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Le mélange fait intimement partie de notre quotidien. Que ce soit en brassant un café après y avoir déposé un cube de sucre1, ou bien lors de la préparation d’une vinaigrette qu’on

doit agiter vigoureusement, nous mélangeons des composantes afin d’obtenir quelque chose d’homogène.

Cette action nous semble intuitive, voire primaire. Brasser et agiter sont des gestes qu’il n’est pas nécessaire d’inculquer aux plus jeunes. Cependant, dans des applications demandant davantage de finesse, lorsque le maître pâtissier prépare un gâteau meringué, ou lorsqu’utilisé à l’échelle industrielle, dans des mélangeurs à cuve agitée dont le diamètre est de plusieurs mètres, le mélange ne peut s’effectuer de manière simpliste. Dans le premier cas, un certain degré de technique est nécessaire afin de battre les blancs d’œufs de manière à incorporer l’air à l’œuf tout en fragmentant les bulles d’air introduites par le mouvement azimutal du fluide afin d’obtenir la texture et la consistance désirée [118]. Dans le second cas, il est nécessaire de concevoir des systèmes de mélange de larges tailles permettant un mélange efficace, homogène et dépourvu de zones mortes, tout en respectant les autres contraintes du procédé. À l’instar du maître pâtissier agitant sa meringue en motif de huit, la solution requiert ici aussi un certain degré de finesse. L’augmentation de la vigueur de l’agitation n’est, dans la majeure partie des cas, pas une solution pratique même si elle apparait comme la plus évidente. Elle mène à une surconsommation majeure d’énergie et nécessite un surdimensionnement des équipements sans être garante d’un quelconque succès. Au grand malheur de l’industriel, mais au bonheur du scientifique, la manière de Calliclès2 ne s’applique pas au mélange : le

plus puissant n’est pas nécessairement celui qui mélange le mieux.

Définir l’homogénéité, qui est souvent le but ultime du mélange, se révèle une problématique particulière qui fait fortement appel à une interprétation spatiale de la matière. L’exemple le plus simple est celui d’un simple verre de lait. À l’œil humain, le lait apparaît comme un mélange homogène, doté d’une couleur uniforme et se comportant comme un milieu continu. Cependant, le lait est un mélange d’eau et de multiples composantes : de la graisse, de la caséine et des sels minéraux. À l’échelle microscopique, ces composantes sont présentes sous forme de phases discrètes. Ce sont ces éléments discrets qui diffractent la lumière et qui confèrent sa couleur blanchâtre au lait. Ainsi, l’homogénéité ne peut pas être définie comme un état inhérent de la matière, mais dépend de l’échelle à laquelle un mélange est observé. À

1. Personnellement je le préfère noir, court et bien serré...

2. Personnage clef du Gorgias de Platon. Calliclès s’oppose à la vision socratique du sociétaire comme entité dominante, y opposant plutôt la loi du plus fort.

la Figure 1.1, chaque trait de pinceau dépeignant le crépuscule de San Giorgio Maggiore est d’une seule couleur. Pourtant si on observe la peinture de suffisamment loin, les couleurs du crépuscule semblent varier de manière continue d’un bleu royal au rouge chaleureux du soleil couchant.

Figure 1.1 San Giorgio Maggiore au crépuscule par Claude Monet, tiré de [324]

À chaque procédé industriel correspond une échelle d’homogénéisation qui lui est propre. Ces procédés font intervenir diverses opérations de mélange qui sont généralement classifiées selon la ou les phases (ou états) en leur sein : liquide, solide et gazeuse. Par exemple, il peut être nécessaire d’homogénéiser un mélange de poudres dont un des constituants est un ingrédient actif afin de formuler un comprimé médicamenté. Dans ce cas, nous serons en présence d’un mélange solide (ou granulaire). Dans un second cas, nous pourrions chercher à mélanger deux liquides immiscibles (tels que de l’huile et de l’eau) afin de produire une émulsion (par exemple, une vinaigrette). Ce type d’opération sera qualifié de mélange liquide- liquide, car deux phases liquides distinctes coexistent. Finalement, dans un réacteur chimique en phase liquide dont la réaction nécessite un catalyseur, il peut être nécessaire de suspendre des particules afin de garantir une aire de contact suffisante entre les phases liquide et solide. L’étude de ce type d’opération, baptisé mélange solide-liquide, est l’objet de cette thèse. Les opérations de mélange solide-liquide jouent un rôle important dans de nombreux procédés

