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3.3 Diff´erents r´egimes, diff´erentes applications

3.3.3 Lentilles faibles

Lorsque la convergence d’une lentille devient petite devant 1, les ph´enom`enes spectaculaires de lentilles gravitationnelles laissent place `a des d´eformations bien plus faibles et indicernables `a l’oeil nu sur un objet en particulier. Cette situation est principalement observ´ee dans le cas d’une lentille amas o`u les sources sont les galaxies d’arri`ere-plan. L’int´erˆet va ˆetre alors de mesurer l’images de ces galaxies pour en d´eduire des contraintes sur la masse de l’amas en question.

La premi`ere constatation qui s’impose est que dans ce r´egime de lentilles faibles, le signal va se traduire par une modification l´eg`ere de la forme de chaque galaxie source. Or comme la forme non pertubr´ee de ces galaxies est inconnue, la connaissance de la forme de l’image d’une seule galaxie ne fournit a priori aucune contrainte. Il va donc falloir op´erer de mani`ere statistique.

Tout d’abord, il faut se doter d’un estimateur de la forme d’une galaxie et voir comme celui-ci se comporte lors du passage plan source-plan image.

D’un point de vue observationnel, l’image d’une galaxie est une petite portion du ciel caract´eris´ee par une brillance de surface d´epassant un certain seuil par rapport au niveau de bruit. On peut donc d´efinir la forme g´en´erale de celle-ci en calculant les moments de la brillance de surface I(+θ) (Kochanek 1990). Les 2 moments d’ordre 1 donnent la position du centre de la galaxie :

θic = /

I(+θ)θid2θ

/

I(+θ)d2θ (3.36)

et les 4 moments centr´es d’ordre 2

Qij =

/

I(+θ)(θi− θic)(θj− θjc)d2θ

/

I(+θ)d2θ (3.37)

d´efinissent la matrice de forme de la galaxie. Cette matrice est sym´etrique par construction, r´eelle et positive ce qui la rend diagonalisable.

La matrice diagonalis´ee caract´erise l’ajustement de l’image de la galaxie par une ellipse. L’orientation de son rep`ere propre correspond `a l’orientation de l’ellipse ´equivalente. Les valeurs propres sont quant `a elles ´egales aux moyennes du carr´e des demis grand et petit axes de l’ellipse ajust´ee `a l’image.

Si on prend le d´eveloppement limit´e `a l’ordre 1 de la position dans le plan source

+θs(+θ) = +θs(+θc)+A(+θc).(+θ−+θc), que l’on suppose d’une partA constante sur la surface

de l’image et d’autre part que l’image du centre de la source correspond au centre de l’image (valide dans le r´egime des lentilles faibles d’un amas), alors on obtient

directement la relation suivante entre les matrices de formes dans le plan source et le plan image :

QI =A−1QSA−1 (3.38)

Si on suppose que l’image d’une galaxie peut ˆetre assimil´ee `a une ellipse (on peut utiliser plusieurs ellipses pour afiner la mesure de la forme), alors les ´el´ements de la matrice de d´eformation peuvent ˆetre utilis´es pour caract´eriser compl`etement la forme de la galaxie. Plusieurs d´efinitions existent dans la litt´erature. Ici j’ai choisi d’utiliser l’ellipticit´e complexe e (Bonnet & Mellier 1995)

e(+θ) = Q11− Q22+ 2iQ12 Q11+Q22+ 2 detQ (3.39) = a− b a + be 2iφ = e 1+ ie2 (3.40)

o`u l’orientation φ du demi grand axe a de l’ellipse correspond `a l’orientation du rep`ere propre de la matrice de forme dans le plan image. Tout comme le cisaillement complexe, l’ellipticit´e complexe est un pseudo vecteur invariant par rotation de π. Une ellipse qui subit une rotation de 180 degr´es reste inchang´ee et donc se doit d’ˆetre caract´eris´ee par une mˆeme ellipticit´e complexe.

L’int´erˆet de manier cette quantit´e plutˆot que la matrice de forme devient ´evident lorsqu’on applique la transformation 3.38. Un calcul direct donne effectivement la relation suivante entre l’ellipticit´e complexe e dans le plan image et e(s) dans le plan

source (Seitz & Schneider 1997) :

e(s)=            e− g 1− ge pour|g| ≤ 1 1− ge e∗− g pour|g| > 1 (3.41) o`u∗ d´esigne le complexe conjugu´e. La grandeur g introduite est le cisaillement r´eduit

g(+θ) = γ(+θ)

1− κ(+θ) (3.42)

On remarque donc que seule une combinaison de la convergence et du cisaillement est mesurable par l’observation de la forme des galaxies. Cependant, plus on se place loin du centre de l’amas, plus sa densit´e projet´ee diminue, plus sa convergence de- vient n´egligeable devant 1 et g ∼ γ (approximation weak lensing).

