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1. Chapitre I : Introduction

1.5. Le Grand style

Les philosophes sont des violents qui, faute d’armée à leur disposition, se soumettent le monde en l’enfermant dans un système.

MUSIL, L’homme sans qualités

Qui s’obligerait à tout dire, s’obligerait à ne rien faire de ce qu’on est contraint de taire.

MONTAIGNE, Essais

Je désire maintenant affronter la question du style chez Debord, chez lui tributaire de la notion de grand style développée par Nietzsche. Car si Debord prétend mépriser les lettres et les fonctions sociales qui s’y rattachent, il cultive paradoxalement un certain culte du style, une recherche de l’excellence au niveau de l’écrit, qui passe pour suspecte. Quelques critiques ont d’ailleurs déjà souligné l’étrange usage stylisé du français classique chez Debord ― avec son souci de concision, de pureté et de clarté ― souvent pour la critiquer, n’y voyant qu’une forme de maniérisme démodé s’opposant à la pulsion démocratique. Pour Mario Perniola, au contraire, Debord atteint, par son utilisation singulière du grand style, une puissance inédite dans le siècle : « c’est pour moi une source de grande joie que d’avoir connu l’homme qui, dans la seconde moitié du vingtième siècle, a été la personnification du "grand style" : Guy Debord » (Perniola 2001 : 212). Que doit-on comprendre de cette affirmation? Que-ce que cela peut bien vouloir dire, que Debord ait personnifié le grand style dans son époque?

Il faut bien admettre, dans un premier temps, qu’une des forces de l’œuvre de Debord réside dans la présence d’un style insolant venant appuyer une forte

personnalité, certes démesurée selon les standards en vigueur, mais qui peut s’en plaindre à une époque où la modestie et la politesse dominent partout les discours et les caractères devenus trop souvent insipides? Debord lui-même sait bien que le scandale majeur se trouve là : « On est facilement coupable d’avoir du style, là où il est devenu aussi rare de le rencontrer que la personnalité elle-même. N’est-ce pas avouer son manque de considération pour l’esprit démocratique spectaculaire? » (2006 CMR : 1798). Aux puissances mortifères de l’anonyme et de l’informe, Debord oppose la puissance du grand style, c’est-à-dire le violent point d’incandescence d’un moi qui intensifie sa différence dans le langage et dans la vie.

Son œuvre ultime, Debord prétend l’établir au-delà la représentation. Cette œuvre, c’est la fabrication d’un character23, c’est-à-dire la construction d’une personnalité forte, qui prétend se distinguer de celles de ses contemporains : « Je me suis employé d’abord et presque exclusivement à vivre comme il convenait le mieux » (Debord CMR : 1803). Le style exerce le caractère, et inversement ; comme s’il n’y avait pas de clivage entre le sujet et le langage. La vie et le style sont

complémentaires ; ce sont deux terrains parallèles sur lesquels s’exerce le pouvoir d’un sujet souverain, c’est-à-dire d’abord souverain de lui-même, maître de ses passions. Mieux encore : le style est la face matérielle des puissances de la pensée et du ressenti. Selon cette conception éthique qui unit intimement la puissance du style avec le niveau d’émancipation de l’individu, on habite le langage de la même façon que l’on habite le monde : en esclave, ou bien en citoyen libre.

23 Dans la version cinématographique de La société du spectacle, Debord détourne un extrait de Mr. Arkadin dans lequel le personnage joué par Orson Welles lève son verre et invite ses hôtes à boire à l’honneur du caractère : « Let's drink to character ».

