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1.4 Les modèles biologique et chimiques de l’étude

1.4.1 Le xénope, grenouille modèle de laboratoire

Xenopus tropicalis est une espèce d’amphibien de la famille des Pipidae endémique du

centre ouest africain, du Sénégal au Cameroun (Figure 1.1 ; IUCN, 2015). Le nom de genre

Xenopus provient du grec et signifie littéralement « pied inhabituel » (ξενος, xenos, étrange et πους,

pous, pied). Ces grenouilles sont en effet caractérisées par des pattes postérieures très

musculeuses avec une large palmure et des griffes cornées à l’extrémité des trois doigts internes

(Figure 1.16). Cette dernière disposition anatomique leur vaut l’appellation vernaculaire de

« grenouilles griffues ». Excellents nageurs, les xénopes sont fortement inféodés au milieu

aquatique et ne remontent à la surface que pour respirer (AmphibiaWeb, 2015). Ce mode de vie

aquatique favorise donc largement leur élevage en laboratoire puisque contrairement à la plupart

des autres espèces d’amphibiens qui nécessitent l’aménagement d’aquaterrarium, les xénopes se

satisfont d’un aquarium (Delarue et Arnoult, 2004).

Les xénopes ont été largement utilisés comme test de grossesse (test de Hogben) dès la

fin des années trente (Hogben, 1930; Bergerard et Lamotte, 1949). Ce test consistait en

l’injection d’urine de femme dans les ovaires de xénopes femelles. Ces dernières sont sensibles

à l’hormone chorionique gonadotrope humaine (hCG) produite au cours de la grossesse de la

femme (Hogben, 1930). Ainsi, une ponte de xénope survenait 24h après l’injection si la femme

testée était enceinte. Cette technique avait entre autre l’avantage de ne pas sacrifier l’animal et

pouvait être conduite à nouveau sur le même animal après quelques mois de repos.

L’utilisation de l’hCG a été - et est encore - largement pratiquée dans les laboratoires pour

produire des œufs de xénope en masse (Reed, 2005; Zimmerman, 2010). Chaque femelle Xenopus

pond des milliers d'œufs en une seule fois (1 000 à 6 000 pour Xenopus tropicalis). Très peu

d'espèces de grenouilles peuvent être amenées à produire autant d’œufs aussi régulièrement et

aussi facilement (Reed, 2005; Zimmerman, 2010) permettant d’obtenir aisément des cellules pour

des études en biochimie, biologie moléculaire et cellulaire. En outre, la fertilisation d’une ponte

produit un très grand nombre d'embryons synchronisés, faisant du Xenopus un modèle largement

utilisé pour la biologie du développement (Wallingford et al., 2010). Enfin, la facilité de

① ② ③ ④

Figure 1.16 : Xenopus tropicalis mâle et femelle (de gauche à droite). ①, emplacement callosité nuptiale (non

visible) ; ②, papilles cloacales turgescentes ; ③, membre inferieur palmé et griffu ; ④, ligne latérale ; en jaune, délimitation des sacs lymphatiques dorsaux (photographie C. Regnault).

manipulation des embryons et la transparence des têtards sont autant de raisons expliquant la

popularité du genre Xenopus auprès des biologistes du développement et cellulaires (Hellsten et

al., 2010).

Cette popularité n’est pas récente puisque dès les années quarante, l’étude

embryologique des amphibiens a permis la création de diverses tables de classification des étapes

de leur développement, de la cellule œuf à la métamorphose. Sur les plus de 45 tables décrites à

ce jour, les deux plus citées dans la littérature sont celles de Nieuwkoop et Faber (1956) sur

Xenopus laevis et celle de Gosner (1960) sur les anoures en général (Nieuwkoop et Faber, 1956;

