• Aucun résultat trouvé

Le régime colonial imposait aux Vietnamiens une politique rigoureuse, visant à rendre le Vietnam dépendant de la France. Celle-là voulait changer la culture vietnamienne en créant les écoles françaises telles que l‟école primaire, le collège, le lycée Albert Sarreau à Hanoï, le collège Dong- Khanh à Hue, le lycée Marie Curie à Sai-Gon; les universités françaises telles que l‟Université indochinoise la Faculté de Pharmacie-Médecine, l‟École française de l‟extrême-orient, l‟École de Droit...

En réalité, suite à ses efforts, l‟histoire vietnamienne a connu une société coloniale, mi-féodale dans les années 1930. Dans les lettres et la poésie, plusieurs ouvrages par des écrivains vietnamiens suivaient le style d‟auteurs français de l‟époque. Ainsi, Nguyen Cong Hoan (1903-1977) et Vu Trong Phung (1912-1939) qui, selon les critiques littéraires vietnamiens, ont cherché à s‟inspirer de Guy De Maupassant, et le poète Xuan Dieu (1916-1980), en particulier, de Paul Verlaine et Arthur Rimbaud (« Tình trai » («L‟amour d‟hommes »), Xuan Dieu dans Le Dinh Ky, 1993 : 41).

II. Le regard du culturalisme sur la communication interculturelle

Nous étudions maintenant comment les principes culturalistes sont appliqués à la communication. En ce qui concerne celle-ci, nous pensons découvrir la notion d‟éthique culturelle.

66

II.1. Notion d’éthique culturelle de la communication

Nous proposons dedéfinir la notion d‟éthique comme suit:

« L‟éthique classique, qui a trouvé sa maturité dans l‟œuvre d‟Aristote, était déterminée par l‟ambition, assumée par la philosophie, de répondre à une question fondamentale : « Comment dois-je, comment doit-on vivre ? » Par cette décision préalable, les questions pratiques acquièrent un sens téléologique. Les questions « Que dois-je faire », ou « Qu‟est-ce qui est juste pour moi ? » sont subordonnées à la question plus englobante : « En quoi consiste la vie bonne ? » (Habermas J., 1992 :76)

Donc, si l‟on veut faire telle ou telle chose, et que cette chose-là ne convient pas à la société à laquelle on appartient ou bien elle dépasse les limites de ses connaissances ou celles de ses compétences, l‟action n‟est pas accomplie. L‟éthique culturelle de la communication désigne l‟ensemble des règles, des modèles, des structures prescrites pour une culture pour communiquer.

Pour un culturaliste, un individu suit en matière de communication les règles que lui impose sa culture, et ne peut communiquer selon d‟autres règles. Nous essayons de constater quelles sont les règles au Vietnam et en France qui sont constituées au bout d‟un long parcours historique.

La culture vietnamienne a été essentiellement influencée par la culture chinoise pendant un

millier d‟années (179 av. J.C.- fin de la première moitié du XIXe

siècle), et moindrement par la culture française lors de la colonisation (1862-1945). Étudier les bases fondamentales de la culture vietnamienne, c‟est donc d‟étudier d‟abord celles de la culture chinoise.

En ce qui concerne le système français, nous pouvons trouver que la culture française a été sous l‟influence déterminante de l‟Église catholique qui régissait les universités françaises

du XIIe siècle jusqu‟à la Révolution française 1789. L‟éducation française est donc

étroitement liée à l‟éthique catholique malgré son principe laïque actuel. La culture

française s‟est construite d‟une façon systématique depuis le XVIIIe siècle quand son

territoire a été presque entièrement constitué, à l‟exception de Nice et de la Savoie. Donc, si l‟on étudie l‟éducation française, on doit s‟intéresser à l‟éthique éducative de celle du catholicisme relié à l‟Église.

67

En nous basant sur les principes culturalistes, nous cherchons ici à reconstituer l‟éthique culturelle de la communication chez le Vietnamien et chez le Français en puisant dans les ouvrages de grands chercheurs orientaux ainsi qu‟occidentaux. On peut entendre par « éthique culturelle de la communication » l‟ensemble des prescriptions d‟une culture donnée visant l‟instauration d‟une communication réussie. On peut donc considérer qu‟il existe autant d‟éthique culturelle de la communication que de cultures particulières. Et l‟on doit s‟attendre à ce qu‟une culture donnée ne reprenne pas à son compte des recommandations émises par une autre culture.