Comme nous l’avons dit, l’inconnue majeure du probl`eme est la forme des ga- laxies dans le plan source. En effet, grˆace aux relations pr´ec´edentes, si on arrive `a d´eterminer e(s), alors une mesure de e permet de contraindre g et donc la distribu-

tion en masse de l’amas.

Pour contourner cette difficult´e, la solution la plus simple consiste `a supposer que les galaxies sont orient´ees de mani`ere al´eatoire dans l’espace ce qui permet d’´ecrire

3.3. DIFF ´ERENTS R ´EGIMES, DIFF ´ERENTES APPLICATIONS 85 Dans le cas o`u g est petit, la relation 3.41 nous donne alors directement un estima- teur non biais´e du cisaillement r´eduit&e' ≈ &e(s)+ g' = g et &e

1,2' = γ1,2/(1− κ) en

d´ecomposant sur les 2 coordonn´ees du plan image.

Le probl`eme est donc r´esolu : une mesure de la forme d’un nombre suffisant de ga- laxies sur une r´egion o`u le cisaillement r´eduit ne varie pas ou peu (typiquement des couronnes) permet d’estimer sa valeur locale qui est reli´ee au potentiel gravitation- nel et donc `a la masse de l’amas. La mani`ere d’appliquer concr`etement le r´egime des lentilles faibles aux amas de galaxies sera discut´ee en d´etail dans le chapitre suivant. Ce r´esultat repose sur l’hypoth`ese que les galaxies de champ sont orient´ees de mani`ere al´eatoire puisqu’elles poss`edent une ellipticit´e intrins`eque indissociable de la d´eformation gravitationnelle produite par la lentille. Il a ´et´e confirm´e observationnel- lement (Tyson & Seitzer 1988; Brainerd et al. 1996) qu’une distribution gaussienne repr´esente une bonne approximation de la distribution en ellipticit´e des galaxies de champ : pe(e1, e2)de1de2 = exp (−|e|22 e) πσ2 e[1− exp (−1/σe2)] de1de2 (3.43)

avec une dispersion caract´eristique σe ≈ 0.2 − 0.3. L’hypoth`ese de moyenne nulle

&es' = 0 est donc correcte. Nous verrons dans le chapitre suivant que malgr´e cela,

cette dispersion intrins`eque repr´esente la source majeure d’incertitude sur l’estima- tion de la masse d’un amas de galaxies.

Un autre point ayant attrait au r´egime des lentilles faibles concerne l’amplifica- tion g´en´er´ee par la masse d´eflectrice. Nous avons vu pr´ec´edemment que la d´eformation gravitationnelle accroˆıt le flux re¸cu des galaxies sources. Cela permet donc a priori une d´etection d’un plus grand nombre d’objet pour une magnitude limite donn´ee. Cependant, comme cet effet est dˆu `a une dilatation des angles solides, il va ´egalement diminuer la densit´e spatiale du nombre de galaxies (d´epl´etion). Ces 2 effets antago- nistes constituent le biais d’amplification (Turner et al. 1984).

Si n0(> S, z)dz est la densit´e num´erique de galaxies ayant un redshif t entre z et z + dz et un flux sup´erieur `a S, alors `a la position +θ, la densit´e d’objets observ´ee

sera n(> S, z) = 1 µ(+θ, z)n0 3 > S µ(+θ, z), z 4 (3.44) o`u µ(+θ, z) est l’amplification locale pour une source situ´ee au redshif t z.

Selon la forme de la fonction de distribution des galaxies non lentill´ees n0, l’ampli-

fication va soit accroˆıtre soit d´ecroˆıtre localement le comptage de galaxies.

