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Le prototype, la typicalité et l‘auto-catégorisation

PARTIE I : LES FONDEMENTS DE LA RECHERCHE

CHAPITRE 1:LES FONDEMENTS THEORIQUES : REVUE SUR LA FIDELITE ET CADRE

I. Section 2 : l‘approche individuelle et le prototype

I.4. Le prototype, la typicalité et l‘auto-catégorisation

Un aspect fondamental du prototype est le fait qu‘il maximise les similarités à l‘intérieur de la catégorie et les différences avec les autres catégories (Hogg et Terry, 2000). Dans l‘approche prototypique, des objets particuliers peuvent être considérés comme des membres d‘une catégorie du fait d‘une ressemblance suffisante au prototype. Cette notion de

« ressemblance » des membres d‘une catégorie a été introduite par Wiggenstein (1953) au sujet de la catégorie « jeux ». Il posait la question des concepts et des attributs qui permettent de les décrire. En prenant l‘exemple du mot « jeu » et en le déclinant autour des « jeux de société », « jeux olympiques », « jeu de cartes », « jeu de balles »….il souligne que tous ces jeux ont des attributs en commun mais aucun attribut n‘est commun à tous (il n‘y a donc pas de condition nécessaire et suffisante). Il appelle cela un « air de famille».

La façon dont les individus appréhendent leur ressemblance et leur appartenance à une catégorie (« Je suis membre de la catégorie») pourrait être approchée à la lumière des travaux sur la théorie de l‘auto-catégorisation (TAC) ou « Self-categorization Theory ».

Selon cette théorie, les individus se catégorisent à travers un processus où les représentations cognitives du soi sont comparées au prototype d‘une catégorie (Chattopadahyay et al., 2004). La TAC reprend ainsi l‘approche prototypique permettant de définir les attributs associés naturellement à une catégorie (le prototype), pour appréhender la façon dont les individus peuvent se catégoriser eux-mêmes comme faisant ou non partie d‘une catégorie. La catégorisation par essence implique de comparer une cible et une connaissance catégorielle (Cohen et Basu, 1987). Pour la TAC, la conception de soi est la cible, qui sert de point de référence avec lequel les attributs du prototype peuvent être comparés. Il n‘y a pas une distance préétablie mais davantage une impression de proximité suffisante sur un certain nombre d‘attributs pour établir une similarité (Cohen et Basu, 1987). En fonction de cette perception de similarité entre soi-même (vision que l‘on a de soi) et le prototype, l‘individu va se considérer comme faisant partie de la catégorie.

Le résultat de cette évaluation passe par la prise de conscience de sa propre typicalité.

En effet, la similarité au prototype correspond à une distance entre soi et le prototype (le fait de posséder ou non tout ou partie des attributs du prototype). Comme le rappelle Bruhn et al.,

(2009) la subjectivité et la sélectivité individuelles des processus perceptuels résultent en des différences dans les perceptions des clients. Kashima et al., (2000), ont montré spécifiquement que pour une même distance objective entre un individu et un prototype, deux personnes peuvent avoir une évaluation subjective de leur position et aboutir à une perception

différente de leur typicalité. Ainsi, l‘évaluation subjective de la similarité ne correspond pas

forcément exactement à la distance effective (Hogg et Hain, 1996). Il y a donc l‘introduction d‘une certaine relativité dans le jugement de son degré d‘appartenance à une catégorie.

De cette typicalité perçue découle une auto-catégorisation, définie par Chattopadahyay (2004) comme : un processus par lequel les individus comparent la perception qu’ils ont de leur propres caractéristiques avec les attributs du prototype de la catégorie afin d’évaluer leur typicalité et ainsi se catégoriser ou non comme faisant partie de la catégorie.

Pour développer une vision de soi, deux éléments sont nécessaires selon Robak et al. (2005) : observer son comportement et observer ses réactions face à ses émotions/ sentiments.

