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Section II – La fin du monopole de l’action publique sur le droit des pratiques

B. La compétence matérielle

34. Le choix de la juridiction civile spécialisée – En matière de recours privé en droit des

pratiques anticoncurrentielles, la compétence matérielle est la même que pour les actions en responsabilité civile extracontractuelle ou contractuelle. Il convient ici de se concentrer sur l’impact du recours collectif sur la compétence matérielle des tribunaux.

4° Les parties, par convention, leur ont soumis les litiges nés ou à naître entre elles à l'occasion d'un rapport de droit déterminé;

5° Le défendeur a reconnu leur compétence » [Nous soulignons].

Chaque élément est considéré comme étant un lien réel et substantiel avec le Québec, v. Hoteles

Decameron Jamaïca Ltd. c. D’Amours, [2007] R.J.Q. 550 (CA).

513 Même si elle prend un avocat proche de son domicile, l’avocat devra se déplacer devant la juridiction

et facturera alors des frais de déplacement. La PME est perdante dans tous les cas.

514 Supra, au par. 7.

515 On peut toutefois relever que l’interprétation du texte en Common law diffère du droit civil puisque ce

recours ne repose pas sur le non-respect d’une obligation statutaire, mais bien sur une obstruction illégale avec les intérêts économiques des demandeurs. C’est donc cet effet du complot qui donne droit à un dédommagement. Le non-respect de loi ne représente qu’un élément de preuve du complot en question et n’empêche pas de se baser sur les recours de droit commun, v. Westfair Foods Ltd. c. Lippens Inc., [1987] 6 W.W.R. 629 cité dans Serge BOURQUE, Patrick BUCHHOLZ et Larry MARKOWITZ, Loi sur

la concurrence annotée, Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2000, p. 83, 36/2.

133 Au Québec, l’article 1000 du C.p.c.Q. précise que « la Cour supérieure connaît exclusivement, en première instance, des demandes exercées [en vertu du recours collectif] ». Le choix d’une compétence spécialisée se retrouve aussi en France. Avant l’adoption de l’action de groupe, plusieurs projets de loi avaient prévu une compétence dite d’ « attribution », selon le vocabulaire de la procédure civile, en faveur de certains tribunaux517. En effet, le TGI de Paris était compétent pour les actions de groupe518 ou encore les TGI choisis, depuis le 1er janvier 2006519, pour être des tribunaux spécialisés, par exemple, en matière de concurrence520. L’action de groupe française revient

finalement aux tribunaux de grande instance comme en dispose l’article L. 211-15 du Code de l’organisation judiciaire. Toutefois, en matière de pratiques anticoncurrentielles, en dehors de l’action de groupe, l’article L. 420-7 du Code de commerce prévoit que l’action privée sera traitée par les TGI spécialisés. Par conséquent, il y a une incohérence à désigner des TGI spécialisés pour l’action privée individuelle et à laisser l’action de groupe, par nature complexe, entre les mains de tous les TGI de France, indépendamment de leur spécialisation en matière de concurrence.

35. Les raisons de la spécialisation – La spécialisation des juridictions de droit commun

est une nécessité en matière de pratiques anticoncurrentielles. L’objectif est que ces litiges soient confiés à des « juges-experts ». Les actions privées nécessitent des

517 Par exemple, FRANCE, PARLEMENT, Proposition de loi tendant à renforcer la protection des

consommateurs par la création d’une action de groupe fondée sur l’adhésion volontaire, n° 201, (2010-

2011) – 22 décembre 2010, qui prévoit qu’un article L. 211-15 du Code de l’organisation judiciaire devait être créé et prévoir ce qui suit : « Art. L. 211-15. – Des tribunaux de grande instance spécialement désignés connaissent des actions de groupe définies au chapitre II du titre II du livre IV du code de la consommation ».

