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Jamais mieux qu’au terme des quatre derniers siècles de son histoire, l’homme occidental ne put-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il retirait à l’autre, il ouvrait un cycle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d’autres hommes, et à revendiquer au profil de minorités toujours plus restreintes, le privilège d’un humanisme, corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion.

Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, t. II « Morwyn » signifie « vierge » en gallois1. C’est, dans le roman de Powys, le prénom d’une

jeune fille qui tente, avec le narrateur, un capitaine à la retraite, de s’échapper de l’Enfer, où ils se sont retrouvés à la suite de la collision d’une météorite avec la Terre. Avec cette histoire, Powys s’est prêté à un véritable excès d’imagination, ce roman ne contenant pas moins de péripéties fantastiques et de visions d’horreur qu’un roman de H. G. Wells. Les personnages seront guidés en Enfer par le fantôme du marquis de Sade, seront sauvés in

extremis d’une légion de damnés par le fantôme du barde gallois Taliessin (qui vécut au

cinquième siècle de l’ère chrétienne), trouveront le lieu secret où dorment Merlin l’enchanteur, la Grande Mère Caridwen et Cronos, rencontreront le fantôme de Socrate qui défendra le Titan Tityos, accusé d’un crime « érotique », devant Rhadamanthe, l’honorable juge de l’Enfer. In fine, le narrateur sera consolé d’avoir perdu Morwyn par le fantôme de son auteur préféré, Rabelais.

L’histoire de Morwyn semble complètement loufoque — détrompez-vous, c’est archi sérieux. Quand Powys eut fini de l’écrire, à l’âge de soixante-cinq ans, il croyait non seulement que c’était son meilleur roman — il en avait écrit déjà une dizaine, dont ses plus célèbres —, mais en plus, il était convaincu que Morwyn figurerait au panthéon de la

1 Selon ce qu’affirme Powys dans une lettre du 19 mars 1937, reproduite dans John Cowper Powys, Esprits-

Frères, choix de lettres (1910-1940) et trad. Christiane Poussier et Anne Bruneau, Paris, José Corti, 1998,

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littérature mondiale, comme il le confie dans une lettre à son plus jeune frère, lui aussi auteur : « […] the best and most deeply-felt and by far the most imaginative book I’ve ever written, namely Morwyn or the Vengeance of God, which I gravely announce to you […] is a CLASSIC not unworthy to be set beside Candide and Guilliver’s Travels and Theodolph

the Icelander and Uncle Tom’s Cabin!2 ». Que Morwyn soit un roman raté ou non, c’est une

œuvre incontournable, puisque nous y retrouvons le thème de l’animalité dans deux de ses principales déclinaisons : d’abord, l’idée qu’il faut réhabiliter la part animale de l’homme (son appétit érotique) ; ensuite, qu’il faut reconnaître la dignité des animaux et cesser la pratique de la vivisection sur eux. Dans Morwyn, ces deux idées sont défendues par nul autre que Socrate, le père de la philosophie, auquel Powys fait dire qu’un homme pleinement « humain » est celui qui est à l’écoute du daïmon en lui, cette voix de la conscience prompte à s’indigner contre toute injustice, que celle-ci soit commise à l’égard d’un homme ou d’un animal. L’homme de l’indignation serait donc un homme à l’humanité exemplaire.

Mais avant d’aborder Morwyn, faisons d’abord un petit détour du côté d’un essai philosophique que Powys a écrit sept ans avant son roman, Apologie des sens, où il livre clairement sa vision de l’animalité. Je ne tâcherai pas de résumer cet essai, par ailleurs extrêmement touffu, seulement d’en extraire une série d’arguments qui deviendront par la suite nos clefs de lecture de Morwyn.

