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71En complément des données archéologiques, les événements

10.4 Develier-Courtételle : un hameau en prise avec l’Histoire ?

10.4.2 Le Sornegau, le hameau et l’abbaye de Moutier-Grandval

La VSG apporte quelques éléments concrets pour appréhender la vie contemporaine dans les environs très immédiats du hameau de Develier-Courtételle. L’histoire du hameau qui nous occupe est peut-être liée à l’existence de l’abbaye de Moutier-Grandval et à celle de son premier abbé, saint Germain de Trèves, ainsi qu’aux événements politiques auxquels celui-ci participa.

Les interférences sont de deux types. L’une est directe. Il s’agit de la référence claire à l’oppression exercée par le duc d’Alsace sur les homines Sornegaudienses (nous reviendrons plus en détail sur cet épisode). Or il semble bien que le site de Develier-Courtételle appartienne à la circonscription du Sornegau, littéralement pays de la Sorne (rivière principale de la vallée de Delémont, affluent de la Birse). Les mentions du Sornegau, inexistantes pour le 6e siècle, se multiplient à partir du 7e. On a vu qu’un tremissis, frappé au milieu du siècle, porte la mention Sornegaudia vico (fig. 55 ; Rais 1982). La VSG (10, l. 13) fait mention des

homi-nes Sornegaudienses. Enfin, les actes de donation en faveur de

l’ab-baye de Moutier-Grandval citent des possessions dans le pagus

Sornegaudiensis dès 866. Le 19 mars 866 en effet, à la demande du

comte d’Alsace Hugues IV, Lothaire II, roi de Lotharingie, confirme les possessions de l’abbaye de Moutier-Grandval (Trouillat 1852, p. 112-114 et Moyse 1984). Elles sont alors bien plus nombreuses que dans les actes précédents 19. Cella Saint-Paul de Vermes ; villa de Nugerol (située dans le comté de Bipp, près de La Neuveville), avec la capella du nom d’Orvin qui en dépend ; villa et chapelle de

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caj 17 un peu d’histoire autour du hameau (550-800 ap. j.-c.)

Sombeval (localité située dans le même comté) ; vicus avec la cha-pelle qui en dépend, du nom de Tavannes ; villa située dans le pagus

Sornegaudiensis 20 ; Courrendlin (Rendelana Corte) et sa chapelle ; Vicques et sa chapelle dans le même comté ; villa de Salevulp dans le même comté 21; Courtemaîche, situé dans le comté Alsegaudensis (Ajoie) ; colonie située dans le pagus Alisacensis (Alsace), sur le mont Sigoldo (Sigolsheim), avec six arpents de vignes 22.

Le 20 septembre 884, Charles dit le Gros confirme, à la demande du comte Luifrid, la concession faite à l’abbaye par Lothaire II, moyennant quelques ajouts et modifications. Il y est question de la villa de Sombeval avec la chapelle qui en dépend et porte le nom de Tavannes 23, de la villa de Courrendlin avec sa chapelle, à laquelle se rapporte cette fois clairement la localisation in pago

Sornegaudiense, et de trois nouvelles propriétés : la cella Saint-Imier

avec ses dépendances, la villa de Péry avec sa chapelle et la villa de Reconvilier avec ses dépendances.

Le 9 mars 968 24, Conrad le Pacifique, roi de la Bourgogne trans-jurane, à qui l’abbaye a été rendue par l’un des héritiers après le partage de l’héritage de Luitfrid (V, comte du Sundgau ?) qui la menaçait de démantèlement, confirme l’appartenance des domaines précités au monastère, avec les variantes suivantes : dans la vallée même, deux chapelles en l’honneur des saints Etienne et Martin ; deux chapelles liées à la villa de Nugerol qui sont consacrées à saint Ursanne et à saint Pierre ; Orvin n’est plus cité comme chapelle dépendant de Nugerol, mais comme villa ; Tavannes a encore changé de statut pour devenir une villa avec sa chapelle ; Saint-Imier est cité en tant que chapelle et plus en tant que cella ; Courtelary (Curtis Alerici) et Reconvilier qui est devenu la chapelle de Péry (?), ainsi que divers autres lieux, dit le texte (Trouillat 1852, p. 134-136) 25.

La mention de possessions nommément situées dans le pagus

Sornegaudiensis et la situation, proche de localités portant

actuel-lement encore ces noms, incitent à placer sans aucun doute le site de Develier-Courtételle dans la circonscription du Sornegau (la rivière coule par ailleurs très près) 26.

