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tiel" sans fioritures embellissantes, des objets dans les­ quels on ne pénètre pas, si ce n'est comme technicien de

LE MONUMENT: DE SON USAGE A SA REPRESENTATION ICONIQUE

Suivre la réorganisation de la monumentalité classique dans les projets d ’architecture des élèves-ingénieurs entre 1770 et 1793 rend éminemment intelligible le passage de l'architecture du clas- sicisme au modernisme.

Lire la monumentalité d'un plan ne consiste pas seulement à dé­ couvrir son étendue horizontale. Il arrive à un monument élevé à une grande hauteur de s'asseoir sur une petite surface, tels des obélisques ou des tours aujourd'hui, et à un ensemble très vaste d'être exempt de caractère monumental, ainsi en est-il des entre­ pôts, des dépendances, des arsenaux, etc.

La monumentalité se définit comme un rapport liant l'homme à l'édifice. Il s'établit selon deux modes, l'un statique, l'autre dynamique, l'un découle de la fonction du lieu, l'autre du dépla­ cement du spectateur.

Dans le premier cas, la connaissance de la surface des lieux de programme permet de saisir s'il y a fonction domestique ou monumen­ tale, c'est-à-dire si le lieu a été conçu pour un emploi précis ou symbolique. Cette monumentalité, seulement intérieure, n'est trans­ formée que par la conception de l'équipement dans laquelle tous les espaces et toutes les surfaces sont réduites relativement à ceux des bâtiments publics monumentaux, classiques et révolution— nistes.

Mais cet aspect reste moins bouleversé que celui associé à la distribution, à la pratique déambulatoire du monument et à son ap­ proche. Ce second aspect, en situant l'homme pour partie hors du bâtiment, le place donc dans le territoire de l'architecture: or, ce dernier très altéré entraine par simple enchaînement l'apauvris- sement de cet aspect de la monumentalité : aussi voir son évolution donne à comprendre la transformation du territoire de l'architectu­ re, et plus loin, celle de l'architecture.

Comme les architectes du dix-huitième siècle, pour "concevoir" la monumentalité dans le plan, revenons au modèle antique.

f-lg.1 l ' R c r o p o l » d 'f l t h è n » » . « g . 3 L« F o ru » (ChcnLiy) . I R i c V E S i E . •ftg.2 Las Pr opyl4 «s (Cho-isy) . f t g . 4 Taapta d ' A g r t g t n t * .

Autour des temples grecs ou romains, la monumentalité est réa­ lisée par une "distance monumentale". Moins ambigüe que la notion d'"échelle monumentale", cette "distance" plus démontrée n'est pas pour autant arithmétique car sa définition dépend de deux facteurs dont l'un est plutôt subjectif: d'une part un éloignement de l'ob­

servateur au sanctuaire, d'autre part un degré de plus ou moins grande inaccessibilité à celui-ci (fig.l, 2, 3 & 4).

Les acropoles de la vieille époque grecque groupent des temples dont les accès n e sont pas aisés: des rampes et des escaliers colossaux

y mènent directement ou indirectement. Puis, en son sein, le temple installe de nouvelles étapes contribuant ainsi à rallonger la "dis­ tance monumentale" par suite d'enceintes intérieures: la colonnade

périphérique parfois double sert de galerie couverte autour d'une colla interdite au public et dont l'évolution chassera progressive­ ment les adorateurs hors du temple, en devenant de plu» en plus large. En même temps, le socle s'élève et les marches deviennent des soubassements. Le fidèle est écarté, le mystère en est plus profond.

Les élèves-ingénieurs réutilisent toutes ces dispositions archi­ tectoniques, mais ils les choisissent diffèrement selon la manière du projet traité, classique ou révolutionniste.

ftg .5 Palaio é le c to ra l, La Rocha « 9 . 6 P a lrta pour Satnt-Garaatn, plan général. plan général.

Dans le plan classique de l'élève-ingénieir, la distance monu­ mentale se réalise dans le recul obligé entre le passant et le carpe principal de logis (le chateau). Sa longueur peut être tout à fait connue: c'est la mesure extérieure de l'axe de symétrie* Mais sa réalité n'est pas aussi mathématique car elle dépend du nombre des étapes à franchir pour parvenir au lieu sacré, celui de l'autorité royale, militaire, électorale, judiciaire, etc. Dans la logique de ce dispositif, les deux plans des élèves-ingénieurs supportant les plus fartes monumentalités sont ceux des deux seuls Palais: celui de la Roche en 1770 (fig.5) et celui de Céart en 1772 (flg.6).

Ils comportent le plus grand éloignement entre le château et l'espace public. Entre la route et le corps central, La Roche ins­ talle une première série de dépendances, un vaste jardin, de nou­ velles dépendances, une double colonnade et la cour d'honneur; Céart, lui, interpose un arc de triomphe tenu par deux doubles colonnades, un grand bassin, une place d'armes, une cour d'apparat, une double colonnade et une cour d 'honneur. Ce sont les deux seuls exemples où la distance monumentale est fractionnée per la présence d'une colonnade intermédiaire qui établit une hiérarchie supplémentaire à l'intérieur du;plan entre les dépendances et le palais proprement dit. Tous les autres plans, classiques et urbains, ne produisent comme distance monumentale que la mesure de la profondeur de la cour d'honneur derrière la colonnade. Comme le montrait la coupe classi­ que, la distance monumentale est la profondeur du plan. Une petite partie cependant en est intériorisée, elle correspond à la montée vers la pièce de réception à l'intérieur du corps central. Dans

l'ensemble du dispositif monumental, cette portion est de peu d'im­ portance.

