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2. CHAPITRE II : Lire, une activité de lecteur

2.2. Les caractéristiques de l’activité

2.2.4. Le rôle des connaissances antérieures dans la compréhension

Nous voudrions commencer notre réflexion sur les connaissances antérieures du lecteur par une expérience vécue dans une classe de secondaire, lors d’une séance de compréhension de l’écrit. Nous avons entamé la lecture d’un texte qui s’intitule « Les plans des villes dans le Tiers Monde ». Au cours de la séance, nous avons posé la question suivante : « Selon vous, pourquoi la ville indigène n’a-t-elle pas connu la même évolution que la ville européenne ? » La question posée était en relation avec le passage suivant : « lors de la pénétration des pays développés, les

villes du Tiers Monde opposent la partie indigène à la partie européenne, avec des plans totalement différents ; la ville indigène, en effet, n’a pas été rénovée puisque la ville moderne s’est installée dans la ville européenne, devenue le point de départ de la croissance ultérieure ». La réponse des élèves était : « parce que la ville

indigène a été colonisée par ces pays, et donc, le colonialisme, comme on le sait, a eu des répercussions négatives sur les autochtones. » Cette réponse n’est pas tirée directement du texte, mais provient des inférences faites par ses élèves à partir des expressions comme « la pénétration des pays développés », « la ville indigène, n’a

pas été rénovée » et « la ville moderne », « ville européenne… point de départ de croissance » et qui leur ont permis de déduire qu’il y a eu un colonialisme qui n’a

pas permis à la ville des autochtones d’évoluer.

Pour élaborer ces inférences, les élèves ont dû faire appel à leurs connaissances qui sont d’ordre culturel sur l’histoire universelle qui est le témoin d’une colonisation massive des pays du Tiers Monde par les pays développés et de tous les états de fait qui résultent de cette action.

À partir de cette expérience, nous constatons que les connaissances, quelle que soit leur nature, interviennent dans le processus de compréhension. Cela nous

conduit à dire que le lecteur, au moment où il aborde l’écrit, a derrière lui des connaissances issues de son apprentissage, de son expérience, de sa culture ou de son vécu. Son esprit n’est pas vide, mais chargé de différents savoirs dont la nature et la qualité sont propres à chacun. Donc, il est intéressant de s’interroger sur ces connaissances afin de déterminer leur origine, connaître leur organisation, la manière dont elles entrent en jeu dans le processus de compréhension ainsi que leur influence sur la compréhension des textes.

C’est grâce aux travaux menés en psychologie cognitive que nous possédons aujourd’hui une description détaillée de ces connaissances. Il s’agit d’« un ensemble

d’informations culturelles, pragmatiques, linguistiques, activées sous l’effet des indices du texte. » (Gaonac’h, 1987, p160).

Ces informations, organisées dans la mémoire du lecteur, ont été décrites par les psychologues cognitivistes sous le nom de « schème » ou de « schéma ». Cette notion a été initiée par Bartlett en 1932 puis reprise à partir des années soixante-dix par plusieurs chercheurs tels que Rumelhart, Schallert, Schank et Abelso, etc. Elle désigne « “des blocs de connaissances qui recèlent la connaissance disponible

concernant un domaine et les règles de son utilisation. » (Fayol, 1992, p.81). Donc,

il s’agit d’une structure de données propres à un domaine en particulier et contenant « des concepts génériques » (Giasson, 1990a, p.13) ainsi que leurs relations. Il existe des schémas de récits, de situations habituelles, d’évènements, d’actions, d’objets, etc. L’exemple suivant permet de mieux saisir cette notion. Prenons l’énoncé suivant : « le sapeur — pompier enlève son pull et se jette dans l’eau ». Pour comprendre cet énoncé, il faut le relier à des connaissances antérieures. Plusieurs schémas vont surgir à ce moment-là, c’est-à-dire plusieurs interprétations : - Le sapeur — pompier a vu un nageur en train de se noyer ; il est allé à son

secours ;

- Il a vu ses collègues arrivés dans un Zodiac ; il s’est jeté à l’eau pour les aider à le remorquer.

