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tiel" sans fioritures embellissantes, des objets dans les­ quels on ne pénètre pas, si ce n'est comme technicien de

LA CAUTION ARCHITECTURALE

"La prise de pouvoir sur l'urbain opéré par le Corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées ne suit pas la voie d'une simple réduction d'échelle, du territoire à la ville, le premier étant par naissance son attribut: elle emprunte un chemin de tra­ verse passant par l'architecture".

"Plus de dix années durant, de 1776 à 1788, les élèves-ingénieurs conçoivent des projets d'architecture civile et militaire d'inspiration boulléenne ou ledolcienne primés par la pédagogie. Cette production révolutionniste est circonscrite par celle classique en dilution et celle urbaine d'é­ quipement en formation. Pour cette raison et mieux que ces dernières, elle livre des réponses sur le rftle de l'architecture dans la constitution du Corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées"•

"Comme la langue philosophique qui doit être comprise de tous, l'architecture s'engage durant cette période dans la même voie:

•L'Art se dépasse et devient prose' (Hégel). Il y a perte en quan­ tité et par conséquent en précision de l'expression architecturale. Ce glissement n'est-il lias le âhiit d'une rivalité de deux savoirs (l'ingénieur et l'architecte) vers une autre échelle?"

Cette interrogation germé e dans les prémisses de la recherche

Au dix-huitième siècle, l'urbain est un des principaux champs d'investigation des architectes: théoriciens et praticiens 1'envi­ sagent comme le futir possible. Parallèlement à leur cénacle, le Corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées regarde aussi la maî­ trise de la ville comme l'enjeu de son avenir. Ils créent alors la concurrence.

La forme et le détail du projet d'architecture des élèves-ingé­ nieurs entre 1770 et 1793 figurent avec précision cette visée sur l'urbain, depuis le dessein de sa connaissance jusqu'à l ’ambition de son contrôle, de son dessin.

L'architecture, nativement et nécessairement impatronisée dans le principe de 1 'ingénieur du XVIII0 siècle, est lentement DENATUREE par la pédagogie de l'Ecole des Ponts et Chaussées à seule fin d'en faire un outil au service du Corps dans sa tentative de souveraineté sur 1 'urbain. De ce point de vue, 1'architecture lui est une bonne occasion dont il va tirer parti sans délai.

D'entrée cela était aisément concevable car cette obligation initiale faite aux élèves-ingénieurs à l'Ecole comme aux ingénieurs dans les provinces de pratiquer l'architecture donnait l'opportuni­ té au Corps de prouver sa compétence à tenir une échelle très infé­ rieure à celle de ses attributions premières. Par son aptitude à mettre en oeuvre la grande et la petite dimension de 1'environnement de l'homme, il induit une possible maîtrise de la dialectique des deux, c'est-à-dire de l'urbain.

L'étude de l'évolution des plans de masse produits lcr s des con­

cours d ' architecture par les é lève**—ingénieurs a dévoilé une aug­ mentation progressive du nombre des projets en site urbain. Cette ascension culmine dans les années 1790, période où les sujets de concours imposés par la pédagogie testent chaque fois des situations urbaines différentes. Aisément perceptible au seul regard, ce mou­ vement cache un processus secret bien plus pénétrant: dès 1770 et sans doute auparavant, l'urbain, même non représenté dans les plan­ ches, existe dans le projet architectural des élèves-ingénieurs, soit comme modèle d'implantation, soit comme modèle d'architecture.

Ainsi les parcelles destinées à l'implantation de leurs projets sont—elles communément du type urbain, plus profondes que larges,

et la répartition urbaine demeure-t-elle, chaque fois présente mê­ me si la forme du terrain n'est pas dessinée et que le projet don­ ne l'impression de flotter dans le vague absolu: devant l'édifice et parallèle à lui une voirie ou un cours d'eau avec quai, et sur l'arrière un jardin (par exemple, il n'y a qu'un seul plan de nasse où le bâtiment se -trouve isolé à l'extrémité d'un suce).

Ainsi encore leur modèle architectural est-il chaque fois urbain: dans leur production classique, c'est le palais urbanisée à cours incorporées; pour leur architecture domestique, ils reprennent là structure interne de la maison coïnçée entre deux mitoyens aveugles; leur architecture d'équipement met, elle, en valeur la façade avan­ cée, cette représentation particulièrement citadine du bâtiment et de l'architecture. Même la si anti-urbaine architecture révolution- niste est urbanisée par une réduction de la taille de ses édifices, par la diminution résultante de l'autonomie de ses espaces intérieurs ou encore par l'emploi du socle comme d'une matérialisation de par­ celle.

La pratique du projet architectural à l'Ecole des Ponts et Chaussées n'est donc pas un exercice purement et simplement imita­ tif car il y a DEPLACEMENT DU MODELE: les (élèves— )ingénieurs entrai— nent l'architecture vers ce qui les hante, vers l'urbain. En repro­ duisant leur contexte architectural et urbain, ils procèdent inévi­ tablement à sa transformation en même temps qu'ils en prennent de la sorte possession: reproduire n'est-ce pas aussi s'approprier?

