• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 Méthode de recherche

2.1 Cadre méthodologique

2.1.4 L’application du heuristic self-search inquiry (HSSI)

Le processus « heuristic self-search inquiry » tel que proposé par Sela-Smith (2001) reprend les six phases élaborées par Moustakas (1990). Toutefois, en plus d’inclure uniquement le chercheur comme participant à la recherche, il introduit également la notion de résistance au sein du processus, décrivant l’hypothèse que le chercheur résistera, à un moment ou un autre lors de ce processus, à l’expérience subjective que provoque sa propre question de recherche. Selon l’auteure, la résistance qui peut survenir à tout moment durant les six étapes du processus, peut être comprise comme un rideau qui coupe la connexion du chercheur avec l’objet à l’étude et bloque tout progrès dans la compréhension de celui-ci. Elle émergerait lorsque le chercheur se bute à ses sentiments douloureux en lien avec la question de recherche. Or, lorsqu’elle est reconnue, elle favoriserait l’expansion de la conscience, de la connaissance et donc une transformation personnelle du chercheur. Elle créerait ainsi l’illumination qui permet au chercheur de faire une découverte capitale et de considérer une perspective qu’il n’avait préalablement pas envisagée de par sa résistance. Selon Sela-Smith (2001), la validité de la méthode heuristique prend source dans cette transformation personnelle que l’identification de la résistance induit chez le chercheur. En contrepartie, cette même résistance constituerait une limite lorsqu’elle est non reconnue et ignorée, puisqu’elle représente un paramètre inhérent au processus subjectif intérieur. En ce sens, Sela-Smith suggère que lorsque la recherche de Moustakas s’est orientée vers l’exploration du vécu d’autres individus, elle aurait dévié de son véritable objet d’étude puisqu’elle n’aurait pas permis de réellement conscientiser la résistance du chercheur associée à l’expérience profondément douloureuse de la solitude (Sela-Smith, 2001).

Une autre caractéristique démarquant la démarche HSSI de la démarche heuristique initiale est la nature circulaire (itérative) des étapes qui la composent. En effet, contrairement à Moustakas (1990), Sela-Smith (2001) reconnaît explicitement les multiples couches par lesquelles les connaissances tacites se forment et combien ceci peut se traduire par plusieurs mouvements d’allers-retours dans la démarche d’enquête. Elle argumente que ces mouvements ne peuvent être prédits, ni dans le temps, ni dans leur nature. Malgré la description séquentielle des étapes de la méthode HSSI, la réalité de la recherche heuristique démontre que le chercheur avance et recule, recommence et arrête à plusieurs moments de sa recherche. Ainsi, selon l’expérience de Sela-Smith (2001), la recherche sur soi se fait en boucle, à travers la rencontre de moments de résistance qui ne sont pas prévus, créant nécessairement des allers-retours jusqu’à ce que les six phases soient enfin complétées et que des réponses à la question de recherche soient découvertes. En somme, tant dans la méthode heuristique que dans la méthode HSSI, le processus de recherche débute par le sentiment d’une impasse ou d’une perturbation profonde que l’individu cherche à dépasser. Le problème prend donc sa source dans l’expérience subjective du chercheur et devient de plus en plus conscient par l’entremise des six étapes mentionnées précédemment de prise de contact et d’exploration du vécu expérientiel de ce dernier sur l’objet à l’étude. Ces deux méthodes proposent ainsi au chercheur un processus de recherche sur soi à travers lequel la compréhension de l’expérience subjective devient le centre de l’analyse (Sela-Smith, 2002). Il est donc essentiel que le thème investigué soit profondément enraciné dans la vie du chercheur afin qu’il suscite une soif de découverte (Moustakas, 1990). Par contre, Sela-Smith (2001) suggère que

c’est seulement à travers la méthode HSSI qu’une transformation personnelle peut réellement s’opérer puisque, par l’entremise d’une démarche itérative impliquant les six étapes décrites, le chercheur prend conscience des résistances inhérentes à son processus expérientiel et se permet de vivre les sentiments douloureux ou désagréables plutôt que de les éviter.

Dans la visée de proposer un modèle de développement de la créativité relationnelle du thérapeute, l’application de la méthode HSSI s’avère particulièrement appropriée. C’est en vivant le processus en tant que tel et en explorant les résistances qui y sont associées que la chercheure se propose d’exposer aussi fidèlement que possible l’expérience du processus de développement de la créativité relationnelle. Quoique l’expérience émergeante soit unique et non reproductible, les connaissances susceptibles d’en découler peuvent contribuer à faire progresser la compréhension du thème à l’étude. De plus, l’attitude d’ouverture et de confiance dans le fait de plonger dans une telle démarche vise à inspirer chez les thérapeutes une démarche similaire. Lorsqu’une histoire est racontée avec intégrité et en mettant en lumière l’essence du vécu d’un être humain, l’histoire en soi contient le pouvoir de transformer celui qui se montre curieux (Sela- Smith, 2002). L’intention est donc d’accompagner le lecteur dans un processus vivant, dynamique et expérientiel afin de traduire toute la richesse et la complexité d’une recherche portant sur la subjectivité et l’expérience humaine.

Considérant la méthode adoptée pour la présente étude, l’unique participante est la chercheure elle-même. La cueillette des données est donc majoritairement autobiographique et s’est faite entièrement à partir de l’expérience de la chercheure, tant au niveau de la sphère personnelle que professionnelle.

Tel que décrit plus haut, une recherche d’approche constructiviste reconnaît la nature contextuelle de la réalité étudiée. La section suivante mettra donc en lumière les référents personnels pertinents de la chercheure qui permettent de situer le lecteur sur le cadre contextuel dans lequel sont obtenus les résultats de recherche. Ceux-ci constituent, avec le contexte théorique étayé au premier chapitre en tant que savoirs formels sous- jacents à l’étude, « l’univers interprétatif » unique à la chercheure (Paillé & Mucchielli, 2012, p.126).

Ces référents personnels seront abordés en tant que savoirs tacites sous-jacents à l’étude qui, rappelons-le, réfèrent aux connaissances acquises qui ne sont généralement pas explicitées dans la plupart des démarches de recherche appliquant une méthode différente de celle-ci. Lorsqu’il fait des choix théoriques et qu’il présente les référents scientifiques qui lui apparaissent les plus significatifs pour appuyer son enquête, le chercheur fait preuve d’une démarche réflexive susceptible d’être teintée par ses savoirs tacites (Paillé & Mucchielli, 2012). Ces savoirs tacites peuvent se regrouper sous des postulats de trois natures, soit : ontologique (impliquant la signification de ce qu’est « être »), épistémologique (la science de la science ou les principes fondamentaux qui guident la connaissance) et praxéologique (l’analyse de l’action humaine dans le monde)