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4.4 Propulsion de gouttes caléfiées

4.4.2 Le ratchet

Il peut être appréciable de diriger les gouttes caléfiées dans la direction de notre choix, indépendamment des propriétés inhérentes du liquide et des conditions initiales. Pour ce faire, une stratégie a été développée dans les dix dernières années : la texturation du substrat à l’échelle millimétrique.

Goutte sur toit d’usine

En 2006, Linke et al. ont posé une goutte sur une surface métallique structurée à l’échelle millimétrique. Une rugosité du type toit d’usine (ou ratchet) est formée sur le solide (Figure 4.23(a)). Le solide est positionné de manière à être parfaitement horizontal. En chauffant le substrat, le volume de liquide volatil déposé lévite sur sa propre vapeur. Une fois placée sur le solide texturé, la goutte se dirige systématiquement dans le sens des dents du toit d’usine (Figure 4.22).

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Figure 4.22 –Propulsion d’une goutte caléfiée sur une surface à toits d’usine. Figure d’après Linke et al. (2006) [109].

Lagubeau et al. ont mis en avant l’existence d’une rectification de l’écoulement de vapeur sous-jacent [110]. En déposant sur le solide des billes de verre micrométriques, Dupeux et al. sont parvenus à visualiser l’écoulement de vapeur en imageant le système goutte-ratchet à la fois par le côté de la goutte et par dessus [111]. A l’aide de cette double vue, ils sont parvenus à mettre en avant un mouvement des particules de la crête des toits d’usine vers ses creux. Une fois dans les creux, la vapeur peut alors s’écouler dans la direction transverse au mouvement de la goutte. La vapeur est alors chassée vers l’extérieur de la goutte. Le liquide en appuyant sur la vapeur sous-jacente la pousse à s’échapper. La géométrie du toit d’usine favorise cette échappement dans les creux des textures où l’épaisseur du coussin de vapeur est la plus grande. Cette redirection s’accompagne dans un premier temps d’un écoulement de la vapeur le long de la pente des dents du toit d’usine. Par conséquent, la vapeur redirigée par la structuration du solide suit la même direction que la goutte auto- propulsée. Le liquide est entraîné par viscosité, par le mouvement du coussin de vapeur (Figure 4.23(b)).

(a) (b)

Figure 4.23 – (a) Schéma d’une surface en toit d’usine. (b) L’écoulement de vapeur sous la goutte est rectifié par l’asymétrie du substrat et entraîne par viscosité la goutte conformément aux visualisations établies [111].

Modélisation

Modéliser la force de propulsion revient donc à décrypter l’entraînement visqueux par la vapeur. Plusieurs modèles ont été envisagés [112–114]. Dans un premier temps, la vapeur descend le long de la pente (Figure 4.23(b)) à une vitesse moyenne U qui peut être calculée

en considérant un écoulement de type Poiseuille dans un canal de longueur , le pas du ratchet, et d’épaisseur h, l’épaisseur moyenne du film de vapeur sous la goutte. La vapeur étant redirigée sur une distance , son expression n’est que l’adaptation de l’équation 4.8 : U hv2 P. La force de propulsion Fp dépend des contraintes visqueuses à l’interface

liquide-solide Fp ⇠ ⌘hU2hR2, et peut être exprimée à l’aide du gradient de pression : Fp ⇠

P

hR2 (4.21)

Afin d’estimer la vitesse terminale d’une goutte propulsée, il faut considérer la force de friction d’une goutte caléfiée avançant sur un toit d’usine. Dupeux et al. proposent une force de friction inertielle Ff qui dépend quadratiquement de la vitesse de la goutte V [115] :

Ff ⇠ ⇢V2R2

(4.22) Cette expression est obtenue pour des créneaux de profondeur ✏ espacés de . Lorsque la goutte avance, elle bute sur les marches du ratchet. Chacun de ces chocs inertiels contribue à une friction du type ⇢V2R✏. Sous la goutte, il y a N

d dents avec Nd ⇠ R/ . Dans

le cas du toit d’usine, les paramètres géométriques ✏ et n’ont pas été variés. Le modèle reste donc à confirmer. Toutefois, il fournit une vitesse terminale V en égalant forces de propulsion et de friction : V s P ⇢ h ✏ (4.23) Géométries multiples

Pour s’assurer d’un tel modèle, il nous faudrait modifier les valeurs des paramètres géométriques des toits d’usine. Or, sur un tel substrat, modifier le pas du motif sans en changer la profondeur revient à toucher à l’inclinaison des dents du ratchet. Par conséquent, aucun des paramètres géométriques n’est libre. Pour conduire une étude quantitative, il est nécessaire de se placer dans un autre type de géométrie. Dan Soto et al. ont utilisé des chevrons, constitués de créneaux usinés asymétriquement par rapport au centre de la surface (Figure 4.24(a)) [116]. Une goutte placée au centre de ces chevrons voit sa vapeur redirigée dans les créneaux. Il en résulte un mouvement dans le sens inverse de la flèche dessinée par les chevrons. Ce substrat présente l’avantage d’un meilleur contrôle des paramètres géométriques des textures. Il est alors possible de faire varier indépendamment profondeur et pas des créneaux et de modéliser proprement l’auto-propulsion d’une goutte caléfiée.

La géométrie du toit d’usine a, par ailleurs, été récemment adaptée par Wells et al. pour induire la rotation d’un bloc de carboglace [117] (Figure 4.24(b)). En imprimant sur le solide des dents asymétriques concentriques, il est possible de rediriger la vapeur suivant

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(a) (b)

Figure4.24 –(a) Une goutte placée sur une surface crénelée dont les sillons sont disposés en chevrons s’auto-propulse. De même, un palet de carboglace déposé sur sur des sillons asymétriques peut trouner sur lui-même (b). Figure (a) issue de Soto (2014) [116]. Figure (b) d’après Wells et al. (2015) [117]

un mouvement de rotation. Ainsi, un bloc de carboglace posé sur ce solide chaud se met à tourner.

En adaptant la géométrie des texturations à la surface du solide, il est donc possible d’accéder à toute une gamme de mouvements pour un objet caléfié. Cela permet le contrôle du mouvement de ces systèmes ultra-mobiles, d’ordinaire difficilement maîtrisables. Tou- tefois, pour l’ensemble de ces systèmes, il est nécessaire de travailler à température élevée afin de s’assurer une lévitation confortable.