Les (élèves-)ingénieurs se servent tour à tour des différentes manières architecturales de leur époque, et chacune d'elles leur apporte des renseignements particuliers sur la relation entre l'ar­ chitectural et l'urbain. L'architecture révolutionniste est la seu­ le manière qui, bien qu'employée per eux, ne les informe pas sur cette relation, tout au moins dans ses formes traditionnelles cel­ les faisant l'objet de l'intérêt des ingénieurs.

Le révolutionnisme et la ville historique sont antinomiques car il y a contradiction entre le grand bâtiment, la forme isomorphe et l'urbain. Le grand bâtiment repousse le tissu autour de lui, il contribue à le dissoudre ou veut le soumettre dans sa volonté d'or­ ganisation géométrique. La forme isomorphe est, elle, antiparcel­ laire. Circulaire, elle oblige la création d'une étape formant tam­ pon entre elle et le tissu existant. Sous toutes ses formes (carrée, cruciforme, triangulaire, circulaire et variantes), elle implique

l'identité des quatre faces et, partant, une homogénéisation du contexte alentour: elle supprime ainsi tout rapport d'extériorité.

Le bâtiment classique avec la cour d'honneur d'un côté, le jar­ din de l'autre et le plan centripète entre les deux, donne la répli­ que à une voirie, à un espace public extérieur. Comme le monde classique, la ville classique est bien ordonnée: l'urbain devant, le naturel derrière et l'architectural entre les deux (fig.l).

Le révolutionnisme chamboule toute cette tradition. Le grand bâ­ timent centrifuge aspire la ville alentour, créant ainsi le vide autour de lui: il se retrouve alors en contact avec le naturel. L'urbain en ressort écarté et peut être très éloigné (fig.2), ou bien, peut être totalement aspiré, intégré dans l'architecture

(fig.3).

C'est la situation historique du révolutionnisme qui l ’amène à s'intéresser le premier à l'architecture autonome (Kaufmann). Il cherche à montrer "comment, à partir du plan réducteur qu'engendre le nouvel état naissant, faire encore et toujours de l'architectu­ re, quand môme". Le mot "architecture" conserve pour lui son accep­

tion classique: il s'agit du bâtiment mais aussi de la ville et du territoire.

L'architecture classique est extériorité. Du discours sur les or­ dres aux développements géométriques du plan, le bâtiment existe en fonction de sa représentativité et de son territoire qu'il maîtrise en totalité: façade, avant-corps, avant-corps développés, jardin, axe illimité, etc. (fig.4). A la fin du XVIIe et au début du XVIII0 siècle, cette architecture absolue perd son privilège, son pourvoir d'engendrer la Forme, de fabriquer de 1'alentour. L'architecture est réduite aux seuils bâtiments at<.gnomes (fig.5). ELU! N'EST QU'UN RESTE, mais abstrait car l'espace et les lieux intérieurs n'ont fait

l'objet d'aucune recherche si ce n'est à l ’époque baroque d'un tra­ vail d'accumulation. Comme pour résorber l ’étendue de cette abstrac­ tion, la Forme est morcellée, mais elle reste toujours abstraite dans son contenu. Dans le même temps, le territoire des pièces de la fragmentation, extériorité de cette architecture éclatée, est peu à peu maîtrisé par les tenants de la Méthode (fig.6). Parallè­ lement à cette architecture publique, une autre catégorie prend de l'importance: c'est l'architecture domestique. Elle s'inscrit dans la fragmentation de la Forme dont elle cherche à dissoudre l'abs—

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traction par ses connaissances dans l'élaboration du plan (fig.8).

Ainsi naissent les prend ères architectures du modernisme: la forme

classique fragmentée est investie par le savoir domestique, auquel s'ajoute dans le cas des ingénieurs, des éléments du rationalisme militaire.

Les architectes sont alors confrontés à une situation difficile. Pour exister, ils doivent résoudre la contradiction suivante: EN PROPRE, L'ARCHITECTE PEUT SEULEMENT TRAVAILLER L'INTERIORITE DE SES BATIMENTS AUTONOMES; IL LUI FAUT CEPENDANT CREER LES CONDITIONS DE LA VILLE.

Pour y répondre, Ledoux choisit d'oeuvrer à l'intérieur de la fragmentation de la Ferme, sia* les relations (môme symboliques, ma­ çonniques comne à Chaux) entre objets architecturaux, ou entre ob­ jet architectural et territoire. En tout cela, il court sur les bri­ sées des ingénieurs des Ponts et Chaussées.

