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PARTIE I : LES FONDEMENTS DE LA RECHERCHE

CHAPITRE 1:LES FONDEMENTS THEORIQUES : REVUE SUR LA FIDELITE ET CADRE

I. Section 2 : l‘approche individuelle et le prototype

I.3. La catégorisation et le modèle prototypique

I.3.2. L‘application du modèle

L‘analyse prototypique a été largement utilisée en psychologie pour étudier la perception individuelle de concepts complexes que nous détaillons:

- Etude des traits de personnalité

Cantor et Mischel (1979) appliquent l‘approche prototypique pour analyser les traits de personnalité comme l‘extraversion en montrant que ce trait peut être formulé en se référant à la représentation que l‘on a en général de «l‘Extraverti» ; ils soulignent que la catégorisation permet de donner de la cohérence au stock de connaissances que l‘on a sur une personne extravertie. Ils affirment qu‘«appliquer la catégorisation au sujet des autres personnes nous

permet souvent de ressentir une compréhension presque instantanée de quelqu‟un que nous connaissons à peine». Neisser (1979) mentionne qu‘il n‘y a pas une capacité unique ou un

processus mental spécifique pour identifier l‘intelligence. Il souligne également que le concept d‘intelligence est une catégorie organisée en termes de prototype. Une personne ressemble au prototype de «l‟Intelligent» à des degrés différents et selon des dimensions variées.

- Etude des émotions

Russell (1991) démontre, au travers d‘une série d‘études, la faisabilité de l‘approche prototypique pour appréhender le concept d‘«émotion». Il établit que différents attributs sont

classés comme étant plus ou moins associés à une émotion. Ce classement permet ensuite de prédire la facilité avec laquelle ces attributs viennent à l‘esprit des répondants et la vitesse à laquelle ils sont rattachés à une émotion. Ainsi, une source convergente de preuves montre que le concept d‘émotion a une structure interne (poids différents des attributs de la catégorie) et que cette structure est un bon prédicteur de la façon dont les informations concernant l‘émotion seront traitées. Fehr et Baldwin (1996) abordent le sujet de « la colère » sous un nouvel angle, en étudiant sa représentation cognitive : le contenu et la structure des connaissances que les individus ont de la colère.

- Etude des relations

C‘est sans doute sur les concepts liés à la relation que l‘approche prototypique a été la plus largement utilisée. Nous allons donc approfondir certaines de ces recherches qui nous paraissent particulièrement intéressantes par rapport à notre problématique de fidélité à la marque, où il est également question d‘un concept relationnel.

Au regard de l‘absence de consensus sur la définition du ―pardon‖, Kearns et Fincham (2004), étudient ce concept selon la perception que les individus ont de ce qui caractérise le pardon. Leur approche permet de souligner que les personnes voient la « volonté d‘être bienveillant » à l‘égard de l‘offenseur et une « posture respectueuse » de l‘autre comme étant les caractéristiques naturellement associées, dans l‘esprit du plus grand nombre, à la notion de pardon.

Davis et Todd (1985) utilisent explicitement l‘approche prototypique pour analyser les relations amicales et amoureuses et montrent que le prototype permet aux individus de répondre à la question « Est-ce que j‟aime cette personne ? ».