518 FRANCE, PARLEMENT, Proposition de loi tendant à créer une action de groupe, n° 2677, (2009-

2010) – 24 juin 2010. Ce projet devait prévoir une réforme du Code civil en introduisant un Titre III bis après l’article 1369-11. L’article 1369-11 nouveau devait énoncer : « L’action est exercée devant le tribunal de grande instance de Paris qui a compétence exclusive pour en connaître ». Nous observons que la proposition de loi la plus complète au plan procédural, ce qui paradoxal pour une proposition inscrite au Code civil. La majorité des détails de la procédure sont prévues comme l’élection de domicile au leur de la constitution d’avocat (art. 1369-15), le dépôt de l’assignation au greffe du TGI (art. 1369-16), les détails que doit contenir l’assignation spécialement dans le cadre d’une procédure d’action de groupe (art. 1369-16), etc. Il s’agit de précisions peut-être redondantes par rapport à la procédure civile française mais appréciables dans la mesure où cela aurait limité les interrogations des premiers représentants dans le cadre de cette action.

519 Art. R. 420-4 du C.com, annexe 4-1 ; « Liste des juridictions spécialisées en concurrence, RLC

2006/1, p. 47 ; Jean-Louis FOURGOUX, « Quel rôle pour les juridictions nationales dans le cadre du règlement n° 1/2003 sur les règles de concurrence ? », RLC 2005/4, n° 335 ; Benjamin CHEYNEL, « Spécialisation des juridictions judiciaires, c’est désormais chose faite... », 2006/1 RLC, pp. 71-74 ; David BOSCO, « Misère de la justice économique française (le cas du contentieux de la concurrence),

Contrats, conc., consomm., avril 2011, Repère 4. Pour un raisonnement plus général sur le rôle du juge en

matière économique, v. Anne-Lise SIBONY, Le juge et le raisonnement économique, Paris, LGDJ, 2008.

520 Il s’agit des TGI et Tribunaux de commerce des villes de Bordeaux, Fort-de-France, Lille, Lyon,

connaissances tant juridiques qu’économiques. Elles supposent de comprendre des analyses économétriques, la jurisprudence des autorités de concurrence, la législation ainsi que la politique en matière de concurrence. Les recours collectifs comportent une difficulté supplémentaire. Un tribunal de petite taille ne peut avoir raisonnablement les moyens humains et matériels de gérer ces procédures lourdes et longues. Dans le modèle français d’action de groupe opt-in, lorsque les consommateurs vont devoir se déclarer au tribunal, il faudra qu’il soit en mesure de traiter les demandes. Pour cette raison, le choix du législateur a été de faire s’adresser les consommateurs, soit au professionnel en cause, soit à l’association, soit enfin aux tiers, membres d’une profession judiciaire mentionnée à l’article L. 423-9 du code de la consommation521. De

cette manière, le coût de l’administration de l’action de groupe ne repose pas sur l’autorité judicaire. Cependant, le coût assumé alors par l’association peut nuire à l’effectivité de l’action de groupe en dissuadant des associations d’agir. Mais, le choix d’une compétence généralisée des tribunaux de grande instance est ne va pas dans le sens d’un traitement efficace des dossiers.

La spécialisation est la voie la plus raisonnable si l’on veut un traitement effectif de l’action privée. Au Canada, les recours exercés seulement sur l’article 36 L.c. relèvent de la compétence exclusive de la Cour fédérale. Ce n’est que par l’intermédiaire du recours collectif que la Cour supérieure est compétente, comme c’est le cas au Québec. En Ontario, la Loi de 1992 sur les recours collectifs522 ne prévoit pas de compétence

particulière d’un Tribunal ; elle évoque même explicitement une compétence possible de la Cour des petites créances à l’article 31(3), l’équivalent en France d’un juge de proximité523. Au Québec, la compétence de la Cour supérieure n’intervient que si le

recours privé s’exerce par la voie du recours collectif et sur le fondement conjoint de l’article 36 L.c. et surtout de l’article 1457 du C.c.Q. Un recours collectif introduit au Québec devant la Cour supérieure sur le seul fondement de l’article 36 de la loi fédérale

521 L’article énonce : « L'association peut s'adjoindre, avec l'autorisation du juge, toute personne

appartenant à une profession judiciaire réglementée, dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, pour l'assister, notamment afin qu'elle procède à la réception des demandes d'indemnisation des membres du groupe et plus généralement afin qu'elle représente les consommateurs lésés auprès du professionnel, en vue de leur indemnisation ».

522 L.O. 1992, Chapitre 6.

523 L’article dispose : « Si les demandes individuelles visées à l’article 24 ou 25 ne dépassent pas la limite

pécuniaire de la compétence d’attribution de la Cour des petites créances où le recours collectif a été introduit, les dépens qui se rapportent aux demandes sont liquidés comme si les demandes avaient été décidées par la Cour des petites créances. 1992, chap. 6, par. 31 (3) ».