En pratique, le redshif t des galaxies n’est pas connu et donc on a seulement acc`es aux comptages int´egr´es en z. Si on fait l’hypoth`ese d’une s´election des galaxies les plus faibles (catalogue d’objets limit´e en magnitude), alors celle-ci est domin´ee par des galaxies lointaines. Dans le cas d’amas relativement proches (typiquement

z < 0.3), alors la distribution de galaxies se comporte comme une source fictive

situ´ee `a l’infini ce qui permet d’´ecrire µ(+θ, z) ∼ µ(+θ). D’autre part, diff´erentes ob- servations sugg`erent que le nombre de galaxies faibles suit une loi de puissance sur large gamme de flux, n0(> S, z)∝ S−α avec une pente α d´ependante de la longueur

d’onde (Smail et al. 1995). Ces 2 hypoth`eses combin´ees donnent donc

n(> S) n0(> S)

= µα−1 (3.45) Une mesure de la variation locale de la densit´e d’objet en fonction de la distance au centre de l’amas va alors permettre de calculer une courbe de d´epl´etion (α < 1 dans les comptages profonds, et donc n < n0). Celle-ci donne acc`es `a l’amplification et

peut servir `a mod´eliser la distribution en masse de la lentille (Fort et al. 1997; Taylor et al. 1998; Mayen & Soucail 2000), par exemple en localisant une ligne critique en l’absence d’arc g´eant.

Broadhurst (1995) a soulign´e le fait que pour les lentilles sous-critiques caract´eris´ees par detA > 0, la mesure de l’amplification et du cisaillement r´eduit associ´es permet une estimation de la densit´e surfacique de masse locale puisque κ = 1 − [µ(1 −

|g|2)]−1/2. Si aucune information sur la forme des galaxies est disponible, on peut

toujours utiliser les densit´es num´eriques pour estimer la convergence dans l’approxi- mation κ+ 1, |γ| + 1 (de sorte `a avoir µ ≈ (1 + 2κ)) :

κ n(> S)− n0(> S) n0(> S)

1

2(α− 1) (3.46)

Un autre moyen de mesurer l’amplification consiste `a regarder la taille des ga- laxies pour une brillance de surface donn´ee (celle-ci ´etant conserv´ee par effet de lentille). Les mˆemes arguments que pr´ec´edemment donnent la relation &ω'(I) =

µ&ω'0(I) liant la taille moyenne &ω' des galaxies `a la brillance de surface I avant

et apr`es l’effet de lentille gravitationnelle. Une mesure de cette taille moyenne dans un champ vide permet alors d’estimer l’amplification en comparant avec la taille moyenne des galaxies observ´ees dans le champ d’un amas (voir par exemple Bartel- mann & Narayan (1995)).

L’effet d’amplification de l’amas sur la population des galaxies d’arri`ere-plan peut donc servir `a contraindre `a la fois la distribution de la masse de l’amas mais aussi les propri´et´es de la distribution des galaxies de champ `a grands redshif ts et faibles luminosit´es. La masse d´eflectrice de l’amas joue en effet le rˆole de t´elescope gravita- tionnel et augmente ainsi de mani`ere significative la possibilit´e d’observer des objets `a tr`es grands redshif ts compar´e `a l’´etude en champs vides (Maizy et al. 2010). L’observation et l’´etude des toutes premi`eres galaxies font partie des challenges de la cosmologie actuelle et l’amplification gravitationnelle se r´ev`ele ˆetre un outil tr`es pr´ecieux pour cela. En repoussant la limite en distance sur les galaxies observ´ees, on peut ainsi r´eduire les contraintes sur le d´ecalage spectral auquel les premi`eres structures de l’Univers se forment et le confronter aux pr´edictions th´eoriques.

Comme pour les effets de lentilles fortes, les lentilles faibles peuvent s’appliquer `a diff´erentes masses d´eflectrices, pas seulement aux amas de galaxies. Une galaxie lentille suffisament massive g´en`ere ´egalement un signal de cisaillement qui permet de contraindre la masse de son halo (voir par exemple la th`ese M. Limousin sur la th´eorie et l’application du galaxy− galaxy weak lensing).

3.3. DIFF ´ERENTS R ´EGIMES, DIFF ´ERENTES APPLICATIONS 87 pour mesurer le cisaillement r´eduit. La difficult´e suppl´ementaire lorsque la len- tille est une galaxie vient de sa masse, σv ∼ 1000 km.s−1 pour un amas contre

σv ∼ 220 km.s−1 pour une galaxie L∗ elliptique. L’intensit´e du signal est donc bien

moindre. On peut n´eanmoins augmenter le rapport signal sur bruit grˆace `a une ana- lyse statistique sur plusieurs paires galaxie lentille-galaxie source.

