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Chapitre 3 : Le bodybuilding, un sport genré

3.1 Le monde du bodybuilding

Le bodybuilding s’est construit progressivement, en empruntant à d’autres sports ou activités physiques, avant de s’autonomiser. C’est ce que nous mettons en évidence ici, en présentant dans un premier point les grandes caractéristiques actuelles de ce sport, dont certaines ont une origine historique très ancienne. Dans une seconde partie, nous insistons plus en détails sur la

construction et le développement historiques de ce sport à partir du 19ème

siècle, qui s’est constitué au fil du temps en véritable système.

3.1.1 Comprendre le bodybuilding

Comprendre le bodybuilding signifie être en mesure d’assimiler le fonctionnement de ce sport, aussi bien au niveau de ses principes d’entraînements, du système économico-sportif dans lequel il s’insère que de ses rapports avec le genre. En visant cet objectif, nous précisons dans un premier temps les logiques à l’œuvre dans ce sport, puis ensuite les racines historiques de ce sport.

3.1.1.1 Les logiques du bodybuilding

Il convient ici en premier lieu de présenter ce que nous appelons les logiques du bodybuilding. Nous les circonstancions au nombre de deux, qui sont liées :

- la logique « technique » : il s’agit de comprendre ce qu’est le bodybuilding à travers les principes de fonctionnement de la construction musculaire. Cette logique nécessite donc quelques précisions physiologiques, biologiques et techniques quant aux grands principes d’entraînement permettant d’y parvenir.

- la logique « économique » : le bodybuilding contient une forte assise

économique qu’il est nécessaire de détailler. D’une part, dans le sens où il s’agit d’un sport onéreux (Monaghan, 2001). D’autre part, parce que certains acteurs clés peu nombreux ont exercé une influence majeure pour en faire un sport rentable, et même un système industriel.

Pour commencer, abordons la logique « technique ».

3.1.1.1.1 La logique technique

Comme son nom l’indique, le bodybuilding consiste à « construire » son corps. Cela signifie développer ses muscles par leur sollicitation intense et régulière, pour atteindre un résultat optimum. Sur le plan physiologique, outre le facteur génétique indéniable, c’est l’entraînement régulier et intense aux poids qui permet de créer une dynamique musculaire particulière (Bellaby, 1990; Monaghan, 2001) : en manipulant des charges pour chaque muscle, le bodybuilder « stresse » la fibre musculaire, c’est-à-dire que les contractions réalisées vont détruire des fibres blanches, nécessaires pour la résistance à l’effort. C’est à ce niveau qu’interviennent des facteurs biologiques : la récupération assurée par le repos qui suit l’entraînement, et surtout l’apport de nutriments et d’hormones, permettent de reconstituer la fibre. Celle-ci devient plus forte en grossissant, ce qui correspond au concept de « volumisation cellulaire ». Il s’agit en somme de faire en sorte de créer un environnement dit « anabolique », contrairement à un autre « catabolique » qui détruirait du muscle.

D’où également la nécessité de connaître des techniques offrant la possibilité

de stimuler sans cesse le muscle, pour éviter qu’il ne s’habitue à l’effort, et in

fine, stagne au niveau de sa croissance. Il existe ainsi dans le bodybuilding

toute une variété de techniques allant dans ce sens, où le pratiquant peut jouer sur différents facteurs : les charges, les types de poids utilisés (libres ou machines), les séries, les répétitions, les temps de repos, l’ordre des muscles sollicités,…

Mais le bodybuilding ne s’arrête pas seulement à cet objectif du volume

maximal. Comme nous l’avons précisé en introduction41

, il repose aujourd’hui

sur des principes triadiques fonctionnant en interaction : la masse, la définition et la symétrie. Par conséquent, dans la perspective du corps « rationnel » développée précédemment, il s’agit dans le bodybuilding de penser améliorer le corps au maximum, en repoussant sans cesse ses frontières grâce à un véritable travail et une maîtrise permanente du corps, pour en faire un « corps

41

extrême » (Baudry, 1991). A partir de là, nous pouvons distinguer plusieurs idéaux-types corporels pour désigner les physiques existant dans le bodybuilding, en suivant la typologie établie par le psychologue Sheldon qui

distingue les physiques42 :

- « Ectomorphes » : faible masse musculaire, avec peu de graisse corporelle.