- Etc.

Un certain nombre d’idées, qui ne sont pas mentionnées dans l’énoncé, viennent aussi à l’esprit. Nous pouvons peut imaginer le décor : sur une plage, beaucoup de monde sur la plage, le temps est ensoleillé, mais la mer est déchainée, etc.

À partir de cet exemple, nous constatons que la mobilisation d’un ensemble de connaissances est fondamentale dans la construction du sens. Le lecteur le construit à partir du texte en établissant une connexion entre les informations qu’il possède déjà, et celles qu’il trouve dans le texte. Cette interaction entre ces deux sources d’informations permet aussi d’élaborer des inférences (cf. plus haut, page, 48) nécessaires pour une construction cohérente de la situation évoquée par le texte.

Donc, les nouveaux savoirs ne sont construits que sur la base de savoirs déjà existants et nous rejoignons par là les postulats avancés par les approches constructivistes qui affirment que « ce qu'un individu va apprendre dépend de ce

qu'il sait déjà. » (Amigues, 2000, p.3). C'est pourquoi il est impératif que le lecteur ait une connaissance du domaine évoqué par le texte, ce qui permettra de rendre sa lecture plus rapide et sa compréhension plus facile. En revanche, si le domaine représenté par le texte lui est étranger, sa lecture sera plus lente et sa compréhension deviendra plus difficile.

Les connaissances antérieures du lecteur qui interviennent lors du processus de compréhension relèvent de plusieurs ordres :

 linguistiques : relatifs à la connaissance de la langue. Il existe quatre

catégories de connaissances sur la langue que l’enfant développe de manière naturelle dans son milieu familial. Il s’agit des connaissances « phonologiques », qui renvoient aux phonèmes propres de sa langue ; « syntaxique », en relation avec l’ordre des mots ; les connaissances « sémantiques » relatives au sens des mots et des relations qu’ils entretiennent entre eux ; et « pragmatiques » en relation avec l’utilisation effective de la langue selon les situations. Toutes ces

connaissances permettront au lecteur de faire des hypothèses sur le sens du texte (Giasson, 1990a, p.10-11) ;

 discursifs : relatifs à l'organisation des textes, des discours et des genres

conventionnels (un fait divers, une notice, un reportage journalistique, un récit historique, etc.) ; (Gouraud, 2007)

 référentiels : tout ce qui est en relation avec les réalités du monde dans

lequel nous vivons : les objets du monde, les personnes, les lieux, les évènements, etc. ; (Ibid.)

 culturels : ces connaissances sont très larges et englobent des

connaissances sur les groupes sociaux en tant que communautés ayant leurs propres croyances, religions, coutumes, traditions, appartenances politiques, et des comportements sociaux. Elles sont également en relation avec les valeurs et les normes qui régissent des groupes sociaux ou des individus, des opinions, des idéologies, des attitudes, des objets de références, etc. Elles concernent aussi des connaissances sur les structures sociales, leurs institutions, leurs rôles, leurs fonctions et leurs participants ; (Ibid.)

 pragmatiques : relatifs aux différentes intentions des scripteurs, de leur

projet de lecture et les différents actes de paroles par lesquels ils cherchent à agir sur les lecteurs. (Ibid.)

Toutes ces connaissances que le lecteur a développées grâce son milieu (familial et social) et à l’apprentissage formel, vont lui permettre de déclencher le modèle mental auquel il va se référer pour traiter toute nouvelle information délivrée par le texte. Ce modèle mental est éminemment dépendant de sa culture d’origine. Si le texte lu fait référence à cette culture ou s'il en est directement issu, le modèle mental n'en sera que plus riche et facile à élaborer pour le lecteur.

Les expériences menées à ce sujet (Steffensen .1979, Reynolds 1982, Cité par Maître de Pembroke, Legros, Rysman, 2001, p.3) montrent que les sujets lisent plus vite et plus facilement les textes portant sur leur propre culture, font plus d’inférences correctes et leur compréhension est plus fine.