Chez Debord, l’expression, l’écriture et le style ne relèvent donc pas uniquement de la forme ou de la rhétorique, mais bien davantage de l’intensité du vécu et de la pensée, comme l’a compris Cécile Guilbert : « Le style n’est jamais la forme. Toute pensée puissante trouve comme naturellement les conditions de sa formulation. La puissance du style est la puissance tout court » (Guilbert 1996 : 64). Dans Panégyrique, Debord écrit : « Le ton de ce discours sera en lui-même une garantie suffisante, puisque tout le monde comprendra que c’est uniquement en ayant vécu comme cela que l’on peut avoir la maîtrise de cette sorte d’exposé » (Debord 2006 PAN.1 : 1661). Il faut donc admettre que, pour Debord, le grand style n’est pas une question littéraire, mais bien une question existentielle ; comme le rappelle Kaufmann, « le grand art, le grand style procèdent d’un art de vivre, n’en déplaise à ceux qui s’acharnent à le réduire à une rhétorique […] » (Kaufmann 2001 : 61). C’est dire que la qualité du vécu garantit directement la beauté du style, seul domaine capable de matérialiser une puissance de vie, et de projeter cette puissance dans le temps et l’espace.

C’est de cette manière qu’il est permis d’analyser la critique que Debord fait de l’emploi du français contemporain dans Panégyrique : il n’est selon lui que le reflet de la dégénérescence généralisée de la qualité de vie, de même que son appauvrissement témoigne de la fin de la conscience historique. Ceux qui ont réussi à échapper à cette détérioration de l’expérience qu’impose la domination spectaculaire maîtrisent nécessairement la langue mieux que les autres. L’emploi de la langue du XVIIe siècle et les détournements classiques permettent à Debord de contourner, dans un futur indéfini, la destruction ― corollaire au déclin de la société française ― de la langue française elle-même : « en se référant au vaste corpus des

textes classiques parus en français tout au long des cinq siècles antérieurs à ma naissance, […] il sera toujours facile de me traduire convenablement dans n’importe quel idiome de l’avenir, même quand le français sera devenu une langue morte » (Debord 2006 PAN.1 : 1660).

Aussi, le style n’est pas uniquement présent dans l’écrit : il se lie intimement à l’oralité, en ceci que c’est dans le langage parlé que l’individu peut, sans le décalage temporel qu’implique l’effort d’écriture, faire l’emploi de ses forces immédiates. Ainsi, Debord affirme dans l’introduction du Panégyrique : « je vais pour ma part écrire sans recherche et sans fatigue, comme la chose la plus normale et la plus aisée, la langue que j’ai apprise et, dans la plupart des circonstances, parlée » (Debord 2006 PAN.1 : 1660). Dans l’exercice oral de la langue cependant, c’est uniquement quand le sujet se trouve en position de contrôle que la grandeur du style peut advenir; dès que ce sont les autres qui tiennent les rênes de la conversation, les conditions de possibilité du grand style disparaissent :

C’est généralement une triste épreuve, pour un auteur qui écrit à un certain degré de qualité, et sait donc ce que parler veut dire, quand il doit relire et consentir à signer ses propres réponses dans un procès-verbal de police judiciaire. […] Ainsi donc, je déclare ici que mes réponses aux polices ne devraient pas être éditées plus tard dans mes œuvres complètes, pour des scrupules de forme, et quoique j’en aie signé sans gêne le véridique contenu (Debord 2006 PAN.1 : 1677).

Je conclus de ces remarques que le grand style est l’expression intime et matérielle d’une volonté de puissance. Lorsque cette volonté est contrariée par des circonstances contingentes limitant le champ d’action du sujet, le grand style se raréfie, la parole se délie, l’expression se fait esclave d’un échange qui lui échappe.

On retrouve ici la conception nietzschéenne du grand style comme expression directe de la santé physique et psychique, comme concentration de forces vitales

