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Section I – La collectivisation du droit à l’action privée concurrentielle : une

B. Le recours collectif comme modèle de justice sociale

16. Une procédure civile sociale - Le recours collectif est présenté de deux manières, soit

il est vu comme un outil pragmatique au service de la justice, soit il est un outil de justice social. Du côté du pragmatisme, les économies d’échelle qu’il permet de réaliser sont un argument qui lui est favorable surtout si les budgets consacrés à la justice sont réduits. L’aspect économique de cet argument ne doit pas empêcher la cohabitation avec un autre effet du recours collectif : l’accessibilité à la justice. Comme indiqué plus haut, la problématique de l’accès à la justice pour le consommateur348 est inhérente à une

société de consommation de masse. Les pertes minimes mais réelles pour le consommateur se multiplient constituant un profit illégal important pour les entreprises. Cet état de fait favorise les comportements antisociaux dans le milieu des affaires alors moins enclin à se conformer à la Loi349. En facilitant l’accès à la justice du plus grand nombre et notamment des moins nantis, le recours collectif participe à l’accessibilité du juge. Le recours collectif a en ce sens une portée sociale350. La jurisprudence

canadienne est d’ailleurs venue appuyer cette vision moderne du recours collectif dans l’arrêt Dutton. La Cour suprême du Canada lui attribue trois avantages : 1) il permet des économies judiciaires ; 2) il participe à l’accès à la justice et 3) il modifie les comportements sociaux351. Le rôle social du recours collectif se décline ainsi sous deux

aspects. D’abord, il permet l’accès à la justice et, ensuite, il génère une discipline chez les professionnels susceptibles de commettre des comportements antisociaux. Cet effet en droit de la concurrence est intéressant puisque ce droit vise, par la dissuasion que représentent les menaces de poursuites administrative ou criminelle, une discipline de marché. Le recours collectif peut également jouer ce rôle avec l’action privée.

348 Supra, à la p. 55 et s.

349 Shaun FINN, Recours singulier et collectif, Redéfinir le recours collectif comme procédure

particulière, Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2011, p. 78 : « Incapables d’amasser des fonds suffisants et

dépourvus de l’énergie et de la sophistication nécessaires pour bien piloter un litige, ces particuliers se voient obligés d’absorber eux-mêmes leurs perte ». L’auteur poursuit en affirmant que cela génère des comportements antisociaux.

350 Id., p. 71.

351 Western Canadian Shopping Centres Inc.c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534 [ci-après Dutton]. Un autre

arrêt marquant avait affirmé l’objectif d’accès à la justice, v. La salle c. Kaplan, [1988] R.D.J. 112 à la page 114, EYB 198863128 (CA QC).

85 « Ironiquement, la première province à avoir adopté cet enfant terrible de la Cour de la chancellerie anglaise fut le Québec, une juridiction de tradition civiliste »352.

Le système de recours collectif québécois est particulièrement plébiscité en France353.

La contribution à une forme de « procédure civile sociale »354 que remplit le recours

collectif québécois est appréciable dans un État providence comme la France. La notion de « justice sociale »355 fait alors une apparition remarquée dans le système français par rapport à la conception classique du droit à agir en justice. En France, comme dans la province du Québec, la procédure civile permet l’action en justice356 de celui qui a un

intérêt personnel à agir, on peut parler de « droit subjectif processuel ». Or l’introduction d’une conception sociale de la procédure civile, et de la justice en général, sous-entend une meilleure accessibilité du juge par la réunion des demandeurs. L’isolement du plaignant est ainsi limité. Cette collectivisation du procès entre en conflit avec l’aspect subjectif et donc personnel de l’action. Il est remarquable de retrouver cette collectivisation au Québec, province canadienne de tradition civiliste dont la procédure civile est à la fois inspirée du système britannique et du système français. Notamment, pendant le régime français de 1608 à 1760, la procédure civile de la Nouvelle-France était celle de l’Ordonnance de 1667, dit Code Louis du nom de Louis XIV357. En 1763, avec la Proclamation royale, le Québec est passé sous le régime

de la Common law. Enfin, la procédure civile québécoise s’est aussi inspirée des États américains358. L’intérêt à agir se retrouve dans le Code de procédure civile du Québec

352 S. FINN, op.cit., note 349, p. 79.

353 Luc GIROUX, « Le recours collectif au Québec: un bref aperçu » dans Les actions collectives: point

commun et divergences des expériences américaines et européennes, Colloque de la Cour de cassation,

Paris, jeudi 2 juin 2005, [en ligne] < http://www.courdecassation.fr/formation_br_4/2005_2033/points_communs_8141.html>.

