, 2004, 25). J’ai observé que le processus de s’attribuer le rôle d’acteur social - individu critique incite le participant

à se préoccuper de ses actions, de ses aptitudes, de la perception qu’ont les autres de ses actions, de l’importance de ses décisions et de son influence sur les actions politiques menant à un changement de sa réalité.

J’ai remarqué que les activités ont favorisé l’écoute et la prise de parole dans les improvisations, l’écoute de soi et de l’autre afin de stimuler son potentiel créateur pour résoudre des problématiques. Il s’en est suivi un sentiment de réalisation qui favorise l’estime de soi, la confiance, mais surtout la formation d’acteurs sociaux engagés dans le processus de changement.

La spontanéité et les apprentissages significatifs

Selon Spolin, le comédien apprend de sa propre expérience, « au travers de la spontanéité, nous sommes transformés en nous-mêmes. La spontanéité crée une explosion qui nous libère pour un moment de cadres de référence statiques, la mémoire étouffée par des faits anciens et des informations, théories non digérées et les techniques qui sont en fait des découvertes des autres. La spontanéité est un moment de liberté personnelle [...] est le moment de découvertes, de l’expérience et des expressions créatives » (Spolin, 2010, 3-4). En suivant cette pensée de Spolin, j’ai développé, en tant qu’animatrice des activités qui favorisent des réactions spontanées, par exemple, des improvisations à partir de situations ludiques, imaginaires et sociales. Dans ces moments de spontanéité, les cochercheurs sont appelés à réagir en prenant des décisions, ce qui facilite l’apprentissage significatif. La valorisation des connaissances joue un rôle important en établissant une relation dialogique avec les nouvelles informations issues de l’action théâtrale. Les cochercheurs se laissent aller, leur corps réagit, guidé par l’expérience, et moi aussi, j’ai laissé place à ma spontanéité de comédienne, d’enseignante, d’artiste et d’animatrice de théâtre d’intervention. « L’enseignement n’est pas le transfert de connaissances, mais c’est créer les possibilités de sa propre production ou de la construction » (Freire, 2008, 47).

Pendant le processus d’adaptation et de création collective, je valorise toujours les savoirs. Cette semaine-là, je me suis permis de tenir le rôle d’animatrice intervenante, d’interlocutrice, de provocatrice de ce processus individuel et collectif. J’ai aussi remarqué que le savoir s’accroît lorsque les cochercheurs prennent conscience qu’ils partagent leurs connaissances, leurs expériences de vie qui sont riches de valeurs. J’ai noté que le faire artistique, objectif des relations dialogiques entre les cochercheurs et un cheminement particulier, est construit par une appropriation de l’expérience, une libération et un partage des connaissances. Les cochercheurs sont capables de recréer le monde ensemble, de regarder ce qui les opprime et de surmonter ces difficultés avec une liberté créatrice. Le processus créatif englobant la méthodologie émancipatrice ressemble à la préparation d’un grand repas où chacun apporte une épice différente. Chaque épice est intégrée au bon moment et mélangée au repas pour donner « l’œuvre artistique », puis elle est servie, savourée et digérée par un public. Le processus créatif induit des moments qui favorisent la transformation de soi par l’entremise des relations avec l’autre, et cela, dans un contexte d’intersubjectivité qui permet la redéfinition de ses actions et de son potentiel créateur.

5.3.4 Les étapes de la semaine IV