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2. Chapitre II Héritages de l’avant-garde : l’art comme machine de guerre

2.3. Images, terreur, choc

Dans son article « Le surréalisme, le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », Walter Benjamin précise son admiration pour le mouvement surréaliste et son appréciation du contenu émancipateur de sa pratique. C’est surtout autour de la notion d’image que se noue le rapport passionnel entre Benjamin et le surréalisme. André Breton et ses camarades ont eux-mêmes défini le surréalisme par rapport à sa

production d’images fulgurantes. On peut déduire qu’une certaine idée des violents

effets de l’image se trouve à la base de l’esthétisme des surréalistes, et certainement aussi de plusieurs autres groupes d’avant-garde. J’explorerai cette notion en confrontant les théories benjaminiennes aux concepts surréalistes, et en tentant de comprendre comment une nouvelle conception du rôle de l’image est un moteur

potentiellement fécond pour l’art du XXe siècle. Je montrerai finalement comment les situationnistes développent leur propre poétique à travers une critique de l’image et de la mythologie surréaliste.

Pour les avant-gardes du XXe siècle, le concept d’expérience devient central et détermine la pratique artistique, comme le rappelle Walter Benjamin lorsqu’il évoque le mouvement surréaliste : « […] on sait aussi qu’il est ici question d’expériences, non de théories, encore moins de fantasmes » (Benjamin 2000b : 116). La forme comme expérience de vie, la vie comme forme, voilà bien la devise essentielle du surréalisme, qui reprennent le projet initial du Sturm und Drang36. Le mouvement situationniste poursuit aussi cette conception romantique de l’art, mais il se développe dans la conscience critique des erreurs surréalistes.

Les deux axiomes essentiels de l’avant-garde ― esthétisation de la vie quotidienne et politisation de l’art ― permettent de comprendre le genre littéraire systématiquement pratiqué par ces groupes : le Manifeste. Si le genre est inventé au XIXe siècle, et s’il s’applique principalement au politique à l’origine, il s’élargit considérablement pour s’accorder à un ensemble de sphères et de pratiques. Le Manifeste artistique qui émerge au XXe siècle dédouble conceptuellement l’œuvre d’art souvent absente pour la précipiter dans l’arène des combats et des luttes qui déchirent la société. Selon Alain Badiou, le Manifeste témoigne surtout du caractère

36 Sur cette question de la filiation de l’avant-garde avec le romantisme allemand, on peut sans doute

faire du célèbre essai de Frédéric Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme (1795), le grand précurseur de toutes les idéologies du modernisme artistique. Se retrouve en lui l’idée de l’art en tant que promesse d’un homme nouveau, vision à la base du projet de l’avant-garde artistique. Rappelons que cet essai approfondit notamment la question centrale du jeu dans la création culturelle ; ces idées seront de nouveau mises de l’avant dans l’ouvrage de Johan Huizinga, Homo ludens (1938), qui a influencé aussi bien Breton que Debord. Selon Emmanuel Rubio, Breton revendiquait la filiation aux romantiques : « […] l’humour noir prolonge […] l’ironie romantique plutôt qu’il ne l’achève. Breton, ainsi, installe le surréalisme au terme même de l’évolution romantique ― mais en évitant soigneusement de faire entrer en jeu la séquence suivante dans l’édifice hégélien » (Rubio 2008 : 96).

non représentatif de l’art d’avant-garde : « Le Manifeste est la reconstruction, dans un futur indéterminé, de ce qui, étant de l’ordre de l’acte, de la fulguration aussitôt évanouie, ne se laisse pas nommer au présent » (Badiou 2005 : 195). Un art sans œuvres devient dans l’après-coup un art programmatique et performatif : « Il n’y a pas de métalangage approprié à la production artistique. Pour autant qu’une déclaration concerne cette production, elle ne peut en capturer le présent, et c’est donc tout naturellement qu’elle lui invente un futur » (Badiou 2005 : 195). Debord comprend ce dédoublement du présent absolu en un futur indéfini, modalité par excellence de la production d’avant-garde : « L’avant-garde est ainsi le début de réalisation d’une nouveauté […] L’avant-garde n’a pas son champ dans l’avenir, mais dans le présent : elle décrit et commence un présent possible […] » (Debord 2006 : 638).