Apologie des sens

Dans cet essai dédié à Jean-Jacques Rousseau, nombre d’idées et d’expressions rappellent celles de Hesse dans son essai Regard sur le chaos, portant sur Les frères Karamazov de Dostoïevski, publié en 1920. Dès les premières pages, Powys défend l’idée que la culture européenne est à l’agonie et que, par conséquent, une nouvelle culture doit naître, qui consisterait en une réconciliation de l’homme avec sa part « animale » :

Et je soutiens que toute forme de sensation sexuelle est bonne — et non seulement bonne, mais même excellente, admirable, désirable — à la seule condition toutefois d’être exempte de toute trace de cruauté sadique. Les scandaleuses préventions de notre époque à l’endroit des sensations

2 John Cowper Powys, The Letters of John Cowper Powys to his brother Llewelyn, vol. II. (1925-1939),

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sexuelles ne sont pourtant que l’un des multiples exemples de la destruction du bonheur de l’individu par les instincts grégaires de l’humanité. Ce livre contient quelques ébauches, encore très imparfaites, de ce qui pourrait bien devenir une nouvelle « culture », au sens spenglerien du terme. Cette nouvelle « culture », cette nouvelle Religion doit, me semble-t-il, se présenter à la fois comme une réaction contre tout un ensemble de traditions qui ont comme ranci avec le temps, et aussi comme un retour à un lointain passé perdu au milieu des trivialités de notre civilisation3.

Ce que Powys désigne par l’« ensemble de traditions humaines qui ont comme ranci avec le temps », ce serait, grosso modo, l’idéal de l’homo victorianus que l’on traque ici depuis l’analyse de L’étrange cas du Dr Jekyll et de M. Hyde (les gentlemen Jekyll et Utterson s’interdisent les plaisirs les plus innocents, comme boire du vin, aller au théâtre et s’abandonner à une « impatience de gaieté »). En fait, plus nous avançons dans l’exploration du corpus de l’humanimalité, plus le travail de sape entrepris par les auteurs contre la fiction mortifère de l’homo victorianus se poursuit, d’œuvre en œuvre, toujours plus explicitement.

Dans le dernier chapitre de l’Apologie des sens, Powys revient sur son choix d’avoir nommé sa philosophie tantôt « Culture nouvelle », tantôt « Religion nouvelle » :

Si j’ai eu l’audace de désigner cette pauvre philosophie maladroite de ce terme si présomptueux, annonciateur d’une Culture nouvelle, d’une Religion nouvelle, c’est qu’elle a pour effet de faire monter de nouveau cette magnétique sève de vie, présente dans les profondeurs de notre être, et que le système industriel et la société ont stérilisée. La puissance qui vient de l’élément purement humain en nous ne jaillit pas, semble-t-il, avec assez de force (AS, 326-327).

Le constat de Powys est très semblable à celui d’autres auteurs abordés jusqu’à maintenant dans l’étude du corpus de l’humanimalité, notamment Lawrence : la sève de la vie ne circule plus dans les veines de l’homme contemporain, dont l’existence n’est désormais qu’un simulacre.

La nostalgie d’une animalité primitive

Le point de départ d’Apologie des sens est une interrogation sur « le but de la vie » (AS, 21). Selon Powys, les philosophes qui ont tenté de répondre à cette question avant lui se sont trompés, puisqu’ils ont finalement répondu à une toute autre question : quel est le sens

3 John Cowper Powys, Apologie des sens, trad. Michelle Tran Khai, Paris, Jean-Jacques Pauvert (Le livre de

poche), 1977, p. 26-27. Désormais, les renvois à cette édition seront signalés, dans le corps du texte, par la seule mention AS, suivie du numéro de la page.

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de la vie pour un être humain ? Or, Powys croit que cette question n’a de sens que si on la pose ainsi : quel est le sens de la vie pour tout être vivant ? « Et lorsqu’on touche à l’ultime question du secret de la Vie, réduire ce secret à des idéaux moraux propres à notre seule espèce semble relever d’une sorte de mégalomanie de l’humanité » (AS, 35). Ce que l’on voit apparaître ici, c’est une pensée qui brise le cercle traditionnel de l’anthropocentrisme en philosophie et qui inclut l’animal dans sa réflexion sur l’homme.