354 P.-C. LAFOND, « Le recours collectif : entre la commodité procédurale et la justice sociale », op.cit.,

note 280, p. 33.

355 Pierre DESCHAMPS, « La preuve en matière de recours collectif », dans Service de la formation

permanente, Barreau du Québec, vol. n°115, Développements récents en recours collectifs (1999), Cowansville, Éd. Yvon Blais, p. 177.

356 Sur le sujet, v. Loïc CADIET, Jacques NORMAND et Soraya AMRANI-MEKKI, Théorie générale

du procès, Paris, PUF, 2010, p. 313 et s.

357 J.E.C. BRIERLEY, « La notion de droit commun dans un système de droit mixte : le cas de la

province de Québec », dans La formation du droit national dans les pays de droit mixte, Aix-en- Provence, PUAM, 1989, p. 103 et s.

358 Sur l’historique de la création de la procédure civile codifiée au Québec, v. S. GUILLEMARD et S.

MENÉTREY, op.cit., note 330, p. 12, au par. 14 ; Jean-Maurice BRISSON, « La procédure civile au Québec avant la codification : un décret mixte, faute de mieux », dans La formation du droit national

(ci-après C.p.c.Q.) à l’article 55359. Ainsi, la conception individualiste du procès

prévaut.

Malgré la conception individualiste du droit processuel québécois, le Québec a su introduire le recours collectif. En ce sens, le Québec connaît une collectivisation institutionnalisée, c’est-à-dire codifiée, du recours collectif. En dehors du Québec, la province de l’Ontario a, elle aussi, institué un recours collectif360. Le phénomène de collectivisation du procès civil n’est pas nouveau au Canada. En revanche, la nouveauté vient de l’assise idéologique du recours collectif. L’aspect social du recours collectif semble être désormais son fondement. Un auteur québécois résume bien l’enjeu social du recours collectif, il parle d’ « un moyen non négligeable de régulation des comportements en société et [d’] un apport inestimable au développement d’une société plus respectueuse des droits de tous et chacun »361. L’accessibilité à la justice semble

être la raison d’être du recours collectif tout en contribuant à une régulation non étatique des comportements par la menace que représente ce type de recours362. La capacité du

représentant du groupe à « lever une armée » de demandeurs, sans pour le moment aborder la question de l’indemnisation de ces demandeurs, comporte une force dissuasive non négligeable. Le recours collectif permet la réunion de problématiques sociétales et non plus personnelles.

La mutation du droit à agir induite par le recours collectif est inévitable pour tout législateur introduisant cette collectivisation des recours. L’atteinte à la conception classique du droit subjectif d’agir en justice est le corolaire du recours collectif, laquelle est compensée par la satisfaction de voir les droits « mieux » défendus, à tout le moins défendus. En effet, le regroupement des demandes n’inclut pas automatiquement une

359 Le texte dispose : « Celui qui forme une demande en justice, soit pour obtenir la sanction d'un droit

méconnu, menacé ou dénié, soit pour faire autrement prononcer sur l'existence d'une situation juridique, doit y avoir un intérêt suffisant ». L’intérêt n’est pas défini mais la jurisprudence l’entend comme « l’intérêt que retirera la partie demanderesse du recours qu’elle exerce s’il est fondé », v. par exemple,

Jeunes canadiens pour une civilisation chrétienne c. Fondation du théâtre du Nouveau-Monde, [1979]

C.A. 491.

360 Loi de 1992, op.cit., note 272.

361 P. DESCHAMPS, op.cit., note 355, p. 200.

362 Certains auteurs s’inquiètent du fait que le recours collectif soit vu comme une source de régulation :

« Il ne faut surtout pas en faire un instrument de contrôle économique et une mesure de nature punitive », dans Barreau du Québec, Rapport sur le recours collectif, 25 janvier 1977, p. 21, cité dans S. FINN,

87 qualité de la justice rendue et la satisfaction des demandeurs363. Son utilité est dans son

potentiel à limiter l’isolement des victimes économiquement faibles. Cependant, la collectivisation du contentieux n’est qu’une option parmi d’autres pour agir en justice. La voie individuelle reste ouverte. En somme, la liberté du droit d’ester en justice reste préservée364. Le recours collectif se présente alors comme une procédure d’exception et

le législateur québécois ne s’y est pas trompé. En posant à l’article 1003, c) du C.p.c.Q. que le recours collectif est une exception au principe de la jonction des instances et du principe selon lequel nul ne plaide par procureur, il reconnaît au recours collectif son caractère d’exception dans la procédure civile d’un système civiliste.

