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Je ne veux pas dire que la moralité permet de masquer la méchanceté et l’infamie humaine, c’est-à-dire la dangereuse bête sauvage qui est en nous ; au contraire ! c’est précisément en tant qu’animaux domestiques que nous sommes un spectacle honteux et que nous avons besoin d’un travestissement moral […]. L’Européen se travestit avec la morale parce qu’il est devenu un animal malade, infirme, estropié, qui a de bonnes raisons pour être « apprivoisé », puisqu’il est presque un avorton, quelque chose d’inachevé, de faible et de gauche… Ce n’est pas la férocité de la bête de proie qui éprouve le besoin d’un travestissement moral, mais la bête du troupeau, avec sa médiocrité profonde, la peur et l’ennui qu’elle se cause à elle-même.

Friedrich Nietzsche, Le gai savoir H. G. Wells avait raison de nous alarmer : la civilisation est un fruit pourri parce qu’elle laisse hypocritement l’homme croupir dans son « animalité ». Au sortir de la Première Guerre mondiale, il est irréfutable que l’homme, malgré son évolution, n’est jamais devenu « humain ». Aussi Lawrence suggère-t-il d’explorer une nouvelle possibilité : l’« animalité ». Ce faisant, il approfondit un aspect que Stevenson n’avait fait qu’effleurer subtilement : la critique de l’homo victorianus, l’idéal d’un homme complètement débestialisé. L’homme a jadis cru qu’il devait sacrifier son « animalité » au nom de l’esprit, de l’intelligence et de la culture, mais cette voie mortifère n’est qu’un suicide. L’homme doit dorénavant tâcher de se réconcilier avec l’« animal » en lui, afin de redevenir pleinement « vivant », car, pour l’instant, ce n’est plus qu’un simulacre de vie. Avec

L’étalon, une figure nouvelle apparaît dans ce corpus : un animal. Grâce à un indomptable

étalon dénommé St. Mawr, l’héroïne, une jeune Américaine, comprend que l’« animalité » est une source plus inspirante que tous les idéaux de la civilisation occidentale.

Lawrence est, de tout notre corpus, l’auteur qui a le plus théorisé le thème de la réhabilitation de l’animalité dans le genre romanesque. C’est pourquoi, avant d’aborder le cas de L’étalon, nous aborderons brièvement deux essais où l’auteur donne de précieuses clefs de lecture de toute son œuvre : « Roman et sentiments » et « Importance du roman ».

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Dans le premier, l’auteur livre sa vision philosophique de l’homme et condamne le processus de domestication de l’homme par la civilisation. Ce n’est qu’à la fin de son essai — et en à peine quelques lignes —, que Lawrence conclut sur le rôle du roman dans l’évolution de l’homme. Dans le deuxième, Lawrence développe en profondeur sa vision du roman et donne les raisons pour lesquelles l’homme doit lire des romans.

Précisons que ce qui se dégage surtout de ces deux textes, c’est que, pour Lawrence, vision philosophique de l’homme et pratique romanesque sont intimement liées. Il le dit d’ailleurs clairement dans l’essai « Opération du roman ou une bombe », qui figure dans le recueil

Éros et les chiens : « Je trouve que la chose la plus regrettable du monde fut la séparation

de la fiction et de la philosophie. Jadis, encore sous l’influence de l’époque mythique, elle ne faisait qu’un. Puis elles se séparèrent, comme des époux irrités, avec Aristote, Thomas d’Aquin, et ce sacré Kant. Le roman devint donc fadasse et la philosophie aride et abstraite. Les deux devraient s’unir de nouveau dans le roman1 ». Les romans de Lawrence seraient

donc une réaction indignée contre une pratique romanesque vidée de toute substance réellement philosophique. Ce point de vue de Lawrence nous oblige à revoir la problématique à la base de notre exploration du corpus de l’humanimalité. En effet, j’ai parlé jusqu’ici des apports de la fiction à une question philosophique (celle du devenir humain de l’homme). Or, pour Lawrence, le roman doit être par essence philosophique : il n’est donc pas approprié de parler d’un apport de la fiction à la philosophie ou vice et versa ; mieux vaudrait parler de « vrais romans » (philosophiques) et de « faux romans » (sans substance philosophique). Mais le plus important, nous le verrons maintenant, c’est que, pour Lawrence — je le dis ici dans mes mots —, le roman n’est rien de moins que la clef du devenir humain de l’homme.