Ce sont plutôt les débutants qui possèdent ce type de physiques ;

- « Mésomorphes » : masse musculaire importante, avec peu de graisse

corporelle, ossature moyenne. Il s’agit de pratiquants chevronnés, car il est très difficile de parvenir à coupler les deux ;

- « Endomorphes » : masse musculaire très développée, tendance à prendre du gras, forte ossature. Autrement dit, ce sont les plus « gros », même s’ils correspondent moins à la philosophie d’harmonie du bodybuilding que les mésomorphes.

Schéma 3 : Profils physiques types

Source : Auteur.

42

http://www.all-musculation.com/musculation/types-morphologiques/, site consulté le 21/11/2012. William Sheldon est un psychologue américain qui, dans les années 1940, a établi la classification des individus en 3 profils types cités, à partir de données sur l’embryologie (études des couches de tissus corporels). A l’aide de statistiques, il a cherché à montrer que ces profils types sont corrélés à des types de comportements sociaux, renvoyant à une psychologie particulière des individus. Plus précisément, il a sélectionné plusieurs adjectifs pour décrire les comportements (jovial, ambitieux,…) et les appliquer à l’étude d’une population, en utilisant notamment des régressions statistiques. Pour plus de détails, voir Sheldon W. (1970),

The Varieties of Temperaments : a Psychology of Constitutional Differences, London, Collier Macmillan.

Dans le but de concrétiser ces idéaux-types corporels, des principes forts doivent être réalisés pour prendre du muscle maigre, et tendre vers le profil idéal, soit entre mésomorphe et endomorphe (Reynolds & Weider, 1989) : - un régime nutritionnel strict, précis et ascétique (protéines de qualité à haute dose, hydrates de carbone complexes, sucres rapides et graisses en quantité limitée, ingestion de produits divers,…). Suivre ces principes, selon le but visé, permet de construire de la « masse » (construire le maximum de muscles) et de « sécher » (perdre du gras). Un bodybuilder aura dans ce cas de la masse maigre, et sera dit « sec » ;

- un mode de vie très régulé : quantité de sommeil minimale à respecter, stabilité, organisation codifiée du quotidien (Monaghan, 2001);

- des techniques et des méthodes d’entraînement particulières. Plusieurs

déclinaisons précises existent, mais nous pouvons affirmer pour simplifier que

deux grands types non exclusifs l’un de l’autre se dégagent : le heavy duty où le

bodybuilder mobilise des charges lourdes pour un nombre de séries/répétitions

limité et un temps de repos assez long ; le high intensive training quand les

charges moins lourdes sont privilégiées mais avec des temps de repos plus courts et des séries/répétitions plus nombreuses.

En cela, le corps bodybuildé est un corps augmenté révélateur et véhicule des

principes des sociétés occidentales capitalistes et hypermodernes43 (Bonetti &

alii, 1998 ; Molénat, 2006) dont nous avons parlé. Etant l’incarnation extrême du

« corps rationnel », il illustre parfaitement la double interrogation « quel corps par quelle société et quel corps pour quelle société ? » (Berthelot, 1983). Le corps bodybuildé est au cœur d’un projet individualisé où les excès, le risque, la performance et le dépassement sont socialement valorisés (Aubert, 2006 ; Ehrenberg, 2008) : le but est de produire un « hypercorps » détaché de tout

poids inutile. Si tous les pratiquants ne s’inscrivent pas dans une démarche

« extrême » ou professionnelle, leur volonté de sculpter leur corps est malgré tout significative d’un désir voire d’une injonction de transformation plus ou moins radicale de soi qui semble « à portée de mains » (Queval, 2008).

De même, le fait que les compétions les plus importantes célèbrent le muscle « sec » à outrance, avec une inflexion en ce sens marquée depuis 20 ans, montre la logique mercantile sous-jacente (Griffet & Roussel, 2004). En effet, pour ses adeptes, les corps hors normes des athlètes qui sont mis en avant dans les compétitions renforcent la logique spectaculaire de ce sport. Celle-ci est censée à la fois renforcer l’attractivité populaire du bodybuilding via l’exacerbation de la compétition associée et le côté extraordinaire de son espace ; mais aussi via le message envoyé que transformer son corps à souhait pour maîtriser son destin est possible, à condition de le vouloir.