II.2. Éthique culturelle de la communication chez le Vietnamien

Dans un premier temps, nous verrons quelques règles stratégiques de communication issues du confucianisme au Vietnam. Dans un deuxième temps, nous illustrerons l‟éthique culturelle de la communication vietnamienne à l‟aide du folklore, des règles culturelles en famille, à l‟école et en société. En communication aussi, les Vietnamiens maintiennent une éthique culturelle de génération en génération.

II.2.1. Influence du confucianisme sur plusieurs règles culturelles de la communication au Vietnam

Le principe d‟intégrer une autre culture a été complètement appliqué dans le cas du Vietnam envers la culture chinoise. On peut dire que la majorité des principes éducatifs vietnamiens sont basés sur le confucianisme, qui a laissé des traces importantes dans la culture de l‟école, celle de la famille ainsi que sur la société au Vietnam.

On remarque d‟abord une propension à une communication indirecte chez le Vietnamien, comme le décrit François Jullien dans son ouvrage sur la pensée chinoise:

« Au départ, certes, tout est clair : nous autres, Occidentaux, nous pouvons nous exprimer directement parce que nous allons droit aux choses, guidés que nous sommes par « le sentiment de la ligne droite » qui est aussi le plus court chemin vers la vérité ; tandis que les Chinois, eux, s‟embarrassent de circonlocutions, voire s‟ingénient à exprimer par un détour ce qui peut-être si « simple » mais que personne, parmi eux, « ne veut » exprimer avec simplicité. » (Jullien F., 2007 : 147)

68

C‟est la façon de « dire l‟ombre, dire le vent »26

, « dire de près, dire de loin »27, « dire le

biais, dire le coin »28 chez le Vietnamien. En fait, quand un étudiant veut emprunter de

l‟argent à l‟un de ses amis, il peut lui raconter que sa moto était en panne qu‟il a laissée chez le garagiste, mais qu‟il n‟avait plus d‟argent pour la récupérer. Cette stratégie s‟utilise dans la diplomatie ou en cas de conflit. On n‟aborde pas directement le propos, mais on le contourne, on le traite indirectement. Selon François Jullien, le Chinois prend l‟habitude d‟ébranler les idées à partir de la tradition du commentaire poétique en admirant un tableau, un paysage. Les Vietnamiens sont plus ou moins influencés par cette façon d‟aborder, on aborde quelque chose « de biais », en évoquant une autre chose.

Deuxièmement, c‟est la stratégie de sous-entendu : on évite de s‟exprimer clairement, on recourt à des euphémismes, on évite de se prononcer, on se contente d‟écouter l‟autre parler. Cette règle « exprime ce qu‟on veut dire mais de façon voilée » (Jullien F., 2007 : 245). Elle correspond au comportement du Vietnamien, lequel n‟a pas l‟habitude de poser des questions ni de demander des explications. Par exemple, dans une réunion des enseignants, le chef demande à ses collègues si quelqu‟un veut avoir plus de cours. Une enseignante dit qu‟elle ne peut pas assurer la responsabilité d‟une certaine classe. Cela implique une information qu‟elle peut enseigner davantage, mais elle ne veut plus s‟occuper d‟activités étudiantes.

Troisièmement, l‟idéologie de l‟obliquité chinoise qui constitue une autre manière de détour

chez le Vietnamien, c‟est celle qui constitue à « dire le côté »29

. Cela permet à la personne d‟éviter d‟aborder directement son propos, surtout en cas de critique ou de moquerie. Par exemple, une amie veut se moquer de son amie qui est amoureux d‟un certain garçon qui aime une autre. Elle dit à cette dernière devant son amie : « Très jalouse avec toi d‟être côte à côte avec un tellement beau garçon ». Cette phrase évoque un regret de son amie qui n‟est pas aimée de ce garçon.

_____________________________________

26Nói bóng, nói gió 27Nói gần, nói xa 28Nói cạnh, nói khóe 29Nói xóc hông

69

Une quatrième habitude culturelle consiste à « exprimer un double sens »30 dans le but de

maintenir une ambiguïté propre à réduire le risque de conflit ou d‟une réaction agressive.