Gosner, 1960; McDiarmid et Altig, 1999). Encore de nos jours le xénope est considéré comme

l’espèce modèle d’anoure par excellence. Dans une étude récente, Wheeler et Brändli (2009) ont

comparé les avantages et inconvénients de six principaux organismes modèles utilisés en

biologie permettant la compréhension des mécanismes moléculaires fondamentaux du vivant :

le nématode (Caenorhabditis elegans), la drosophile (Drosophilia spp.), le poisson-zèbre (Danio rerio),

le xénope (Xenopus spp.), la poule (Gallus gallus) et la souris (Mus musculus). Cette étude démontre

que les xénopes représentent un excellent modèle de prédiction de la biologie humaine pour

combler le fossé entre les essais in vitro et les essais précliniques sur mammifères dans la

recherche biomédicale. Ceci s’explique par la facilité de leur manipulation, le coût des embryons,

leur génome connu, la possibilité de faire des études génétiques et le fait qu’ils partagent une

longue histoire évolutive avec les mammifères (Wheeler et Brändli, 2009).

Deux espèces sont principalement utilisées comme modèles d’amphibiens en biologie :

Xenopus laevis et Xenopus tropicalis, car phyllogénétiquement très proches et partageant les mêmes

avantages embryologiques qu’évoqués précédemment (Sá et Hillis, 1990). À taille adulte le

Xenopus tropicalis est plus petit que Xenopus laevis et ses œufs sont également plus petits mais plus

nombreux par ponte. En outre, la durée d’une génération est plus courte chez Xenopus tropicalis

ce qui facilite son maintien en laboratoire (Tableau 1.3). Les différences majeures entre ces deux

espèces se situent aux échelles chromosomique et génomique. Si le Xenopus tropicalis est diploïde,

ce n’est en revanche pas le cas de Xenopus laevis qui est allo-tétraploïde (Tymowska et Fischberg,

1973; Graf et Fischberg, 1986; Evans et al., 2004; Hellsten et al., 2010). Cela signifie que

Xenopus laevis résulte de l'hybridation de deux espèces ancestrales diploïdes. Ce phénomène

évolutif se traduit par un génome plus important (18 paires de chromosomes et 3,1 milliards de

paires de bases contre 10 paires de chromosomes pour 1,6 milliards de paires de bases pour

d’allèles compliquant d’autant plus les analyses du génome et des transcrits (Pollet, 2005;

Hellsten et al., 2010). C’est pourquoi, dès les années quatre-vingt, les études génomiques sur

Xenopus laevis ont été abandonnées au profit de Xenopus tropicalis (Pollet, 2005).

Tableau 1.3 : Tableau de comparaison Xenopus tropicalis et Xenopus laevis

Xenopus tropicalis Xenopus laevis

Taille des œufs1, 2 0,7 – 0,8 mm 1,0 – 1,3 mm

Nombre d’œufs par ponte1, 2 1 000 – 6 000 300 – 1 000

Durée d’une génération3 6 – 12 mois 12 – 24 mois

Taille de l’adulte3 4 – 5 cm 10 – 12 cm

Ploïdie4 diploïde allo-tétraploïde

Nombre de chromosomes4 10 paires 18 paires

Taille du génome (paire de bases)4 1,6×109 paires de bases 3,1×109 paires de bases

Source : 1 Reed (2005), 2 Zimmerman (2010) ; 3 Delarue et Arnoult (2004) ; 4 Hellsten et al. (2010)

C’est en 2010 que le séquençage et l’assemblage du génome de Xenopus tropicalis ont été

publiés par Hellsten et al. Son génome est représenté par plus de 20 000 gènes codant pour des

protéines, y compris des orthologues d'au moins 79 % des gènes associés à des maladies

humaines. Le séquençage et l’assemblage du génome de Xenopus tropicalis permettent non

seulement une meilleure compréhension de l’évolution du génome et du protéome des vertébrés

mais ils autorisent également des études approfondies des transcrits et l’identification des

mécanismes fonctionnels survenant chez les xénopes selon diverses conditions

environnementales ou expérimentales.