Le projet classique emploie surtout les dispositions monumentales entourant l'édifice. Le projet révolutionniste reprend, lui, celles strictement liées au volume et à la matière du monument.

Ainsi la proposition monumentale est-elle inversée. Ceci résulte à la fois de la réduction du territoire de l'architecture et du dé­ placement du monument vers le spectateur effectué par le révolution- nisrae et révélé par la production éclectique. Le monument révolu­ tionniste n'en est pas pour autant immédiatement accessible: l'étape horizontale classique (colonnade/cour d'honneur) est remplacée par celle oblique ou verticale que constituent les socles ou les esca­ liers, mais il ne s'agit plus de soubassements à degrés cyclopéens comme dans certains temples antiques: ici le public est souhaité.

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A l'inverse du modèle antique et de la production classique où la pratique monumentale est extérieure et l'effort d'élévation ultime, dans le projet révolutionniste l'effort d'élévation précè­ de le trajet en monumentalité, intérieure (fig.7 & 8).

- K g . 9 C i t h é d r i l » , F o ra s T ta r, p la n . « g . 10 B -tb lto th iq u a , Bano-Ct, p la n .

La comparaison des projets des élèves-ingénieurs et de leurs mo­ dèles extérieurs à l'Ecole donnent des résultats divergents selon les manières. Par rapport à la production classique traditionnelle, celle des élèves-ingénieurs crée une monumentalité plus intérieure à cause de leur emploi constant d'une cour d'honneur incorporée. Les élèves-ingénieurs forment dans leurs projets révolutionnistes une monumentalité moins intérieure que celle instaurée par les maîtres révolutionnistes: ils ne les suivent pas dans leurs explorations

spatiales. L'étape extérieure existe parfois même aménagée chez les élèves-ingénieurs alors que chez Boullée, elle disparaît parfois comme dans la coupe du Muséum. Seuls deux projets d'élèves-ingénieurs réalisant cette intériorisation totale, cette intégration: ce sont la Cathédrale de Forestier et la Bibliothèque de Benoit. Ils le mon­ trent clairement dans le dessin de leurs plans. Pour Forestier, le plan sort du cadre de la feuille et d'un terrain, niant ainsi toute extériorité: pois* Benoit, le plan utilise toute la surface de la feuille, le terrain n'apparaît même plus (flg. 9 & 10).

Avec l'équipement, le plan ne peut plus être le support d'aucune monumentalité traditionnelle, ni extérieure car 1 'architecture n'a Plus de territoire, ni intérieure car la matière architecturale ne laisse plus de place à une pratique monumentale, tout juste à une

mise en scène de l'usage. C'est; la façade qui va alors contenir les signes de la monumentalité: en se servant du gabarit de l'élévation du monument et de l'esthétique révolutionniste, les élèves— ingénieurs donnent à leurs équipements l'aspect du monument, qui reste donc bien présent à leur esprit. Leur choix n'est d'ailleurs qu'une conséquence: sans possibilité de s'étendre sur un territoire ou dans une matière

architecturale, la monumentalité a sa réalité atteinte, Ba pratique

est rendue impossible: il ne lui reste plus ce qui est de l'ordre de l'apparence, de la représentation.

En remodelant le monument, c'est au symbole de l'architecture classique que les élèves-ingénieurs s'en prennent au domaine même de l'architecture. Avisai ce glissement du lieu de la monumentalité du plan sur la façade incarne-t-il bien le déplacement de l'archite­ cture qu'opèrent les (élèves-) ingénieurs.

Après son remaniement par eux, l'architecture n'est qu'un reste: mise à plat et sans territoire. Dans cette optique, le seul avenir possible pour elle est la production d'icônes. Ramenée à cela, l'ar­ chitecture n'a plus de valeur intrinsèque: tout le monde peut la revendiquer, la manipuler, la "faire": il doit suffire pour cela de

connaître les règles de la composition et du goût.

Boullée, Ledoux puis Lequeu comprennent bien l'enjeu iconique. (Il semble par ailleurs que seul ce point permette de les rappro­ cher vraiment). Boullée et Ledoux proposent une collection d'ima­ ges, de façades, de volumes, de plans, d'espaces, plus repérables les unes que les autres, archétypiques, reconnaissables, authenti- fiables comme oeuvres d'architecture et non pas de méthode. Pour y parvenir, ils font ce que, dans leur désir d'inscription par mimé­ tisme, les ingénieurs ne peuvent et ne veulent pas faire: ils in­ ventent, créent, imaginent des formes nouvelles, résultat original de l'Art, d'une Techne qu'ils n'opposent pas à l'Esthétique.