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Chapitre 2. LE CADRE THÉORIQUE

2.5 L’évaluation de la lecture/appréciation des œuvres littéraires

L’enseignement et l’évaluation de la lecture/appréciation des œuvres littéraires soulèvent différents défis que nous présentons dans la première section de cette partie qui nous permet d’aborder la question de l’évaluation (2.5.1) avant de retenir quelques moyens et manisfestations écrites et orales de cette lecture/appréciation (2.5.2).

2.5.1 Les défis de l’évaluation de la lecture/appréciation des œuvres littéraires L’un des défis rencontrés dans l’enseignement de la lecture/appréciation des œuvres littéraires touche à son évaluation, la lecture littéraire comportant une large part d’éléments « inévaluables » (Dufays, Gemenne et Ledur, 2015) et l’accès aux « textes du lecteur » posant divers problèmes (Dufays, 2011b; Hébert, 2011). Comment, en effet, évaluer la lecture/appréciation des œuvres littéraires par l’entremise de dispositifs d’apprentissage centrés sur l’activité du sujet lecteur, comment ainsi amener les élèves à analyser objectivement une œuvre littéraire tout en exprimant leur subjectivité de lecteurs (Hébert, 2011)? Comment avoir accès à la « boite noire » des élèves, à ce qui se passe dans la tête des lecteurs sinon par des manifestations écrites ou orales (Tauveron, 2005), manifestations qui entrainent leur lot de défis pour l’enseignant du primaire en particulier (Chabanne et Bucheton, 2002a; Hébert, 2011)?

Nous l’avons constaté dès le premier chapitre : l’évaluation de la compétence littéraire est considérée comme l’une des principales difficultés par les enseignants interrogés lors de la Table de pilotage du renouveau pédagogique (MELS, 2007). Hébert (2011) montre bien d’ailleurs toute la difficulté d’enseigner et d’évaluer la lecture/appréciation des œuvres littéraires dans une perspective axée sur le développement du sujet lecteur et de son rapport à la lecture littéraire par le recours à des tâches complexes, signifiantes et intégratrices en lecture, en écriture et en oral. Elle signale aussi la difficulté que peuvent éprouver des enseignants entrainés, traditionnellement, à évaluer des textes « achevés », des textes écrits après la lecture, et non pas des textes « inachevés », en construction pendant, voire avant la lecture d’une œuvre littéraire. De surcroit, ce travail sur des œuvres littéraires intégrales ou complètes, et non sur de seuls extraits de texte ou des morceaux choisis, demeure récent dans l’histoire de la discipline (Dezutter et al., 2012; Hébert, 2011).

Outre des défis liés à la gestion de classe et au fait que l’enseignant ne détient pas (ou plus) la seule et unique « bonne réponse » à l’intérieur de la communauté interprétative (Louichon, 2011), un des obstacles principaux rencontrés dans des dispositifs didactiques qui intègrent des écrits et des oraux réflexifs/créatifs se situe bel et bien dans l’évaluation. En liant évaluation, enseignement, soutien et remédiation (Bucheton et Chabanne, 2002-2003), les chercheurs semblent s’accorder sur le fait que ces activités devraient prioritairement servir l’évaluation formative et non l’évaluation sommative reposant sur des consignes fermées (Crinon, 2008; Lebrun, 1996).

Cependant, les enseignants du primaire ayant à développer chez leurs élèves un grand nombre de compétences dans un temps limité, plusieurs se serviront des traces laissées par les écoliers pour évaluer leur lecture ou leurs habiletés d’écriture et de communication orale (Chabanne et Bucheton, 2008). Il faut aussi souligner, avec Chabanne et Bucheton (2002a), une autre des difficultés qui réside dans le passage par l’écrit et par l’oral pour les élèves en début d’apprentissage au premier cycle du primaire. Par exemple, étant en apprentissage des composantes propres à l’écriture, dont la conceptualisation, l’énonciation, l’encodage et la matérialisation (Dupin de Saint-André et Montésinos-Gelet, 2015b), il faut que les enseignants soient astucieux pour faire écrire les jeunes scripteurs sur les œuvres lues, vues et entendues tout en respectant le développement de leur compétence à écrire.

