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1. Chapitre I : Introduction

1.3. L’œuvre comme potlatch

Quant à lui, le travail effectué au sein des Internationales (lettriste ou situationniste) n’est pas à négliger, mais il faut d’abord considérer les groupes comme des objectivations de leur chef (Apostolidès 2004 : 958), c’est-à-dire comme une forme de production de soi et un mode d’apparition privilégiés par Debord à certains moments de son existence. Il serait vain de nier le désir de communauté chez Debord ; mais chez lui ce désir est d’abord lié au domaine de la puissance plutôt qu’au domaine du partage, du dialogue et de la réciprocité. Les collectifs représentent pour Debord à la fois une mode d’extériorisation ― en tant que concentration de forces, les groupes permettent à Debord d’accroître sa puissance et d’élargir son champ d’action ― et un terrain choisi pour pratiquer le pouvoir, pour exercer une souveraineté. L’I.L. et l’I.S. font donc partie intégrante de l’œuvre de Debord, car elles représentent l’application pratique d’une volonté de puissance. Il y a bel et bien une poesis du groupe au sein des collectifs d’avant-garde, un mode de création d’un être-ensemble, avec une série de codes, de principes et de techniques de soi conjugués au pluriel. Mais Debord a toujours tenu à rester le maître du jeu. Je ne dis pas cela pour diminuer l’apport de tous les lettristes et de tous les situationnistes à leur groupe

respectif, mais force est de constater que Debord a toujours agi en tant qu’autorité suprême au sein de ces groupes, en indiquant la voie à suivre, en décidant des admissions et, plus souvent, des exclusions. Ce fut un père-sévère qui renia sa paternité.

J’ouvre ici une parenthèse : je tiens à préciser qu’en évoquant le legs de Debord, je persiste à employer ce mot « œuvre », même si ce terme toujours problématique le devient encore plus ici, car jamais Debord n’a voulu faire une « œuvre » dans le sens classique, « artistique », du terme. Giorgio Agamben, qui a connu Debord, a bien exprimé les raisons pour lesquelles le concept « d’œuvre » s’avère inadéquat :

Je fais exprès d'éviter la formule « œuvre cinématographique », car il [Debord, NDA] a lui-même exclu qu'on puisse s'en servir à son sujet. « A considérer l'histoire de ma vie, a-t-il écrit dans In girum imus nocte

et consumimur igni [1978], je ne pouvais pas faire ce que l'on appelle une œuvre cinématographique. » […] Au lieu d'interroger l'œuvre en tant que telle, je pense qu'il faut se demander quelle relation il y a entre ce qu'on pouvait faire et ce qui a été fait. Une fois, comme j'étais tenté (et je le suis encore) de le considérer comme un philosophe, Debord m'a dit : « Je ne suis pas un philosophe, je suis un stratège. » Il a vu son temps comme une guerre incessante où sa vie entière était engagée dans une stratégie (Agamben 2004 : 87-88)10.

Debord n’a jamais envisagé sa production dans le sens de la constitution d’une Œuvre d’art, mais dans le sens d’une lutte entre un moi (souvent collectif) et le dispositif économico-politique d’une époque. En ce sens, l’écriture se soumet aux impératifs de la stratégie : elle apparaît uniquement dans un imaginaire guerrier. L’œuvre mémorialiste, c’est que ce qui reste après le combat, et les mots, ce sont les cadavres retrouvés sur le terrain de la guerre.

10 Agamben passe sous silence le fait que Debord, lorsqu’il a décidé de publier chez Gallimard les

scénarios de l’ensemble de ses films, a choisi pour titre Œuvres cinématographiques complètes 1952-

