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La régulation émotionnelle

6.4 La régulation des affects

6.4.2 La régulation émotionnelle

La régulation émotionnelle implique des changements dans la "dynamique des émotions" (Thompson, 1990), c’est-à-dire dans les processus de réponse (latence, temps de montée, intensité, durée et décalage) physiologiques, expérientiels et comportementals, qu’ils soient automatiques ou contrôlés, inconscients ou conscients (Gross, 1998). Elle est orientée par un objectif hédoniste correspondant au fait d’avoir un faible niveau d’affects négatifs et un haut

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niveau d’affects positifs (Panksepp, 1998). Pour Gross (1998), la régulation des émotions correspond « à la manière dont nous cherchons à influencer les émotions que nous avons,

lorsque nous les avons, et comment nous expérimentons et exprimons ces émotions » (p.275).

Elle renvoie aux stratégies utilisées pour réduire, maintenir ou augmenter une émotion (Gross, 2001). La régulation émotionnelle implique « tous les processus extrinsèques et intrinsèques

responsables du suivi, de l'évaluation et de la modification des réactions émotionnelles, en particulier de leurs caractéristiques en termes d’intensité et de temporalité, pour atteindre leurs objectifs » (Thompson, 1994, p.27-28).

Si le dysfonctionnement dans la régulation émotionnelle occupe une place prépondérante dans les problèmes cliniques (Gross 2014 ; Gross & Jazaieri 2014 ; Kring & Sloan, 2008), les stratégies de régulation émotionnelle fonctionnelles contribuent de manière essentielle au bien- être et à la santé mentale (Gross & Munoz, 1995 ; Gross & Levenson, 1997 ; Kring & Werner, 2004). Ainsi, un déficit dans les compétences de régulation émotionnelle renvoie à un dysfonctionnement en termes d’efficacité dans la régulation émotionnelle des affects négatifs. Les stratégies de régulation émotionnelle dysfonctionnelles sont un prédicteur de pathologie mentale (Aldao, Nolen-Hoeksema & Schweizer, 2010). Un déficit en termes de compétences de régulation émotionnelle engendre un niveau d’affects négatifs plus élevé et un niveau d’affects positifs plus bas (Berking & Znoj, 2008), est en relation avec la dépression (Silk, Steinberg & Morris, 2003 ; Williams, Fernandez-Berrocal, Extremera, Ramos-Diaz, & Joiner, 2004), l’anxiété (Feldner, Zvolensky & Leen Feldner, 2004 ; Marchesi, Fonto, Balista, Cimmino, & Maggini, 2005 ; Mennin, Heimberg, Turk & Fresco, 2005), le trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention (Walcott & Landau, 2004) et le trouble de la personnalité limite (Gratz, Rosenthal, Tull, Lejuez & Gunderson, 2006).

Tout comme la régulation émotionnelle qui a une fonction hédoniste, les stratégies de régulation dépendent aussi de la situation (Koole, 2009). La flexibilité dans la capacité à varier les stratégies de régulation émotionnelle est essentielle (Feldman-Barrett & al., 2001 ; Gratz & Roemer, 2004 ; Thompson, 1994), car la régulation émotionnelle a aussi un rôle adaptatif (Larsen & Prizmic, 2004). La régulation émotionnelle peut contribuer à équilibrer les objectifs multiples (Koole & Kuhl, 2007 ; Rothermund & al., 2008) et à l'intégration entre les processus de personnalité (Baumann, Kaschel, & Kuhl, 2005 ; Kuhl, 2000). Selon la théorie des

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« Interactions des systèmes de personnalité » élaborée par Kuhl (2000), la régulation émotionnelle favorise la flexibilité dans le fonctionnement de la personnalité (Rothermund & al. 2008) et la cohérence ainsi qu’à long terme, la stabilité au sein du système de personnalité global (Baumann & al., 2005).

La régulation émotionnelle peut avoir pour objectif la suppression, l’atténuation, l’augmentation et le maintien de l’émotion, quelle que soit sa valence (Gross, Richards & John, 2006 ; Larsen & Prizmic, 2004). Gross et Thompson (2007) présentent un modèle de classification des différentes formes de régulation émotionnelle : (1) l’atténuation des émotions déplaisantes qui représente le type de régulation la plus utilisée (Gross, Richards et John, 2006), (2) le maintien ou l’augmentation des émotions plaisantes, (3) l’augmentation des émotions déplaisantes, (4) la diminution et la suppression des émotions plaisantes.