Si les galaxies lentilles sont situ´ees dans un champ vide, alors la convergence peut ˆetre n´eglig´ee du fait de leur faible masse et donc es = e− γ. On peut alors montrer (Bar-

telmann & Schneider 2001) que pour un ensemble de paires galaxie lentille-galaxie source, la distribution de probabilit´e de l’angle φ entre l’axe majeur de l’ellipse image avec la droite reliant son centre au centre de la galaxie lentille vaut :

p(φ) = 2 π ! 1− &γt' 5 1 e(s) 6 cos (2φ) " (3.47) o`u t' est la moyenne de la composante tangentielle de cisaillement mesur´ee sur

toute les paires de galaxies. Toute d´eviation de cette fonction p(φ) par rapport `a une distribution uniforme indiquera donc la pr´esence d’un signal de lentille gravita- tionnelle.

Pour estimer quantitativement la distribution de masse des galaxies lentilles, il faut regrouper celles-ci en cat´egories relativement strictes (couleur, redshif t, luminosit´e, morphologie, ...) afin de cumuler les d´eformations gravitationnelles g´en´er´ees par des objets similaires. En th´eorie, il serait alors possible de r´ealiser une ´etude non pa- ram´etrique de la distribution radiale de leur masse. En pratique, il est courant de supposer que les galaxies ont un profil de masse de type sph`ere isotherme tronqu´ee avec un rayon de coeur et que leur luminosit´e suit une loi d’´echelle avec leur disper- sion de vitesses, de sorte `a avoir un rapport entre le rayon d’Einstein et le rayon de tronquature qui soit ind´ependant de la luminosit´e de la galaxie.

Le weak galaxy−galaxy lensing peut aussi ˆetre ´etudi´e au sein des amas de galaxies.

L’int´erˆet principal est alors de comparer les propri´et´es du halo de mati`ere noire de ces galaxies par rapport `a celui des galaxies de champ. Dans le mod`ele de formation hi´erarchique des structures, les amas de galaxies se forment par la fusions du halos moins massifs, eux-mˆeme form´es par la fusions de structures encore plus petites. La question est de savoir dans quelle mesure les propri´et´es intitiales des halos les plus petits sont conserv´ees ou modifi´ees lors de ce processus de formation des amas. Nous avons vu dans le chapitre pr´ec´edent qu’il existe plusieurs m´ecanismes capables d’af- fecter les propri´et´es de ces galaxies. Grˆace au ph´enom`ene de lentille gravitationnelle, on va pouvoir obtenir une estimation statistique de leur masse et de l’´etendue de leur halo et ainsi confirmer l’impact de ces processus physiques.

Le fait de travailler dans un environnement dense en masse mais limit´e spatialement implique certaines difficult´es suppl´ementaires (moins de galaxie lentilles suffisam- ment massives, galaxies situ´ee pr`es du centre de l’amas o`u la convergence n’est plus n´egligeable) et une mod´elisation de la masse de l’amas devient n´ecessaire. D’un autre cˆot´e, la masse de l’amas va amplifier le signal donc un nombre plus petit de paires galaxie lentille-galaxie source suffit pour mesurer le cisaillement. De plus, les galaxies d’un amas sont principalement des galaxies elliptiques massives et donc un signal plus cons´equent par rapport aux galaxies de champ.

et al. (1996) pour l’´etude de galaxies de champ. Limousin et al. (2007a) ont quant `a eux analys´e les galaxies membres de plusieurs amas et ont confirm´e que celles-ci ont des halos de mati`ere noire moins ´etendus, t´emoin d’une action effective des processus physiques tels que la pression d’arrachement par effet de mar´ee.

Pour finir sur les lentilles faibles, signalons ´egalement la configuration o`u le rˆole de la lentille est jou´ee par un groupe de galaxies. L’intensit´e de la d´eformation induite par de tels objets, ayant des masses de l’ordre de 1013− 1014M

", se situe entre les 2

cas pr´ec´edemment ´evoqu´es. L’analyse de la forme des galaxies d’arri`ere-plan permet de d´etecter le signal produit par le groupe et donc conduit `a une estimation de sa masse. Cependant, pour les groupes les moins massifs, ce signal devient trop faible pour ˆetre exploitable tel quel. Par exemple, l’analyse weak lensing des groupes de l’´echantillon SL2S (Limousin et al. 2009) a conduit pour certains objets `a seulement une limite sup´erieure sur leur masse.

Afin d’augmenter le poids statistique du signal mesur´e, il est possible de combiner plusieurs objets a priori similaires (tri´es selon leur redshif t, luminosit´e optique ou richesse) ce qui va se traduire par un rapport signal sur bruit bien meilleur sur le signal de cisaillement mesur´e. Cette m´ethode a ´et´e employ´ee avec succ`es comme par exemple sur les groupes du catalogue maxBCG (Johnston et al. 2007; Reyes et al. 2008) ou bien ceux du catalogue COSM OS (Leauthaud et al. 2010).