Plus utopique, Boullée choisit de s'attacher au concept. Cons­ cient mais coincé entre l'évanouissement de l'architecture classi­ que et l'émergence de celle moderniste dont il prévoit les dévelop­ pements, il décide de lancer un pont sur lequel est engagé tout ce qui doit être sauvé d'essentiellement architectural. Ses dessins présentent alors le possible produit de l'architecture que, faute de temps, il doit restreindre à quelques visions fondamentales.

Concentré e , son évocation en devient à la fois sublime et monstrueu­

se. Cette extrémité, conséquence de l'état d'urgence dans lequel se trouve le maître révolutionniste, a en fin de compte gêné la compré­ hension de son oeuvre en tant qu'ontologique, c'est-à-dire partici­ pant à 1 'être même de l'architecture. Boullée veut garder intact le domaine de l'architecture classique. Il refuse la fragmentation de la Forme et veut prendre cette dernière dans son unité classique, dans sa Totalité. Il l'ouvrage de l'intérieur, et de l'homogène abstrait classique il fait un hétérogène concret: les lieux se met­ tent à exister et deviennent repérables, hiérarchisés et appropriés, "dicibles" ajouterait Valéry.

Pour Boullée, la réponse à la contradiction conjoncturelle est la création d'UN MONDE EN SOI qu'il réalise en aspirant 1 'u r b a in ,

en l'intégrant dans ses architectures (fig.7). On ne peut en effet confondre l'ensemble de sa production d'après 1778 car une diffé­ rence majeure la divise: le théâtre, les bibliothèques et le palais national participent de la ville; la métropole, le cirque, le palais 187

municipal, le palais de justice et le palais de souverain se réfè­ rent au territoire. De celui-ci selon la conception de Boullée,

l'architecte reste le maître: selon la théorie cosmogonique de New­ ton dont la conception boulléenne du territoire reprend le schéma, l'architecte créateur de ses villes-architectures est responsable de leurs zones d'influence et de leur interaction. Dans un premier texte, Boullée accepte le partage avec les ingénieurs des Ponts et Chaussées, mais il les maintient dans le domaine de leurs attribu­ tions originelles, tout en rappellant bien que ce domaine appartient à 1 'architecture. Dans des écrits ultérieurs, il révise sa position et revendique la possibilité de travailler toujours sur l'ensemble du corpus classique.

Le plus frappant alors est que L'INFLUENCE ARCHITECTURALE LA PLUS CLAIREMENT MARQUEE EST CELLE BOULLEENNE.

Ce curieux ascendant trouverait une cause immédiate s'il était prouvé, comme l ’affirment certains historiens, que Boullée enseignait à l'Ecole des Ponts et Chaussées. Or, rien ne permet de le confir­ mer. Par contre il existe suffisamment de circonstances historiques ayant rendu possible une si forte présence des formes boulléennes Happ la production intérieure de l'Ecole.

Dans les années 70 & 80, il paraît difficile d' échapper à l'em­ pire de la pédagogie de Boullée. Sa farte présence était surtout connue côté Académie où ses disciples enlèvent la plupart des prix. Ces compétitions sont bien connues des élèves-ingénieurs qui proposent parfois les mômes sujets l'aimée suivante ou prennent un projet lau­ réat comme modèle aü môme titre qu'une production d'architecte consa­

cré.

L'effet de mode a certainement agi, de même que le besoin pour le Corps de recevoir toutes les influences afin de les assimiler pour inscrire son idéologie dans l'air du temps. Dans cette optique, la

présence les projets des élèves-ingénieurs de toute manière

architecturale reconnue, a fortiori celle révolutionniste, n'est pas extraordinaire. Pour une raison supplémentaire cela était encore logique: le néo-classicisme et par delà le révolutioimisme, avec leurs racines antiquisantes, archéologiques même, sont l'aboutisse­ ment d'une somme de savoirs architecturaux à la fois anciens et nouveaux: en tous cas, le fait d'hommes cultivés, point impartant compte tenu des desiderata de la constitution du Corps.

Si l'effet de mode, d'influences formelles ou esthétiques a pu

exercer une action sur les élèves-inpénieurs, il ne l'a fait (et cela par définition) que superficiellement. Dans le cadre de la constitution d'un Corps, parler d'activité inconsciente, d'un "malgré soi", est inconcevable. La fabrication d'une idéologie né­ cessite des assises sur du certain. Aussi ce n'est pas innocement que la pédagogie de l'Ecole s'intéresse davantage à la connaissance de la manière "exotique" de Boullée plutôt qu'à celle de Ledoux, l ’adversaire symétrique. Ce dernier, en voulant intervenir au même niveau que le Corps et avec les mêmes outils que lui, est un battu d ’avance, seul contre cette organisation technocratique de l ’Etat. Si sa voie avait été l'unique opposée à celle des Ponts, la partie aurait été gagnée par le Corps avant d'avoir été engagée.

Pour éclaircir ce point, revenons à l ’histoire.

LE DEBAT ARCHITECTURAL ET URBAIN TOUT AU LONG DU XVIII0 SIECLE