Figure 6.5. Les différentes formes de régulation des émotions (Mikolajczak & Desseilles, 2012)

Les différentes stratégies de régulation des émotions peuvent être fonctionnelles ou dysfonctionnelles, c'est-à-dire qu’elles peuvent être considérées comme adaptatives ou inadaptatives notamment en fonction des conséquences qu’elles auront sur la santé mentale. D'après Gross (1998) nous pouvons distinguer les stratégies de régulation des émotions en deux groupes, (a) les stratégies antécédentes à la réponse émotionnelle et (b) la modification de la réponse émotionnelle (expressive, cognitive ou physiologique). Gross (1998) propose une

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description des étapes du cycle de l’expérience émotionnelle : la situation, l’attention de la personne, la perception de la situation par la personne et la réponse de la personne à la situation. À partir de ce modèle, Gross (1998) suggère de classer les stratégies de régulation émotionnelle en fonction des différents types de stratégies de régulation : la sélection de la situation, la modification de la situation, le déploiement attentionnel, le changement cognitif et la modulation de la réponse.

Figure 6.6. Cycle de l’émotion et différents types de stratégies de régulation (Gross, 2007) adapté en français par Quoidbach (2012)

Sur le plan de la sélection de la situation, les stratégies utilisées ont pour but de réduire le nombre de situations induisant une émotion désagréable même si, dans la vie, nous devons en affronter certaines. Au niveau de l'attention, nous pouvons avoir recours à deux types de solutions : centrer son attention sur un élément distracteur ou centrer son attention sur l'émotion déplaisante. La première stratégie consiste à « orienter son attention sur autre chose et par

conséquent se distraire » (Gross, 1998 ; Nolen-Hoeksema & Morrow, 1993, cité Mikolajczak,

2012, p.154). Il y a deux types de stratégies distractives : la distraction interne qui correspond au fait d’orienter et concentrer sa pensée sur autre chose et la distraction externe qui implique de trouver une autre occupation (McKay, Wood & Brantley, 2007). La deuxième stratégie fait référence à la « pleine conscience » (mindfulness) qui consiste au fait de se centrer sur l'émotion ressentie (Baer, 2003 ; Kabat-Zinn, 1990 ; Linehan, 1993 ; Segal, Williams & Tesdale, 2002) et implique une observation de l'émotion et de son évolution. Ces deux stratégies focalisées sur l'attention permettent de « prévenir l'accaparement par les pensées (la rumination) et diminuer

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l'activation émotionnelle » (Mikolajczak, 2012, p.156). Sur le plan cognitif, la perception de

l'événement (Lazarus & folkman, 1984) et des ressources pour y faire face (Bandura, 1997) déterminent l'émotion que l'individu ressentira (Mikolajczak, 2012). Changer la perception d’une situation est un moyen efficace pour modifier les émotions (Ochsner & Gross, 2005). Deux types de stratégies peuvent être utilisées : la réévaluation cognitive de la situation et l'acceptation. Mikolajczak (2012) répertorie plusieurs stratégies relatives à la réévaluation cognitive.

Tableau 6.7. Stratégies de réévaluation cognitive selon Mikolajczak (2012)

L'acceptation est un processus actif qui consiste à accueillir entièrement l'événement difficile ainsi que les émotions qui en résulte (Mikolajczak, 2012). Cela demande un double processus cognitif : accepter que l'on ne puisse pas changer la situation (McKay & al., 2007) et accueillir pleinement les émotions que l'on ressent.

Garnefski et ses collaborateurs (2001) ont déterminé neuf stratégies de régulation émotionnelle qu’ils ont classées en deux groupes : les stratégies de régulation adaptatives et les stratégies de régulation non adaptatives. Les stratégies de régulation adaptatives sont l’acceptation, le recentrage positif, le recentrage sur la planification, la réévaluation positive et la mise en perspective. Les stratégies de régulation non adaptatives sont le blâme de soi, la rumination, la dramatisation et le blâme envers les autres.