Nous percevons ainsi la seconde logique du bodybuilding évoquée, à savoir celle de nature économique.

43

3.1.1.1.2 La logique économique

Les éléments précédents indiquent en effet que le bodybuilding possède un versant économique évident, puisqu’il suppose de créer un marché où ses athlètes s’affichent avec certains produits que les « fidèles » pourront se procurer pour chercher à leur ressembler. C’est en cela que ce sport est onéreux car le développement musculaire nécessite une alimentation massive, l’utilisation de suppléments voire de « drogues » divers dont le coût est prohibitif (Monaghan, 2001). Le bodybuilding a en conséquence « surfé » sur la vague contemporaine d’un souci croissant accordé à la santé et à « l’éthique de la présentation de soi » (Foucault, 1986; Turner, 1996), qui doit transparaître des corps, pour devenir une pratique consumériste et industrielle de masse (Klein, 1993).

C’était en tout cas un des objectifs majeurs de Joe Weider (1919-2013),

fondateur avec son frère Ben (1923-2008) de l’International Federation of

Bodybuilding (IFBB) et des compétitions majeures associées comme Mr Olympia (Steere & alii, 2006). Il est important de s’attarder sur ce personnage, car il a joué un rôle clé dans l’histoire du bodybuilding. Il est d’ailleurs

surnommé par les athlètes du milieu The God Father ou encore The Master

Blaster. Ayant débuté en 1940 par la création d’une revue spécialisée de

bodybuilding (Your Physique, devenu Muscle Builder en 1952), il connaît

rapidement le succès en élargissant son industrie à la vente de matériels spécialisés deux ans plus tard, dont il fait la publicité dans son propre

magazine. Ce business model fonctionne tellement bien qu’il crée un autre

magazine en 1945, intitulé Muscle Power. Au total, à la fin des années 1950, il

possède une douzaine de magazines spécialisés à grand succès qui lui permettent de disposer de réserves financières très importantes, malgré des

déboires en 195844. D’autres voient le jour dans les années et décennies

suivantes : All-American Athlete en 1963 par exemple.

Mais le fait le plus notable dans sa carrière comme dans l’histoire du

bodybuilding est la création en 1946 de l’IFBB, avec l’aide de son frère Ben,

suite à un conflit lors de l’organisation d’un concours de l’Amateur Athletic Union

(AUU) à Montréal. Leur but est d’envisager, avec la constitution de cette

fédération, le développement du bodybuilding à l’échelle mondiale, via des

concours et la rémunération de bodybuilders professionnels. Ils initient un

tournant majeur lorsqu’ils créent en 1965 le Mr Olympia, qui a réussi à devenir

au fil du temps le concours le plus prestigieux du bodybuilding. Ce concours met en compétition les meilleurs bodybuilders ayant obtenu le titre majeur de

leur fédération respective, en général Mr Universe.

C’est ainsi que l’IFBB monte en puissance dans les décennies suivantes. L’IFBB est une fédération qui possède une très grande ramification

internationale : elle a aujourd’hui plus d’une centaine de pays membres et est

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Des investisseurs prennent le contrôle des entrepôts qui imprimaient les Publications Weider (plus de 2 millions d’exemplaires mensuels). Du jour au lendemain, Joe Weider est contraint à une importante restructuration : il supprime tous ses magazines, sauf Muscle Builder et Mr America, qui vient juste à l’époque de remplacer Muscle Power.

devenue la 6ème plus grande fédération de sport du monde (Flex, 2013). Et comme leur situation est inséparable de celle de l’IFBB, les frères Weider, les Brothers of Iron, sont en somme parvenus à créer un véritable empire industriel, fonctionnant à partir d’un système économique protégé très rentable : - via leurs magazines, ils permettent à des athlètes de se « faire un nom » et d’attirer de nouveaux lecteurs ;

- ceux-ci sont attirés par le physique des bodybuilders et de leurs exploits, qui se déroulent dans les compétitions de l’IFBB, parce qu’ils sont professionnels de l’IFBB ;

- une demande croissante existe autour des appareils et des produits nutritionnels Weider, censés participer au développement musculaire, à l’instar

des athlètes qui concourent à l’IFBB. Les Weider créent même des Weider’s

Gyms permettant de diffuser le « système bodybuilding » à l’échelle mondiale.

