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CHAPITRE 2 REVUE DE LITTÉRATURE

2.6 Le mélange solide-liquide

Après nous être penchés sur la physique des écoulements de type solide-liquide ainsi que les méthodes numériques pour les modéliser, nous portons maintenant notre attention sur l’étude du mélange solide-liquide. Comme nous l’avons mentionné en Section 2.2, on distingue géné- ralement deux types de suspensions : les suspensions homogènes, qui se comportent comme un seul fluide de rhéologie complexe, et les suspensions non homogènes, dont l’écoulement est réellement polyphasique. Dans cette section, nous nous limiterons au cas de suspensions non homogènes réellement polyphasiques, car elles sont les plus problématiques à mélanger. Nous aborderons d’abord les différents états des suspensions dans les opérations de mélange solide-liquide ainsi que la littérature se rattachant à la détermination de la vitesse minimale de mise en suspension (Njs, just-suspended speed). Dans l’état de l’art actuel, la détermination

de cette vitesse demeure de loin une des problématiques les plus importantes [297]. Une revue exhaustive des différentes méthodes théoriques et expérimentales sera établie. Il est important de noter que la littérature aborde très peu le mélange en régimes laminaire et transitoire et que les études portant sur le mélange solide-liquide dans ces régimes sont quasiment inexistantes. Conséquemment, nous aborderons cette thématique dans une perspective plus large en nous souciant de tous les régimes d’opération.

2.6.1 L’état d’une suspension

Selon le Handbook of Industrial Mixing [245], l’objectif principal du mélange solide-liquide est de créer et de maintenir une suspension ainsi que de promouvoir le transfert de masse entre la phase solide et la (ou les) phases liquides.

Concrètement, ces objectifs se réalisent lorsque le niveau désiré de suspension solide-liquide est atteint. On peut identifier trois niveaux pour la suspension : suspension partielle, complète et uniforme. Ces états sont illustrés à la Figure 2.4.

Lorsque la suspension est partielle, une fraction (petite ou grande) des particules demeure en contact avec le fond de la cuve alors que les autres particules sont suspendues (c.-à- d. complètement immergées) dans le liquide. Dans la suspension complète, la totalité des

Figure 2.4 Les trois niveaux de suspension (a) suspension partielle (b) suspension complète et (c) suspension uniforme - extrait de [245]

particules est suspendue et aucune particule demeure en contact avec le fond de la cuve pour plus de deux secondes. Finalement, le niveau de suspension uniforme se réfère à l’état d’une suspension où la fraction volumique de solide est homogène partout dans la cuve.

2.6.2 Vitesse minimale de suspension complète

Selon Zwietering, Kneule [157] est le premier auteur à avoir identifié l’état de suspension complète comme étant le point optimal d’opération des unités de mélange solide-liquide. Une fois ce niveau atteint, le transfert de masse n’est uniquement amélioré que par l’augmentation de la vitesse relative entre le fluide et le solide et non par une augmentation de la surface de contact entre le solide et le liquide. L’approche de Kneule basée sur la caractérisation de la consommation de puissance par unité de volume a rapidement été suivie par les travaux de Zwietering [339] qui a établi la première corrélation pour calculer la vitesse minimale de suspension complète (Njs). Selon Zwietering, la vitesse minimale de suspension complète

est définie comme la vitesse à laquelle il n’y a plus de particule qui reste plus qu’une ou deux seconde immobile au fond de la cuve. En observant la variation de Njs en fonction des

paramètres du système et en employant plusieurs agitateurs (turbine Rushton, hélice marine, etc.) Zwietering a établi la corrélation empirique suivante [306] :

Njs= Sνl0.1

(ρp− ρl) g

ρl

!0.45

d0.2p X0.1D0.15 (2.77)

avec ν la viscosité cinématique du fluide, D le diamètre de l’agitateur, S une constante empirique qui dépend de la configuration géométrique de la cuve (dégagement de l’agitateur,

diamètre de l’agitateur, présence ou non de chicanes, etc.) et X le rapport entre la masse de solide et de liquide (msolide

mf luide). D’autres auteurs ont introduit des corrélations pour calculer Njs

tels que Nienow et al. [225], Narayanan et al. [223], Baldi et al. [18], Mersmann et al. [208], Grenville et al. [114] et Tamburini et al. [292]. Une revue de littérature étendue de la majeure partie de ces corrélations est établie par Kasat et Prandit [149] et par Jafari et al. [139] La corrélation introduite par Zwietering est de loin la plus utilisée, mais présente d’impor- tantes limitations pour certaines applications. Premièrement, la corrélation modélise l’impact de la géométrie (diamètre de l’agitateur, de la cuve, dégagement au fond, etc.) à l’aide de la seule constante S. Conséquemment, cette constante doit être ajustée pour chaque type de configuration, limitant la généralité de l’approche. De plus, bien que la corrélation inclut l’in- fluence de la viscosité, il a été montré par Ibrahim et al. [130, 132] qu’elle pouvait commettre une erreur de l’ordre de 90% en régime transitoire pour une viscosité de 1 Pa.s. Dans le cadre de fluides non newtoniens, Wu et al. [327] ont trouvé que la corrélation surestimait fortement Njs. De surcroît, Ayranci et al. [14] et Grenville et al. [114] ont montré que la corrélation était

peu précise pour la prédiction de Njs lorsque la suspension n’était pas diluée. Finalement,

Ayranci et al. ont montré que la corrélation ne permettait pas de prédire Njspour le cas d’un

mélange de particules de deux tailles différentes.