« Roman et sentiments »

Lawrence commence son texte en doutant ironiquement que nous soyons réellement cultivés : « En quoi sommes-nous cultivés ? Oui, en quelles matières ? En politique, en géographie, en histoire, en mécanique, en boissons alcoolisées ou non, en économie sociale,

1 David Herbert Lawrence, « Opération du roman, ou une bombe », dans Éros et les chiens, trad. Thérèse

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en extravagance sociale : Aou ! quelle effrayante universalité de connaissances2 ! » Ce qui

témoignerait de la futilité de ce genre de connaissances, ce serait le sentiment amer de solitude qu’elles nous inspirent : « Nos connaissances […] ne nous empêchent pas de nous sentir seuls en dedans » (RS, 84). Ce malaise découlerait du fait que nos connaissances relèvent uniquement d’une « instruction tout extérieure » (RS, 84). La preuve, c’est que, quand un homme se pose la question de ce qu’il est — « Que suis-je donc au naturel ? » (RS, 84) —, la réponse apparaît risible et ne correspond pas, par exemple, à ce que Lawrence sait de lui-même : « Un être humain raisonnable, on le suppose. Et pourtant, je transporte sur ma tête toute une corbeille à papier d’idées et, dans quelque autre endroit de mon anatomie, dans ce continent noir de moi-même, tout un tumultueux chaos de “sentiments” » (RS, 84). Ces « sentiments », Lawrence les décrit à l’aide de métaphores animales : « Certains rugissent comme des lions, certains ondulent comme des serpents, d’autres bêlent comme des agneaux immaculés, d’autres roucoulent comme des linottes, d’autres sont muets comme la carpe mais souples et rapides comme l’anguille, d’autres encore sont comme des huîtres qui s’ouvrent à l’occasion » (RS, 84). Lawrence conclut : « Ces bêtes sauvages sortent de la plus sombre des jungles africaines, celle qui est en nous » (RS, 85).

L’auteur parle aussi d’« émotions », qu’il distingue des « sentiments » et qu’il décrit, là encore, à partir de métaphores animales, mais cette fois-ci les images sont plus traditionnelles ou risibles, c’est selon :

Nous nous représentons l’amour comme un petit animal bouclé, ou bien comme une panthère décadente et décorative, habillée à la mode parisienne, selon qu’il est sacré ou profane. Nous voyons la haine comme un chien attaché à son chenil, la peur comme un singe tremblant, la colère comme un taureau avec un anneau dans le nez, et la convoitise comme un porc. Nos émotions sont comme nos animaux domestiques, nobles comme le cheval ou timides comme le lièvre, mais toutes entièrement à notre service (RS, 86).

Nos émotions, ce sont, dit Lawrence, nos « animaux domestiques », tandis que nos sentiments seraient nos « animaux sauvages ». Selon lui, l’homme civilisé aurait méprisé l’existence de ces « animaux sauvages » en lui parce qu’ils lui faisaient peur : « Jusqu’à présent, uniquement par crainte de nous-mêmes nous lui avons tourné le dos [à cette jungle

2 David Herbert Lawrence, « Roman et sentiments », dans Éros, op. cit., p. 83. Désormais, les renvois à cette

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primitive], nous l’avons entourée d’un immense enchevêtrement de fils barbelés et déclarée qu’elle n’existait pas » (RS, 87). Or, pour Lawrence, il est plus que temps d’en finir avec cette peur et ce mépris de nos « sentiments ». En réhabilitant ceux-ci, Lawrence restaure la dignité de l’« animalité » de l’homme.

