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Chapitre 2. LE CADRE THÉORIQUE

2.4 Les corpus et le matériel pour l’enseignement de la lecture/appréciation des

Dans cette partie, nous présentons, d’une part, quelques indications issues de la recherche à propos des corpus d’œuvres et d’auteurs/illustrateurs (2.4.1) et, d’autre part, différents matériels utilisés en lecture/appréciation des œuvres littéraires (2.4.2).

2.4.1 Les corpus pour l’enseignement de la lecture/appréciation des œuvres littéraires

Dans le cadre scolaire, comme l’ont souligné les didacticiens Dufays, Gemenne et Ledur (2015) ainsi que Dumortier (2001a), il convient de choisir des œuvres en fonction d’enjeux passionnels et rationnels, des œuvres que l’enseignant lui-même a appréciées, des œuvres qu’il croit susceptibles d’intéresser les élèves, des œuvres qui mèneront les jeunes lecteurs vers des chemins encore inexplorés pour nourrir leurs repères culturels. Ces enjeux sont à mettre en tension avec différents critères et difficultés d’ordre culturel, technique et pédagogique/didactique (Dufays, Gemenne et Ledur, 2015).

Au primaire, les œuvres de littérature de jeunesse apparaissent toutes désignées pour une utilisation en classe avec les écoliers, en particulier si l’on considère, avec Ahr (2005), la littérature comme un réel objet d’enseignement et non seulement

comme un instrument pour l’apprentissage du français. Cela dit, lors du choix d’œuvres en contexte scolaire, les enseignants se heurtent à diverses tensions ou options (Simard, 1996) : Doit-on favoriser la littérature classique ou contemporaine? La littérature générale ou de jeunesse? La littérature nationale ou étrangère? La littérature francophone ou en traduction? Des œuvres intégrales ou des morceaux choisis? Le programme de formation québécois pour l’enseignement primaire laisse aux enseignants une liberté de choix considérable à ce sujet. Le Ministère signale que les élèves doivent explorer et apprécier des œuvres littéraires nombreuses et variées, issues de la littérature pour la jeunesse ou de la littérature générale accessible aux jeunes. Ces œuvres doivent provenir d’abord du Québec, puis de la Francophonie ou de la littérature internationale traduite en français (MELS, 2006 : 84).

2.4.2 Les supports, l’aménagement, les types de textes et les formes/genres littéraires pour l’enseignement de la lecture/appréciation des œuvres littéraires

Outre les œuvres littéraires, les enseignants peuvent avoir recours à divers supports de lecture, en papier ou électroniques, pour enseigner la lecture/appréciation des œuvres littéraires (Barone, 2012; Thévenaz-Christen, 2014a) : des manuels scolaires, des cahiers d’exercice, du matériel reproductible, du matériel créé par les enseignants, des magazines, des livres dits nivelés (des livres auxquels on associe un niveau de lecture), des tablettes, des ordinateurs. Giasson (2000) indique que ces différents matériels de lecture présentent des limites, notamment d’un point de vue de l’authenticité des textes qui y sont intégrés et de l’absence de possibilité, pour les élèves, de choisir des textes en fonction de leurs intérêts et de leurs habiletés.

Cette variété de matériel de lecture peut être disponible dans différents lieux (Giasson et Saint-Laurent, 1999) : en classe (coin-lecture ou bibliothèque de classe), dans l’école (bibliothèque scolaire) ou dans la ville (bibliothèque municipale). Le coin- lecture est un espace dans lequel les élèves peuvent s’assoir pour lire, tandis que la bibliothèque de classe est plutôt un lieu qui regroupe des étagères pour donner accès

aux livres (Giasson et Saint-Laurent, 1999). Des recherches ont montré l’intérêt d’introduire en classe un coin-lecture pour augmenter la fréquence de la lecture personnelle des élèves, mais l’enquête de Giasson et Saint-Laurent (1999) indiquait qu’au primaire, près de la moitié (44,5 %) des classes n’avait ni coin-lecture, ni bibliothèque, et que peu de ces classes possédaient plus de 100 livres. Il y a près de 20 ans, au moment de cette enquête, les classes de première à troisième année du primaire avaient plus de coins-lecture et de bibliothèques que les classes de la quatrième à la sixième année.

En ce qui concerne l’utilisation d’œuvres de littérature de jeunesse au primaire, les textes résistants (Tauveron, 2002a), les textes riches (Poslaniec, 2002) ou les textes difficiles (Daunay, 2002), voire les œuvres dites de qualité (Dupin de Saint-André, 2011), choisis comme supports de lecture pourraient encourager une mise en suspension de la compréhension d’un texte littéraire et susciteraient la nécessité d’une attitude réflexive (Daunay, 2002; Dupin de Saint-André, 2011). Pour Tauveron (2002a), ces textes résistants devraient poser à la fois des problèmes de compréhension et d’interprétation aux lecteurs. En ce sens, elle nomme « textes réticents » les textes qui posent des problèmes de compréhension et « textes proliférants » les textes qui multiplient les interprétations possibles. Ces textes dits résistants, qu’il serait approprié d’utiliser dès le cours primaire, peuvent s’inscrire dans des réseaux plus larges où l’intertextualité (liens entre textes) et l’intericonicité (liens entre images) entrent en jeu pour faire lire, dire, écrire en réseaux (Devanne, 2006; Langer, 2011; Tsimbidy, 2008). De cette façon, l’enseignant peut concilier quelque peu une des tensions qui anime la recherche avec l’intervention sur l’appréciation des œuvres littéraires : distinguer apprendre à lire d’apprendre la littérature (Dufays, 2010), ces deux objectifs ne renvoyant pas aux mêmes types de dispositifs didactiques.

