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Section I – La collectivisation du droit à l’action privée concurrentielle : une

B. Les adaptations du recours collectif aux particularités de l’entreprise

24. La pertinence d’une adaptation du recours collectif aux PME – Il faut rappeler que

le recours collectif peut fonctionner de deux manières. La participation à ce recours peut être implicite, on parle d’opt-in, ou explicite, on parle d’opt-out. Les termes de « clause d’inclusion » et « clause d’exclusion » sont aussi utilisés. Ces options consistent pour la victime, une fois informée de l’existence du recours collectif, soit en la possibilité de devenir membre de ce groupe et d’être liée par la décision finale en manifestant sa volonté d’adhérer au groupe (modèle opt-in), soit en la possibilité de s’exclure du groupe, à défaut de quoi elle sera présumée participer à l’action sans s’être manifestée positivement (modèle opt-out). Le modèle canadien fonctionne sur le principe de la participation implicite à défaut d’exclusion, c’est-à-dire le modèle opt-out, à l’instar de son voisin du Sud. En matière de pratiques anticoncurrentielles, le choix devrait être celui de la participation implicite (opt-out) car il englobe le plus de victimes et lutte ainsi contre l’apathie rationnelle du consommateur. Les systèmes d’opt-in font confiance au militantisme du consommateur. Or il est probable que le seul consommateur qui fera preuve de militantisme sera le représentant du groupe, celui à qui l’on devra très probablement l’existence du recours collectif. La majorité restera silencieuse. Plus le nombre de victimes représentées sera élevé, plus les indemnités que devra verser l’auteur des pratiques anticoncurrentielles seront élevées et dissuasives.

437 Cette tendance au mélange entre consommateurs et entreprises a été confirmée en droit de la

109 Peut-être même peut-on espérer que la faute lucrative sera supprimée. Ce raisonnement tient pour le consommateur du point de vue de l’incitation à agir et de la dissuasion. Cependant, du point de vue de la PME, l’analyse doit être nuancée.

25. Opt-in ou opt-out ? - La PME n’est pas un consommateur même si, sur le marché, elle

est autant vulnérable que lui. Si l’on reprend les deux axes de réflexion utilisés pour le consommateur, nous n’arrivons pas aux mêmes conclusions. L’apathie rationnelle de la PME se fonde certes sur le coût de l’action et l’avantage qu’elle peut en retirer mais cet avantage prend en compte un calcul que le consommateur ne fait pas : les représailles économiques. L’avantage du recours collectif est de mutualiser les coûts. En ce sens, le facteur coût pour la PME disparaîtra. De plus, le risque lié à la non-dominance sur le marché concernant l’incapacité à obtenir réparation sera également supprimé. Quant aux représailles, le risque diminue objectivement ; il ne serait pas pertinent pour une entreprise accusée de pratiques anticoncurrentielles, dans un recours collectif de PME, de prendre, en plus, des représailles contre ses partenaires commerciaux. En effet, seule la PME, partenaire commerciale du ou des auteurs de pratiques anticoncurrentielles, peut craindre des représailles438. Reste à espérer que subjectivement, l’entrepreneur aura

également cette perception. Si ce n’est pas le cas, il renoncera au recours collectif. Ainsi, le modèle opt out est adapté aux avantages liés au coût de l’action. La PME est de ce point vue similaire au consommateur. C’est en somme leur absence de dominance sur le marché qui justifie une protection accrue de ces deux acteurs de l’économie. Mais le recours collectif sous la forme opt-out n’est-il pas une atteinte à l’autonomie décisionnelle ? Notamment, si le chef d’entreprise craint des représailles.

Il est préférable de respecter la liberté d’entreprise, laquelle passe par la liberté de décision en toute autonomie. Il n’y a pas de balance à faire entre private enforcement vs. respect de l’autonomie de l’entrepreneur. Les deux doivent être conciliés. De là, deux analyses sont possibles. Soit on considère que le modèle opt-out n’est pas conforme à cette liberté car il concède implicitement au représentant du groupe une partie du processus décisionnel de l’entrepreneur sur le choix de recourir à la justice même si au fond, l’entrepreneur reste libre de se retirer de l’action en en informant le tribunal. Soit, pour protéger la liberté décisionnelle de l’entrepreneur, il faut choisir un modèle opt-in pour les recours collectifs de PME afin que l’entrepreneur ne soit pas inclus sans avoir

438 La PME peut aussi ne pas être un partenaire commercial de l’auteur des pratiques anticoncurrentielles

fait de choix quant à la pertinence de se joindre au recours collectif. En réalité, dans les deux cas, l’entrepreneur doit prendre une décision, soit s’inclure, soit s’exclure. Cela revient au même. L’autonomie décisionnelle est de prime abord préservée.