C‟est une mesure de précaution efficace contre un danger soudain. Nous prenons un exemple en cas de consultation médicale. Une patiente souhaite être enceinte, mais, ce n‟est pas possible pour elle. Après plusieurs tests, le médecin ne trouve pas encore la raison des fausses couches de cette femme. Quand celle-ci lui demande quel pourcentage de réussite d‟une certaine mesure, il lui répond que la mesure dépend encore de plusieurs facteurs et ne donne pas du tout un pourcentage précis. Sa réponse n‟indique ni les facteurs, ni le pourcentage de réussite de la mesure.

II.2.2. Particularités de l’éthique vietnamienne de la communication

En nous référant aux principes culturalistes selon lesquels la continuité d‟une éducation affecte la personnalité des individus d‟une même société, nous venons de montrer ci-dessus l‟influence du confucianisme sur l‟éthique culturelle de la communication chez le Vietnamien. Voyons maintenant les traces du principe de différenciation d‟une autre culture dans l‟éthique culturelle de la communication au Vietnam.

Premièrement, le collectivisme, issu du système de production agricole, conduit à lier le

moi à l‟ensemble des autres personnes vietnamiennes dans le cadre de la communication.

Autrement dit, ils se rattachent à l‟avis d‟une personne ou d‟un groupe afin d‟éviter d‟exprimer une opinion personnelle en disant par exemple « je suis de même avis qu‟elle », « comme Madame Hang a dit », « je ne sais pas, mais mon professeur me l‟a expliqué », etc. Ce trait psychologique trouve son origine dans le système socialiste du Vietnam,

notamment dans le Nord. Le Sud a été moins influencé par ce système-là en raison d‟une vingtaine d‟années passées sous influence américaine. Le moi est donc caché ou inclus dans une communauté. Le collectivisme entraîne la dépendance et l‟irresponsabilité de l‟individu et ceci dans le cadre de la communication. Au Vietnam, on dit : « Le Ciel a mis l‟éléphant _____________________________________

70

au monde, il a mis évidemment l‟herbe »31

, « Le père appartient à tous, personne ne doit

pleurer à sa mort »32. La suppression du moi est à l‟origine de ce collectivisme. On peut le

voir dans ce proverbe: “Le commerce rassemble les amis, la vente rassemble les

associations »33. Il n‟est donc pas difficile de trouver chez le Vietnamien la peur d‟être isolé

de sa collectivité. Normalement il aime se réunir avec les autres, il cherche des personnes avec qui parler, avec qui manger, à lui tenir compagnie. Il est rare de trouver un Vietnamien seul. Même sur son lieu de travail, il a peur d‟être seul dans une salle.

Deuxièmement, le sentimentalisme des Vietnamiens puise ces racines dans le bouddhisme, la religion la plus pratiquée dans le pays. Cette religion valorise plutôt la spiritualité. La caractéristique sentimentale se trouve même dans le fait d‟appeler les gens « oncle », « tante » au lieu de dire « Monsieur », « Madame ». On appelle ses collègues « frère », « sœur » ou « oncle », « tante » en fonction de leur âge. Cette manière de nommer les personnes crée un lien familial amenant un certain degré de sentiment dans la communication. Néanmoins, selon des chercheurs vietnamiens, l‟envers de ce sentimentalisme est la désorganisation et la légèreté face au respect de la discipline, du droit.

Troisièmement, la peur de perdre la face est quelque chose de primordial. Ils évitent de dire « non » car le refus, la négation, la réaction, bref, tout ce qui est contre l‟avis de l‟autre n‟est pas positif. Il veut maintenir un équilibre dans la relation interpersonnelle, ce qu‟il considère comme essentiel. Par ailleurs, il a peur de vexer l‟autre, ce qui se traduit par l‟évitement du conflit et du débat. Ceci est aussi transmis par cet argot-proverbe verlan :

_____________________________________

31« Trời sinh voi, Trời sinh cỏ » 32« Cha chung không ai khóc” 33

71

« Si l‟on combat, où l‟on peut s‟abriter »34.