Peu importe leur niveau scolaire, Langer (2011 : 108-109) signale que chaque élève devrait être en mesure, à la suite de la lecture d’une œuvre littéraire, 1) de partager ses premières impressions, 2) de poser des questions pertinentes à propos de ce qu’il a lu, 3) d’aller au-delà de ses premières impressions pour enrichir sa compréhension initiale, 4) de faire des liens entre les différentes parties de l’œuvre et avec d’autres œuvres, 5) de considérer des perspectives multiples des autres lecteurs sur l’œuvre, 6) de réfléchir à des interprétations autres que les siennes et de les critiquer, 7) d’utiliser la littérature pour mieux se comprendre et comprendre la vie, 8) de s’engager dans des façons de lire qui le rendent sensible aux autres cultures et

contextes, 9) d’user de l’écriture pour réfléchir et pour commenter sa compréhension littéraire et 10) de parler et d’écrire à propos d’une œuvre d’une manière semblable aux discours sociaux sur la littérature. Pour ce faire, le passage par des manifestations écrites et orales est nécessaire.

2.5.2 Les manisfestations écrites et orales de la lecture/appréciation des œuvres littéraires

En plus de devoir faire état de connaissances de différentes natures souvent subjectives (Hébert, 2011), les manifestations écrites et orales en lecture littéraire devraient permettre aux enseignants d’évaluer les cinq critères de la compétence reformulée en Lire des textes variés et apprécier des œuvres littéraires dans le Cadre d’évaluation des apprentissages actuel : 1) compréhension des éléments significatifs d’un texte; 2) interprétation plausible d’un texte; 3) justification pertinente des réactions à un texte; 4) jugement critique sur des textes littéraires; 5) recours à des stratégies appropriées (MELS, 2011). Pour évaluer ces aspects en lecture/appréciation des œuvres littéraires, l’enseignant peut élaborer des questionnaires ou planifier des tâches plus globales métatextuelles ou hypertextuelles, à l’écrit et à l’oral (Dufays, Gemenne et Ledur, 2015), et ce, dans un cadre d’évaluation diagnostique, formative ou certificative (Dumortier, 2006).

Pour évaluer ainsi les « textes du lecteur », Dufays (2011b) propose un découpage de manifestations écrites et orales, métatextuelles et hypertextuelles, découpage que nous avons présenté à la section 2.3.2 et que nous illustrons ici sur un continuum entre chacun des pôles impliqués.

En pratique, ces manifestations écrites ou orales se déclinent, par exemple, en questionnaires élaborés par les enseignants ou en examens provenant de matériel existant, en épreuves ministérielles, en cahiers, journaux ou carnets de lecture/appréciation (MEQ, 2001/MELS, 2006). Les entretiens individuels, les groupes de discussion et les présentations orales plus formelles de genres variés peuvent aussi servir l’évaluation, à l’oral, de la lecture/appréciation des élèves (MEQ, 2001/MELS, 2006).

Afin de prendre quelques distances par rapport au traditionnel questionnaire de compréhension en lecture, qui présente différentes limites notamment en fonction du fait d’évaluer la compréhension de particularités d’un texte choisi et non le développement plus global de compétences (Dumortier, 1999), Langer (2011) souligne l’importance de proposer ainsi une grande variété de moyens à l’écrit et à l’oral : écriture libre, écriture automatique, remue-méninges, entrées de journal,

journal de lecture, lecture à l’oral, jeux de rôle, conversations écrites et orales, présentations en petites équipes, discussions avec la classe entière, portfolios, travail artistique, essais, graphiques, présentations multimodales, etc. Ces différents outils permettraient aux élèves de répondre à la littérature en exprimant leur propre réception d’une œuvre littéraire (Barone, 2012).

Dans les premières parties de ce chapitre, nous avons abordé à différents endroits des notions et des concepts que l’on peut regrouper, à la manière de l’équipe du projet Lire-Écrire au CP (Tiré, Vadgar, Ragano et Bazile, 2015), en cinq grandes dimensions de l’acculturation à l’écrit : 1) une dimension littéraire; 2) une dimension culturelle et anthropologique; 3) une dimension sociale et collective; 4) une dimension psychoaffective; 5) une dimension cognitive. Comme le soulignent Tiré et ses collègues (2015), « [c]es dimensions composant le processus d’acculturation sont également mises en avant dans les travaux sur le "rapport à l’écrit" (Barré-De Miniac, 1995 : 109; 2000) "qui désigne les multiples liens psychoaffectifs, cognitifs, sociaux et culturels qui unissent [l’élève] à cette activité" (Colin, 2014) ». Dans la prochaine partie, nous nous intéressons ainsi à la question du rapport à et aux conceptions des enseignants à propos de la lecture littéraire.