Dans une série d‘expériences, Fehr (1988) montre que le concept d‘amour est plus propice à une définition prototypique qu‘à une définition classique. Elle demande à des étudiants d‘université de lister les attributs et caractéristiques associés selon eux à leur conception de l‘amour. Les attributs comme l‘honnêteté, la confiance, l‘attention envers l‘autre sont cités fréquemment. Des attributs comme la dépendance, la passion sexuelle et l‘attraction physique sont en revanche cités relativement peu souvent. En tout, 68 attributs sont listés par au moins deux répondants, suggérant que les individus ont une connaissance riche et complexe de la notion d‘amour. Un autre groupe de participants notent ensuite ces attributs en termes de prototypicalité. Cette nouvelle étude révèle que des attributs comme la confiance, le soin et l‘intimité sont considérés comme très prototypique alors que la passion sexuelle et le cœur qui bat sont considérés comme périphériques. Dit autrement, les gens considèrent les traits décrivant un « amour de compagnonnage » (« companionate ») comme étant l‘essence de l‘amour alors que les traits se référant à un « amour passionné » sont perçus comme peu prototypiques. Cette structure prototypique est ensuite confirmée au travers de différentes méthodologies. Une étude permet de vérifier que les attributs très prototypiques sont plus présents en mémoire que les traits non-prototypiques (Fehr, 1998, étude 3). Une autre recherche démontre que les attributs prototypiques sont considérés comme étant plus applicables aux relations où l‘amour est très fort et stable (Fehr, 1998, étude 5). Par ailleurs, un score par dimension (« amour compagnonnage », « amour passion »…), représentant la moyenne des items de la dimension, sont créés. Ces scores sont ensuite utilisés pour analyser les différences entre hommes et femmes sur la conception de l‘amour (Fehr et Broughton, 2004).

Une fois la structure prototypique du concept d‘amour démontrée, d‘autres recherches se sont penchées sur l‘identification de « types » d‘amour (Fehr et Russel, 1991) et sur le fait de repérer les types qui sont le plus au cœur de la représentation. De la même façon que pour

Rosh (1973), certains types de fruits sont plus prototypiques que d‘autres, cette étude démontre que certains types d‘amour - comme l‘amour familial - sont considérés comme étant plus prototypiques que l‘amour romantique ou l‘amour passionné. Cette prototypicalité est confirmée par une étude sur le temps de réaction : l‘amour familial est associé plus à de l‘amour le fait que l‘amour passion. L‘amour familial est également plus fortement associé à un amour fort et établi que ne l‘est l‘amour passion.

Les développements les plus récents des études sur le prototype de l‘amour se sont intéressés à la construction d‘une mesure d‘une « distance au prototype » de l‘amour. Plusieurs méthodes ont été utilisées :

- les participants évaluent dans quelle mesure leur amour correspond aux descriptions du prototype par le chercheur (Broughton, 1984) ;

- les participants évaluent dans quelle mesure les attributs prototypiques sont présents dans leurs relations amoureuses (Hassebrauck, 1997). La distance au prototype pour chaque répondant est ensuite calculée de la façon suivante : le score du répondant sur chaque item est soustrait au score maximum puis la différence est mise au carré et enfin toutes les différences sont additionnées.

On observe que de nombreuses recherches abordant des concepts relationnels se sont appuyées sur la théorie du prototype pour approfondir. La primauté donnée à cette méthode peut s‘expliquer par trois apports intéressants : identifier la définition implicite que les individus utilisent pour juger d‘une relation ; différencier les attributs qui sont les plus caractéristiques d‘un concept pour les individus ; faire apparaître des dimensions qui ne font pas partie de la définition classique d‘un concept mais qui sont présents dans la perception que les individus ont du concept.

- Etude de l’amour de la marque

Plus récemment, l‘approche prototypique a été utilisée dans le domaine du marketing pour étudier le concept d‘amour de la marque (Batra, Ahuvia et Bagozzi, 2012). Par cette approche prototypique du concept, les auteurs soulignent qu‘ils apportent une vision plus riche et plus large du type de relation envisagé par les consommateurs que les approches alternatives utilisées précédemment pour étudier l‘amour de la marque. Il s‘agit de découvrir la définition implicite de l‘amour que les consommateurs utilisent quand ils disent qu‘ils aiment une marque. Une première série d‘entretiens permet aux répondants de décrire des objets aimés/ non aimés. Une deuxième étude propose de se focaliser sur l‘amour de la marque au travers de 18 entretiens avec des étudiants. Les participants choisissent librement une marque pour parler de leur amour de cette marque; ils évoquent également l‘amour interpersonnel pour le comparer avec l‘amour de la marque.