Encore une fois, la conclusion précédente met en évidence le fait que le bodybuilding, tel qu’il fonctionne et est exploité économiquement, est fortement en prise avec la dimension marchande de nos sociétés capitalistes actuelles. Le cœur de ce système est de développer la logique spectaculaire de ce sport, dont vont découler l’intérêt de la compétition, la médiatisation, la popularisation, et in fine, la consommation. L’industrie Weider rappelle ainsi combien les

logiques « technique » et « économique » développées précédemment45 sont

fortement imbriquées. Pour autant, cela n’empêche pas ce sport de plonger certaines de ses racines historiques dans des époques antérieures, parfois même très lointaines sur le plan temporel. Cela n’est d’ailleurs pas incompatible avec sa logique de rentabilité actuelle, puisque cette référence à des temps « anciens » et « premiers » font aussi partie de l’imaginaire du bodybuilding, et peuvent être des facteurs d’attraction du consommateur. Par conséquent, nous revenons ci-après sur les racines de ce sport.

3.1.1.2 Les racines historiques du bodybuilding

Le bodybuilding actuel est le fruit d’une lente évolution historique, tant au niveau de sa philosophie que de ses principes. Certes, comme le rappelle à juste titre Prost (2006), le corps est un objet historique spécifique : son appréciation historique est difficile et doit être réalisée avec beaucoup de précautions, car le chercheur traite non seulement du corps des autres, mais de corps qui ne sont souvent plus là, avec des biais potentiels d’ethnocentrisme, d’anachronisme ou de jugements de valeurs. C’est particulièrement vrai pour le bodybuilding dont l’existence historique est très récente.

Pour autant, il est possible d’effectuer certains parallèles et d’affirmer que le

bodybuilding actuel se fonde en partie sur « l’ancien ». Cela veut dire qu’il a été influencé dans sa construction par des pratiques de culture physique d’autres

45

époques, montrant que cet « ancien » demeure présent sous des formes diverses. Autrement dit, un « passé vivant » est à l’œuvre et mis en avant dans la pratique actuelle, sur les plans individuel et collectif : les institutions, les médias et les pratiquants s’appuient sur des techniques, des personnages, des lieux légendaires ou mythiques, des racines et des origines qui appartiennent à l’histoire de ce sport, et qui permettent de célébrer et légitimer le travail et la performance (Vallet, 2013). Cela ne signifie pas pour autant que des liens « purs » et « directs » peuvent être mis en évidence entre cet « ancien » et le bodybuilding actuel. Il vaudrait mieux parler de sources indirectes, voire d’ « affinités » pour reprendre une expression wébérienne.

Ces précisions et précautions étant effectuées, nous relions à partir de là cet « ancien » à deux périodes historiques particulièrement présentes dans l’imaginaire collectif actuel du bodybuilding, qui sont d’ailleurs souvent

associées : l’Antiquité gréco-romaine (5ème – 8ème

siècles essentiellement) et la

fin du 19ème siècle-le début du 20ème siècle46. Un dernier point se centre sur une

analyse de magazines de bodybuilding, qui met en avant dans quelle mesure cet « ancien » est présent dans les discours et les images actuelles de ce sport.

3.1.1.2.1 Le bodybuilding et l’Antiquité

Tout d’abord, même si nous ne pouvons les apparenter à des sports à part entière selon le sens donné aujourd’hui à ce terme (Chartier & Vigarello, 1982 ;

Defrance, 2006), les activités physiques de l’Antiquité ont donné certaines

bases au bodybuilding actuel : souci de soi, esthétisme, démonstration de force, soulevé de poids,… Les Grecs et les Romains de l’Antiquité notamment sont à la recherche de corps musclés incarnant un certain idéal de perfection physique et d’esthétisme. Cette apparence reflète à la fois la force physique et la force de l’âme de l’individu.