Le second lien entre Develier-Courtételle et Moutier-Grandval est indirect. Cet autre type d’habitat que constitue l’abbaye, instal-lée non loin du hameau, a, comme lui, centré son activité sur l’exploitation et le travail du fer. Coïncidence, collusion d’intérêt ou concurrence ? Il est troublant de constater que le travail du fer cesse dans le hameau avant la fin du 7e siècle (chap. 12.3.1). La fondation de l’abbaye de Moutier-Grandval, cet autre site, que l’on peut également définir comme un habitat malgré sa spécifi-cité religieuse, n’est peut-être pas étrangère au phénomène.

Des troubles dans le Sornegau

Entre la fin du 6e et la première moitié du 7e siècle, on ne sait rien de particulier du déroulement de l’Histoire dans le Jura. Il a dû correspondre à celui des autres terres périphériques et limitrophes des divisions territoriales franques, relativement peu touchées par les passations de pouvoir sanglantes et autres coups d’état qui caractérisent l’époque. Les événements postérieurs laissent même supposer que les habitants du Jura étaient habitués à une certaine

autonomie, peut-être due à l’éloignement géographique des ducs d’Alsace. Cet éloignement a en effet certainement contribué à un relâchement de l’autorité.

Cette situation va changer. Comme nous l’avons vu plus haut, au tournant du dernier tiers du 7e siècle, les castes mérovingiennes dominantes traversent une crise politique aiguë (Lebecq 1990, p. 169-178 et Wood 1994, p. 221-238).

En 673, à la mort de Clotaire III, roi de Neustrie et de Burgondie, Childéric II, roi d’Austrasie, étend son pouvoir à l’ensemble du royaume. Les inquiétudes suscitées par cette concentration de pouvoir et les luttes entre Paris et Metz (respectivement cours neustrienne et austrasienne), déjà naturellement récurrentes, s’in-tensifient pour culminer avec l’assassinat du souverain en 675. On sait qu’Adalric 27, duc d’Alsace, se trouve pris dans le tour-billon des empoignades 28. Malgré sa position de duc austrasien, Adalric appartient au groupe d’amis de Léger d’Autun, leader de l’aristocratie burgonde contre Ebroïn. Des liens personnels sont peut-être à l’origine de cet état de fait. Mis en difficulté, comme le reste du « clan » de Léger, par la politique d’anéantissement menée par Ebroïn depuis son retour au pouvoir, Adalric, allié à d’autres lésés, s’attaque sans résultat à l’évêque de Lyon récemment mis en place par Ebroïn. Cet échec ne l’empêche pas de convoiter éga-lement le titre de patricius de Provence, raison pour laquelle il rejoint le parti de Thierry (alors « pupille » de Léger ou plutôt à nouveau sous la coupe d’Ebroïn ?). Cette cause étant également perdue, Adalric déserte une nouvelle fois, vers 675/76, pour le camp austrasien ce qui lui vaudra la confiscation de terres obte-nues dans la région de Langres (Passio Leudegarii ; Wood 1994, p. 230-231 ; pour un avis opposé, voir Cardot 1987, p. 135-137). C’est au cours de cette période (impossible de dire quand exac-tement), durant laquelle Adalric adopte une position politique difficile à cerner, que se situe son intervention dans le Sornegau. Il se replie en effet en Alsace 29 et vers la Porte de Bourgogne. L’action armée du duc d’Alsace prend, à la lumière de la VSG, l’ap-parence d’un conflit personnel avec l’abbé de Moutier-Grandval. Par ses relations familiales et sa naissance, Germain est impliqué dans les événements qui se déroulent à la tête du royaume et est très proche des milieux austrasiens. Le fils d’Optard voit le jour dans une famille sénatoriale, aisée et noble, de Trèves 30 (VSG 1, l. 16). Pour son éducation, on le confie à Modoald, évêque de la ville (VSG 1, l. 21-23). L’un de ses deux frères, Ophtomard, a été instruit à la cour de Dagobert Ier et occupe une position enviable à la cour de Sigebert II (634-656 ; VSG 1, l. 18-19). Le cadet, Numérien, deviendra, si l’on en croit B. Krusch (Anonyme 1910a, p. 4) et tous ceux qu’il a inspirés dont S. Lebecq (1990, p. 153-154), le successeur de Modoald sur le siège épiscopal, vers le milieu du 7e siècle. I. Wood (1994, p. 187) fait en outre de ce dernier le fondateur du monastère de Saint-Dié. Le parcours de Germain montre qu’il connaît Arnulf 31. Il est par ailleurs ini-maginable que Germain n’ait pas gardé le contact avec Luxeuil, l’abbaye-mère de la fondation qu’il dirige et au sein de laquelle il a passé treize ans, où passent tous les grands du royaume. Les relations de Germain avec les Arnulfo-Pippinides le placent de façon certaine en opposition avec Ebroïn qui partage, à un