Au travers de ces deux études, les auteurs identifient dans un premier temps 10 dimensions de l‘amour de la marque: 1/ Qualités (évocations des nombreuses qualités de la marque); 2/ Valeurs et sens (connexion à quelque chose de profond tel que la réalisation de soi); 3/ Bénéfices intrinsèques (procuration d‟états psychologiques positifs comme le bonheur), 4/ Identification (expression de son identité réelle ou idéale à travers la marque), 5/ Sentiments positifs (procuration d‟émotions positives), 6/ Passion (sentiment d‟une entente naturelle,

désir profond de la marque), 7/ Lien émotionnel (impression d‟être lié à la marque, volonté

de maintenir une proximité et peur d‟être séparé), 8/ Volonté de s’impliquer (investissement en temps, énergie et argent pour la marque qui souligne l‟importance de la marque) ,9/

Utilisation et pensées fréquentes (proéminence de la marque avec laquelle il y a des relations

régulières), 10/ Durée d’utilisation (le fait d‟avoir une longue histoire avec la marque)

Cette partie qualitative est suivie d‘une mesure quantitative des dimensions de l‘amour de la marque conduisant à une réduction et organisation du concept en 7 facteurs distincts = 1/ des

comportements guidés par la passion reflétant un désir d‘utiliser la marque, d‘investir des ressources, 2/ une intégration de soi et de la marque incluant le fait d‘exprimer son identité, de procurer du sens et des bénéfices intrinsèques et de penser fréquemment à la marque, 3/ un attachement incluant des émotions positives et une intuition de quelque chose de bien, 4/ une anticipation de l‘angoisse d’une séparation, 5/ une relation long-terme qui inclut une prévision d‘utilisation future, 6/ une attitude positive et 7/ une attitude fondée sur de la certitude et de la confiance.

On pourrait s‘interroger sur l‘apport de l‘approche prototypique en comparaison de la vision classique.

Plusieurs recherches soulignent qu‘il est utile de comprendre la façon dont les individus perçoivent les concepts car les personnes se réfèrent à leur propre conception pour juger des situations. Ainsi, par exemple, Kelley (1983) montre que les personnes s‘appuient sur leur vision de l‘amour pour évaluer s‘ils aiment vraiment leur partenaire et si l‘amour qu‘ils vivent est un amour sur lequel ils peuvent établir une relation de long terme. Moszkiewicz (2002) démontre également que les répondants qui affirment avoir les attributs prototypiques dans leur relation amoureuse la considèrent comme plus satisfaisante que les autres répondants. Par ailleurs, Fehr et Broughon (2004) étudient la relation entre la conception de l‘amour et les évaluations sur sa relation. Les couples qui conçoivent l‘amour en termes d‘items prototypiques indiquent aimer leur partenaire davantage que ceux qui conceptualisent l‘amour de façon non prototypique. Ces résultats posent une question intéressante sur la possibilité d‘inciter les individus à penser l‘amour en termes prototypiques qui pourrait améliorer leur satisfaction dans la relation amoureuse.

Il ne s‘agit pas de dire que la vision prototypique est bien préférable à la vision classique mais de montrer en quoi elle est complémentaire et plus adaptée pour étudier certains concepts. Pour Fehr (2006), s‘il s‘agit de concepts pour lesquels on apprend les critères de façon précise, par exemple « un cercle bleu », alors cela n‘a pas de sens de se demander si certains cercles bleus sont des meilleurs exemples que d‘autres et de s‘interroger sur les attributs communs au plus grand nombre pour identifier un « cercle bleu ». En revanche, pour des concepts dont les critères ne sont pas acquis de façon univoque, comme le concept d‘amour que nous avons présenté, l‘approche prototypique est plus adaptée.

Dès lors, l‘approche prototypique appliquée à la fidélité paraît pertinente par rapport à l‘approche classique car les critères pour définir un « client fidèle » ne sont pas acquis de façon univoque. Cette approche nous permet de :

- percevoir la façon dont les individus comprennent la fidélité aux marques,

- connaître les attributs les plus prototypiques attachés à la représentation du client fidèle, - enrichir éventuellement le contenu du concept si de nouvelles dimensions apparaissent

(par rapport aux définitions existantes) ;

- développer le modèle de la CSF : Catégorisation de Soi comme Fidèle.