(1) examiner ses croyances : se décentrer et adopter un autre point de vue avec des arguments différents qui contredisent nos pensées et nos émotions (McKay & al., 2007)

(2) défusionner pensée et réalité : prendre conscience que ce que nous pensons ne correspond peut-être pas à la réalité. Il s'agit de se détacher de ses pensées en observant leurs évolutions sans les retenir (Baer, 2003 ; Kabat-Zinn, 1990)

(3) relativiser : réduire l’importance de la situation en la comparant à des situations plus négatives (4) chercher les points positifs

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Tableau 6.8. Stratégies cognitives de régulation émotionnelles selon Garnefski et ses collaborateurs (2001)

Berking (2007) conçoit la régulation émotionnelle comme l’interaction entre les compétences émotionnelles et les contraintes sociales et environnementales. Il répertorie neuf compétences de régulation émotionnelle importante pour la santé mentale: la capacité à être conscient des émotions et de les traiter consciemment (Lischetzke & Eid, 2003), l’identification et la catégorisation des émotions (Bagby, Parker, & Taylor, 1994 ; Feldman-Barrett, Gross, Christensen & Benvenuto, 2001), l’interprétation juste des sensations corporelles liées aux émotions (Damasio, 1994 ; Marchesi & al., 2005), la compréhension des causes des émotions (Southam-Gerow & Kendall, 2002), l’acceptation des émotions (Greenberg, 2002 ; Hayes, Strohsahl & Wilson, 1999 ; Leahy, 2002), la tolérance aux émotions notamment celles qui sont négatives (Kabat-Zinn, 2003 ; Kobasa, Maddi & Kahn, 1982), la capacité à se confronter aux situations générant de la détresse pour atteindre des objectifs importants (Hayes, Wilson, Gifford, Follette & Strosahl, 1996 ; Margraf & Berking, 2005) et la capacité à diminuer

Stratégies de régulation adaptatives

1) La mise en perspective correspond au fait de relativiser la situation et d’en diminuer l’importance, notamment en la comparant à d'autres événements.

2) Le recentrage positif fait référence au fait de penser à des choses positives et agréables au lieu de penser à l'événement réel.

3) La réévaluation positive renvoie au fait de donner un sens positif à l'événement notamment en termes de croissance personnelle.

4) L’acceptation correspond au fait d'accepter et de se résigner par rapport à ce qu’a été vécu.

5) La centration sur l’action fait référence au fait de réfléchir sur ce qu'il faut faire et comment gérer l'événement négatif.

Stratégies de régulation non adaptatives

1) Le blâme de soi renvoie à l’auto-accusation et au reproche vis-à-vis de soi quant à la responsabilité de la situation. 2) Le blâme des autres correspond au fait d’attribuer la faute de ce qu’est arrivé à l'environnement ou à une autre personne.

3) La rumination fait référence au fait de revivre, à travers des réflexions et des sentiments, l'événement négatif. 4) La dramatisation renvoie à l'accentuation explicite de l’aspect négatif de l’expérience.

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activement les émotions négatives (Catanzaro & Greenwood, 1994 ; Salovey, Mayer, Goldman, Turvey & Palfai, 1995).

Certaines stratégies dites dysfonctionnelles sont associées à la dépression comme le blâme de soi (Anderson, Miller, Riger, Dill & Sedikides, 1994), la rumination (Nolen-Hoeksema, Parker & Larson, 1994). Plusieurs études ont montré une relation entre les symptômes de dépression et les stratégies de régulation émotionnelle de rumination (Nolen-Hoeksema, Parker & Larson, 1994 ; Garnefski & al., 2006), de dramatisation (Sullivan & al., 1995 ; Garnefski & al., 2006), le blâme de soi (Anderson, Miller, Riger, Dill & Sedikides, 1994 ; Garnefski & al., 2006) et le manque de ré-évaluation positive (Carver, Scheier & Weintraub, 1989 ; Garnefski & al., 2006). D’autres stratégies dites fonctionnelles comme le faire face actif, la planification, la réinterprétation positive, l’acceptation, sont positivement associées à l’optimisme alors que l’estime de soi est positivement corrélée au faire face actif, la planification et la ré-interprétation positive (Carver & al., 1989).

Par ailleurs, il existe aussi des stratégies centrées sur la modulation de la réponse (Mikolajczak, 2012). Elles ont pour objectif de modifier le ressenti perçu par l'individu en agissant directement sur la dimension corporelle. Ainsi, l'individu pourrait utiliser deux types de relaxation : la relaxation dirigée et la relaxation personnelle. La relaxation dirigée peut se décomposer en deux techniques à savoir la relaxation de Schultz (1958) et la relaxation de Jacobson (1980). Elles ont pour objectif de détendre progressivement tous les muscles du corps pour arriver à un total relâchement. Ces deux techniques de relaxation seraient efficaces uniquement après un entraînement suffisant et lorsque l’état de relaxation serait automatisé en situation de repos. La relaxation personnelle consiste en la réalisation d'activité de la vie quotidienne afin d’obtenir un état de détente.