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CHAPITRE 2. DEVELOPPER UN PRODUIT, CONSTRUIRE UN RESEAU

2.1. Du langage au produit, ou la consolidation de réseaux émergents

2.1.2 Transferts et spin-RIIVGDQVO¶H[SORUDWLRQFROOHFWLYH

2.1.2.2. Le rôle des spin-RIIVGDQVOHVFROOHFWLIVG¶H[SORUDWLRQ

$X FRXUV GH QRWUH HQWUHWLHQ <DQQ QH FHVVH G¶LQVLVWHU VXU OD SDUWLFXODULWp GX FDV GH Rocher Technologies :

82 Cette condition rappelle la contrainte qui caractérise les programmes temps réel (selon la définition reprise

dans la section 2.1.1.1) aux besoins desquels répondent les langages synchrones : une contrainte de réponse

« &HQ¶HVWSDVXQSURFHVVXVGDQVOHTXHOXQFKHUFKHXUDXQHLGpHHVVDLHGHODYDOLGHUFRQWUHOe

PDUFKp FUpH XQH VRFLpWp OqYH GHV IRQGV HWF HWF &H Q¶HVW SDV GX WRXW XQ SURMHW LQGXVWULHO OLQpDLUHGHODUHFKHUFKHYHUVO¶LQGXVWULH&¶HVWHQJURVH[DFWHPHQWOHFRQWUDLUHª

Contrairement au « PpFDQLVPH KDELWXHO  M¶DL XQ WUXF TX¶HVW-FH TXH M¶HQ IDLV, je le YDORULVHMHOHPHWVR«ª, sa démarche consiste à « partir du besoin pour agréger quelque chose, pour agréger des réponses à des besoins clients »83. Mais si le besoin est déjà là (chose

que de nombreux entrepreneurs soutiendront avec ferveur, le marché ne devenant « pas assez mûr » TX¶DSRVWHULRUL ; si, comme dans le cas de Rocher Technologies, une demande existe GpMjSXLVTX¶DYDQW PrPHVDFUpDWLRQODVWDUW-up a déjà deux clients (configuration déjà bien plus rare) ; quel est alors le rôle des spin-offs ? Les utilisateurs pilotes du langage Rocher O¶H[SOLFLWHQW :

« [Entreprise4] et [Entreprise5] disent à Spin-off3 µ[Rocher] est un outil académique ; moi, pour un programme qui va durer trente ans [le programme Rafale], je ne peux rien en faire ; j¶DLEHVRLQG¶XQSDUWHQDLUHLQGXVWULHOTXLLQGXVWULDOLVH¶ »

Que signifie « industrialiser » " &RPPH QRXV O¶DYRQV YX XQH SUHPLqUH WHQWDWLYH G¶LQGXVWULDOLVDWLRQ GX ODQJDJH 5RFKHU D OLHX j OD ILQ GHV DQQpHV  HQ FRRSpUDWLRQ DYHF Entreprise6. Dans le rappRUW G¶DFWLYLWp GX SURMHW GH UHFKHUFKH GDQV OH FDGUH GXTXHO HOOH V¶LQVFULWFHWWHLQGXVWULDOLVDWLRQHVWGpFULWHSDUOHVDFWLYLWpVVXLYDQWHV : « un nettoyage du code du compilateur, des portages sur diverses stations de travail, des tests intensifs, et une refonte de la documentation ». Elle procède par des rencontres avec les industriels  G¶DERUG OHV « µpseudo-industriels¶ que O¶RQ D FRPPH LQWHUORFXWHXUV » dans le « monde de la recherche » F¶HVW-à-dire « des gens qui occupent des positions transversales : ils ne parlent pas de leurs problèmes réels et opérationnels, mais de catégories de problèmes qui se posent à eux »), puis les « industriels réels » qui ont le « YUDL SUREOqPH GH O¶RSpUDWLRQQHO TXL D j exécuter une chose précise dans un temps fini ». Industrialiser un « outil académique »F¶HVW :

« en IDLUHTXHOTXHFKRVHG¶LQGXVWULHOTX¶RQSHXWPHWWUHHQWUHWRXWHVOHVPDLQV, où il ne faut pas avoir fait une thèse pour utiliser le produit ».

83 /¶RSSRVLWLRQTX¶LOGHVVLQHDLQVLrevient à celle entre « technology-push » et « market-pull »,OV¶DJLWOjG¶XQH

opposition classique qui a éWpGHSXLVORQJWHPSVGpIDLWHGDQVODOLWWpUDWXUHVXUO¶LQQRYDWLRQSRXUPRQWUHUFRPPH nous le voyons dans le cas de la commercialisation des langages synchrones, que les deux aspects sont bien présents dans toute innovation réussie. Je ne P¶y attarderai donFSDVVLFHQ¶HVWSRXUQRWHUTXHO¶HQWUHSUHQHXULDW DFDGpPLTXHHVWOHOLHXSDUH[FHOOHQFHGHO¶DFFHSWLRQ« technology-push » et O¶H[HPSOHGH5RFKHU Technologies