s’opposant à la maladie, à la faiblesse, à la dégénérescence. Le style, pour Nietzsche, se trouve du côté de la fertilité : « Tout d’abord, il faut qu’il y ait de la vie : et le style doit vivre » (Nietzsche 1979 : 183). C’est pourquoi le style est d’abord lié au corps de celui qui le profère : « Le style est ce qui s’entend du corps, en tant que celui-ci n’est accessible que comme "texte" » (Blondel 1986 : 163). Paradoxalement, c’est au moment où son corps l’abandonne que Debord se met à réfléchir à l’importance du style. Peut-être que Debord devinait comment le style est créateur de vie, et comment il se décode sur un plan corporel24 : « L’abondance de vie se trahit par l’abondance de gestes. Longueur et brièveté des phrases, ponctuations, choix des mots, respirations, successions des arguments ― il faut apprendre à tout ressentir comme autant de gestes »25 (Nietzsche 1979 : 183). Le style, c’est une série de gestes, de postures, c’est-à-dire une traduction physique d’états spirituels et subjectifs. Il semble donc primordial dans le projet mémorialiste de Debord : le style fige son corps dans la pierre, et fait passer ses postures dans l’éternité.

L’importance nouvelle que prend la question du style dans les œuvres tardives ne doit pas nous faire oublier que Debord s’y référait dès les années soixante. Par

24 « On ne peut saisir pleinement la notion nietzschéenne de "grand style" si on la sépare le la réflexion

que Nietzsche mène parallèlement sur l’importance de l’élément physiologique dans l’art, qui constitue un préalable indispensable au style. En d’autres termes, ce dernier est étranger aussi bien au "au raidissement de la forme dans le pédant et dans le formel, qu’au pur délire dans l’ivresse" » (Perniola 2001 : 216).

25 On doit ici faire un lien avec le genre médiéval de la chanson de geste, un des premiers genres

littéraires médiévaux, dont l’intention glorificatrice et mémorielle n’est pas sans rappeler une certaine posture épique propre à Debord (il s’agit dans la chanson de geste de relater les événements glorieux et les actes héroïques de certaines figures du passé auxquelles la nation doit rendre hommage). De plus, le genre était relié à l’oralité, tout comme le grand style, qui se doit de rendre présent une certaine forme de corporalité. Debord s’est lui-même référé à cette tradition : en 1953, Debord compose une métagraphie – nommée Histoire des gestes – directement sur des bouteilles de rhum vides. Voici comment on décrit l’œuvre dans Potlatch : « Écrit avec des photos et des fragments de journaux collés sur des bouteilles de rhum, le roman tridimensionnel de G.-E. Debord, Histoire des gestes, laisse au gré du lecteur la suite des idées, le fil perdu d’un labyrinthe d’anecdotes simultanées » (Debord 2006 : 104). Debord écrit la même année dans son Manifeste pour une construction de situations : « Les gestes que nous avons eu l’occasion de faire étaient bien insuffisants, il faut en convenir » (Debord 2006 : 105).

exemple, dans La Société du spectacle, Debord écrit : « Sous les modes apparentes qui s’annulent et se recomposent à la surface futile du temps pseudo-cyclique contemplé, le grand style de l’époque est toujours dans ce qui est orienté par la nécessité évidente et secrète de la révolution ». (Debord 2006 SDS : 826). Déjà en 1967 donc, le grand style pour Debord ne constitue pas d’abord une question formelle. Il apparaît au confluent d’un projet de transformation du monde : le grand style est ici ce qui garantit la validité du projet révolutionnaire. Le philosophe lui- même doit adopter le grand style, seul moyen de parvenir à ses fins, comme le rappelait Nietzsche dans une citation qu’il attribuait faussement à son modèle d’écrivain français, Stendhal : « Pour être philosophe […] il faut être clair, sec et sans illusion. Un banquier qui a fait fortune a une partie des caractères requis pour faire des découvertes en philosophie, c'est-à-dire pour voir clair dans ce qui est » (Nietzsche 2000 : 90). Le grand style devient ainsi la forme idéale afin de transmettre une certaine lucidité du regard, une vision du monde dépourvue de la moindre illusion.

La définition nietzschéenne du grand style peut nous aider à mieux saisir l’emploi singulier qu’en fait Debord. Premièrement, Nietzsche lie le grand style à la volonté de puissance :

Une chose est nécessaire. ― « Donner du style » à son caractère ― un art grand et rare! […] Ce seront les natures fortes, tyranniques qui savoureront leur joie la plus subtile dans une telle contrainte, dans une telle sujétion et un tel accomplissement dictés par leur loi propre […] En sens inverse, ce sont les caractères faibles, incapables de se dominer, qui

haïssent la sujétion du style (Nietzsche 1997 : 235-236).