Les lectures personnelles des élèves devraient aussi être de formes et de genres variés, fictionnels ou non (Barone, 2012; Dumortier, 2001a). Les résultats de la recherche menée par Jacob, Morrison et Swinyard (2000) indiquent d’ailleurs que,

dans le cadre de lectures à voix haute, les enseignants américains utilisent des œuvres de formes et de genres variés, et que ces choix évoluent au fil du cours primaire. En ce sens, Tsimbidy (2008) comme Canvat (1999) distinguent trois genres littéraires principaux pour l’enseignement : narratif, poétique et dramatique. Parmi les genres narratifs, Tsimbidy (2008) insiste, pour le cadre scolaire, sur le roman, la nouvelle, le conte, le journal et les lettres. Il faut noter que ces genres ne sont pas étanches et qu’une certaine superposition de niveaux ou de palliers propres à différentes typologies d’analyse textuelle fait en sorte que le narratif, par exemple, peut se retrouver aussi dans les genres dits poétique et dramatique (Adam, 2011).

Cela dit, les documents ministériels québécois abordent des genres et des formes littéraires en demeurant imprécis à propos de leur définition : la comptine, la chanson, le poème, la bande dessinée, le mini-roman, le roman, la légende et la fable (MELS, 2009/2011 : 79). En France, dans certaines publications en lien avec les nouveaux programmes, l’album et la bande dessinée, qui associent texte et image, sont considérés comme des formes tandis que le conte, la fable, la poésie, le roman, la nouvelle et le théâtre sont présentés comme des genres littéraires (Bulletin officiel spécial no 11, 2015 : 105). Pour les besoins de nos travaux, nous retenons avec

Tsimbidy (2008) et Canvat (1999) les trois genres littéraires principaux (narratif, poétique et dramatique) auxquels nous ajoutons l’album et la bande dessinée, deux formes qui peuvent accueillir ces différents genres. Nous sommes conscient ainsi, comme le signale Adam (1994) pour le texte narratif, du flou des catégories et des frontières poreuses entre les formes et genres littéraires retenus.

Considérant l’importance accordée à la lecture/appréciation des œuvres littéraires et la grande liberté de choix laissée aux enseignants du primaire dans le programme actuel (MEQ, 2001/MELS, 2006), des résultats de l’enquête de l’équipe COLLect (Dezutter et al., 2012) montrent que les activités autour du livre, le matériel et les corpus sont très éclatés. Il faut savoir, à partir de cette enquête, que la lecture de plusieurs œuvres complètes est bien présente dans les classes du troisième cycle du

primaire et qu’à ce cycle, plusieurs albums sont encore utilisés par les enseignants. Un enseignant sur cinq environ (17,0 %) déclare mettre en place un programme de lecture qui comporte dix œuvres ou plus par année; au secondaire, la moyenne tourne autour de cinq œuvres par année. Un enseignant sur deux (51,9 %) du troisième cycle du primaire laisse une liberté totale de choix ou n’impose que quelques critères généraux de sélection aux élèves. Au secondaire, moins d’un enseignant sur cinq procède ainsi (16,0 %).

Pour les enseignants de la fin du primaire et du secondaire interrogés dans le cadre de l’enquête COLLect, le critère principal de choix pour neuf enseignants sur 10 (90,3 %) réside dans le plaisir et l’intérêt qu’ils présupposent que l’œuvre suscitera chez les élèves. Le plaisir et l’intérêt de l’enseignant sont aussi pris en compte, un peu plus au secondaire (87,6 %) qu’au primaire (79,9 %). Les œuvres sont aussi choisies en fonction de leur importance pour construire une culture littéraire de base (pour 70,9 % des enseignants de la fin du primaire et pour 82,8 % des enseignants du secondaire), de leur cout (pour 64,7 % des enseignants) et de leur disponibilité à la bibliothèque scolaire (pour 60,2 % des enseignants). En ce qui concerne plus précisément les corpus analysés dans cette enquête, le genre littéraire qui domine largement à la fin du primaire et au secondaire est le roman. Le théâtre n’occupe qu’une maigre place (5,4 % des titres cités) et la bande dessinée est pratiquement absente (1,2 %). Au primaire, 70,0 % des titres cités proviennent de la littérature québécoise, mais la dispersion de ces titres et des auteurs étudiés est très grande.