C’est uniquement dans le langage « manifestaire », dans sa projection vers le futur d’un art toujours à venir, que peut se tracer en négatif les contours de cette expérience vécue qui échappe à la représentation. L’art s’inscrit désormais dans une conception du temps comme venu et accomplissement. L’art ne s’approfondit que sous forme de programme, de promesse. Sous la plume de Breton, « La beauté sera convulsive ou ne sera pas ». Chez Debord, qui détourne le maître, « la beauté nouvelle sera de SITUATION, c'est-à-dire provisoire et vécue » (Debord 2006 : 119). Dans les deux cas, ce qu’on entend, c’est l’appel d’un art pour le futur. Une partie de l’œuvre de Debord s’inscrit directement dans le genre du manifeste37. Mais j’émets l’hypothèse selon laquelle le caractère programmatique du manifeste se retrouve au

37 Notamment Rapport sur la construction des situations (1957), Préliminaires pour une définition de l’unité du programme révolutionnaire (1961) et Les Situationnistes et les nouvelles formes d’action

fond dans l’ensemble de l’œuvre de Debord. Car sa vie même s’est vécue comme un programme, ou comme une promesse à réaliser. Elle se présente à la fois comme ultime réalisation de l’art, et comme œuvre à poursuivre, comme défi à relever dans une logique du potlatch.

Chez les situationnistes, cette conception messianique de l’art se réalise concrètement. Il n’y a plus d’art, mais plutôt des événements (des « situations ») dont les productions artistiques ne font que témoigner dans un après-coup restituant :

Nos situations seront sans avenir, seront des lieux de passage. Le caractère immuable de l’art, ou de toute autre chose, n’entre pas dans nos considérations, qui sont sérieuses. L’idée d’éternité est la plus grossière qu’un homme puisse concevoir à propos de ses actes (Debord 2006 RCS : 326).

L’événement ou la « situation », par définition, s’oppose au jugement. L’événement, c’est ce qui est imprévisible, inattendu, c’est un acte ou une action qui vient déchirer toutes les grilles de prévisibilité aussi bien que le schéma de répétition dans lequel tourne inlassablement la « réalité » qui nous recouvre. En bref, l’événement, c’est l’irruption du Réel en tant que vérité transcendant la réalité.

L’événement ne peut être compris dans son essence qu’à travers son rapport au temps. L’événementialité apparaît dans une sorte de disjonction/rupture du temps « normal » : « La théorie situationniste soutient résolument une conception non continue de la vie » (Debord 2006 RCS : 326). La suspension de la causalité « naturelle » définit l’irruption de l’événement, et c’est pourquoi l’art événementiel des situationnistes consiste en une stratégie délibérée pour échapper au jugement38,

38 Nous sommes aujourd’hui dans une séquence historique dominée partout par le Jugement, selon le

sens que lui a donné Gilles Deleuze : le jugement « suppose des critères préexistants (valeurs supérieures) et préexistants de tout temps (à l’infini du temps), de telle manière qu’il ne peut appréhender ce qu’il y a de nouveau dans un existant, ni même pressentir la création d’un mode

toujours lié à un « infini du temps » qui prend en charge l’événement pour, dans un premier temps, le désamorcer dans sa singularité traumatique, avant de le faire abdiquer dans le jugement réfléchissant de la raison, de la logique, de la connaissance. L’événement, c’est le présent pur qui échappe à l’infini du temps; les avant-gardes cherchent à « forcer la reconnaissance de ce présent » (Badiou 2005 : 189) en dehors de toute considération sur la possible postérité (qui, par définition, est toujours traître). Cette possible récupération de sa production ― et donc, de sa vie ― hante au plus haut point la conscience de Debord, et alimente une paranoïa inspirée par la connaissance de la destination des avant-gardes qui l’ont précédé. L’affirmation autoritaire de la pureté évènementielle de la production d’avant-garde sert précisément à conjurer toutes tentatives de récupération future ; l’événement est ce qui se produit et se reçoit dans son immédiateté sauvage, dans une présence à soi hostile aux forces du passé tout autant qu’aux tentatives d’assimilation futures.