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un peu d’histoire autour du hameau (550-800 ap. j.-c.) 10

moment difficile à déterminer, les mêmes intérêts qu’Adalric. Ce dernier appartient ainsi visiblement au clan rival de l’aristocratie burgondo-neustrienne, ce qui autorise I. Wood (1994, p. 233) à affirmer sans ambages que l’élimination de l’abbé de la scène politique était le but même de l’action armée d’Adalric 32. Politiquement, il y a évidemment davantage en jeu. Il s’agit d’une rivalité d’intérêts entre un seigneur laïque et un seigneur ecclé-siastique. Il est difficile de dire si le duc effectue un « retour dans ses terres » ou une installation récente en de nouveaux domaines, que sa motivation soit conséquente à un revers subi ailleurs, à un besoin de ressources matérielles et humaines pour se défendre ou à la volonté de contrer la mainmise, légitime ou non, de l’abbaye sur la région. La VSG qui rapporte exactement cet événement ne permet pas de trancher la question que nous allons examiner de plus près.

Après s’être étendu sur l’origine et la formation de saint Germain, ainsi que sur la fondation de l’abbaye de Moutier-Grandval, le texte explique qu’Adalric, accusant la population locale d’avoir tou-jours été rebelle à l’autorité de ses prédécesseurs – ce qu’elle nie – condamne à l’exil (peine très sévère) les centeniers illius vallis (« de cette vallée », VSG 10, l. 14), chargés de collecter les impôts pour lui 33. Le récit expose ensuite un mouvement de troupe en tenailles qui pénètre dans la vallée, afin de mâter la population, Chatalmundus, lieutenant du duc, opérant par le nord avec une grande armée, tandis qu’Adalric s’engage de l’autre côté avec la sienne. Il est en effet dit plus haut que celui-ci avait pris avec lui des phalangas Alamannorum pour son action d’éclat, peuple que l’auteur de la VSG qualifie de gens iniqua (11, l. 17 : « race enne-mie » ; la version utilisée par J. Trouillat 1852, p. 53 les qualifie de gens bellicosa, « race guerrière ») et Germain de gens barbara (VSG 12, l. 17). On se souvient que le peuple alaman, ancien occupant et à présent voisin de l’Alsace, est placé sous le contrôle du duc d’Alsace par le souverain mérovingien ; dans le texte, il est présenté comme franchement étranger (barbare, ennemi et inspiré par le diable) ; il est vraisemblablement perçu comme étant dou-blement hostile : au christianisme dans l’ordre religieux – Adalric est d’ailleurs accusé par Germain de s’attaquer à des homines

chris-tianos (VSG 11, l. 8) – , au pouvoir franc, dans l’ordre politique et

certainement même à la romanité dans l’ordre culturel.

Germain, que l’on est expressément venu informer des événe-ments (VSG 11, l. 18), s’en va protester, accompagné du prieur 34

Randoald, et prend la route en s’étant préalablement muni des reliques des saints (la puissance de Dieu et de ses représentants sur terre est supposée le protéger) et des livres (pour prêter ser-ment ?).

Même si le texte insiste sur la fibre humanitaire de Germain, outré par le mauvais traitement infligé à la population, il paraît évident que les intérêts de l’abbaye de Moutier-Grandval ont également dû motiver sa démarche. Il est à croire que ceux-ci se situaient déjà largement dans la vallée de la Sorne. Peut-être possédait-elle déjà de nombreux domaines dans le Sornegau et que ceux-ci, par conséquent, étaient affranchis de toute redevance envers le duché, dépendant directement de la royauté. On se souviendra,

d’une part, que la donation de Gondoin comporte plusieurs lieux (VSG 7, l. 9 et 12) et, d’autre part, que les actes, même le plus ancien (celui de 768-771), sont des confirmations d’une immu-nité qui existe déjà. La VSG présente par deux fois les homines

Sornegaudienses (10, l. 13) en tant que voisins de l’abbaye « popu-lum ilpopu-lum vicino monasterio » (10, l. 8) et « vicinos monasterii »

(12, l. 15). Il s’agirait même de considérer le sens précis de vicinus qui se traduit certes généralement par « voisin », mais peut aussi prendre le sens de « paysan ». Les habitants du Sornegau pourraient donc carrément être les « paysans du monastère » (Dirlmeier 1979, p. 27, note 20).