Il découle de notre exposé que l’élargissement des titulaires du droit à l’action privée est indispensable pour accroître la portée dissuasive du droit de la concurrence. Cela passe par la collectivisation du recours collectif.

De lege lata, le droit canadien offre un exemple de modèle ouvert, permettant aux consommateurs et aux entreprises de se joindre à un recours collectif. Cependant, il convenait d’analyser cette ouverture. Bien que restreinte aux entreprises de moins de 50 salariés au Québec, selon un critère quantitatif, le recours collectif québécois présente une procédure adaptée au cas des PME victimes. Du point de vue du mandant, la capacité de s’inclure ou de s’exclure préserve l’autonomie décisionnelle de la PME, critère qualitatif pertinent pour cette analyse.

De lege feranda, la France devrait poursuivre sa réflexion sur l’action de groupe après son adoption sur la question précise de l’accès à la justice des PME. Elle doit le faire en ne refusant pas des recours collectifs composés d’entreprises comme elle le fait à l’article L. 423-1 du code de la consommation. Rien ne milite en faveur d’une restriction totale. Au contraire, l’effectivité de la réparation et de l’accès aux tribunaux pour les PME est un enjeu. Les critères qualitatifs de la PME abondent aussi dans ce sens, même en France. La restriction apportée au recours collectif québécois tenant au nombre de 50 salariés maximum pourrait être une piste. La collectivisation de l’action privée n’a réellement de sens que pour les acteurs du marché non-dominant sur celui- ci. Cependant, la représentation du groupe doit elle aussi tenir compte de la spécificité de l’entreprise membre d’un groupe. Nous étudierons ainsi la question de l’élargissement des titulaires du droit à l’action privée concurrentielle du point de vue du mandataire.

2) Les mandataires dans l’action privée concurrentielle : la représentation du groupe victime

111 Lorsque la victime d’une pratique anticoncurrentielle confie un « blanc-seing » à un représentant dans un recours collectif, il est nécessaire que le représentant soit capable de mener à bien sa mission dans l’intérêt de tous. Le choix du représentant est ainsi une question décisive de l’effectivité de l’action privée collectivisée.

26. La théorie économique de l’agence – Pour bien comprendre les enjeux de la

représentation, nous commencerons par exposer la théorie économique de l’agence (agency), qui présente les rapports entre mandant et mandataire. En effet, le rapport entre la victime de pratiques anticoncurrentielles et le représentant du groupe ressemble à un mandat. Cependant, le mandat n’étant pas requis pour introduire un recours collectif, signe distinctif de ce dernier par rapport à une action classique, il n’est pas possible de dire que juridiquement, il s’agit d’un mandat au sens des droits civils français et québécois. Pourtant, le représentant agit pour le compte des victimes. Ce mandat est double, il existe un mandataire à l’instance, la victime qui va représenter le groupe, et un mandataire dans l’instance, l’avocat qui va porter la procédure devant les tribunaux, de concert avec le représentant du groupe439. Pour l’avocat, il s’agit d’un

mandat ad litem classique, en ce sens son mandat n’est pas « fictif »440.

Dans ces conditions, un phénomène d’agence peut se produire. Le phénomène d’agence survient lorsqu’une personne confie à une autre une mission alors que les objectifs de ces deux personnes sont différents : « Une relation d’agence désigne une situation ou une (ou plusieurs) personne(s) (le déléguant) a recours aux services d’une autre (le délégataire) pour accomplir en son nom une tâche quelconque qui implique une délégation de pouvoir décisionnelle »441. La définition correspond trait pour trait à la

définition du recours collectif et notamment au problème de la concession de cette autonomie décisionnelle par l’entreprise. Cette situation peut se produire dans un recours collectif lorsque l’avocat du groupe obtient un accord d’indemnisation de la partie adverse pour éviter l’action et que les membres du groupe ou le représentant refusent, alors que lui souhaiterait accepter cet accord. Le risque est aussi qu’un accord

439 Le C.p.c.Q. prévoit expressément l’obligation d’avoir un avocat pour exercer un recours collectif à

l’art. 1049 : « Le représentant ou le membre qui demande d'agir à ce titre doivent se faire représenter par un procureur ».

