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Chapitre 1 Contexte théorique

1.4 Le processus créatif

du choix méthodologique de la présente étude qui sera plus amplement étayé dans le chapitre deux sur la méthode de recherche.

Si les thérapeutes se questionnent quant à la meilleure façon de développer et de mettre en pratique leur propre créativité, notamment pour résoudre les problèmes reliés aux impasses relationnelles en contexte thérapeutique, rares sont les écrits scientifiques offrant des pistes concrètes sur comment y parvenir (Hecker & Kottler, 2002). À notre connaissance, seuls trois auteurs traitent du processus créatif du thérapeute spécifiquement dans le but de l’outiller à résoudre les problèmes thérapeutiques et pour développer sa créativité au profit de la thérapie, sans toutefois s’appuyer sur des travaux empiriques (Carson & Becker, 2003; Hecker & Kottler, 2002; Leitner & Faidley, 1999).

À cet effet, Hecker et Kottler (2002) ont invité un nombre de chercheurs à publier au sein d’un numéro complet dans le Journal of Clinical Activities, Assignments & Handouts in Psychotherapy Practice sur la créativité en psychothérapie pour pallier les lacunes au niveau de la formation à la créativité chez les thérapeutes. Ils s’appuient sur leur pratique professionnelle et sur certains écrits scientifiques pour suggérer que les thérapeutes sont peu formés à développer leur propre créativité dans leur pratique, alors que plusieurs impasses psychothérapeutiques résulteraient pourtant davantage d’une rigidité et d’un manque d’inventivité de la part du thérapeute plutôt que de la résistance du client (Hecker & Kottler, 2002). En guise d’encouragement, ces auteurs soulignent que la créativité est une compétence qui se développe et qui peut être acquise avec le temps. Ils suggèrent également que la créativité alimente la créativité et s’appuient sur cette idée pour orienter les choix d’articles que paraissent dans le numéro du journal. Ces articles

explorent entre autres l’improvisation théâtrale (Gale, 2002), la méditation créative (Schofield, 2002), l’utilisation du Tai Chi en thérapie (Chen, 2002), l’art et le jeu (Hamernik, 2002) et l’utilisation de masques artistiques (Trepal-Wollenzier & Wester, 2002). Ces expressions créatives témoignent de techniques qui peuvent être créatives et sont détaillées dans le but d’inspirer les lecteurs. Elles ne permettent toutefois aucunement de comprendre réellement le processus de développement de la créativité, de surcroît la créativité relationnelle, ce qui laisse place à des recherches s’appuyant sur des données empiriques pour explorer comment le thérapeute peut s’y prendre pour nourrir celle-ci ainsi que la mettre en pratique.

Leitner et Faidley (1999), pour leur part, vont jusqu’à suggérer l’obligation morale qu’ont les thérapeutes d’accroitre leur créativité pour le bien de leurs clients. Leur article théorique, s’appuyant sur leur expérience clinique et sur une recension des recherches s’inscrivant dans la tradition de la thérapie constructiviste et expérientielle (Kelly, 1955), argumente que le monde interpersonnel de tout individu est le produit de créations d’une variété de sens. Ils proposent que chaque rencontre thérapeutique devient un espace de co- construction de sens et doit faire appel aux notions créatives du thérapeute pour favoriser la guérison du client à travers la relation thérapeutique. Ces auteurs mentionnent que, puisque le changement thérapeutique trouve sa source au sein de la relation unique et subjective entre le thérapeute et son client, il est d’une importance capitale pour le thérapeute de développer sa créativité dans sa vie personnelle, sans quoi les changements profonds en psychothérapie ne peuvent s’opérer (Leitner & Faidley, 1999). Ils suggèrent quelques moyens pour y parvenir, tels que cultiver la solitude, avoir des contacts

diversifiés avec son entourage, fantasmer, être passionné par son travail, essayer une variété de rôles, s’exposer à la littérature et aux arts, vivre une vie équilibrée, réduire la pression du temps, émettre des jugements aux moments opportuns, se centrer sur le processus thérapeutique et encourager le développement du client. Toutefois, encore ici, aucun appui empirique n’a été employé pour formuler ces stratégies et des recherches futures pour soutenir et enrichir leurs visions sont nécessaires.

Enfin, Carson et Becker (2003) ont publié un livre à l’intention des thérapeutes dans lequel ils proposent que la créativité se développe à travers un processus de découverte de soi. Leur livre vise à soutenir les lecteurs dans le développement de leur créativité à travers un travail personnel afin que ceux-ci puissent agir comme modèles et résonner aux yeux des clients à différents niveaux de conscience et d’expérience. En effet, l’étude nationale rapportée précédemment et sur laquelle ils s’appuient grandement, suggère également qu’une résistance au développement de la créativité renvoie aux limitations des thérapeutes eux-mêmes en tant que personnes : doutes personnels, peu de confiance en soi, manque de confiance en ses capacités créatives (Carson et al., 2003). En guise de pistes pour des recherches futures, ils suggèrent d’explorer comment les thérapeutes développent leur créativité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la sphère clinique afin de mieux comprendre les outils employés pour abattre les résistances face à la créativité et de comprendre comment le thérapeute développe sa propre créativité afin d’inspirer celle de ses clients (Carson et al., 2003). S’appuyant sur l’expérience professionnelle des auteurs ainsi que sur plusieurs recherches sur la créativité, le livre propose que cette démarche d’exploration personnelle passe à travers quelques exercices de réflexion ou de comportements tels que

des visualisations, des créations de métaphores, des discussions entre collègues, des changements de routine intentionnels, l’écriture journalistique (Carson & Becker, 2003). Ainsi, s’appuyant sur des recherches sur la créativité au sens large pour transposer les connaissances dans le domaine de la psychothérapie plus spécifiquement, ce livre, quoique fort innovateur, n’appuie pas ces idées sur des recherches empiriques spécifiques aux questions soulevées sur le développement de la créativité chez le thérapeute et laisse donc la place pour des recherches futures en ce sens.

