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3. Chapitre 3 : Provenance des matières premières, terroir et offre localisée

3.1. La provenance des matières premières

3.1.2. Le houblon

Malgré sa grande popularité présentement, entre autres pour ses propriétés aromatiques et l’amertume qu’il procure dans des styles de bières bien houblonnés comme l’IPA, le houblon est probablement le seul ingrédient qui n’est pas vraiment essentiel à la bière, bien qu’aujourd’hui, son utilisation entre dans la définition même de ce dont une bière doit être constituée. On peut considérer le houblon comme « l’épice » de la bière. Ce n’est en effet que depuis le XVIe siècle que le houblon supplante les autres herbes et épices

qui étaient utilisées précédemment : « le myrte des marais, l’armoise commune, le lierre, le marrube, l’achillée millefeuille, la bruyère, les baies de genièvre, le carvi et le gingembre sont souvent cités dans la littérature comme ayant fait partie des mélanges qui ont précédé le houblon » (Lévesque Gendron et Thibault 2013 : 110).

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Ce n’est toutefois pas un hasard si le houblon est aujourd’hui l’épice de choix de la bière. Dès le XIIe siècle, la religieuse bénédictine allemande Hildegarde Von Bingen

identifie dans Physica, un recueil sur les plantes et animaux, des propriétés aseptisantes et conservatrices au houblon. Il y a aussi le fait que « cette plante grimpante est relativement facile à cultiver. Elle croît très rapidement et en abondance même dans des climats relativement ardus comme celui du Québec » (Lévesque Gendron et Thibault 2013 : 110). Le houblon (humulus lupulus) est une plante grimpante de la famille des cannabacées, cousine du cannabis. Les cônes, ou fleurs, femelles sont utilisés dans la bière pour les vertus mentionnées un peu plus haut, mais apportent aussi une amertume et des saveurs herbacées à la bière. Tous les styles de bières sont houblonnés, certains en beaucoup plus grande quantité que d’autres. Certaines microbrasseries brassent à l’occasion des bières sans houblon, que l’on nomme cervoises ou gruits.

Différents types, ou cultivars, de houblons s’offrent au brasseur. Chacun possède des caractéristiques et saveurs qui lui sont propres. Des

houblons européens comme le Saaz vont par exemple apporter des flaveurs herbacées et légèrement épicées à la bière tandis qu’un cultivar américain comme le Citra, plus riche en acides alpha, va procurer à la bière des notes de mangues, de pamplemousses ou de pêches, en plus d’une amertume un peu résineuse. Le Sorachi Ace, un houblon développé au Japon, est caractérisé quant à lui par des saveurs d’aneth et de lime. Plusieurs facteurs influencent les saveurs et différentes propriétés du houblon, le climat se retrouvant en première position. Pour Grégoire Roussel et René Guindon de L’amère à boire à Montréal, « le houblon d’une même variété donne différents résultats selon le climat de la région où il est cultivé. Le houblon Saaz de Bohème n’est pas le même que le Saaz de la côte ouest américaine qui a un

pourcentage d’acides alpha plus élevé et des saveurs moins fines. […] D’ailleurs, le houblon Saaz tchèque est un produit d’origine contrôlé par le ministère de l’agriculture

Illustration 14 : Malts torréfiés et houblons en granule chez Pit Caribou, Anse-à-Beaufils.

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tchèque » (Lévesque Gendron et Thibault 2013 : 113). Les houblons cultivés au Québec, de type Cascade par exemple, ne seront donc pas tout à fait les mêmes que les houblons Cascade provenant des États-Unis.

