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Chapitre 2. LE CADRE THÉORIQUE

2.1 La lecture/appréciation des œuvres littéraires : quels fondements pour son

2.1.1 Les principales composantes et finalités de la formation littéraire à l’école

2.1.1.2 La lecture littéraire, le sujet lecteur et le modèle didactique de la lecture

La lecture littéraire. Inspirés, entre autres, des travaux relatifs aux théories de la réception (dont ceux d’Eco, 1979/1985, d’Iser, 1976/1985, de Jauss, 1975/1990, de Picard, 1986, et de Rosenblatt, 1938/1995), des chercheurs en didactique du français, en particulier l’équipe de Dufays, ont élaboré la notion de lecture littéraire pour parler d’une lecture en contexte scolaire qui se veut sensible à la forme, attentive au fonctionnement du texte et à sa dimension esthétique (Dufays, Gemenne et Ledur, 2015; Rouxel, 1996, 2004). Différents modes de lecture sont ainsi convoqués, parmi lesquels Hébert (2006b) relève, par exemple, les modes littéral, inférentiel; expérientiel, esthétique; analytique, critique. D’une notion plurielle avancée dans les années 1990 à une notion plus stabilisée au début des années 2010, la lecture littéraire a été remise en question par certains (notamment Daunay, 1999) avant de servir, en quelque sorte, de modèle didactique (Dufays, 2011a).

À propos des concepts et des méthodes propres à la didactique du français, Louichon (2011) montre comment la lecture littéraire est passée de « préconcept » à « concept théorique » en quelques années, après son introduction au milieu des années 1990. Bien que la lecture littéraire demeure problématique et plurielle (Daunay, 1999; Dufays, 2002), Louichon (2011 : 205-206) en retient quatre particularités pour lesquelles se dégage un certain consensus : 1) la lecture littéraire est associée à la

lecture de textes littéraires; 2) la lecture littéraire est un objet scolaire qui renvoie à des compétences spécifiques que l’école doit construire; 3) la lecture littéraire porte son attention sur le lecteur; 4) la lecture littéraire exige une dynamique de classe particulière, classe qui devient une communauté interprétative.

Les recherches récentes sur les approches didactiques de la littérature à l’école montrent que les pratiques d’enseignement de la lecture littéraire sont axées sur différentes activités complémentaires relevant à la fois de la participation, de la distanciation et des appropriations sensorielles des lecteurs (Dufays, Gemenne et Ledur, 2015). Ce va-et-vient dialectique qui peut s’installer entre la participation psychoaffective et la distanciation intellectuelle chez les lecteurs dès le cours primaire permettrait, entre autres, de nourrir des rapports passionnels et rationnels à la lecture de textes littéraires, de marier la subjectivité et l’intersubjectivité ainsi que d’intégrer la « lecture savante » à la « lecture ordinaire » (Dufays, Gemenne et Ledur, 2005 : 94). La lecture littéraire devrait donc solliciter simultanément la participation du lecteur, en l’amenant à entrer dans le jeu, et un effort de distanciation, qui le conduit à observer et à analyser la partie (Delbrassine, 2007). Gervais (1993/2006) fait ainsi la distinction entre une pratique de lecture extensive, pratique qui permet de découvrir de nouveaux textes plus ou moins rapidement, et une pratique de lecture intensive, où le texte qui est déjà lu se trouve revalorisé par le sujet lecteur qui choisit intentionnellement de s’arrêter, de se concentrer, de s’investir. Le lecteur compétent serait ainsi celui qui est capable de participer et de prendre distance lors d’une lecture ou d’une relecture (Delbrassine, 2007).

Le sujet lecteur. Dans les travaux de certains spécialistes de la littérature et de son enseignement, tout comme dans le programme actuel de formation (MEQ, 2001/MELS, 2006), la part subjective du lecteur occupe une part non négligeable de la formation littéraire des écoliers. La notion de sujet lecteur, « lecteur qui achève le texte et lui imprime sa forme singulière » (Rouxel, 2007a : 69), émerge ainsi depuis quelques années dans le champ de recherches sur les approches didactiques de la

littérature (Dubois-Marcoin et Delahaye, 2006; Rouxel et Langlade, 2004). Le sujet lecteur, selon Dubois-Marcoin et Delahaye (2006 : 169), est un « sujet invité à exprimer ses gouts, ses préférences, sa culture en construction ». Cette notion de sujet lecteur apparait de plus en plus incontournable pour l’étude didactique des interactions entre le lecteur, le texte et le contexte, les trois variables impliqués dans le modèle interactif de la lecture (Giasson, 2011). La lecture littéraire, pour Louichon (2011 : 207), c’est, en somme, « une lecture littéraire centrée sur le lecteur, menée dans une classe pensée comme une communauté interprétative au moyen de la parole échangée ».

Le modèle didactique de la lecture littéraire. En ce qui a trait à la construction du modèle didactique de cette lecture littéraire à l’école primaire, Tauveron (1999 : 5) propose de retenir cinq principes généraux : 1) travailler la compétence littéraire sur des textes résistants; 2) activer des comportements de lecteurs singuliers; 3) accueillir et nourrir la culture de l’élève pour nourrir sa lecture; 4) penser des dispositifs didactiques qui favorisent l’expression des interprétations individuelles et l’interaction coopérative; 5) savoir lire la lecture des élèves. En mettant en œuvre ces principes, il serait possible de faire gouter aux élèves les différents plaisirs que Tauveron (2000) associe à la lecture littéraire. Ces divers plaisirs tiennent compte du fait que la lecture littéraire est considérée, au sens où l’entend Picard (1986), comme un jeu, c’est-à-dire un espace de liberté certes, mais qui fonctionne avec ses propres règles dans lequel le lecteur se met en jeu et assume des risques. Il conviendrait alors de faire vivre la lecture littéraire en classe véritablement comme un tel espace ludique et de convier les élèves à la partie, en tant que partenaires (Tauveron, 2000).

Cela dit, pour le primaire québécois, très peu de chercheurs ont étudié le développement de la compétence littéraire en s’appuyant sur de tels principes généraux. Par exemple, en ce qui concerne la question des textes résistants, Dupin de Saint-André (2011) l’a fait pour le préscolaire dans le cadre de lectures à voix haute et Turgeon (2013) s’est intéressée, de façon théorique, à l’établissement de critères pour

l’évaluation des œuvres littéraires québécoises propices au travail d’interprétation avec les élèves. Quant aux dispositifs didactiques favorisant l’expression des interprétations individuelles et l’interaction coopérative, Hébert (2003) a étudié les retombées d’un dispositif alliant journaux et cercles de lecture entre pairs sur la lecture et l’expression de sujets lecteurs.