Plusieurs personnages masculins mythiques de l’Antiquité sont représentés ou définis avec des physiques musclés avantageux, notamment à travers des statues et autres représentations qui leur sont associées. La représentation des Dieux n’est pas le seul apanage des Grecs, mais ces derniers insistent sur la mise en évidence des attributs corporels divins, notamment la puissance physique ou sexuelle. Leur corps d’individus au sommet d’une hiérarchie crée de fait une convention sociale au sein de l’imaginaire collectif selon laquelle le corps musclé est celui des dominants. Nous pouvons citer par exemple :

- Héraclès qui réalise un certain nombre d’exploits majeurs, dont les fameux

« douze travaux », grâce à une force physique hors du commun, mais aussi grâce à la ruse, l’intelligence et la sagesse (Loraux, 1999; Sourisse, 2012) ;

46D’autres périodes auraient pu être citées bien sûr, comme celles au 16ème

siècle de Juan de Valverde de Humasco où il présente dans Historia de la composicion del cuerpo des corps « écorchés » ; ou encore André Vésale dans Humani corporis Fabrica. Ces conceptions vont influencer notamment la conception d’un corps divisé vis-à-vis duquel va s’insérer le travail du bodybuilding (Monaghan, 2001).

- le Dieu Apollon, fils de Zeus, représente pour ses côtés non excessifs la représentation du physique esthétique et de l’exercice de la raison (Davreu, 2012) ;

- le « Titan » Prométhée, qui aurait créé les hommes à partir d’argile et d’eau pour les rendre plus forts que les animaux, symbolise cette capacité de construction de l’homme, « morceau après morceau ». La connaissance peut être mise au service du corps pour l’améliorer, même à l’extrême, dans une volonté de s’élever sans cesse au-dessus de sa condition, quitte à défier les

Dieux (l'hybris) (Loraux, 1999).

Ces Dieux et héros de l’Antiquité, fréquemment représentés par des statues qui immortalisent leur corps, semblent être reproduits dans les poses des bodybuilders lors des concours, ou lorsqu’ils admirent leurs progrès corporels. Dans cette perspective, leurs muscles durs font référence à des pierres solides qui résistent à l’épreuve du temps (Klein, 1993 ; Moore, 1996). C’est ce parallèle qui a justifié par exemple le choix du nom du plus prestigieux concours

actuel de bodybuilding, le Mr Olympia : “in 1965 I created the Mr Olympia

contest. The name seemed appropriate. The time had come to enter the hallowed ground of the ancient Greek gods with incarnate image. We live among them” (Weider, in Moore, 1996, p 133).

De même, la mise en évidence des corps masculins musclés s’inscrit dans une

certaine conception sociale de la pratique de l’exercice physique. Chez les

Grecs, l’exercice du sport nu, qui apparaît vers la fin du 8ème

siècle, est érigé en un marqueur de leur civilisation : c’est moins un souci pratique qui anime cette nudité qu’une volonté de distinguer l’homme grec de tout autre. En effet, ce que nous qualifierions aujourd’hui de sport est l’occasion d’exprimer ses qualités physiques et morales dans un esprit de compétition, et de consacrer le meilleur. L’athlète s’entraîne pour cela dans un cadre bien précis, le Gymnase, qui est l’occasion de se dépasser, avec parfois des conditions d’entraînement et de

diètes extrêmes (Prost, 2006 ;Sartre, 2011). S’il n’y a pas dans ce Gymnase la

systématisation et la rationalisation extrêmes caractéristiques du bodybuilding d’aujourd’hui, l’idée d’un entraînement régulier dans un cadre donné crée des parallèles entre les deux époques. De ce fait, le bodybuilding actuel peut davantage être associé aux Grecs qu’aux Romains, qui rejettent plutôt ce cadre de promiscuité et de nudité.

Enfin, parce que le corps devait aussi symboliser la jeunesse dans l’Antiquité, le corps était épilé, à l’image de la norme en bodybuilding. La Grèce antique a construit et diffusé un modèle esthétique où la nudité dans l’entièreté du corps,

occupe une place centrale, à condition que l’esthétique le caractérise. C’est

pourquoi, bien qu’il y ait des débats sur la réalité et la fonction des épilations dans l’Antiquité (Sartre, 2011), il semble que le corps glabre des statues symbolise une norme esthétique en la matière, à l’image de celle en bodybuilding, qui permet de mieux faire ressortir les muscles (Luciano, 2001). En somme, nous pouvons considérer que le bodybuilding emprunte aux activités physiques antiques les aspects liés à l’esthétique, la force et la