En appui à l’importance accordée par les auteurs ci-haut mentionnés à l’expérience personnelle autant que professionnelle dans le développement de la créativité, Lecomte (2004) argumente combien il est particulièrement important pour les thérapeutes d’intégrer leurs expériences personnelles au sein de leur pratique professionnelle pour arriver à une meilleure efficacité. L’auteur suggère que la formation des thérapeutes devrait leur permettre davantage de faire appel à leurs ressources et à leurs capacités personnelles de façon optimale et unique lors de moments d’impasse afin qu’ils puissent mieux comprendre les liens et les tensions entre le savoir-être, le savoir-faire et le savoir (Lecomte et al., 2004). Il suggère que les thérapeutes fassent appel à un processus de conscience réflexive, défini comme le fait de faire appel à son propre fonctionnement psychique comme objet d’attention et de réflexion (Lamboy, Blanchet, & Lecomte, 2004), pour développer leur compétence professionnelle et rester fidèles à la complexité et à l'incertitude du processus d’apprentissage face aux impasses relationnelles (Lecomte et al., 2004).

Simonton (2004) offre quant à lui un apport intéressant concernant la manière d’appliquer fidèlement une démarche de résolution de problèmes qui soit réellement

créative en contexte de recherche scientifique. Selon lui, alors qu’un processus de résolution de problèmes peut être étudié de façon standardisée lorsqu’appliqué à des problèmes où une réponse précise est attendue, il semble que ce soit autrement lorsqu’il est question d’un processus dit créatif qui requiert nécessairement une innovation (Simonton, 2004). Plus précisément, selon l’auteur, la résolution de problèmes passerait généralement par deux étapes pour atteindre une réponse réussie : celle d’acquérir l’expertise nécessaire dans un domaine spécifique et celle d’explorer et appliquer un certain nombre de techniques de résolution de problèmes. Ce dernier processus s’avérant en réalité souvent standardisé pour aborder des problèmes routiniers, la résolution de ceux-ci serait rarement reconnue au final comme étant créative. Simonton argumente qu’un processus de résolution de problèmes réellement créatif passerait au contraire par un nombre de contingences aléatoires, par exemple lorsque les possibilités de résolution sont multiples, lorsque les contraintes sont vagues, lorsque les objectifs sont ambigus ou qu’une combinaison de ces possibilités existe. Il mentionne, en ce sens, que pour rester fidèles à la réelle complexité de la démarche de résolution de problèmes, les individus créatifs traversent nécessairement un processus heuristique. Par processus heuristique, on entend un cheminement visant à découvrir ou à inventer quelque chose de nouveau à travers des aller-retour constants entre le subjectif expérientiel et l’objectif conceptuel, donc sans s’appuyer sur un processus qui est guidé par un modèle formel, mais plutôt par essais successifs pour tendre vers une solution optimale (Moustakas, 1990). Selon Simonton (2004), une approche heuristique trouve donc particulièrement sa pertinence dans l’étude du processus créatif en psychologie puisqu’elle permet d’appuyer

scientifiquement une exploration empreinte d’associations libres, d’essais-erreurs, de pensées métaphoriques, d’intuitions, de pensées divergentes, d’exploration par le jeu et d’autres activités qui font partie inhérente du processus créatif de résolution de problèmes.

Ainsi, selon les écrits recensés, certains auteurs suggèrent que les thérapeutes désireux d’entamer un processus créatif peuvent s’appuyer sur quelques techniques suggérées comme étant déjà reconnues créatives en psychothérapie (telles que des approches artistiques). D’autres chercheurs proposent plutôt à ces derniers d’entreprendre un processus de développement de la créativité dans leur vie personnelle afin d’agir à titre de modèles aux yeux du client. Pour ce faire, plusieurs exemples intéressants semblent émerger tels que l’ouverture culturelle pour la littérature et les arts, l’écriture journalistique ou encore la pratique de la conscience réflexive. Par ailleurs, l’approche heuristique est exposée comme un moyen privilégié pour explorer aussi fidèlement que possible la complexité de la démarche créative de résolution de problèmes. Ce raisonnement permet d’appuyer le recours à l’approche heuristique pour étudier le processus créatif dans le cadre de cette étude, telle qu’elle sera présentée plus en détail ultérieurement.

En somme, la revue de la littérature sur la créativité en psychothérapie a permis d’explorer les écrits sous trois axes définis par la personne (caractéristiques personnelles associées à la créativité), le produit (manifestation de la créativité) et le processus (développement et mise en action de la créativité) créatifs. D’après cette recension,