L’œuvre, si on inclut dans sa définition des attributs tels que l’unicité et l’immédiateté, ne représente pas une totalité se refermant sur elle-même pour pouvoir

s’imposer tel un bloc monolithique à la tradition ; l’œuvre ressemble plutôt à une

production ― un travail vivant qui dégage un surplus ― toujours en action11. Certes, cette œuvre se compose sans cesse accompagnée de la préoccupation du legs et d’une obsession entourant son caractère de don (potlatch) par-delà la mort. Mais selon la vision que je défends, l’œuvre n’équivaut pas à une « somme » de soi lancée à l’avenir dans le but d’assurer la postérité de son nom propre12, mais bien à un don pur et simple, non médiatisé, de son soi vivant. On retrouve chez Debord cette expérience d’une production de soi vécu sous le mode du don. Bilheran écrit à ce sujet : « Si l’on associe les deux idées de la grâce et de la vanité, on en obtient une troisième, qui est la bannière même sous laquelle se rangera Guy Debord : la gratuité » (Bilheran 2007 : 102). C’est donc la vie elle-même qui respire dans l’œuvre, comme preuve et comme manifestation d’une nouvelle forme d’existence possible. L’œuvre, en ce sens, équivaut au legs : un don de soi, ou une récollection de l’expérience vivante à offrir à l’humanité, dans l’ici et maintenant.

11 C’est pourquoi je privilégie une définition plus large de l’œuvre, qui inclut le domaine de la

production artistique, mais qui va bien au-delà : « Résultat sensible (être, objet, système) d’une action ou d’une série d’actions orientées vers une fin ; ce qui existe du fait d’une création, d’une production » (Le Nouveau Petit Robert).

12 C’est aspect existe bel et bien, mais il est secondaire, décalé. C’est l’aspect temporel de l’œuvre qui

assure cette possible transgression de la mortalité, cette passation de soi dans le temps, alors qu’au le moment de sa production, l’œuvre se vit au présent, dans son immédiateté. Chez Debord, l’œuvre se réalise toujours dans un dispositif qui inclut ces deux données qui s’opposent normalement : l’immédiateté de la production (don de soi non médiatisé, pure perte énergique, sacrifice) et la production médiatisée dans le temps, c’est-à-dire effectuée dans la perspective d’une transcendance permise par une matière théoriquement impérissable. En d’autres termes, Debord a toujours voulu et su que son œuvre allait marquer son temps, et probablement aussi le temps qui allait lui succéder. Il l’a constituée dans cette perspective, tout en proclamant paradoxalement le primat idéologique de l’immédiateté, son rejet de l’éternité, etc.

Ainsi la notion de potlatch, chère à Debord, définie comme un cadeau qui met

au défi l’autre d’un cadeau plus grand encore, prend ici tout son sens : Debord « donnait » une partie de sa vie à ses amis, et réclamaient en retour des expériences de vie aussi riches que la sienne. Cette volonté de potlatch se trouve toutefois considérablement limitée par une volonté contraire, qui est celle d’un contrôle du sens de son héritage, qui s’affirme de plus en plus à partir d’In girum ― quoique, déjà en 1972, en décidant unilatéralement de dissoudre l’I.S., Debord s’assurait un certain contrôle sur la portée historique de son groupe : « J’ai fait en sorte qu’aucune pseudo- suite ne vienne fausser le compte rendu de nos opérations » (Debord 2006 IGI : 1785). Le potlatch perd dans cette optique son caractère de gratuité, de pure dépense éliminant toutes dimensions utilitaires. Le don ne perd-il pas son caractère désintéressé dès qu’il se produit dans l’attente d’un contre-don ou d’un résultat calculé ? Jacques Derrida écrivait à ce sujet : « La temporalisation du temps (mémoire, présent, anticipation […]) engage toujours un processus de destruction du don : dans la garde, la restitution, la reproduction, la prévision ou l’appréhension anticipatrice, qui prend ou comprend d’avance » (Derrida 1991 : 27). C’est pourquoi la pratique du potlatch chez Debord semble assez singulière : elle est à la fois don et pari pour un résultat. Cette pratique s’inscrit chez lui dans une éthique de la transgression, car le potlatch subvertit la forme classique de l’échange ; en cela, la conception du potlatch de Debord s’inspire directement de celle de Georges Bataille.

