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Le fonctionnement psychologique négatif : frustration des besoins

Si les besoins psychologiques sont des besoins biologiques (Murray, 1938), lorsqu’ils ne sont pas satisfaits, ils contribuent au mal-être (Ryan & Deci, 2000a). Par exemple, l’insatisfaction des besoins psychologiques d’autonomie et de compétence peut prédire une dépression (Deci & Ryan, 2000 ; Blazer, Sachs-Ericsson & Hybels, 2007). Lorsque deux besoins entrent en conflit, cela peut entraîner une certaine tension interne, de la dissociation ou d'autres psychopathologies (Ryan, Deci & Grolnick, 1995). Young (1990, 1999) propose une thérapie des schémas, soutenant que les symptômes de santé mentale négative se traduisent par des schémas inadaptés qui « sont la conséquence de besoins affectifs fondamentaux qui n'ont pas

été comblés au cours de l’enfance » (Young et al., 2003, p.37). Le schéma est « un programme cognitif qui intervient comme guide dans l'interprétation de l'information et la résolution de problèmes » (Young et al., 2003, p.33-34) qui s’explique par l’intermédiaire des besoins

affectifs fondamentaux : la sécurité liée à l'attachement aux autres, l'autonomie, la compétence et le sens de l'identité, la liberté d'exprimer ses besoins et ses émotions, la spontanéité et le jeu, les limites et l’autocontrôle. Pour Young et ses collaborateurs (2003), les schémas se développent dès le début de la vie et résulteraient de plusieurs facteurs tels que la relation d’attachement aux personnes proches, l’interaction avec les autres du même âge, la culture et le tempérament. Ils ont répertorié un ensemble de critères déterminants les schémas précoces : (1) thème important et envahissant, (2) composé de souvenirs, d’émotions, de cognitions et de sensations corporelles, (3) se référant à soi-même et à ses relations avec les autres, (4) développé pendant l'enfance ou l'adolescence, (5) élaboré tout au long de la vie, (6) dysfonctionnel à un degré significatif. C’est ce dernier critère qui permettrait de différencier un schéma inadapté d’un schéma adapté. Les schémas inadaptés ou dysfonctionnels sont déclenchés lorsque les individus « perçoivent inconsciemment comme identiques » des « événements traumatiques de

leur enfance » (Young et al. 2003, p. 35). Ils correspondent à des modèles de réactions amenant

une réponse comportementale en fonction de la situation (Young et al., 2003). Young répertorie 18 schémas inadaptés en fonction des cinq besoins psychologiques.

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Domaine séparations et rejets

Besoin de sécurité liée à l’attachement aux autres

Les personnes sont incapable d’avoir des liens sécurisant et satisfaisant avec les autres

Abandon/instabilité : perception du manque de stabilité et de fiabilité dans la relation avec les personnes importantes de son entourage.

Méfiance/abus : attente que les autres fassent soufrir, maltraite, mentent, triche et profite de soi. Carence affective : certitude que les autres n'apporteront pas le soutien affectif dont la personne a besoin. Imperfection et honte : sentiment d'être imparfait, mauvais, inférieur ou incapable.

Isolement social : sentiment d'être isolé, différent des autres et/ou de ne pas faire partie d'un groupe.

Domaine de manque d' autonomie et de performance Besoin d' autonomie, de compétence et d'identité

Les personnes sont incapable de se forger une identité propre et créer leur propre vie, de se fixer des objectifs personnels et de maitriser les habilités nécessaires

Dépendance/incompétence : sentiment d'incapacité à faire face aux responsabilités de la vie quotidienne sans l'aide des autres.

Peur du danger ou de la maladie : peur exagérée d'une catastrophe à laquelle on ne peut faire face.

Fusionnement ou personnalité atrophiée : attachement émotionnel excessif à une ou plusieurs personnes, au détriment d'une adaptation sociale normale et individualisation accomplie.

Echec : croyance qu'on a échoué, qu'à l'avenir on échouera et qu'on est incapable de réussir aussi bien que les autres.

Domaine de manque de limites Besoin de limites et d'autocontrôle

Les personnes manquent de limites internes, de responsabilité envers les autres ou de l’incapacité à soutenir des buts à long terme

Droits personnels exagérés/grandeur : affirmation que l'on est supérieur aux autres et que par conséquent on a des droits spéciaux et privilèges.

Contrôle de soi et autodiscipline insuffisante : incapacité ou refus d'un autocontrôle suffisant.

Domaine orientation vers les autres

Besoin d'exprimer ses besoins et émotions librement

Les personnes accordent une importance excessive aux besoins des autres, au détriment de leurs propres besoins

Assujettissement : soumission execessive au contôle des autres au niveau des besoins et de l'expresssion de ses émotions.

Abnégation : souci de combler les besoins des autres avant les siens ce qui peut engendrer un ressentiment envers les autres.

Recherche d'approbation et reconnaissance : besoin excessif d'attention, d'estime et de l'approbation des autres au détriment de l'authenticité.

Domaine de survigilance et d'inhibition Besoin de spontanéité et de jeu

Les personnes répriment l’expression spontanée des sentiments et impulsions. Contrôle exagéré des réactions, des sentiments et des choix

Négativité/pessimisme : centré sur les aspects négatifs de la vie et minimise les aspects positifs.

Surcontrôle Émotionnel : contrôle excessif des réactions spontanées afin d’éviter la perte du contrôle des impulsions ou la désapprobation d’autrui.