Ce sens de la vie, Powys affirme qu’il faut pouvoir le retrouver dans l’existence de toutes les formes de vie qui nous entourent :

Il faut qu’il corresponde au mouvement vital naturel en nous, à peine plus « voulu » et plus réfléchi que la respiration même. Il faut qu’il soit présent dans la queue du poisson qui bat allègrement, dans la corne que sort l’escargot, dans la trompe que l’éléphant balance, dans le pénis en érection du loup, dans le vol plané du faucon, dans la lente rumination de la vache, dans l’immobilité du serpent lové au soleil, dans la poussée vers le haut du bulbe qui germe, dans la crosse de fougère en train de se dérouler, aussi bien que dans la jubilation créatrice du poète, le frisson érotique de l’amant, et que dans chacune des activités musculaires ou intellectuelles auxquelles peut se livrer la nature humaine […]. Il faut qu’il ait été présent déjà dans les gestes de l’ichtyosaure somnolent, s’étirant dans la boue originelle (AS, 36).

Ce sens de la vie se résumerait enfin, selon Powys, dans « ce bonheur tout simple, primitif, qui naît de l’expérience immédiate du simple fait d’être en vie » (AS, 62).

Ce bonheur tout simple, Powys le décline en une série de petits plaisirs qui échappent par trop souvent, croit Powys, à l’homme qui évolue dans la civilisation moderne. Tous ces plaisirs, Powys les développera dans la suite de son essai :

Cligner des yeux face à ce dieu mystérieux, le soleil ; contempler longuement cette déesse ambiguë, la lune ; observer les inimaginables formes des nuages s’amoncelant au-dessus de l’horizon ; observer, dans les premières heures de l’après-midi, cette lueur tirant sur le jaune sur ce mur de brique ; assister à ce déferlement de bleu sombre engloutissant les toits d’une ville après le coucher du soleil ; remarquer le graphisme des branches nues couleur sépia, silhouettées sur un ciel de novembre, peu avant que les lumières ne s’allument aux fenêtres d’un village en bordure de la route ; sentir sous ses pieds la terre retournée par les labours et sur son visage un vent froid et humide ; être assis près d’un feu de bois ou de braises ardentes à méditer les longues pensées héritées d’une confuse mémoire de race — c’est de tous ces éléments, appartenant à un univers de sensations psychophysiques remontant aux origines mêmes de la conscience, qu’est fait le secret de la vie (AS, 62).

Si certains de ces plaisirs évoquent les rituels d’un culte païen — adorer le soleil et la lune —, c’est parce que Powys éprouve la nostalgie d’un paganisme antérieur aux dieux moraux

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que sont Zeus et Jéhovah : « C’est une déplorable erreur, et l’une des causes essentielles et persistantes de la détresse humaine actuelle, que d’avoir abandonné le polythéisme. Ne pas révérer le soleil, la lune, la terre et la mer, et chacune des planètes et des étoiles, c’est se montrer pédant et stupide » (AS, 119). Ce thème de la nostalgie d’une ancienne religion irrémédiablement perdue n’est pas nouveau dans le corpus de l’humanimalité. Dans

L’étalon de Lawrence, Lou, l’héroïne, défendait l’idée que les barbares qui étaient jadis

venus adorer des démons sur la Chaise du Diable étaient réellement « vivants », contrairement à l’homme contemporain, qui se croit naïvement civilisé, alors qu’il n’est, en vérité, que « domestiqué ». À travers le prisme de cette nostalgie — ou de ce fantasme d’un homme jadis plus « humain », car plus « vivant » —, les premières religions de l’humanité, celles d’avant la civilisation, apparaissent comme porteuses d’un rapport plus authentique avec la vie.