Le potlatch, plutôt que se pratiquer au niveau du quantifiable, se produit dans le qualitatif, et engage une série de subjectivités devant témoigner de leur appréciation d’une qualité, en dehors de la valeur d’échange. C’est donc une pratique passionnelle dans laquelle la pure dépense, exercée sans considérations réalistes ou

pragmatiques, doit témoigner d’une admiration ou d’un dévouement sans bornes ― il y a quelque chose près de l’hommage féodal dans le potlatch tel que pratiqué par Debord. Si ce dernier vit son existence et son œuvre sous la forme du potlatch, il ne s’attend pas moins à ce que les autres, admiratifs devant son œuvre et sa vie, fassent preuve d’une même capacité de pure dépense à son endroit. Debord éprouve en effet un besoin constant d’être reconnu, valorisé, chéri et protégé. Sa personnalité narcissique13 a constamment besoin de s’éprouver dans des relations sociales et amicales : dans son fantasme de puissance, Debord doit toujours triompher dans l’échange, et être celui qui mérite les cadeaux les plus somptueux, les soumissions les plus totales. En ce sens, le potlatch situationniste équivaut aussi à un système de reconnaissance départageant la grandeur et la valeur respectives des parties en présence.

Je souligne les limites de l’éthique de la transgression de Debord, qui sont d’ailleurs les mêmes qu’on peut retrouver chez Bataille : alors que le potlatch prétend subvertir, voire détruire, les fondations mêmes de l’échange, il ne fait qu’en modifier les conditions d’exercice ainsi que les termes. L’échange demeure, et la question du quantifiable, même transformée via le retrait de l’idée d’équivalence, se pose toujours, mais dans un rapport inversé : l’échange doit désormais se produire dans un

rapport disjonctif privilégiant la non-équivalence absolue des termes. Le potlatch ainsi défini est une éthique de la différence qui médiatise deux extrémités jugées dans

13 Selon Apostolidès, Debord aurait vécu un renforcement narcissique lors du décès de son père

biologique alors qu’il été âgé de 4 ans : « […] le jeune Guy a construit sa personnalité profonde à partir d’un sentiment de toute-puissance auquel les psychanalystes donnent le nom de narcissisme primaire : ce n’est pas l’enfant que l’on éloignait du père, c’est au contraire Guy qui était assez fort pour tenir le père à distance, l’enfermer ou même le faire disparaître, pour finalement prendre sa place. […] il en a également conclu qu’il était assez fort pour saccager le royaume du Père, le tenir éloigné et s’emparer de la femme aimée » (Apostolidès 2004 : 960-961). Le cas Debord mériterait à lui seul une étude psychanalytique approfondie.

leur différence qualitative essentielle, dans leur non-rapport sur le plan de la valeur. L’inégalité de la nature est le présupposé essentiel de la notion de potlatch pratiquée par Debord. Cette reconnaissance se produit suivant la logique de Sade : la morale humaine doit non pas nier l’inégalité de la nature, mais l’imiter, car elle correspond aussi à l’essence de l’homme en tant qu’espèce naturelle. C’est aussi là que réside la clé de sa jouissance.

L’aigreur de Debord, sa profonde déception communautaire, provenait justement du fait qu’il jugeait que son potlatch était toujours unidirectionnel, et que personne n’avait su bien répondre au don de soi qui définissait sa pratique de vie. On retrouve en effet chez Debord une haine farouche de ses propres disciples, comme on peut le lire dans ce texte incroyablement haineux écrit au moment de la dissolution de l’I.S., Thèses sur l’Internationale situationniste et son temps (1972). Ce qu’il reproche à ceux auxquels il attribue le nom de « pro-situs », c’est non seulement leur passivité, mais aussi, leur nullité profonde. Les pro-situs entrent dans le circuit du potlatch, mais ils ne redonnent jamais rien en retour : « Dans le "travail du négatif", les pro-situs redoutent le négatif, et aussi le travail. […] Pour accéder à l’affirmation, qui les tente fort, d’une personnalité autonome, il ne leur manque que l’autonomie, la personnalité, et le talent d’affirmer quoi que ce soit » (Debord 2006 VSI : 1109). Dans ce texte qui explique sa décision de dissoudre le groupe situationniste, Debord critique non seulement ses disciples, mais aussi tous les camarades membres du cercle restreint de l’I.S. Ce qu’on décèle derrière les critiques acerbes de Debord, c’est la déception de ne pas avoir su trouver de véritables égaux, c’est-à-dire des personnalités capables d’un don de soi équivalant au sien : « Debord reproche aux Narcisses de la société du spectacle de préférer à eux-mêmes leur propre image, de

n’être pas assez égoïstes en somme, de ne pas s’aimer vraiment. Il serait heureux d’être confronté à d’autres vrais égoïstes, pour réaliser, si je puis dire, la conspiration des Ego », affirme avec justesse Bilheran (2007 : 167)14.