En définissant la vie comme une succession de fragments ou de séquences introduisant des ruptures, les avant-gardes rejettent la dictature du Jugement : si la rupture vaut en elle-même, c’est uniquement du point de vue de sa propre immanence qu’un certain jugement extérieur est possible39. Et cette sortie rédemptrice de l’Histoire et de la catégorie du jugement qu’elle implique vaut d’autant plus pour leurs propres productions artistiques : les avant-gardes les veulent comme des chocs valant en soi et pour soi, en dehors de toute conception historiciste. C’est bien plutôt à

d’existence » (Deleuze 1993 : 168). Le ton moralisateur qui domine généralement lorsqu’on évoque les expérimentations politiques ou esthétiques du siècle passé témoigne d’un certain triomphe postmoderne de la catégorie du Jugement.

39 On peut comprendre dans cette perspective le rejet surréaliste et situationniste de la morale

commune, ainsi que leur apologie de la Terreur. Benjamin a bien compris cette dynamique chez les surréalistes quand il écrit : « […] on y trouve le culte du mal, un appareil qui peut servir à désinfecter et à isoler la politique de tout dilettantisme moralisateur » (Benjamin 2000b : 127).

partir d’un présent absolutisé que les avant-gardes évoluent et produisent. Elles créent un art évanescent au sein d’un rite communicationnel entre les membres exclusifs d’une aventure collective. L’écriture automatique surréaliste ou la dérive situationniste doivent se comprendre en tant qu’expérimentation collective dans laquelle se dissolvent, au moins en partie, les sujets individuels. La vérité passe peut- être comme un éclair, mais une série de fidèles participe à son éclat.

En règle générale, l’événement arrive, tout simplement, hors de toute volonté, hors de toute détermination : c’est justement son caractère fortuit, hasardeux et fragile qui le constitue en tant qu’événement. Le propre du surréalisme et du situationnisme est d’avoir voulu recentrer la percée de l’événement dans le domaine de l’expérience. Mais comment combiner la subjectivité à la source de l’expérience avec la transcendance de l’arrêt événementiel? Pour les surréalistes, on connaît la solution : c’est le rêve et toutes les formes de productions inconscientes qui agissent comme parfait médiateur et qui assurent un équilibre des forces entre la volonté du sujet (en partie contrarié par l’inconscient) et l’aspect incontrôlable et imprévisible de l’événement. C’est précisément cette position centrale du rêve que va critiquer Debord afin de mieux développer une conception de l’esthétique basée sur les puissances de l’ivresse plutôt que sur les forces limitées de l’inconscient.

On arrive ici au centre de la problématique fondamentale : la différence ontologique qui subsiste entre le rêve et l’ivresse. Car il existe bien une différence fondamentale entre l’esthétique du rêve pratiquée par les surréalistes et l’esthétique de l’ivresse pratiquée par les membres de l’Internationale lettriste et leurs descendants situationnistes. On cherchera surtout à comprendre en quoi consiste le « dépassement », du point de vue situationniste, du rêve au profit de l’ivresse. Cette

question convoque deux conceptions contradictoires de la poesis, deux manières distinctes de faire advenir la vérité de l’art. Le problème central de ces deux modalités de la production concerne la position du sujet créateur ainsi que sa capacité de contrôle dans la création. Même si les deux pratiques esthétiques partagent certains traits communs, les acteurs divergent dans leur positionnement idéologique face à la création et sur son mode de réception. C’est pourquoi on se doit d’insister sur cette différence, plus profonde que ne le voudrait un certain réductionnisme sociologique, qui verrait là qu’une simple stratégie de distinction dans le champ artistique.