Une des approches les plus connues concernant la prise de conscience de soi est celle de Fenigstein et al. (1975) qui la mesure à l‘aide d‘un questionnaire comprenant trois dimensions principales: 1/ Une conscience de soi privée (tournée vers soi) considérée comme une tendance à observer ses propres idées, sentiments et motivations; 2/ Une conscience de soi publique qui fait référence au fait de se percevoir comme un objet social ; 3/ Une anxiété sociale correspondant à un niveau d‘inconfort ressentie en présence d‘autre personne.

Plusieurs recherches ont utilisé des questionnaires concernant le concept de soi en partant du principe que les individus étaient à l‘aise avec la description d‘eux-mêmes (Markus, 1977). Par exemple, dans l‘étude de Niedenthal, Cantor, et Kihlstrom (1985), il est demandé au

participant de « se noter lui-même » sur un ensemble d‘adjectifs sur une échelle de 1 (pas du tout vrai) à 8 (Tout à fait vrai). Ces auteurs soulignent l‘importance de la perception de soi- même et la connaissance de ses propres caractéristiques, habitudes et croyances. Ils étudient notamment la proximité entre le concept de soi et un prototype consensuel de « l‘étudiant » et démontrent que cette similarité perçue est un prédicteur fiable des choix et préférences individuelles. Ils montrent que plus un adolescent a une perception de lui-même comme étant l‘étudiant fumeur typique, plus il a l‘intention de fumer à l‘avenir. Ils prouvent aussi que plus une personne juge qu‘elle ressemble au prototype de l‘étudiant très social qui invite beaucoup d‘amis et a un colocataire, plus elle va avoir tendance à choisir un grand et bel appartement ; au contraire, plus elle considère qu‘elle ressemble à l‘étudiant sérieux et solitaire, plus elle va avoir tendance à choisir un appartement proche du campus et à un prix raisonnable.

L‘auto-catégorisation permet ainsi aux personnes d‘organiser leur environnement social et de se situer eux-mêmes par rapport aux autres (Turner, 1985). L‘analyse de la similarité se concentre davantage sur les attributs communs que sur les attributs différenciant (Tversky, 1977). L‘image de soi émerge en fonction d‘une interaction entre les caractéristiques de l‘individu et celles de la situation dans laquelle il se trouve. En particulier, Turner (1985) suggère que les auto-catégorisations tendent à se former et à devenir saillantes à travers des comparaisons de stimuli définis comme étant les attributs des membres de la catégorie.

Pour que ce processus d‘assimilation au prototype puisse s‘établir, les auteurs indiquent la nécessité que la représentation du prototype soit de valence positive (opinion positive du prototype de la catégorie) et apparaisse de façon claire (facile à décrire, certitude que sa propre description est juste, estimation qu‘un large pourcentage de répondants seraient d‘accord avec sa description) avant de pouvoir s‘identifier à la catégorie. Par ailleurs, tous les individus n‘ont pas la même propension à entrer dans un processus de comparaison au

prototype : il faut également qu‘ils aient une vision claire d‘eux-mêmes pour s‘y engager (Niedenthal, Cantor, et Kihlstrom, 1985).

En conclusion, les apports des recherches sur l‘auto-catégorisation pourraient nous permettre de mieux comprendre comment se forme, au niveau individuel, la Catégorisation de Soi comme Fidèle (CSF) ou perception de soi comme étant un client fidèle d‘une marque. La CSF pourrait découler d‘une évaluation subjective de sa similarité (la typicalité perçue) au prototype du client fidèle (représentation partagée des caractéristiques de la catégorie des clients fidèles) d‘une marque. Par ailleurs, comme le souligne Rosh (1973) dans ses travaux sur les catégories, l‘appartenance à la catégorie se fait sur un continuum : elle peut être élevée ou basse. Ainsi, la CSF ne sera pas considérée comme uniquement binaire mais pourra être plus ou moins forte selon les individus.

Enfin, la reconnaissance de soi comme client fidèle pourra avoir des conséquences sur les jugements et intentions, comme le rappellent les recherches sur la catégorisation (Batra et al. 2012). Nous étudierons donc les conséquences de la CSF sur les attentes et intentions envers la marque.

I.5. La perception de soi comme client fidèle et la légitimité des