L’absence d’égoïsme affiché par l’individu contemporain cache, derrière un voile d’hypocrisie, une part d’aliénation, certes nécessaire pour la cohésion sociale, mais nuisible dans une certaine mesure pour l’intégrité psychique de l’individu. Pour Debord, la fidélité à soi-même constitue une pratique émancipatrice essentielle à tout processus révolutionnaire, même s’il faut néanmoins « marquer les limites précises qui bornent nécessairement cette autorité » (Debord 2006 PAN.1: 1659). Les limites qui bornent l’autorité naturelle du sujet sont celles d’une certaine vérité de la communauté, dont il convient bien sûr de reconnaître l’existence. Mais si l’Autre existe bel et bien, il n’est pas forcément mon égal, et rien ne me force à le considérer comme tel. C’est ici qu’entre en jeu l’importante part agonistique dans la sensibilité de Debord : la communauté n’est pas ce lieu qui met constamment à l’épreuve le postulat de l’égalité (on reconnaîtra ici la définition de la démocratie de Jacques Rancière), mais bien plutôt ce terrain de la compétition où les différents sujets peuvent se différencier sur le plan qualitatif. Cette sphère de l’agôn, ce sont d’abord les Grecs qui la mettent en place, au même moment où ils inventent la philosophie et la démocratie : « la cité, à la différence des empires et des États, invente l’agôn

14 Comme le remarque encore Bilheran, ce recentrement révolutionnaire sur un certain égoïsme

pleinement revendiqué ramène la pratique debordienne dans un « champ stirnerien » (dans sa correspondance, Debord écrit en 1976 : « Pour chacun, l’emploi de son temps et la reconnaissance des affinités se situent légitimement dans un champ assez stirnerien » (lettre à Jaime Semprun, 26 décembre 1976)). On peut ainsi faire de la célèbre conclusion de Stirner dans L’Unique et sa propriété un parfait résumé de la conception révolutionnaire de Debord : « Je n'ai basé ma cause sur rien. […] Dieu et l'Humanité n'ont basé leur cause sur rien, sur rien qu'eux-mêmes. Je baserai donc ma cause sur Moi : aussi bien que Dieu, je suis la négation de tout le reste, je suis pour moi tout, je suis l'Unique. […] Rien n'est, pour Moi, au-dessus de Moi! » (Stirner 1845).

comme règle d’une société des "amis", la communauté des hommes libres en tant que rivaux (citoyens) » (Deleuze & Guattari 1991 : 14). Hannah Arendt identifiait la dimension agonistique ― qu’elle définit en tant que « passion de se montrer en se mesurant contre autrui » (Arendt 1999 : 253) ― comme essentielle à l’invention de la

polis, dans la mesure où, pour les Grecs, l’action politique est d’abord motivée par la recherche individuelle de la gloire15. Dans l’agora qui rassemble les citoyens-rivaux, chacun doit prouver aux autres l’étendue de ses mérites. Debord hérite d’une telle conception de l’être-ensemble en tant que confrontation entre divers prétendants. En ce sens, c’est bien plus à une communauté des égos qu’à une communauté d’égaux qu’il rêve. Seuls ceux qui soutiennent un moi aussi fort que le sien seront considérés comme des amis, c’est-à-dire des gens fréquentables : « Qu’est-ce que l’amitié ? L’égalité des amis » (Debord 2006 IGI : 1776).