Le constat de Lawrence est grave : « Nous ne sommes même pas NÉS, en ce qui concerne nos sentiments » (RS, 87 ; capitales de l’auteur). Et si l’homme n’est jamais né en ce qui concerne ses sentiments, c’est parce que, dit-il, la civilisation n’a fait jusqu’ici que domestiquer l’homme. Cette domestication serait une véritable catastrophe dans l’histoire de l’humanité ; en fait, la « vraie civilisation » serait une chose tout à fait différente :

L’homme est la seule créature qui, volontairement, essaie de se domestiquer. Il y a réussi. Mais, hélas ! c’est un processus qui ne connaît pas de limite. La domestication, comme l’alcool, détruit celui qui l’a inventée. La domestication résulte du contrôle. Mais la chose domestiquée perd elle- même le pouvoir de se contrôler et elle doit l’être du dehors. L’homme a fort bien réussi à se domestiquer et il appelle cette domestication : civilisation. La vraie civilisation est fort différente. Mais l’homme est maintenant domestiqué, et cette domestication implique une certaine perte du pouvoir de contrôle. Ceux qui sont domestiqués sont toujours dirigés par ceux qui ne le sont pas. L’homme, s’étant domestiqué, a perdu son pouvoir de contrôle : celui de se commander lui-même. Il n’a plus de liberté de choix. Il est domestiqué, comme le cheval destiné au mors (RS, 88).

Pour Lawrence, l’homme doit impérativement retourner à ses « sources premières », renouer avec ses « sentiments », pour retrouver sa liberté qu’il a perdue en devenant un animal domestiqué. Sinon, une dégénérescence frappera l’espèce humaine et la condamnera à disparaître : « Et pourtant, si nous n’entreprenons pas de retourner à nos sources premières, nous allons nous abâtardir. Et, nous abâtardissant, nous serons menés par une étrange orgie de sentiments. Ce seront des sentiments en décomposition, comme les couleurs de l’automne, et qui annonceront les rafales de la mort, comme les feuilles sous le vent » (RS, 89).

Lawrence n’est pas entièrement contre le processus de la civilisation. Seulement, à ses yeux, l’homme aurait dû se domestiquer pour mieux apprendre, par la suite, à se « dédomestiquer » (son mot). Le processus de la domestication n’était donc qu’une étape parmi d’autres à franchir dans l’évolution de l’homme. Or, l’homme contemporain s’est arrêté à cette étape :

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L’homme se domestique pour apprendre à se dédomestiquer. Pour être civilisé, nous ne devons pas renier et faire table rase de nos sentiments. La domestication n’est pas la civilisation. Elle n’est que le défrichage et le labourage du sol. Notre civilisation n’a pas compris, ou pas tout à fait, qu’il faut labourer l’âme. Plus tard, nous sèmerons. Mais, pour l’instant, nous n’en sommes qu’à ôter et brûler d’anciennes mauvaises herbes. Notre civilisation, pour ce qui est de l’âme, n’a été jusqu’à présent qu’un phénomène destructeur. Notre âme offre l’aspect d’un désert noirci de racines carbonisées avec une petite mare verte et une bicoque en métal avec un petit fourneau en fer (RS, 90).

Filant la métaphore du semeur, Lawrence nous annonce la solution à cette catastrophe : « Il nous faut à présent semer à nouveau des graines sauvages. Il nous faut cultiver nos sentiments » (RS, 90). Comment ? Selon Lawrence, l’homme devrait être à l’écoute de ses « sentiments » : « En se tournant vers l’intérieur […] pour y surprendre le beuglement de ces bêtes des profondeurs, les sentiments, qui rôdent dans la forêt du sang, depuis les pieds de Dieu jusqu’à ce cœur rouge, mystérieux » (RS, 92). Mais comment, au juste, pouvons- nous être à l’écoute de nos sentiments ? Lawrence répond que c’est en lisant les « vrais romans » (dernier paragraphe du texte) : « Si nous ne savons pas entendre ces cris tout au fond de la sombre forêt de nos veines, nous pouvons nous pencher sur les vrais romans et écouter. Non écouter les affirmations didactiques de l’auteur mais les cris sourds, impératifs des personnages errants dans les mystérieuses forêts de leur destin » (RS, 93). Telle est donc la soudaine conclusion de ce texte d’une douzaine de pages : ce n’est qu’à la fin, aux toutes dernières lignes, qu’il y est enfin question du roman (comme l’annonçait le titre de l’essai). Mais qu’est-ce qu’un « vrai roman » ? Lawrence répond à cette question dans l’autre essai retenu ici.