135 est irrecevable. Le fait que la voie du recours collectif soit empruntée ne justifie pas à elle seule une compétence de la Cour supérieure. Autrement dit, le recours collectif ne rachète pas la validité de l’action fondée uniquement sur le droit fédéral devant la cour provinciale québécoise524. Seul le fondement de droit civil québécois, le cas échéant

allié à l’article 36 L.c., justifie la compétence de la Cour supérieure. Le recours collectif n’est qu’un moyen de procédure comme un autre525. En effet, l’article 36(3) L.c. prévoit la compétence exclusive de la Cour fédérale ce qui est confirmé par la jurisprudence526.

La compétence matérielle signifie dans notre étude une compétence exclusive de certaines juridictions, dans un nombre restreint, pour connaître d’un contentieux technique et spécialisé527. Les recours collectifs en sont une illustration. Il semble qu’au

Canada, la culture n’est pas celle de la spécialisation des juges. Au contraire, les juges sont polyvalents. Au Québec, la compétence de la Cour supérieure laisse présumer une spécialisation de fait du tribunal pour traiter d’un recours privé. Dans la mesure où ils prennent la forme quasi-systématiquement d’une action collective, le traitement répété entraîne de facto une spécialisation par l’expérience. Dans le modèle français, l’absence de spécialisation est une carence.

Une autre solution à envisager serait d’attribuer une compétence exclusive aux autorités de concurrence pour traiter dans le cadre de l’action publique des actions en

524 Pour une tentative en dehors du recours collectif, v. Québec Ready Mix Inc. c. Rocois Construction

Inc., [1989] 1 R.C.S. 695.

525 Art. 999, d), C.p.c.Q. V. à ce sujet, S. FINN, op.cit., note 349, p. 3.

526 Il est admis de longue date que la Cour fédérale n’est compétente que pour les litiges fondés sur le

droit fédéral, v. par ex. McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 ; Québec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Limitée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054 citées dans Québec Ready Mix Inc. c. Rocois Construction Inc., [1989] 1 R.C.S. 695. Dans la décision

Rocois construction inc. c. Québec ready mix inc., op. cit., note 524, le juge Gonthier explique au sujet de

la différence entre le régime de responsabilité posé dans le C.c.Q et celui de la L.c. : « En ce qui concerne l'effet virtuel des régimes appliqués aux faits allégués, je conviendrai d'abord que le concept de faute civile est beaucoup plus englobant que celui de concurrence déloyale au sens de la Loi; il couvre un éventail beaucoup plus vaste de situations factuelles. Il faut donc admettre que le droit de l'appelante à la réparation trouve son origine légale ultime en deux règles de droit bien distinctes. En revanche, il est également manifeste que les deux notions se chevauchent car, de prime abord, je ne peux envisager aucun comportement qui, tombant sous le coup de la Loi, ne constituerait pas en outre une faute entraînant la responsabilité civile. En l'espèce, il semble bien qu'aucun des aspects de l'ensemble de faits allégués par l'appelante ne dépasse l'aire de chevauchement des deux notions; il s'agirait donc de l'un des rares cas où l'application de deux règles distinctes ne donne lieu qu'à une seule et même cause ».

527 En France, par exemple, le contentieux des pratiques restrictives de concurrence, en vertu de l’art. L.

442-6 du Code de commerce, ne reviennent pas à l’Autorité de la concurrence mais aux juridictions de droit commun, Véronique SELINSKY et Johanne PEYRE, « La nullité des engagements relatifs à des pratiques restrictives de concurrence visées par l’article L. 442-6 du Code de commerce », RLC 2005/2, pp. 114-121.

réparation du préjudice concurrentiel des victimes. De lege feranda, il est possible d’envisager des solutions originales favorables à la victime de pratiques anticoncurrentielles.

2) La compétence des autorités de concurrence de lege feranda

La compétence des autorités de concurrence pourrait en théorie concerner, d’une part, la possibilité d’entendre les parties privées sur leur demande (A), et, d’autre part, la possibilité de se prononcer sur les dommages et intérêts demandés par celles-ci (B).