/¶LQGXVWULDOLVDWLRQ VH GpILQLW GRQF FRPPH O¶DGDSWDWLRQ G¶XQ artefact technologique à de nouveaux utilisateurs, dont le nombre est toujours plus grand et les compétences requises sont toujours moindres. En quoi consiste cette adaptation " <DQQ O¶H[SOLTXH SDU XQH métaphore automobile :

« Les gens achètent des voitures peintes, ils achètent pas des moteurs, bruts. Les chercheurs font des moteurs, pas mauvais ; autour ils foutent des carrosseries absolument ignobles et

Q¶RQWPrPHSDVLGpHTX¶LOIDXWOHVSHLQGUH « 6LM¶DYDLVHVVD\pGHYHQGUHOHVWHFKQR,15,$j

un utiliVDWHXUFKH]%RHLQJ « MHPH serais fait sortir de la pièce. Ils auraient dit : µF¶Hst un DFDGHPLFSURGXFWGpJDJH]¶ »

&HWWHDGDSWDWLRQVHQRXUULWGHEHDXFRXSG¶DUJHQW : « faire un moteur, ça coûte 1 ; faire la carrosserie, ça coûte 3 ; la peindre, ça coûte 10 ». Dans le cas de Rocher, « O¶DFFqVjOD WHFKQR>Q@¶DSUDWLTXHPHQWULHQFR€WpSDUFRQWUHOHQHWWR\DJHGHODWHFKQROHSDFNDJLQJHWF ça coûte très cher »/HVFR€WVVRQWG¶DXWDQWSOXVpOHYpVTX¶LOQHV¶DJLWSDVGXVLPSOHDMRXW G¶XQH FRXFKH PDLV de la transformation du produit dans son ensemble, y compris la technologie de base :

« >/H PDUNHWLQJ OH SDFNDJLQJ@ SDUIRLV D GHV LPSDFWV DVVH] SURIRQGV VXU OH F°XU «  O¶DUFKLWHFWXUH GX F°XU GHV SURGXLWV >GRLW@ FKDQJHU 3DUFH TXH VL RQ GRLW SRXYRLU Jpnérer

SOXVLHXUV DGDSWDWLRQV RX FXVWRPLVDWLRQV LO QH IDXW SDV RUJDQLVHU OHV GpYHORSSHPHQWV TX¶RQ DYDLWSHQVpVDXGpSDUWODPRGXODULWpQ¶HVWSDVODPrPHUH-modulariser un truc qui est pas

PRGXODLUHF¶HVWYDFKHPHQWFRPSOLTXp«ª

Voici donc ce que fait une spin-off comme Rocher Technologies : elle transfère, mais VXUWRXW HOOH DGDSWH DILQ GH UpGXLUH OHV H[LJHQFHV TXH OD WHFKQRORJLH SRVH VXU O¶XWLOLVDWHXU HW G¶pWHQGUH DLQVL OH VSHFWUH GH FHX[ TXL SRXUUDLHQW UHYrWLU FH U{OH DX-delà des « pseudo- industriels ». L¶pODUJLVVHPHQWGXUpVHDXVRXVFRQWUDLQWHGHQRQUHPLVHHQFDXVH± F¶HVW-à-dire, la consolidation du réseau ± V¶DSSXLH VXU XQ SURGXLW DX[ FDUDFWpULVWLTXHV SDUWLFXOLqUHV : un DUWHIDFW WHFKQLTXH TXL HVW FDSDEOH GH FLUFXODWLRQ PDLV G¶XQH FLUFXODWLRQ IOXLGH Vans heurts majeurs. Le passage j O¶H[SORLWDWLRQ pose ainsi une exigence forte sur la technologie qui se trouve transférée : elle doit désormais devenir un outil industriel, un produit. La section 2.2 examine la manière dont Rocher Technologies parvient à gérer le fin réglage entre exploration

et exploitation84 HQpWHQGDQWOHUpVHDXGHODWHFKQRORJLHLQQRYDQWHTX¶HOOHFRPPHUFLDOLVHVDQV pour autant remettre en cause la stabilité des entités qui circulent au sein de lui.

2.2. Du produit au réseauRXO¶H[WHQsion de réseaux consolidés

Si les spin-offs académiques sont des élargisseurs de réseaux, quels sont ces réseaux TX¶HOOHV FRQWULEXHQW j FRQVROLGHU et comment leurs produits stabilisent-t-ils les liens qui les font tenir ? Cette question pose un problème de GHVFULSWLRQ TXH MH Q¶DYDLV SDV UHQFRQWUp MXVTX¶LFL DORUV TXH MH WHQWDLV GH WUDFHU GHV FROOHFWLIV H[SORUDWRLUHV j WUDYHUV OH VXLYL GHV entrepreneurs et de leurs business plans (chapitre 1) ou de leurs technologies (section 2.1). Lorsque je me penche sur le cas de Rocher Technologies, je trouve une entreprise qui emploie 130 personnes85 FRPSWH SOXV G¶XQH FHQWDLQH GH FOLHQWV HW D XQH PXOWLWXGH GH SDUWHQDLUHV technologiques et commerciaux. Comment décrire un tel réseau ?