Bref, empruntons la parole de Pierre Le Guérinel pour résumer le rôle de l‟individu au Vietnam :

« Ainsi, les sociétés de la tradition peuvent être considérées comme des sociétés conformistes qui enferment la personne dans les schémas préétablis. Les actes commis par un individu sont socialement jugés en fonction de son groupe d‟appartenance. » (Le Guérinel P., 2000 : 8)

Nous en témoignerons davantage dans les parties concernant les actions et réactions chez les acteurs vietnamiens.

II.3. Éthique culturelle de la communication chez le Français

Avant la Révolution de 1789, la culture française était influencée par l‟Église, catholique.

Selon cette dernière, l‟homme est le centre de l‟univers, la nature doit être maîtrisée par l‟homme et servir ses intérêts. Ces idées-là ont régi l‟éducation scolaire et universitaire en France à l‟époque. La Révolution de 1789 a permis la proclamation des droits de l‟Homme. L‟église a donc perdu de plus en plus d‟influence sur l‟éducation française, construite sur des changements économiques, scientifiques et sociaux considérables.

Afin de caractériser la culture occidentale et plus particulièrement la culture française, relisons la définition de Liang Shuming :

« Qu‟est-ce que l‟occidentalité ? Essentiellement, la volonté d‟aller de l‟avant.

En d‟autres mots, l‟occidentalité est un état d‟esprit caractérisé par la volonté d‟aller de l‟avant, qui elle-même fait naître les deux caractéristiques de la culture occidentale : la science et la démocratie » (Shuming L., 2000 : 27)

Lors de l‟étude de la culture française, ces deux caractéristiques doivent d‟être prises en compte.

____________________________________

72

II.3.1. Une communication régie par la rigueur

La deuxième moitié du XIXe siècle a marqué un tournant remarquable en France avec la

révolution industrielle et des découvertes scientifiques incroyables. Les gens profitent depuis des progrès des sciences dans la vie sociale, la vie professionnelle, la vie familiale avec la montée de l‟individualisme.

Dès son enfance en famille, l‟enfant est entraîné à l‟indépendance. L‟éducation scolaire et universitaire développe le sens critique, demande une réflexion personnelle et invite à l‟ouverture d‟esprit et à la créativité. Face à un problème, il doit trouver la solution, raisonner, analyser la difficulté et trouver la façon d‟agir appropriée. L‟individu cherche alors à persuader l‟autre en usant de la raison.

La vie industrielle demande le respect des horaires, la prise de décision, l‟exactitude des faits. La communication se base donc plutôt sur ces règles, sur la raison. L‟enfant, dès la maternelle, apprend à argumenter, à défendre son opinion. Dans l‟entreprise, chacun a un poste dont il est responsable.

II.3.2. Une communication inspiée par l’idéal démocratique

En régime démocratique, l‟individu est encouragé à donner son avis, à exprimer d‟une façon directe de dire sa pensée. Il est admis de dire « non » ou de refuser quelque chose.

La démocratie se manifeste aussi par une certaine assurance affichée par les Français. Il n‟est pas rare qu‟une personne puisse faire ce qu‟elle veut et elle est souvent responsable de cette affaire.

Certes, la démocratie française :

« résulte de la conjonction de facteurs religieux et politiques. Le christianisme joue ici un rôle essentiel mais c‟est la Révolution française qui achève le processus » (Le Guérinel P., 2000 : 9)

entraîne la discussion et le débat. Les opinions personnelles sont encouragées, respectées ; le rôle du moi/soi est assuré :

« Ce sont d‟ailleurs les valeurs postmatérialistes les plus représentatives de l‟individualisme (liberté de parole, participation aux décisions…) qui

73

s‟accroissent le plus au cours des dernières décennies. » (Le Guérinel P., 2000 : 17)

Il s‟agit ainsi un individualisme, parfois, sous la forme d‟un égoïsme, même dans la

communication. Les gens ne cachent pas leur ambition et leur sens de compétition. Les

gens ne cachent pas leur ambition et leur sens de la compétition qui les aideraient à aller de l‟avant.

En résumé, chaque culture impose une propre éthique culturelle de la communication en fonction de ses règles et ses valeurs. À la communication interculturelle, les acteurs sont souvent régis par leur éthique culturelle. Celle-ci leur provoque en général des complexités. Étudier la communication, c‟est donc d‟étudier l‟éthique culturelle qui est également constituée au bout d‟un long parcours historique comme la personnalité.

III Évaluation critique du regard culturaliste sur la communication