On sait que Debord, s’il cite rarement cet auteur, partage la sombre vision de Thomas Hobbes sur la nature humaine16. Cet inconscient philosophique me permet de formuler cette hypothèse : Debord considère que l’abolition de l’État permettrait de redéfinir un certain égoïsme naturel occulté dans les formes sociales et juridiques de la société libérale. La société bourgeoise, en effet, impose historiquement le dogme du bien commun : le domaine de la production, malgré les inégalités énormes qu’il

15 « En raison de sa tendance inhérente à dévoiler l’agent en même temps que l’acte, l’action veut la

lumière éclatante que l’on nommait jadis la gloire, et qui n’est possible que dans le domaine public » (Arendt 1999 : 237). C’est dire que pour l’ancienne élève d’Heidegger, il n’y a pas d’action politique sans un minimum de vanité, sans la recherche d’une glorification posthume. Dans un tel schéma, le sujet doit se faire un récit imaginaire de sa propre importance dans l’Histoire.

16 Debord évoque directement Hobbes dans son dernier film, Guy Debord, son art, son temps. Après

avoir montré diverses images de la jeunesse immigrante ghettoïsée de France, une jeunesse ouvertement hostile à l’école publique et à la culture générale qu’on y impose, Debord tient ces propos : « Ce sont les plus modernes développements de la réalité historique qui viennent illustrer très exactement ce que Thomas Hobbes pensait qu’avait dû être vie de l’homme, avant qu’il pût connaître la civilisation et l’État : solitaire, sale, dénuée de plaisirs, abrutie, brève » (Debord 2006 : 1873).

génère, est presque systématiquement présenté comme bénéfique au plus grand nombre. Dans le capitalisme classique, une certaine forme d’égoïsme est tolérée, mais on le présente toujours comme structurellement nécessaire au système ; la perspective de gratification individuelle est le moteur de la compétition (entre individus, mais aussi au sein du marché), et donc aussi le moteur d’une production supposément « bénéfique » à tous. On tolère l’égoïsme individuel uniquement dans la mesure où ce dernier engendre des richesses à partager collectivement. On retrouve cette éthique protestante du capitalisme dans le discours social, qui présente presque toujours les grands patrons et les grands entrepreneurs de ce monde comme des modèles de réussite ― leur exemple doit être gratifiant et édifiant ― et comme des âmes généreuses productrices d’emplois et de revenus collectifs. Aujourd’hui, le personnage conceptuel de l’entrepreneur qui réussit dans les affaires remplace peu à peu le personnage de l’artiste, cette autre grande figure créatrice dont la fonction sociale et imaginaire fut si importante dans la modernité.

L’archétype du grand capitaliste, loin des anciennes représentations marxistes qui ont longtemps dominé, se présente désormais sous les traits sympathiques et bienveillants d’un grand créateur, d’un génie parfois illuminé qui sert sa collectivité en imposant ses visions. Debord comprit cette nouvelle représentation historique du « bon » capitaliste, et il voulut en donner sa propre version avec Lebovici, dont il admirait la réussite peu orthodoxe. Debord voulut rendre le personnage plus insupportable encore pour son milieu : « Lebovici est pour lui la nouvelle figure du prince renaissant. Intelligent, sensible, cultivé, puissant, il protège les arts et s’entoure de beauté » (Apostolidès 2006 : 175). Pour Debord, Lebovici est un héros du capitalisme, en ce sens qu’il méprise le milieu du cinéma qui a fait sa fortune, une

fortune qu’il utilise pour subvertir sa pratique des affaires. Lebovici est un héros moderne parce qu’il profite du capitalisme pour se fabriquer lui-même comme sujet, au risque de se retourner contre le capitalisme : « Gérard Lebovici ne s’intéressait aucunement à l’argent. Moi non plus, on le sait ; et ceci n’est qu’un des nombreux points sur lesquels nous nous ressemblions »17, affirme Debord (Debord 2006 CAG : 1554). Lebovici parvient ainsi à transcender la logique capitaliste, et parvient à se créer en Égo, c’est-à-dire en sujet pleinement autonome, responsable uniquement de lui-même, et ayant conquis la liberté de témoigner une totale indifférence envers toutes déterminations extérieures. L’argent n’a aucun mérite en soi, si ce c’est celui de permettre une émancipation des exigences sociales et économiques, en premier