« Importance du roman »

Encore une fois, le texte débute par une critique de nos idées reçues sur l’homme : « Nous nous faisons de nous-mêmes une idée curieuse. Nous nous voyons comme un corps doué d’un esprit, ou d’une âme, ou d’un cerveau. Mens sans in corpore sano. Les années boivent le vin et puis jettent la bouteille, le corps étant, bien sûr, la bouteille3 ». Avec cette

métaphore de la bouteille que l’on jette, Lawrence critique, encore une fois, le mépris occidental de tout ce qui relève de la vie du corps ; en d’autres mots, l’animalité de l’homme.

3 D. H. Lawrence, « Importance du roman », dans Éros, op. cit., p. 116. Désormais, les renvois à cette édition

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Pour Lawrence, le corps n’a pas moins d’importance que l’esprit : « Mais dire que le message ou l’esprit qui vous est communiqué sont plus importants que votre corps est absurde. Autant dire que la pomme de terre que vous avez mangée à déjeuner est plus importante » (IR, 119). En fait, le corps et l’esprit seraient deux manifestations de la vie, érigée ici en suprême valeur : « Rien n’est important, si ce n’est la vie. Et, quant à moi, je ne saurais en aucun cas voir la vie ailleurs que chez les vivants. La vie avec un V majuscule n’est que l’homme vivant. Même un chou sous la pluie est un chou vivant. Toute chose vivante est étonnante. Et tout ce qui est mort n’est qu’accessoire à ce qui est vivant » (IR, 119-120).

Lawrence croit que cette idée, ni le saint, ni le philosophe, ni le scientifique ne la comprennent, car tous trois réduisent la vie à un seul aspect : le saint méprise son corps au nom de son esprit éternel, le philosophe n’accorde d’importance qu’à la pensée, et le scientifique réduit tout être vivant à ses parties anatomiques (la description qu’en donne Lawrence évoque d’ailleurs celle d’un vivisecteur4…). Or, Lawrence s’indigne contre ce

rapport métonymique à la vie : l’homme n’est pas, dit-il, « une âme ou un corps, ou un esprit, ou une intelligence, ou un cerveau, ou un système nerveux, ou un ensemble de glandes, ou quelque autre partie » (IR, 121). Comme il le résume : « Le tout est plus grand que la partie » (IR, 121). C’est d’ailleurs parce que Lawrence a la conscience d’être l’ensemble vivant de ses parties qu’il a choisi d’être romancier. Et, en tant que romancier, Lawrence se considère « supérieur au saint, au scientifique, au philosophe et au poète » (IR, 121). Ces trois-là sont certes de grands maîtres dans leur domaine respectif, mais ils ne parviennent jamais à embrasser la totalité de l’être humain. Tandis que le romancier, lui, y parvient à travers le roman5.

4 En effet : « Quant à l’homme de science, en effet, je suis mort. Il place un petit morceau de moi mort sous

son microscope et déclare que c’est moi. Il me découpe en morceaux et dit qu’un morceau, puis un autre, sont moi. Mon cœur, mon foie, mon estomac, ont tous été, scientifiquement, moi, selon l’homme de science ; et aujourd’hui, je suis ou bien un cerveau, des nerfs, des glandes, ou quelque chose de plus à la mode dans les tissus » (ibid., p. 120-121).

5 Par la diversité de ses créations, Lawrence illustre cette volonté d’être un homme le plus complet possible, le

moins « fragmenté ». En effet, il a été un dramaturge, un poète, un peintre (ses toiles ont été saisies), un essayiste et aussi — à sa façon — un philosophe. Lawrence dirait, je crois, qu’un artiste peut avoir une prédilection pour un genre d’expression en particulier, celui qui lui paraît le plus riche des virtualités de la création (le roman), mais qu’un artiste digne de ce nom ne doit pas non plus négliger les autres modes d’expression de la création artistique.