Certes, les deux groupes partagent plusieurs points en commun. Outre leur approche terroriste de la culture, les mouvements surréaliste et situationniste se réfèrent sans cesse à une même série de sources littéraires et philosophiques dont la similitude ne peut qu’éveiller le soupçon (notons en vrac Sade, Lautréamont, Arthur Cravan, Hegel, Marx). On retrouve aussi chez ces deux groupes une même fascination pour le crime et pour le mal, une même exploration fantasmagorique de l’environnement urbain, et une même vision messianique de l’art. S’il s’avère nécessaire de souligner un parallélisme entre les deux démarches poétiques, l’onirique et la toxicologique, il apparaît plus instructif d’insister sur les différences, autant idéologiques que formelles. Bien sûr, tout ceci se réalise à partir d’un même fond commun : une conception nouvelle de l’art ouvrant ce dernier aux domaines de la morale et du politique, conception qui élargit considérablement le champ d’action du sujet créateur et de son œuvre. En ce sens, on ne peut nier que le groupe surréaliste a joué un rôle majeur dans la réorganisation de la production culturelle au XXe siècle ; et tous les mouvements d’avant-garde qui tentèrent par la suite de

Tout en demeurant conscient de l’immense influence du surréalisme sur la pratique et la pensée situationnistes, j’insisterai davantage sur cette différence que revendiquent les situationnistes, et ce, même si Debord n’est pas resté fidèle à cette posture idéologique privilégiant les forces de l’ivresse. Cette posture, difficilement tenable à long terme pour quiconque veut laisser sa trace, impliquait le désœuvrement, l’oubli, et la dépossession du sujet. Évoquant l’art absent des lettristes, Debord proclame en 1959 qu’un « film d’art sur cette génération ne sera qu’un film sur l’absence de ses œuvres » (Debord 2006 PQP : 477). Plusieurs années plus tard, il admet : « Je dois convenir qu’il y a presque toujours eu dans mon esthétique négative quelque chose qui se plaisait à aller jusqu’à la néantisation » (Debord 2006 CMR : 1817-1818). Cette volonté d’anéantissement de soi comme de l’œuvre, corollaire à la poétique de l’ivresse, s’affirme plus fortement chez les lettristes que chez les surréalistes; seuls les membres du Grand Jeu ont peut-être été aussi loin dans une recherche mystique qui se passe de mots.

On doit analyser la révolution surréaliste comme un moment de transformation radicale du champ artistique. Ce que cette révolution accomplit, c’est un élargissement sans précédent de la catégorie de l’imaginaire en tant que lieu socialisé où circulent des images :

En transgressant la limite traditionnelle des arts, en récupérant des éléments provenant de genres dont il a fait éclater les frontières, en leur imposant une unité nouvelle dans un champ indifférencié, le surréalisme a offert aux images une liberté qu’elles ne connaissaient pas avant lui. […] Ce faisant, il a multiplié les possibilités de l’imaginaire […] et renforcé l’impérialisme de l’image (Apostolidès 1990 : 735).

Ainsi, avec le surréalisme, les images produites dans le champ culturel en viennent à modifier ce champ lui-même : la révolte surréaliste concerne les mœurs, la morale,

l’action individuelle. Le champ d’action du surréalisme comprend l’ensemble de ces sphères, qu’il se propose de transformer. Tous les moyens artistiques sont bons pour contester l’hégémonie culturelle en place : de la peinture à la poésie, du cinéma à la photographie, le surréalisme se présente dès le départ comme un mouvement englobant l’ensemble des disciplines expressives dans un vaste projet de refus de la morale et de l’idéologie nationale-bourgeoise. L’avant-garde, en tant qu’activité élargie de contestation, agrandit considérablement le terrain d’action de l’art, si bien que la réduction du mouvement à un simple phénomène esthétique spécialisé devient impossible. Debord reconnaissait cet élargissement du terrain de l’avant-garde culturelle :

Depuis la formation du concept même d’avant-garde culturelle, […] ses manifestations historiques sont passées de l’avant-garde d’une seule discipline artistique à des formations d’avant-garde tendant à recouvrir la quasi-totalité du champ culturel (surréalisme, lettrisme) (Debord 2006 : 639).

Dans toutes les sphères de la production culturelle, ce qui se joue désormais, c’est la contestation de la totalité, contestation effectuée à partir de la subjectivité.