Aujourd’hui, les houblons utilisés par les brasseurs proviennent de plusieurs endroits dans le monde : des États-Unis (Cascade, Centennial, Citra, Simcoe…), de l’Angleterre (Challenger, Fuggle, East Kent Golding…), de l’Allemagne (Hallertau Mittelfrüh, Huell Melon, Mandarina Bavaria…), de la France (Strisselspalt, Mistral…), de la République tchèque (Saaz), de l’Australie (Ella, Galaxy…), de la Nouvelle-Zélande (Nelson Sauvin, Pacific Jade, Rakau…) et plus encore. Les brasseurs étant toujours à la recherche de houblons qui sont de plus en plus aromatiques, plusieurs croisements et hybrides ont vu le jour dans les dernières années. Le houblon américain Mosaic par exemple, assez populaire dans les IPA américaines, est né de l’union d’une plante femelle de type Simcoe et d’une plante dérivée du Nugget mâle. Le houblon peut être utilisé tel quel sous forme de fleurs séchées ou encore en granules (pellets) issues de fleurs comprimées qui facilitent sa manipulation et sa conservation (Lévesque Gendron et Thibault 2013 : 117).

Pour l’approvisionnement en houblons, une certaine proportion peut provenir du Québec. Du côté d’À l’Abri de la Tempête par exemple, « les houblons viennent à 30% de l’ouest américain, à 30% d’Europe et à 40% du Québec. Le volume de houblon en provenance du Québec est en forte progression ». Les brasseurs québécois font face à des contraintes semblables à celles de l’approvisionnement en malts. En effet, ce ne sont pas tous les cultivars de houblons qui sont disponibles au Québec, ou qui peuvent être cultivés au Québec. Des cultivars très aromatiques comme le Citra ou le Simcoe par exemple ne peuvent tout simplement pas être cultivés au Québec puisqu’ils sont régis par des brevets ou des marques déposées. Ces cultivars sont la propriété des entreprises qui les ont développés (Select Botanicals Group aux État-Unis dans le cas du Citra et du Simcoe par exemple). Les brasseurs désirant les utiliser sont donc inévitablement obligés d’acheter des houblons qui sont cultivés ailleurs qu’au Québec, par le biais du fournisseur Moût International par exemple, souvent à des prix plus élevés : « La liste de prix du fournisseur québécois de houblon Moût International, démontre en effet que les souches protégées – cultivables uniquement avec une licence et dont les arômes intenses sont recherchés –

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valent souvent le double de celles non protégées. Par exemple, un kilo de Cascade américain (non-protégé) coûte 37 $, alors qu’un kilo de Simcoe américain (protégé), 70 $ ».

Malgré tout, l’industrie des houblonnières, tout comme celle des malteries, est en expansion présentement au Québec, et l’offre se fait de plus en plus intéressante pour les microbrasseries désirant utiliser du houblon québécois : « L’agronome [Julien Venne] prévoit que la trentaine de houblonnières québécoises produiront autour de 85 tonnes en 2018, alors qu’il y a dix ans, elles avaient produit moins d’une tonne » (Luca 2018). Les houblonnières québécoises cultivent principalement des houblons plus classiques (moins fruités et plus herbacés que les cultivars américains à la mode) comme le Cascade, le Centennial ou le Chinook.

Pour certains brasseurs, l’utilisation de houblons québécois est très importante. Dépendamment de l’offre des houblonnière, leur approvisionnement se fera dans la plus grande proportion possible en houblons québécois.

Chez le Naufrageur à Carleton-sur-Mer par exemple, il est très important de s’approvisionner en houblons québécois. Tout comme c’est le cas pour le malt, les houblons québécois sont toujours priorisés, et ce depuis déjà plusieurs années. Le brasseur Louis-Franck Valade se procure des houblons chez différents producteurs locaux : « pour le houblon, on fait affaire avec plusieurs houblonnières. Une partie vient de l’houblonnière à Maria, la Ferme du Ruisseau Vert. C’est petit donc ils ne peuvent pas nous fournir à l’année. […] On travaille beaucoup avec Lupuline aussi dans le Pontiac et au début c’était eux les principaux qui faisaient du bon houblon québécois. Maintenant, il y en a plein d’autres ». L’offre grandissante de houblons québécois de qualité est très motivante pour Louis-Franck Valade qui désire fortement encourager le développement de cette industrie.