Idéaux Exigeants/Critique Excessive : croyance de devoir atteindre et de maintenir un niveau de perfection très élevé. Tension constante et critique permanente de soi-même et des autres.

Punition : tendance à se montrer intolérant, très critique, impatient et à « punir » les autres et soi-même s’ils n’atteignent pas le niveau de perfection exigé.

Tableau 4.5. Liste des 18 schémas inadaptés selon les cinq besoins psychologiques de Young & collaborateurs (2003)

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Conclusion

« L’eudémonisme recherche précisément ce qui est fondamentalement bon pour la nature

humaine et les besoins psychologiques qui stimulent le développement de l’humain et dont la satisfaction procure l’éveil et la vitalité » (Laguardia & Ryan, 2000, p. 284). La satisfaction des

besoins psychologiques est essentielle à chaque stade du développement psychologique (Ryan & La Guardia, 2000) dans tous les domaines de l’activité humaine (Baard, Deci & Ryan, 1999 ; Ilardi, Leone, Kasser & Ryan, 1993 ; Ryan, Rigby & King, 1993 cités par Laguardia & Ryan, 2000). Ils s’inscrivent ainsi dans l’approche eudémoniste du bonheur, c'est-à-dire dans la perspective du développement de la personne en accord avec le « vrai soi » (Norton, 1976 ; Waterman, 1993) pour atteindre le meilleur de soi (Ryff & Singer, 2008). Plusieurs chercheurs (Maslow, 1954 ; Ryan & Deci, 2000a ; Young et al., 2003) mettent en lumière le lien entre frustration des besoins psychologiques et santé mentale négative ainsi que la relation entre la satisfaction des besoins psychologiques et la santé mentale positive. Ainsi, un individu sain « est une personne qui arrive à combler ses besoins affectifs fondamentaux » (Young et al., 2003, p.37) en s’appuyant sur des comportements positifs (Baumeister & Leary, 1995). Les besoins psychologiques renvoient au fonctionnement psychologique positif de la santé mentale positive notamment à travers le modèle multidimensionnel du bien-être psychologique de Ryff (1989) et de l’épanouissement de Diener et ses collègues (2010). L’insatisfaction et la frustration des besoins psychologiques impliquent un fonctionnement psychologique négatif, par l’intermédiaire de schémas négatifs (Young et al., 2003) amenant des réponses comportementales négatives.

Young et ses collaborateurs (2003) mettent en évidence que, s’il existe des schémas négatifs et des schémas précoces, il existe aussi des schémas positifs ainsi que des schémas tardifs s’articulant notamment avec la satisfaction des besoins psychologiques. Alors que la thérapie des schémas s’appuie sur la notion de besoin psychologique, Fava (1999) propose la thérapie du bien-être, issue de la psychologie positive, qui consiste à favoriser les dimensions du bien- être psychologique de Ryff (1989) que sont l’acceptation de soi, les relations positives avec les autres, l’autonomie, la maîtrise de son environnement, le sens dans la vie et la croissance personnelle.

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Chapitre V. Vers une approche intégrative

de la modélisation de la santé mentale

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Introduction

Le bien-être psychologique et le bien-être subjectif s’inscrivent dans deux conceptions philosophiques différentes : l’eudémonisme pour le bien-être psychologique et l’hédonisme pour le bien-être subjectif. Selon l’approche eudémoniste, pour connaître le bonheur, l’être humain doit tout faire pour atteindre et vivre en accord avec le « vrai soi » (Norton, 1976 ; Waterman, 1993) tandis que pour l’approche hédoniste, le bonheur se trouverait dans la maximisation du plaisir et la minimisation du déplaisir (Peterson et al., 2005).

En cherchant à concevoir un outil d’évaluation du fonctionnement psychologique positif de passation rapide, Diener et ses collègues (Flourishing Scale, 2010) proposent de mesurer l’épanouissement en s’appuyant sur les dimensions du bien-être psychologique de Ryff (1989), les besoins psychologiques fondamentaux (Maslow, 1943 ; Ryan & Deci, 2001) ainsi que sur l’optimisme et l'engagement (Brown et al., 2003 ; Csikszentmihalyi, 1990 ; Putnam, 2000 ; Scheier, Carver, & Bridges, 2001 ; Seligman, 2002). Les résultats de l’analyse factorielle soutiennent la présence d’un seul facteur pour les huit items : les relations positives, le but/sens dans la vie, la compétence, l'engagement, les relations sociales, la contribution sociale et deux des dimensions sus-jacentes de la positivité, l’estime de soi (impliquant l’acceptation de soi) et l'optimisme. La positivité permettrait de se développer et s’épanouir (Caprara et al., 2009), en contribuant de manière unique au fonctionnement optimal (Alessandri, Caprara & Tisak, 2012). Elle est aussi le facteur sous-jacent de la satisfaction de vie, qui est la dimension cognitive- évaluative du bien-être subjectif (Diener et al., 1985). Elle peut être considérée comme le facteur dispositionnel général du bien-être subjectif (Kozma, Stone & Stones, 2000).

La positivité chevauche les deux approches théoriques du bien-être, cependant, l’estime de soi est « au cœur de la positivité car il est peu probable que les personnes puissent être satisfaites

de leur vie et d’avoir confiance en l’avenir, à moins qu’ils ne se croient être de valeur »

(Caprara et al., 2017, p.366). L’approche eudémoniste et l’approche hédoniste sont-elles liées ? Distinctes ? La santé mentale positive relève-t-elle d’une structure bi-dimensionnelle ? Ou unidimensionnelle ?

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