Seules des « natures fortes » et « tyranniques » peuvent s’adonner à cet exercice de contrôle de soi que représente la pratique du grand style. C’est-à-dire que ce sont

d’abord des natures tyranniques envers eux-mêmes qui peuvent pratiquer cet art. Pour Nietzsche, il s’agit surtout de contrôler ses passions, de ne pas se laisser dominer par elles : « Maîtriser le chaos que l’on est : contraindre son chaos à devenir ordre ; devenir nécessité dans la forme : […] devenir loi ― : c’est la grande ambition » (Nietzsche, cité dans Blondel 1986 : 162). « Maîtriser le chaos que l’on est » signifie : se donner une loi, une forme, une direction, à l’ensemble des affects et des passions qui nous habitent et qui fragmentent notre expérience subjective. Pour Nietzsche, l’expérience subjective du sujet est par définition décousue, anarchique, informe. La forme est le produit d’une volonté de puissance qui veut donner une direction à une multiplicité de forces dispersées :

Le grand style réduit et comprime les dissonances de la vie en une harmonie unitaire. En ce sens il est aussi violence […] : c’est la violence métaphysique d’une pensée qui impose aux choses la camisole de force de l’identité et fait d’elles les symboles d’un universel (Magris 2003 : 13).

Aux esprits supérieurs capables de pratiquer le grand style, Nietzche accorde le privilège d’exercer une certaine violence. Perniola vante d’ailleurs le caractère rugueux, voire déplaisant, de Debord :

Nietzsche […] estimait que la grandeur d’âme n’est pas compatible avec les vertus aimables : « le grand style exclut l’agréable ». À une époque qui a fait de l’agréable et du désinvolte les qualités les plus reconnues, Debord se présente à ses contemporains de manière âpre et rigoureuse (Perniola 2001 : 212).

Cette violence de la pensée, que les auteurs s’imposent à eux-mêmes, se transfère aussi parfois au monde extérieur, surtout quand ce dernier ne se soumet pas au monde de la pensée, en se trouvant en inadéquation avec l’Idéal. On retrouve ici les prémisses provoquant la rupture entre Debord et le monde moderne, et son ralliement à un système anachronique de valeurs, associé au code d’honneur aristocratique.

Une personnalité surhumaine ne peut s’exprimer qu’avec grand style ; chez Debord, ce grand style prend la forme sentencieuse d’un sujet assuré de ses jugements : il additionne ses avis et ses directives avec une passion froide, à la fois

détachée et impliquée. Le grand style présuppose donc l’acte de violence d’un sujet qui adopte le point de vue de la totalité, comme l’explique Claudio Magris : « Le grand style présuppose que l’on regarde d’en haut, ce qui implique l’existence d’un point d’observation élevé et d’une personne capable de se situer en ce point, de se poser en ordonnateur et en législateur » (Magris 2003 : 14). Comment mieux décrire la personnalité de Debord? Le concept de spectacle lui permettait d’ailleurs d’atteindre ce point d’observation extérieur sur le monde, et le jugement sans appel qui l’accompagne. Le désir de Debord d’opérer une critique qui puisse atteindre la

totalité du social et de l’histoire implique l’existence de ce regard ordonnateur du monde dont la modernité a fait le deuil : « La totalité dont parle Lukács dans sa

Théorie du roman présuppose non seulement la maîtrise artistique, mais, aussi et surtout, un sens unitaire de la vie, une valeur autour de laquelle […] on puisse ordonner la multiplicité de l’expérience » (Magris 2003 : 19).