Du côté de la microbrasserie le Secret des Dieux à Pohénégamook, le brasseur Daniel Blier tente également de se tourner de plus en plus vers les houblons québécois : « Pour ce qui est du houblon, 80% de nos houblons viennent des Jarrets Noirs en Beauce, Je suis allé les visiter il y a deux semaines justement quand je suis allé chercher mon houblon, c’est sur la coche là c’est vraiment sur la grosse coche. Et le restant du houblon vient d’Oregon, Willamette Valley en Oregon. […] Donc, local le plus possible mais on

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sort de notre territoire bien sûr pour ce qu’on ne peut pas trouver ici ». En effet, pour les IPA, il est difficile de substituer les houblons américains pour le moment, qui sont pour la plupart extrêmement aromatiques et non égalés au Québec. La plus grande partie des houblons utilisés par le Secret des Dieux est tout de même québécoise.

Plusieurs brasseurs désirent utiliser de plus en plus de houblons québécois. Au fur et à mesure que le marché des houblonnières québécoises se développe, ces brasseurs testent différents cultivars québécois pour voir s’ils peuvent correspondre à leurs goûts.

Nicolas Falcimaigne, brasseur chez le Caveau des Trois-Pistoles à Trois-Pistoles, désire par exemple utiliser de plus en plus de houblons québécois mais pour lui l’offre n’est pas assez intéressante quantitativement pour le moment : « Progressivement, on est en train de sélectionner des produits plus locaux. Déjà on a plusieurs houblons qui viennent du Québec mais ça, n’importe quel brasseur vous dira que tu es chanceux si tu peux avoir un maximum de houblons du Québec. Ça ne suffira pas, pour l’instant ça ne suffit pas ». Félix Labrecque, de la microbrasserie Le Malbord à Sainte-Anne-des-Monts, veut lui aussi sélectionner de plus en plus des houblons québécois, même si ce n’est pas entièrement le cas présentement à cause de l’offre qui est limitée : « Dans la Pagon, notre IPA, il y a beaucoup de houblon. Éventuellement, s’il y a des houblons qui poussent proche, on va pouvoir les incorporer dans une recette. On en achète des locaux autant que possible. Il y a les Jarrets Noirs en Beauce qui font des bons produits, on en a acheté des bonnes quantités là déjà ».

Pour d’autres brasseurs, comme Martin Desautels de la microbrasserie Tête d’Allumette à Saint-André-de-Kamouraska, l’offre en houblons québécois est trop limitée. Si on la compare à l’offre provenant d’autres pays, comme les États-Unis où la qualité du houblon est très bonne, elle n’est pas encore de taille au Québec compte tenue du choix limité en termes de cultivars différents et de la qualité de chacun des types de houblons disponibles. De plus, les houblons qui sont souvent les plus intéressants sont régis par des brevets et donc impossible à cultiver au Québec. Les prix peuvent souvent être meilleurs ailleurs également :

L’autre chose qui est dommage c’est que c’est bien beau du Willamette et du Nugget mais au Québec ça va rester qu’on est seulement capable de faire pousser peut-être une quinzaine de sortes de houblons de façon convenable

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et que c’est toutes des variétés qu’on est capable d’acheter de partout dans le monde, qualité numéro un, et qui nous coûte moins cher. Si tu fais le choix de l’acheter québécois, tu vas le payer deux ou trois fois le prix parce qu’il est fait au Québec et que les gars sont moins équipés. Tu vis avec des contraintes de qualité qui sont changeantes d’une année à l’autre.

Martin Desautels croit par contre que cette industrie s’améliore de plus en plus et désire se procurer du houblon québécois le plus possible, dans la mesure où celui-ci sera de bonne qualité. « Il y a le couple des Jarrets Noirs [en Beauce] et leur projet d’houblonnière qui est très professionnel. Leurs produits sont de qualité, ils sont capables de fournir, ils sont sérieux ».

En résumé, l’offre en houblon des houblonnières québécoises est grandissante même s’il reste du chemin à faire de ce côté. Encore une fois, comme c’est aussi le cas pour le malt, la majorité des brasseurs québécois désirent s’approvisionner le plus possible au Québec et le feront probablement de plus en plus dans le futur.