440 Pierre-Claude LAFOND, « Le recours collectif et le juge québécois : de l’inquiétude à la sérénité »,

dans Les Petites Affiches, 10 juin 2005, n° 232, L’extenso.fr, PA200511504.

441 Ejan MACKAAY et Stéphane ROUSSEAU, Analyse économique du droit, Paris, Dalloz, 2008, au par.

soit signé alors qu’il désavantage le groupe mais qu’il est favorable à l’avocat. Pour éviter cette situation, qui n’est pas rare aux États-Unis, le législateur québécois exige la validation par le tribunal442 et l’information des membres du groupe dès qu’une

transaction amiable est envisagée. Ces précautions, également prévues par le modèle français d’action de groupe443, tendent à éviter l’opportunisme du mandataire entendu

comme « la recherche d’un intérêt personnel avec un élément de tromperie », cela s’oppose à la confiance et s’« associe à une divulgation sélective ou tronquée d’informations et à des promesses que l’on ne croit pas soi-même au sujet de sa conduite future »444. Pour éviter ce problème, il faudrait supporter des coûts de

surveillance du mandataire. On parle de pertes résiduelles, c’est-à-dire les coûts résultant de l’impossibilité de surveiller parfaitement l’opportunisme du représentant445,

ce qui, dans un recours collectif, est un coût réel pour les membres du groupe parfois très éloignés du déroulement de l’action pour des raisons géographiques ou d’incapacité à comprendre et mesurer tous les enjeux. Dans ce contexte, un recours collectif efficient est un recours collectif qui minimise, par le contrôle du tribunal, les coûts de transactions446 en assurant une publicité suffisante et claire sur l’issue possible du litige

afin qu’ils puissent y adhérer ou le rejeter en connaissance de cause. La problématique de la représentation doit donc être analysée sous l’angle de la confiance. Les modalités de représentation du groupe doivent permettre aux membres du groupe de surveiller à moindre coût leur représentant afin de s’assurer que les décisions qu’il prend leur sont favorables. D’où l’intérêt d’étudier comment le droit aborde cette question de la représentation au sens large (A) et si une représentation spécialisée ou associative ne

442 L’art. 1025 C.p.c.Q. dispose que : « La transaction, l'acceptation d'offres réelles ou l'acquiescement,

sauf s'il est sans réserve à la totalité de la demande, ne sont valables que s'ils sont approuvés par le tribunal. Cette approbation ne peut être accordée à moins qu'un avis n'ait été donné aux membres.

L'avis contient les renseignements suivants:

a) le fait qu'une transaction sera soumise au tribunal pour approbation à une date et à un lieu déterminés; b) la nature de la transaction et le mode d'exécution prévu;

c) la procédure que suivront les membres pour prouver leur réclamation;

d) le fait que les membres peuvent faire valoir au tribunal leurs prétentions sur la transaction proposée et sur la disposition du reliquat, le cas échéant.

Le jugement détermine, le cas échéant, les modalités d'application des articles 1029 à 1040. »

443 c.conso, Art. L. 423-16.-Tout accord négocié au nom du groupe est soumis à l'homologation du juge,

qui vérifie s'il est conforme aux intérêts de ceux auxquels il a vocation à s'appliquer et lui donne force exécutoire. Cet accord précise les mesures de publicité nécessaires pour informer les consommateurs concernés de la possibilité d'y adhérer, ainsi que les délais et modalités de cette adhésion.

444 E. MACKAAY et S. ROUSSEAU, op.cit., note 441, au par. 740. 445 Id., au par. 1049.

446 Les coûts de transaction sont la traduction imparfaite des théories de Coase rédigées en anglais. Il faut

les comprendre comme les coûts qui empêchent deux personnes d’arriver à un accord qui leur soit profitable. v. id., au par. 726 et s.

113 serait pas plus adaptée au droit des pratiques anticoncurrentielles (B) comme solution à ce problème d’agence.