La « catastrophe » du malaise dans la civilisation

Pour Powys, la réflexion sur l’art du bonheur est d’une urgente nécessité en cette époque dite moderne, où le sens de la vie semble si fuyant. L’idéal de l’homo victorianus a quitté la scène, mais malheureusement, rien n’est encore venu combler son absence :

Si tant d’êtres humains sont en proie de nos jours à cette maladie des temps modernes, le sens de l’inanité de tout, c’est que l’idéalisme humain factice et artificiel qui les a gavés de mensonges a été démasqué, et qu’ils se retrouvent sans succédané valable […]. En fait, la cause de ce « virus de l’inanité » qui sévit parmi nous, c’est le refus de nous concentrer sur les simples délices psychosensuelles dont chacun peut jouir, et le refus de faire de ces menues choses une échelle permettant d’accéder à l’ultime (AS, 307-308).

Tout au long d’Apologie des sens, Powys livre une série de conseils que le lecteur peut suivre pour être en mesure de jouir de la vie, grâce à ses sens et à ses facultés imaginatives. Mais le lecteur est aussi invité à devenir l’artisan actif de son bonheur, en nourrissant en lui une « volonté-de-jouissance » : « Pour obtenir le bonheur, il faut lutter, et il faut endurer. Mais avant tout, il faut faire du bonheur son but. Très rares sont les êtres qui font cela, ce qui explique qu’on voie dans la rue tant de visages où se lit le malheur » (AS, 96).

La plupart des secrets du bonheur de Powys trouvent leur application dans les sens — se laisser caresser par la brise ou par un rayon du soleil —, mais il y a d’autres secrets qui

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exigent du lecteur un effort d’imagination, comme celui d’adopter une « attitude de détachement ironique » qui n’est pas sans analogie avec l’humour que prescrivait Hesse dans Le Loup des steppes :

Le grand secret, c’est d’adopter une attitude de détachement ironique face au spectacle que nous offre la vie moderne. Ne pas considérer que cette vie « va de soi » — voilà la recette magique. L’esprit peut aisément accomplir ce miracle. Notre esprit n’est pas seulement l’esprit d’un citadin sottement sophistiqué, qui s’affaire au milieu des magasins, des bureaux, des studios, théâtres ou salles de concert. C’est l’esprit d’une étoile de mer, d’un oiseau, d’un ours polaire, d’une vipère, d’une anémone de mer, d’un sycomore, d’un dieu planétaire en train de naître ! (AS, 314)

L’homme, un animal en évolution

Powys ne fait pas qu’établir des parallèles métaphoriques avec le monde animal, il rappelle sans cesse à son lecteur que l’homme est le fruit d’une longue évolution, pas seulement terrestre, mais cosmique : « Plusieurs millions d’années cosmiques ont été nécessaires pour vous donner naissance, à partir des agglomérats tourbillonnants de nébuleuses gazeuses » (AS, 83). La philosophie de Powys emprunte beaucoup à la théorie de l’évolution. Elle invite notamment le lecteur à croire que 1) l’homme a toujours en lui-même des éléments anciens de son évolution, le « sub-humain » (AS, 21), et que 2) l’homme a aussi en lui- même les promesses du « super-humain » à venir (AS, 21). Le but de cette philosophie n’est pas de supprimer le « sub-humain » au nom du « super-humain » ou vice versa ; au contraire, Powys croit en la richesse de la dualité : « Le secret le plus profond de l’univers est à chercher dans la dualité, la contradiction, l’antagonisme des contraires. C’est sur ce point que tant de philosophies qui font de l’un leur principe, pataugent dans les eaux stagnantes de l’erreur » (AS, 63). Pour surmonter cet écueil, la philosophie de Powys invite le lecteur à évoquer à volonté, grâce à sa faculté imaginative, le « sub-humain » et le « super-humain » présents dans sa psyché : « L’homme n’est heureux, selon moi, que lorsqu’il recourt à la faculté qui est en lui de pouvoir descendre à un niveau “inférieur” à l’humanité, et d’annoncer un niveau “supérieur” à l’humanité » (AS, 302). Puisque cette philosophie tente de lier ces deux extrêmes de l’évolution, Powys l’appelle la « philosophie du Maillon Manquant » (AS, 316) ou encore, la « philosophie-ichtyosaure », cette dernière expression permettant de « mettre en lumière le lointain arrière-plan, végétal-reptile- saurien, de l’âme humaine » (AS, 25).

