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1-2 Le syndrome de renutrition inappropriée

Quelle soit orale, entérale ou parentérale, la principale complication de la renutrition est le syndrome de renutrition inappropriée (SRI). Sa connaissance par toute personne soignante auprès de patients dénutris et en l’occurrence de patients souffrants d'anorexie mentale est indispensable car comme le rappellent les différents auteurs de la littérature récente sur le sujet, le traitement le plus efficace de ce syndrome reste la prévention.

Le SRI est défini par l’ensemble des manifestations biologiques et cliniques néfastes qui surviennent lors de la renutrition de patients dénutris ou ayant subi un jeûne prolongé. Une renutrition trop rapide peut amener brutalement à une hypo-phosphorémie, une hypo- magnésémie, une hypokaliémie, une hyperglycémie, une hypovitaminose B1 et/ou à différentes défaillances d’organes en particulier cardiaque, neurologique et respiratoire. Le décès peut alors survenir dans un contexte de syndrome de défaillance multi-viscérale. Typiquement ce syndrome se produit dans la semaine au cours de laquelle est introduite la réalimentation.

Dans une étude observationnelle menée de 2006 à 2008 par Vignaud et al (108), l'analyse rétrospective du devenir de patients anorexiques admis dans 11 services de réanimation en France faisait état d'un taux de décés par SRI de 10%. Il a été démontré que l'apport calorique

initial chez ces patientes décédées de SRI était plus important que celui des patientes survivantes (23.2 ± 5 Kcal/kg/j vs 14.1 ± 3 Kcal/kg/j ).

Le NICE a établi en 2006 (107) des recommandations concernant la prévention du SRI. La première des mesures de prévention est le repérage des patients à haut risque de SRI qui peuvent être repérés à partir des critères suivants :

Sont à haut risque de SRI les patients ayant au moins 1 des critères suivants : - Indice de masse corporelle inférieur à 16kg/m2

- Perte de poids non intentionnelle de plus de 15% en 3 à 6 mois - Peu ou pas d'apports nutritionnels depuis plus de 10 jours

- Faibles taux de potassium, magnésium ou phosphore antérieurs à la renutrition Sont à haut risque de SRI les patients ayant au moins 2 des critères suivants : - Indice de masse corporelle inférieur à 18,5kg/m2

- Perte de poids non intentionnelle de plus de 15% en 3 à 6 mois - Peu ou pas d'apports nutritionnels depuis plus de 5 jours

- Antécédents d' abus d'alcool ou de médicaments incluant l'insuline, chimiothérapie, traitement anti-acide ou diurétiques.

Sont à très haut risque de SRI les patients ayant un IMC inférieur à 14 kg/m2 et/ou des apports quasi nuls depuis plus de 15 jours.

La seconde mesure de prévention du SRI par le NICE (107) est une renutrition privilégiée par voie orale et entérale, avec des apports progressifs : les apports initiaux recommandés sont de 10 kcal/kg/j pour les sujets à haut risque de SRI et de 5 kcal/kg/j pour les patients à très haut risque. Ces apports sont à augmenter sur 4 à 7 jours.

Une troisième mesure de prévention est la supplémentation systématique en phosphore préconisée par le NICE à 0,3 à 0,6 mmol/kg/j (1mmol=3mg), ainsi qu'une supplémentation en vitamine B1 200 à 300 mg/j pendant 10 jours, ainsi qu'en potassium et en magnésium par voie orale, respectivement 2 à 4 mmol/kg/j et 0,4 mmol/kg/j.

Enfin la surveillance des paramètres annonciateurs d'un risque de SRI doivent-être surveillés : - La fréquence cardiaque : une tachycardie soutenue (supérieure à 100 battements/min) serait un signe clinique de renutrition trop rapide.

- Le bilan biologique : ionogramme et phosphorémie tous les jours ou tous les 2 jours pendant 1 semaine, NFS et bilan hépatique 2 fois par semaine.

Dans une étude publiée en 2014, Gaudiani et al (109) ont proposé l'utilisation d'un nouveau marqueur pour évaluer le risque de survenue de complications graves lors de la renutrition. A partir des résultats obtenus chez 132 patients hospitalisés pour anorexie mentale sévère, les auteurs ont retrouvé une corrélation entre un taux faible de pré-albumine à l'admission (inférieur à 20

mg/dl) et la survenue d'un SRI ou d'une hypoglycémie lors de la renutrition. Le risque de survenue d'un SRI serait multiplié par 3 et celui d'une hypoglycémie par 2. Ce nouveau marqueur qu'est la pré-albumine plasmatique pourrait être dosée systématiquement chez tout patient devant bénéficier d'une renutrition.

Dans une revue de la littérature d' études de 1980 à 2012, O'Connor et al (110) ont répertorié le taux de SRI chez plus de 1000 adolescents souffrant d'anorexie mentale et tenté de déterminer l'impact de la ration calorique sur la survenue du SRI et par ailleurs celle de la dénutrition initiale. Cette étude retrouve une survenue de SRI non négligeable, soit 14% des adolescents renutris. Contrairement aux recommandations sus citées concernant la prévention du SRI via une alimentation progressivement croissante, cette étude considère que le facteur prédictif de la survenue d'un SRI serait la sévérité de la dénutrition soit la perte en pourcentage d'indice de masse corporelle par rapport au poids initial. Ce paramètre serait majoritairement corrélé à la survenue d'un SRI comparé à l'impact des apports caloriques.

Ces conclusions sont tirées du fait qu'il n'existe pas de renutrition internationnalement protocolisée en termes d'apports caloriques. Cette revue retrouve ainsi de façon disparate des SRI qui surviennent pour différents apports caloriques initiaux. L'apport le plus répandu étant en moyenne de 1186 kcal/j , les apports allant de 125 à 1900 kcal/j selon les équipes.

Ces résultats globaux doivent être accueillis avec prudence et ne peuvent influencer la prise en charge individuelle sans prendre en compte les recommandations actuelles. Les auteurs soulignent en effet que d'autres études analysant précisément la survenue de SRI pour chaque fourchette d'apport calorique initial sont nécessaires à une uniformisation des pratiques.

En Mars 2015, l'équipe de Madden et al (91) a publié une étude examinant les effets d'un protocole de renutrition très rapide sur 78 adolescents en service de pédiatrie avec des apports de 2400 à 3000 kcal/j par sonde naso-gastrique associés à une supplémentation en phosphore. Ce protocole a permis une prise de poids moyenne de 5,12 kg en 2,5 semaines sans survenue d'hypoglycémie, d'hypo-phosphorémie ni de symptômes de SRI. Cette étude remet en question les recommandations actuelles et pose la question de l’intérêt de ce genre de protocole intensif comme « sauvetage nutritionnel ». Leurs impacts à plus long terme méritent d'être étudiés en termes d'influence sur les durées de séjour et d'acceptation par les patients sur le plan psychologique et corporel.