La production d’images, effectuée dans le cadre d’une expérimentation à la fois individuelle et collective, transporte le champ d’action de l’esthétique dans le champ politique de la vie quotidienne : c’est les modes du ressentir, de penser et d’échanger que veut réformer l’avant-garde moderniste. Michael Stone-Richards écrit à ce propos :

On pourrait en dire autant de tous les grands mouvements d’idées de la culture moderne dont le romantisme, le symbolisme et le surréalisme qui posent les bases de toute conception d’avant-garde comme projet. En revanche, l’impressionnisme et le fauvisme n’affectent que la peinture (Stone-Richards 2001 : 89).

L’apport historique du surréalisme, dans cette tradition, se retrouve dans l’importance accordée à l’image en tant que moteur central de transformation de la vie : « Le surréalisme a été ainsi le premier mouvement à réaliser l’éclatement de l’univers de la fiction et sa mutation en un champ d’expérience » (Apostolidès 1990 : 730). « L’éclatement de l’univers de la fiction », en ce sens, équivaut à l’appropriation individuelle d’un domaine narratif transmis autrefois sous le mode de la passivité. Le surréalisme advient comme conquête subjective d’une culture reçue et diffusée dans un contexte spectaculaire ; il s’agit désormais de se servir de cette dernière en démultipliant ses éléments en une série d’images-chocs devant transformer l’appareil de production culturelle lui-même :

Ce champ de l’imaginaire, compris au sens d’espace où peuvent circuler des images, s’est développé d’une façon rapide au cours des vingt-cinq dernières années. Par opposition au champ fictif de la littérature et de l’art traditionnels, ce nouvel espace se définit d’abord comme un champ expérimental. J’entends par là que l’incitation n’y est plus de recevoir les œuvres passivement, mais de les produire pour élargir le champ d’expérience individuel. […] Depuis le surréalisme, l’art n’est plus reçu comme pur spectacle devant être intériorisé, ses images visent à créer un choc qui, en retour, produira une action (Apostolidès 1990 : 729).

C’est cette nouvelle conquête de la production culturelle que va poursuivre le situationnisme dans sa première mouture : la pratique du détournement s’inscrit bien sûr dans ce projet d’appropriation subjectiviste du domaine de la fiction. Mais comme on le verra bientôt, c’est le rôle central que le surréalisme accorde à l’image que contesteront plus particulièrement les situationnistes.

Pour comprendre comment des états comme le rêve ou l’ivresse deviennent des programmes poétiques et existentiels, il faut revenir sur le genre très particulier d’esthétique privilégiée par les avant-gardes culturelles, que je qualifierai d’esthétique du choc. Peter Sloderdijk explique en ces termes les modalités de la

production d’avant-garde : « La modernité esthétique est un procédé d’utilisation de la force non pas contre des personnes ou des choses, mais contre des rapports culturels non clarifiés. » (Sloterdijk 2005 : 144). C’est pourquoi il rapproche avec raison les scandales organisés par les avant-gardes des attentats terroristes qui leur sont historiquement contemporains :

[…] l’utilisation de la Terreur comme violence contre la normalité fait éclater la latence esthétique et sociale et fait monter à la surface les lois selon lesquelles on construit les sociétés et les œuvres d’art. La terreur sert à l’accomplissement du tournant antinaturaliste qui, partout, fait valoir la primauté de l’artistique (Sloterdijk 2005 : 144).

C’est au sein d’une même dimension cognitive que le terrorisme politique et que le terrorisme artistique opèrent leur dévoilement d’un Réel se camouflant derrière les

apparences de normalité, et les conditionnements produits par cette même réalité — la réalité, dans cette définition, recouvre tout ce qui paraît, pour la majorité, comme « normal », dans l’ordre des choses. La réalité comprend à la fois les « règles du jeu » et l’appareil qui les unifie dans la conscience pour les rendre invisibles. Après le choc, tout ce qui apparaissait comme « naturel » se dévoile en tant que pure

convention, comme une simple création de l’esprit qui s’est cimentée dans