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Par endroits, les propos de Powys sur l’évolution humaine semblent relever plus d’une mystique que d’une philosophie ou d’un savoir scientifique sur les lois de l’évolution :

Parfois aussi, notre âme semble en contact — mais c’est là un insondable mystère — avec des niveaux de conscience qui relèvent du futur, d’un stade plus avancé, ou différent en tout cas, de l’évolution de la vie, des niveaux d’être qui laissent entrevoir le dépassement de l’animal homme, et la modification de l’humanité, transformée en quelque chose de différent de l’humanité. Oui, en tout être humain qui ose s’abandonner à la pratique de cette solitude abyssale qui est pour nous un droit inné, sont présents ces deux types de sensations — les sensations super-humaines et les sensations sub-humaines (AS, 124-125).

Le discours de Powys a des accents mystiques (l’« âme », le « mystère »). Toutefois, soulignons que Powys n’affirme presque rien de plus, concernant l’homme, que ce qu’avance la théorie scientifique de l’évolution : à savoir que l’homme de demain ne sera pas celui d’aujourd’hui. Powys s’écarte toutefois du discours scientifique lorsqu’il défend l’idée que l’évolution n’est pas qu’un fait de nature, mais qu’elle répond à un sentiment d’indignation que tout homme ressent naturellement lorsqu’il est confronté au peu d’humanité d’homo sapiens. Pour Powys, il est normal que l’homme ressente le besoin de dépasser l’homme : « Et certes, l’humanité mérite grandement d’être surpassée, elle qui accepte d’être menée docilement en laisse par ceux qui lui servent à présent de maîtres, ces chacals imposteurs se faisant passer pour des lions ; elle qui supporte de voir ces gens faire la queue pour avoir un morceau de pain tout en continuant à acheter ses babioles tape-à- l’œil » (AS, 86 ; l’auteur souligne). La philosophie de Powys témoigne d’une foi en un devenir humain qu’il est selon lui nécessaire de préserver pour ne pas désespérer de l’espèce : « Pourquoi donc cette “philosophie-ichtyosaure” ne s’avèrerait-elle pas être la manifestation des prémices d’une phase nouvelle de l’évolution ? » (AS, 248)

Le philosophe et les animaux

Tout en réhabilitant la part « animale » de l’homme, Powys reconnaît aussi la dignité de l’animal. Le premier de ces thèmes, la réhabilitation de la part « animale » de l’homme, nous en filons l’analyse depuis la première œuvre du corpus de l’humanimalité, L’étrange

cas du Dr Jekyll et de M. Hyde. L’analyse du deuxième thème, la reconnaissance de la

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jusqu’à maintenant4. Mais l’un comme l’autre de ces thèmes forment ce que j’appellerai le

nerf de l’imaginaire de l’humanimalité. En fait, sous nos yeux, avec la philosophie de

Powys, le thème de la dignité de l’animal est en train d’émerger, plus laborieusement que le premier. Par exemple, il sera central dans Kaputt de Malaparte et plus encore dans Les

racines du ciel de Romain Gary, le premier roman « écologique ». En fait, les deux thèmes

se nourrissent l’un l’autre : c’est parce que l’homme redécouvre son « animalité » qu’il perçoit différemment celle de l’animal, et vice versa.

Par ailleurs, précisons que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, quand Powys enjoint au lecteur de renouer avec son « animalité », il ne l’invite pas à abandonner toute morale ni toute éthique pour vivre selon une « loi de la jungle » qui justifierait le fort d’écraser le faible. En fait, Powys invite le lecteur à se comporter comme « un bon

ichtyosaure » (AS, 194 ; l’auteur souligne). Et cette bonté qui est en l’homme ne serait pas

l’apanage de l’espèce humaine, car Powys assure qu’on en trouve des manifestations dans la vie animale : « La bonté toute simple et innée, l’instinct qui pousse à protéger et chérir,