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Lawrence ne parle donc pas simplement des apports de la fiction romanesque, mais de la

supériorité de cette fiction sur toutes les autres formes de discours ou d’arts de la

représentation : « Le roman est le seul beau livre de la vie. Les livres ne sont point la vie. Ils ne sont que des vibrations de l’éther. Or, le roman, lui, est une vibration qui peut faire vibrer l’homme vivant tout entier. Ce qui est plus que la poésie, la philosophie, la science, plus que tout autre livre-vibration peut faire » (IR, 121-122). Pour illustrer cela, Lawrence évoque Platon, qui fait vibrer en lui, dit-il, « le parfait être idéal », puis le Sermon sur la Montagne, qui fait vibrer en lui « l’esprit pur », puis les Dix Commandements, qui font vibrer en lui « le vieil Adam » ; mais ce ne sont jamais que des parties de lui, jamais son être en entier. Cela amène Lawrence à revoir la définition traditionnelle du genre romanesque et à faire fi des catégories de genre érigées par les spécialistes : « La Bible, mais “TOUTE” la Bible, et Homère, et Shakespeare : ce sont les vieux romans fondamentaux. Ils sont tout pour tous les hommes. C’est-à-dire qu’ils touchent dans leur totalité l’homme vivant dans sa totalité, qui est l’homme lui-même, au-delà de toutes ses parties. Ils font trembler l’arbre tout entier sous une nouvelle poussée de sève et ne se contentent pas de stimuler sa croissance dans une seule direction » (IR, 123).

Puisque le roman est si riche, Lawrence propose d’en tirer un « enseignement » : « Dans celui-ci [le roman], les personnages sont obligés de VIVRE. S’ils restent toujours bons, ou toujours mauvais, selon les modèles, ou même inconstants, toujours d’après le modèle, ils cessent de vivre et il n’y a plus de roman. Le personnage d’un roman doit vivre, ou il n’existe pas » (IR, 125). Or, le lecteur est dans la même situation que le personnage fictif d’un roman ; lui aussi pourrait cesser de « vivre », s’il fonde sa vie sur un modèle rigide ou une idée figée qu’il s’est fait de lui-même : « Nous devons, comme eux, vivre dans la vie, ou ne pas exister » (IR, 125)6. Lawrence en déduit un singulier art de la lecture de la

6 Suivant cette idée de Lawrence, je serais tenté de revenir sur L’étrange cas du Dr Jekyll et M. Hyde. Je

précise que la réflexion qui suit ne relève pas d’une démonstration littéraire, plutôt d’une libre méditation sur le genre romanesque, d’une invitation à la discussion. Si le personnage de Henry Jekyll ne sombrera jamais dans l’oubli de la fosse commune des faux personnages de romans, s’il « vivra » toujours en continuant de fasciner les lecteurs, c’est justement parce qu’il n’est resté ni bon ni mauvais. Il a certes tenté de suivre le modèle moral de l’homo victorianus, mais il n’a pas réussi ; et c’est précisément parce qu’il a échoué qu’il a accédé au rang de personnage immortel de roman. Au contraire, l’autre ami de Jekyll, le Dr Lanyon, dont j’ai à peine parlé dans ma lecture du roman, entre en agonie après avoir appris, malgré lui, la véritable nature de Jekyll, car il ne supporte pas la découverte de cette âme double qui logerait dans chaque être humain : il meurt

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fiction : « Consulter honnêtement, sincèrement, le roman et voyez en quoi vous êtes un homme vivant ou un homme mort dans la Vie » (IR, 126). Avec cette métaphore d’un homme mort mais qui vit, Lawrence nous met en garde contre une vie qui ne serait qu’un simulacre : « Vous pouvez aimer une femme comme un homme complètement mort dans la vie. Vous pouvez manger votre déjeuner comme un homme vivant ou comme un simple