/RUVTX¶LO V¶DGUHVVH DX[ SDUWHQDLUHV SUpVHQWV ORUV G¶XQH « conférence utilisateurs » à ODTXHOOHM¶DLHXO¶RFFDVLRQGHSDUWLFLSHU<DQQGpFULWOH« large écosystème de partenaires » de Rocher Technologies en utilisant la liste suivante :

84 Le chapitre 4 reviendra sur ces tensions entre exploration et exploitation et sur leur réconciliation au sein de ce

que nous appellerons des partenariats ambidextres.

85 ,OIDXWQRWHUTX¶LOV¶DJLWG¶XQHVSLQ-off aux résultats assez exceptionnels : dans la base de données de spin-offs

x « outils de conception de système et de traçabilité ([noms de sociétés partenaires]);

x tests et instrumentation ([noms de sociétés partenaires]) ;

x vérification formelle et analyse de code ([noms de sociétés partenaires]) ;

x V\VWqPHVG¶H[SORLWDWLRQWHPSVUpHO ([noms de sociétés partenaires]) ;

x compilateurs C ([noms de sociétés partenaires]) ;

x compilateurs Ada et outils de vérification ([noms de sociétés partenaires]) ;

x librairies graphiques et processeurs graphiques ([noms de sociétés partenaires]) ;

x réseaux ([noms de sociétés partenaires]). »

En dépit de l¶RSDFLWpTXHFUpHQW FHVWHUPHVWHFKQLTXHV GXPRLQVSRXUO¶REVHUYDWHXU H[WpULHXUDXVHFWHXUGHVORJLFLHOVHWpOHFWURQLTXHHPEDUTXpV FHWWHOLVWHDO¶DYDQWDJHGHQHSDV se limiter au réseau « social » de Rocher Technologies. Une approche qui tenterait de s¶LQVSLUHUGHFHW\SHGHGHVFULSWLRQVHUDLWRULJLQDOHGDQVODPHVXUHRODYDVWHPDMRULWpGHOD littérature sur les réseaux inter-organisationnels ne prend en compte que les liens entre entités G¶XQPrPHW\SHVRLHQW-elles des personnes ou des entreprises (Burt 1992; Granovetter 1973; Powell, Koput et Smith-Doerr 1996). Elle ne serait pas pour autant orpheline. Elle peut V¶DSSX\HUVXUXQHGpILQLWLRQGXUpVHDXFRPPH« techno-économique ªF¶HVW-à-dire comme :

« XQ HQVHPEOH FRRUGRQQp G¶acteurs hétérogènes qui interagissent, avec plus ou moins de succès, pour développer, produire et diffuser des méthodes pour la génération de produits et services » (Callon 1991, p. 133).

Un réseau techno-pFRQRPLTXHQ¶HVWUpGXFWLEOHQLDX[UpVHDX[WHFKQLTXHV SDUH[HPSOH GH WpOpFRPPXQLFDWLRQV  DX[TXHOV V¶LQWpUHVVHQW OHV pFRQRPLVWHV QL DX[ UpVHDX[ VRFLDX[ FRPPHOHSRUWHIHXLOOHG¶DOOLDQFHVG¶XQHILUPH GRQWO¶pWXGHSUROLIqUHDXMRXUG¶Kui en sciences GH JHVWLRQ ,O FRPSRVpV G¶DFWHXUV RUJDQLVPHV GH UHFKHUFKH SXEOLTXHV VSLQ-offs et autres start-XSV HQWUHSULVHV pWDEOLHV«  HW G¶LQWHUPpGLDLUHV WH[WHV DUWHIDFWV WHFKQLTXHV SHUVRQQHV DUJHQW«  KpWpURJqQHV &¶HVW HQ P¶DSSX\DQW VXU FHWWH GpILQLWLRQ HW HQ P¶LQVSLUDQW GH OD GHVFULSWLRQTXH5RFKHU7HFKQRORJLHVUpDOLVHG¶HOOH-même que je tenterai de dessiner le réseau actuel de cette spin-off. Une entrée possible dans ce réseau passe par la description du produit de cette entreprise - GHO¶DUWHIDct pour la fabrication duquel elle mobilise toute son énergie et ses ressources - car :

« [cet] objet technique est la mise en forme et la mesure d'un ensemble de relations entre des éléments tout à fait hétérogènes » (Akrich 1987, p. 50) ;

« [il] définit par sa forme même des acteurs et des relations entre ces acteurs, attribue certaines compétences à ces acteurs, suppose un certain environnement pour µfonctionner¶ » (Akrich 1995, p. 129).

Décrire ce produit m¶DPqQH j GpFULUH O¶HQVHPEOH GHV UHODWLRQV que son utilisation suppose et construit. Je montre que ces relations sont, matériellement, inscrites en Surcod GDQVXQHIRUPHSDUWLFXOLqUH RUJDQLVDWLRQQHOOHHWWHFKQLTXH TX¶HOOHle module (section 2.2.1). Je mets ensuite la focale sur deux exemples G¶DOOLpVXQSDUWHQDLUHWHFKQRORJLTXHHWXQFOLHQW (section 2.2.2).