Bien que ces homines iniqui (VSG 11, l. 4) le menacent physique-ment en chemin, Germain parvient à la rencontre d’Adalric. Il le trouve dans la basilica sancti Mauricii en compagnie du comte Eric, illustre inconnu, comme le Chatalmundus cité plus haut (VSG 11, l. 6).

S’il n’apparaît pas ouvertement comme le seigneur de la vallée, Germain en est du moins perçu comme le protecteur potentiel et se comporte en conséquence. Il se déplace seul (ou presque), donc sûr de lui. Il interpelle Adalric comme quelqu’un qui est dans son bon droit et qui vient de subir un affront personnel : « Ennemi de Dieu et de la vérité, pourquoi t’attaques-tu à des hommes chrétiens 35 ? Pourquoi ne crains-tu pas de conduire mon monastère que j’ai édifié moi-même au naufrage ? Celui-là demanda pardon ; il voulut, par humilité feinte, lui donner son

wadium dans la main. Mais celui-ci refusa de l’accepter,

affir-mant que celui-là rendrait suffisamment réparation pour tout .» (VSG 11, l. 7-12).

L’épisode du wadium est tout aussi éclairant. Très proche, dans l’esprit, d’autres rites dont on peut par exemple prendre connais-sance dans les lois germaniques (CAJ 13, chap. 18), ce geste est connu et documenté 36. Si Germain se conduit comme un lésé qui joue les grands seigneurs, on constate qu’Adalric se comporte comme un coupable ou quelqu’un qui feint de l’être (même s’il est de mauvaise foi, cela ne change rien pour les formes) : il demande pardon et est prêt à faire réparation. Il semble bien, si la VSG ne travestit pas la vérité, que le duc ait usurpé ses droits et porté préjudice aux biens de l’abbaye.

Au sortir de Saint-Maurice, Germain est confronté à un triste spec-tacle : « Comme il vit que cela ne servait à rien [de parlementer avec Adalric], il regarda plutôt toute la vallée, les voisins [ou les paysans] du monastère étant comme déchirés par les morsures des loups et leurs maisons se consumant dans les flammes de l’incen-die, il pleura beaucoup et tendant les paumes des mains vers le ciel, il dit : Vois, Seigneur, ne te tais pas alors que la horde barbare [gens barbara] est sur nous.» (VSG 12, l. 14-17). Germain s’identifie à la population assaillie (super nos, VSG 12, l. 17). Il est chez lui. Il faut se souvenir que l’abbé prit la direction de tota tria illa

monas-teria (« tous ces trois monastères », VSG, 9, l. 33-34), c’est-à-dire de

Moutier-Grandval proprement dit et de deux dépendances plus proches du théâtre des événements : la cella Saint-Paul de Vermes et la basilica domni Ursicini 37. Germain et Randoald ne parviendront pas jusqu’à Saint-Ursanne – puisqu’on y veillera les corps avant

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de les emmener à Saint-Pierre pour les ensevelir – et périront sous les coups des lupi issus de cette gens barbara. On s’appliquera par la suite à conserver pieusement leurs reliques auxquelles seront attribués des miracles (fig. 63 ; Stékoffer 1996).

Ainsi, les faits historiques rapportés par la VSG, ancrés dans le Sornegau, entre Saint-Maurice, Saint-Ursanne et Saint-Pierre 38, se sont clairement déroulés dans les environs du hameau de Develier-Courtételle. En effet, aucun lieu n’est très éloigné d’un autre, ce qu’indique la chronologie des événements à elle seule : Adalric donne l’assaut à l’aube (VSG, 11, l. 17) et les frères trou-vent leur supérieur inanimé vers la troisième heure de la nuit (VSG 13, l. 4). Tout s’est déroulé en une journée. La veillée du corps se passe durant la nuit (VSG 13, l. 7).