industriels. En effet, elles sont importantes pour les industries minières, pharmaceutiques et agroalimentaires [245]. Ces opérations ont souvent lieu dans des cuves, munis ou non de contre-pales et qui sont agitées par un ou des agitateurs disposés sur un ou plusieurs arbres d’agitation assurant le mélange. De nombreux types d’agitateurs existent et ceux-ci sont classifiés par le patron d’écoulement qu’ils génèrent en proximité de l’agitateur : axial, radial, mixte et de proche paroi.

Dans les opérations de mélange solide-liquide, l’objectif primaire est de mettre en suspension les particules afin de les distribuer dans l’ensemble du volume de liquide, tout en dispersant les agrégats pouvant se former localement. La distinction entre ces deux notions, la distribution et la dispersion, est illustrée à la Figure 1.2.

Figure 1.2 Un des objectifs principaux des opérations de mélange solide-liquide est d’obtenir une haute distribution et une haute dispersion. Figure inspirée de [245]

De la même manière que la caractérisation de l’homogénéité dépend de l’échelle d’observation, les procédés de mélange solide-liquide ont des visées bien différentes qui dépendent du besoin industriel. Pour la majeure partie des procédés, il est suffisant de suspendre les particules hors du fond de la cuve afin de maximiser la surface de contact entre les particules et le fluide. Certains réacteurs chimiques, pour les opérations agroalimentaires ainsi que pour

les cristallisoirs, requièrent que la concentration en solide soit homogène partout dans la cuve. Pour les cristallisoirs, les gradients de concentration en solide ont des conséquences dramatiques sur la taille et la qualité des cristaux. Une homogénéité quasi parfaite est alors souhaitée. Pour d’autres opérations, de fortes économies d’énergie peuvent être réalisées en opérant dans des conditions de suspension partielle, sans même affecter la qualité du produit final ou la fiabilité de l’opération. Compte tenu de ces besoins variés, la conception de ces opérations est d’une complexité déroutante. Cette dernière est exacerbée par les interactions entre le fluide et les particules qui a lieu sur un large éventail d’échelles de temps et de longueur. Il est donc nécessaire de se doter d’outils permettant de prédire les écoulements dans ces cuves agitées ainsi que : la distribution et la dispersion des particules, la puissance consommée, la fraction de particules suspendues et le temps de mélange.

La mécanique des fluides numérique (CFD, de l’anglais Computational Fluid Dynamics) consiste à résoudre les équations de la mécanique des fluides à l’aide d’ordinateurs3. Il s’agit

d’un outil performant qui permet de prédire quantitativement l’écoulement au sein de cuves agitées. Bien que largement développée pour des écoulements monophasiques, l’utilisation de la CFD pour étudier des écoulements multiphasiques demeure un défi considérable. La CFD représente la clef de voûte qui permettra de comprendre et de prédire les écoulements dans des géométries complexes telles que les cuves agitées.

Ce projet de doctorat porte sur le développement et sur l’utilisation de la CFD multipha- sique. L’objectif final de ce projet est de concevoir un modèle numérique qui pour prédire le degré de suspension ainsi que la répartition de particules solides dans des configurations géométriques réalistes et d’utiliser ce modèle afin de comprendre la dynamique du mélange solide-liquide au sein de cuves agitées. Originalement, la portée de ce travail était restreinte aux régimes laminaire et transitoire, mais les résultats positifs obtenus ont permis d’aborder la problématique particulière du régime turbulent d’opération.

Dans le cadre de cette thèse, une revue de littérature étendue sera d’abord réalisée. L’ob- jectif général de la thèse sera ensuite reformulé en fonction de l’état de l’art et les objectifs spécifiques seront établis. La structure de la thèse sera ensuite détaillée. Une attention par- ticulière sera consacrée au lien unissant les chapitres issus des six contributions (ou articles) réalisées en tant que premier auteur ainsi qu’à la contribution réalisée comme second auteur (en annexe). Une discussion permettra ensuite de conclure de manière plus générale sur les contributions scientifiques issues de cette thèse et abordera des suggestions pour des travaux futurs pouvant en découler.

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