Le recours collectif répond à la question de Monsieur René DAVID, celle de « (...) savoir si, dans les conditions que créent le capitalisme des grandes entreprises et le développement des activités de l’État, permettre à tous de saisir les tribunaux est un moyen suffisant pour assurer le respect du droit et faire régner la justice ; la tâche même confiée aux tribunaux ne doit-elle pas d’autre part être repensée, pour obtenir une meilleure harmonisation des intérêts en conflit ? »365. L’auteur poursuit :

« Mais qui va en fait agir parce qu’il manque dix grammes dans un kilo de sucre ou parce qu’une paire de patins à roulettes est défectueuse ? Selon la conception classique toute personne ayant subi un préjudice peut agir, mais seulement pour obtenir la réparation du préjudice qu’elle a personnellement subi et dont elle peut administrer la preuve. Personne en fait n’ira en justice dans notre cas, ne serait-ce que parce que le fabricant sera prêt à indemniser les réclamants. L’ignorance ou la passivité de la masse lui permettra en fait de réaliser un très important profit. La réglementation établie risque fort ainsi de demeurer largement théorique. Un service officiel de contrôle peut être institué pour lutter contre les abus ; il est fort à craindre pourtant qu’il soit débordé et inefficace. Il peut être jugé souhaitable, pour remédier à ses insuffisances, que les intéressés eux-mêmes contribuent à faire respecter la réglementation qui vise à les protéger ; mais il faut pour cela réviser nombre de règles qui font obstacles à ce qu’ils recourent aux tribunaux (...) »366.

Les enjeux du recours collectif en droit de la concurrence sont bien résumés. Il en ressort principalement la nécessité d’un accès au juge pour le plus grand nombre dans le but de favoriser la protection des consommateurs et des entreprises mais aussi la régulation des comportements des entreprises sur le marché.

363 On parle d’une apparence de justice au Canada.

364 Gérard CORNU et Jean FOYER, Procédure civile, Paris, PUF, 1996, p. 333.

365 René DAVID, « Préface », dans Mauro CAPPELLETTI (dir.), Accès à la justice et État-providence,

Paris, Economica, 1984, p. 3.

Le recours collectif s’inscrit dans la deuxième vague d’accessibilité à la justice. La première est l’accès des pauvres à la justice par un système public d’aide financière, la deuxième est constituée de la protection des intérêts diffus et fragmentés et la troisième aborde la question des modes alternatifs de règlement des conflits367. Nous

avons déjà vu que l’action privée soulève une question fondamentale d’accès au juge368.

Le recours collectif pouvait apparaître comme une solution se situant dans la deuxième vague d’accessibilité à la justice. L’analyse des fonctions du recours collectif et de son fondement social confirme cette hypothèse. Les entreprises de petites tailles et les consommateurs représentent des groupes de victimes sériels, c’est-à-dire qu’elles sont des victimes en série d’un seul et même dommage commis par un agent économique. Le recours collectif apparaît comme le meilleur moyen d’accéder au juge pour les victimes de pratiques anticoncurrentielles.

2) Le rôle social du recours collectif en droit de la concurrence

En affirmant que le recours collectif permet l’accès à la justice des personnes faibles au plan économique, il est difficile de ne pas penser à la situation du consommateur ou de la PME victime d’une pratique anticoncurrentielle. Pour faciliter cette action, le recours collectif semble la voie à privilégier, comme le démontre le modèle canadien et l’adoption d’une action de groupe spéciale au droit de la concurrence en France. Une analyse historique et jurisprudentielle de ce sujet permettra de percevoir la portée du recours collectif en droit de la concurrence ainsi que la manière dont il peut être au service de l’action privée. Nous commencerons par l’étude de l’action collective canadienne en droit de la concurrence (A) pour ensuite envisager la manière dont est défendu l’intérêt individuel des consommateurs en France (B).