Malgré la menace verbale confiante de Germain (VSG 11, l. 11-12), le pouvoir d’Adalric semble dès lors effectif dans le Sornegau. Il assied son autorité en acquérant des domaines dans la région et en fondant notamment Hohenbourg, attaché à la localité d’Obernai, qui devient sa résidence fortifiée 39. En établissant un pouvoir fort dans une région frontière, Adalric sert les intérêts de la royauté, même si sa puissance porte également l’ambiva-lence d’un danger pour cette dernière – il protège les conquêtes de Pépin II à l’est du Rhin –, et de sa famille, en semant la Forêt- Noire d’institutions religieuses, œuvre que ses descendants pour-suivront avec zèle (Cardot 1987, p. 136-137). Caractéristique de cette époque, le processus héréditaire qui installe les descendants d’Adalric pour plusieurs générations est le même que tente Pépin pour s’accaparer la mairie du palais et la transformer en fonction héréditaire.

Le pays restera en effet fermement attaché à la dynastie d’Adalric et au duché d’Alsace jusqu’à sa dissolution en 740. L’Alsace deviendra un comté, au même titre que l’Ajoie et la vallée de Delémont. Les délimitations ecclésiastiques paraissent plus clai-res. Les terres « delémontaines » et « prévôtoises » seront compri-ses avec certitude dans le diocèse de Bâle, l’Ajoie dans celui de Besançon 40, l’Erguël et La Neuveville dans celui de Lausanne 41. Les découpages diocésains seront confirmés lors du partage de l’empire de Charlemagne (traité de Verdun, 843) qui débouchera sur la création de la Germanie, de la Francie et de la Lotharingie (correspondant en quelque sorte à la Haute-Bourgogne) dont le Jura fera partie. Lothaire Ier prendra l’abbaye de Moutier-Grandval et son territoire sous sa protection, la dispensant ainsi d’impôts. C’est ce qu’explique un document très précisément daté du 25 août 849. Il stipule que l’Empereur d’Occident accède ainsi à la demande du comte d’Alsace Luitfried III. Les seuls lieux mention-nés sont encore une fois les dépendances de Saint-Ursanne : la

cella Sancti Ursicini 42 et celle de Vermes (alia quæ vocatur Vertima,

et est dicata in honore Sancti Pauli Apostoli, « une autre qui est

appe-lée Vertima et est consacrée en l’honneur de saint Paul Apôtre » ; Trouillat 1852, p. 108-109).

Il est un fait nouveau et intéressant à noter : le requérant est à la fois comte d’Alsace et « maître » (dominus) de l’abbaye de Moutier-Grandval. On a le sentiment qu’antérieurement, l’abbé cherchait l’appui du plus puissant pour se protéger de son seigneur direct

(le diplôme de Carloman, s’il ne précise aucun motif justifiant son émission, cite les duces parmi les premiers à ne pas être auto-risés à intervenir dans les affaires du monastère). Ce ne sera plus le cas par la suite, tous les documents étant émis à la requête expresse du seigneur local.

Dès 870, le Jura sera rattaché au territoire de Louis le Germanique puis, à partir de 888, au « second » royaume de Bourgogne qui naît sur les ruines de l’Empire carolingien, inclus à partir de 1032, dans le Saint Empire romain germanique 43. Ce royaume rassemble des territoires qui s’étendent des Vosges à la Méditerranée et de la val-lée de la Saône à celle de la Reuss. Peu après, le Jura entre sous la domination temporelle effective de l’évêque de Bâle. Par un acte officiel, Rodolphe III, dernier roi de Bourgogne, donne en effet en 999, avec l’accord de l’Empereur Otton III, l’abbaye de Moutier-Grandval à Adalbéron, évêque de Bâle (Trouillat 1852, p. 139-140). Ce document fut remis en cause dès 1931 par A. Rais ; en 1987 J.-L. Rais fait le point sur la question. La donation fut confirmée à de nombreuses reprises 44 ; on mesure donc les difficultés que dut rencontrer l’évêque pour imposer son autorité aux chanoines. Forts des protections royales, puis impériales dès 870, obtenues précédemment, on peut comprendre que ceux-ci ne se laissèrent pas facilement inféoder. Si ces querelles présentent un intérêt tout à fait marginal dans le propos qui nous occupe, la question reste d’importance pour l’histoire du Jura et, indirectement, pour les problèmes qui y sont encore liés aujourd’hui. Il n’entre pas dans la perspective de cette étude de prolonger la polémique opposant historiens « bâlois » et « jurassiens » quant à la part respective du monastère et de l’évêché dans la formation territoriale du Jura.