En devenant Censeur, Juge, Debord ne pouvait qu’adopter le grand style des moralistes : le grand style est par définition l’activité d’êtres humains qui se prétendent dégagés des habitudes et des affects qui ombragent la conscience de leurs contemporains. Le positionnement ex-térieur du philosophe, son intempestivité, provient d’un notable effort de dégagement des passions et des réflexes de la multitude. En ce sens, celui qui s’adonne au grand art et au grand style est un être clivé, qui se fait violence afin de dégager une puissance, une vérité, qui le dépasse. C’est pourquoi Nietzsche évoque la « sujétion du style » : les êtres forts sont ceux qui

se soumettent douloureusement à la discipline du style afin de découvrir un pouvoir qui les désarme en partie de leur volonté. Il est vrai que toute pensée nait dans un nécessaire acte de violence à soi-même.

C’est dans la frénésie baroque (reprise dans une certaine mesure par les romantiques allemands, auxquels Nietzsche s’oppose), avec son angoissante production d’images sans fin, que Nietzsche identifie le mouvement de décadence littéraire :

À quoi distingue-t-on toute décadence littéraire ? À ce que la vie n’anime plus l’ensemble. Le mot devient souverain et fait irruption hors de la phrase, la phrase déborde et obscurcit le sens de la page, la page prend vie au détriment de l’ensemble : ― le tout ne forme plus un tout (Nietzsche 1974 : 43).

Une trop grande dispersion des éléments élimine paradoxalement la vie qui les anime ; seule une concentration extrême permet d’illuminer, de rendre organique et fonctionnelle, une œuvre d’art. Il s’agit de créer, à travers cette multiplicité, une force supérieure, apte à agencer et ordonner la forme primitive et barbare qu’adopte toute expression dans sa première manifestation. On rencontre ici le paradoxal classicisme de Nietzsche, aussi présent, bien entendu, chez Debord. Selon la tradition, la concision et la force retenue du classicisme s’opposent à l’enflure baroque. Mais chez Debord, on retrouve une valorisation extrême de la mentalité baroque, alors que sur le plan stylistique, on privilégie nettement la clarté expressive des classiques du Grand Siècle (que Nietzsche admirait d’ailleurs tout autant que lui). Comment interpréter la cohabitation chez Debord de ces deux traditions distinctes? On retrouve cette même dualité dans la philosophie esthétique nietzschéenne, partagée entre la posture autoritaire du classicisme et le relâchement que permet l’ivresse.

Il faut d’abord rappeler que les adeptes du grand style ne sont généralement pas dépourvus des passions qu’il reproche souvent à leurs contemporains. Chez Debord, par exemple, on revendique pleinement ses passions et l’aveuglement qu’elles provoquent. Ce qui donne lieu, parfois, à de délicieux retournements de sens : par exemple, quand L’Internationale situationniste détourne la maxime de La Rochefoucauld, « Ce qui nous empêche bien souvent de nous adonner à un seul vice, c’est que nous en avons plusieurs », on comprend que la maxime doit signifier exactement le contraire que le sens originellement impliqué par son auteur26. L’éloge du vice et de la passion (amoureuse, guerrière, éthylique ou autre) est constant dans l’œuvre mémorialiste de Debord. L’amitié, la rupture, la violence font partie d’une série de passions que Debord reconnaît chez lui, et qu’il tente d’expliquer par son époque troublée : « la dégradation de toutes les conditions existantes est justement apparue à ce moment-là, comme pour donner raison à ma folie singulière » (Debord 2006 PAN.1 : 1664). Ou encore, dans "Cette mauvaise réputation…" :

« Le temps était sorti de ses gonds », pour le dire en termes shakespeariens, et cette fois c’était véritablement partout : dans la société, dans l’art, dans l’économie, dans la façon même de penser et de ressentir. Rien n’avait plus de mesure. J’ai été avant tout quelqu’un de ces temps-là (Debord 2006 CMR : 1820-1821).

Ici, Debord se positionne à la hauteur de son époque, qu’il définit comme étant marquée par la démesure, c’est-à-dire par l’éclatement de tout système normatif de références. À l’image de ces « temps-là », plus rien n’a d’équivalence, et Debord revendique ses passions, qui ne peuvent plus se mesurer à aucun critère préétabli.