Il est important de noter que les autres corrélations partagent aussi les faiblesses de la corréla- tion de Zwietering. De manière générale, on peut dire que les approches heuristiques telles que celle de Zwietering sont condamnées à un manque de généralité compte tenu de la complexité de l’interaction solide-liquide et du caractère réellement tridimensionnel de l’écoulement dans la cuve, une conclusion partagée par Ayranci dans la conclusion de sa thèse [12].

2.6.3 Détermination de Njs par des méthodes expérimentales

Depuis les travaux originaux de Zwietering et les balbutiements de méthodes d’observation visuelle, plusieurs techniques ont été développées pour déterminer Njs. Selon Tamburini et al.

[297], on peut distinguer deux catégories de méthode : les méthodes directes et les méthodes indirectes. Nous présenterons brièvement un éventail de ces méthodes, mais nous référons le lecteur à Tamburini et al. [297] et Kasat et Prandit [149] pour une revue complète.

La méthode directe la plus utilisée demeure l’observation du fond de la cuve à l’aide d’un miroir. Njs est alors défini comme la vitesse à partir de laquelle aucune particule ne demeure

au fond pour plus que 1 ou 2 secondes. Cette méthode requiert une cuve transparente et son usage est particulièrement problématique pour des suspensions non diluées. Selon Oldshue, elle ne devrait pas être utilisée pour des fractions massiques supérieures à 8%. Cependant, certains auteurs, tels que Grenville et al. [114], l’ont utilisée pour des fractions massiques de

plus de 20%. Cette méthode souffre de sa grande subjectivité. Une méthode alternative se base sur la mesure de la hauteur du lit de particules [126], mais cette méthode ne s’applique pas si les dernières particules suspendues proviennent du centre de la cuve. Une autre approche consiste aussi à mesurer la taille du cône de particule sédimenté à l’aide d’une caméra à haut temps d’exposition [51], mais cette dernière technique se limite à des cas sans chicanes où les dernières particules suspendues sont issues du centre de la cuve. Ainsi, ces deux dernières méthodes, bien que relativement efficaces, sont limitées en terme de géométrie. De surcroît, toutes les méthodes directes énoncées ne permettent pas de mesurer la fraction de particules suspendues.

Les méthodes indirectes sont quant à elles plus nombreuses. Une méthode relativement ré- cente dotée d’un grand potentiel est la technique de pression de jauge (PGT) introduite par Brucato et al. [53] et améliorée par Micale et al. [210]3. Cette méthode se base sur le fait

qu’une fois les particules suspendues, la densité apparente du liquide augmente et qu’il est ainsi possible de mesurer une augmentation de la pression hydrostatique et d’ainsi obtenir la fraction de solide suspendue. Comme il est impossible de mesurer uniquement la pression statique, Micale et al. [210] propose d’employer une régression quadratique (P = aN2+ b) afin d’extraire la pression statique de la pression totale mesurée. Cette méthode a l’avantage d’être objective et de mesurer la fraction de solide suspendue et non seulement la vitesse minimale pour la suspension complète.

De nombreuses autres méthodes basées sur des quantités dérivées, telles que celles fondées sur la mesure de la hauteur du nuage de particules [158], du nombre de puissance (Np), [297], sur

le temps adimensionnel de mélange [55], sur le coefficient de variation [297], sur les vibrations acoustiques [257], sur la conductivité électrique [141, 142]. Les résultats obtenus grâce à ces méthodes varient fortement en qualité et ne sont généralement pas applicables à tous les systèmes. On peut constater que le simple fait qu’un si large éventail de méthodes existe est une preuve de la complexité de l’étude de la vitesse minimale de mise en suspension.

2.6.4 Mesures de la concentration de particules

La connaissance de la vitesse minimale de mise en suspension complète ne donne que de l’information partielle sur l’état de la suspension. La connaissance des profils de concentration au sein de la cuve est essentielle pour de nombreux procédés, tels que les cristallisoirs. Elle est aussi nécessaire afin d’acquérir une meilleure compréhension des mécanismes de mise en

3. Cette méthode est parfois classifiée de directe, notamment par Tamburini et al. [297], mais comme elle emploie la pression comme variable intermédiaire afin de calculer la fraction de particules suspendues, il semble contre-indiqué de la qualifier de directe

suspension [295].

On compte deux familles d’approches pour mesurer la concentration de particules : les mé- thodes intrusives et les méthodes non-intrusives [295]. Les techniques intrusives affectent localement l’écoulement en sondant la cuve, ce qui en retour peut affecter la qualité des résultats ainsi obtenus. Ces méthodes sont basées sur des mesures de concentration locale via, par exemple, de l’échantillonnage isocinétique ou des sondes à impédance, optiques ou acoustiques.

Les méthodes non-intrusives ont l’avantage de ne pas perturber l’écoulement. Un exemple de telles méthodes est la résonance magnétique nucléaire (NMR) dans laquelle un fort champ magnétique est utilisé pour obtenir un profil de fraction volumique de fluide. Cette méthode requiert toutefois de l’instrumentation complexe et est limitée à des géométries simples. D’autres alternatives existent qui se basent notamment sur l’usage de traceurs radioactifs dont la position est suivie à l’aide de détecteurs de rayonnement. Finalement, un large éven- tail de méthodes basées sur la tomographie électrique ou l’atténuation de lumière et d’ondes sonores [314, 315] existent. Cependant, les résultats issus de ces méthodes demeurent davan- tage qualitatifs que quantitatifs [295].

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