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Le développement des systèmes d’élevage sur maquis

Partie 2 : Evolution de l’agriculture de montagne de l’Oriente

2. Le XXe siècle, marqué par l’exode rural et l’ouverture du marché

2.3 Le développement des systèmes d’élevage sur maquis

châtaigniers pour le tanin, comme dans toutes les châtaigneraies françaises. De nombreux châtaigniers, abandonnés ou atteints de maladie, furent coupés pour alimenter l’usine de tanin de Folelli. Ainsi l’encre aggrave-t-elle le déclin de la châtaigneraie. La dernière usine ferma en 1963, mettant ainsi un terme à une activité qui faisait vivre de nombreuses personnes, ouvriers, bûcherons, muletiers, fabricants de bâts et de cordes,…

2.3 Le développement des systèmes d’élevage sur maquis

2.3.1 L’effacement de la propriété privée

Ceux qui quittent le village ne sont plus là ni pour entretenir leurs terres, ni pour veiller sur ce qu’elles deviennent. Progressivement, l’espace est abandonné, livré à une évolution spontanée de la végétation. La génération passe et les descendants ne savent parfois même plus où se situent les terrains familiaux. Non clôturé, le paysage se referme sous le maquis. Pour l’animal qui n’est pas gardienné, c’est un terrain qui n’a plus de frontières. Pour l’éleveur, c’est une ressource et un support, de moins en moins coûteux à mesure que les propriétaires cessent de réclamer un droit de passage pour les animaux qui parcourent leurs terres. C’est une opportunité multiple : s’affranchir du gardiennage et donc d’un actif dans un espace qui n’est plus occupé par des cultures vivrières, réduire les loyers dus au passage des animaux. C’est accéder à une ressource spontanée à moindre coût.

2.3.2 Porcin : nouvelles races et soutien à la charcuterie corse

En 1962, après avoir largement investi dans les installations en plaine, la SOMIVAC choisit de soutenir l’intérieur en finançant des ateliers de charcuteries.

Dans les années 1970, les races Duroc et Large White sont introduites en Corse, respectivement pour la viande et pour les qualités nourricières de la truie. Le porc Corse étant de « petite taille, croissance lente, rustique, bon marcheur, mais peu prolifique » (Praloran, 1972), les éleveurs trouvent rapidement l’intérêt de ces « porcs blancs ». Dès lors, des individus Duroc ou Large White, ou bien des individus déjà croisés avec la race corse sont fréquemment introduits dans les cheptels corses. Les porcs évoluant sans surveillance sur un large territoire emmaquisé et partiellement clôturé, les croisements se font librement entre ces cochons introduits, les cochons corses et les sangliers (bien que les croisements avec ses derniers donnent de porcelets qui grandissent lentement). Les porcs issus de ces croisements sont globalement plus prolifiques, plus grands, et rendent une viande moins grasse, ce qui correspond à la nouvelle tendance de préférences des consommateurs.

La production porcine croît dans les années 1970, mais la demande corse reste supérieure à l’offre. Les éleveurs porcins transforment leurs propres porcs et ne vendent plus aux charcuteries industrielles.

En 1971, l’Union Européenne soutient la production de montagne avec ce qui sera appelé à partir de 1975 des Indemnités Compensatoires de Handicaps Naturels (ICHN). Il existe une ICHN pour les chênaies et châtaigneraies valorisées en porc charcutier en Corse. En l’occurrence, les élevages porcins visités dans la zone n’en bénéficient pas. Nous y reviendrons dans le détail des systèmes actuels en partie 3.

Quant à la conduite d’élevage, les porcs sont dorénavant lâchés pratiquement toute l’année, et non plus uniquement en saison des châtaignes, et sur des espaces qui leur étaient interdits mais qui sont aujourd’hui abandonnés de toutes cultures. Cela permet notamment d’abaisser les coûts en alimentation, bien qu’elle soit alors moins contrôlée.

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2.3.3 Bovin : opportunité de la PMTVA et précarité des débouchés

En 1982, via la prime de maintien au troupeau de vaches allaitantes, l’Etat soutient les éleveurs non pas en fonction de leur production mais de la taille de leur troupeau. Les pratiques restent les mêmes qu’avant les soutiens européens tout en étant plus rémunérateur grâces à ces aides. Les bêtes sont sur un vaste espace de végétation spontanée, partiellement clôturé, un peu d’alimentation leur est donné l’hiver. Le peu de travail nécessaire dédié à cette production permet de se consacrer à d’autres activités en parallèle. Ainsi l’atelier d’élevage bovin est-il souvent additionnel d’une autre activité économique. Le cheptel bovin corse passe alors de 60 000 têtes de bovins à 80 000 en moins de dix ans alors que les cheptels des autres espèces de ruminants diminuent (annexe 4).

Les villageois sont de moins en moins nombreux, ce qui réduit de fait le nombre de clients du boucher. Celui-ci devient commerçant ambulant pour aller vendre sa viande plus loin. Avec la concurrence des grandes et moyennes surfaces (GMS), le métier de boucher disparaît des villages, et avec elle un débouché pour les producteurs de veaux. Nous faisons l’hypothèse que les GMS s’approvisionnent davantage auprès des élevages bovins de la plaine.

En 1999 sont mises en place les primes à l’abattage (PAB). Elles incitent ainsi les éleveurs qui vendent des carcasses à passer par l’abattoir, plutôt que de pratiquer l’abattage fermier. Les coûts supplémentaires engendrés par l’abattage en abattoir, environ 1€/kg de poids carcasse (PC) font augmenter le prix auquel les éleveurs vendent leur viande. Cela accélère le phénomène provoqué par la concurrence croissante des GMS : les éleveurs vendent en partie des veaux maigres, à des maquignons qui revendent ou à des éleveurs de plaine qui engraissent et décident des prix (Kriegk, 2011). L’éleveur bovin de montagne diversifie donc ses débouchés.

2.3.4 Caprin : une moindre gestion de pâturage

Comme pour les autres activités d’élevage, la réduction du nombre d’actifs ne permet pas de maintenir le gardiennage, qui n’apparaît plus aussi primordial qu’avant. Des pratiques de gestion de parcours se perdent alors : les éleveurs ne font plus faire à leurs chèvres de parcours clairement définis ou des circuits pour diminuer la pression de pâturage et diversifier l’alimentation des bêtes. Les éleveurs pratiquent davantage une « sécurisation à l’auge », en nourrissant les chèvres avec des rations parfois supérieures à ce qu’elles sont capables de valoriser (J-C Demarco, Chambre d’Agriculture Régionale de Corse, communication

personnelle).

Pour justifier que la traite soit restée manuelle, un éleveur enquêté avance que lorsque l’électricité est arrivée, dans les années 1930, elle alimentait le village mais n’allait pas jusqu’aux bergeries qui, elles, étaient à l’écart. Impossible donc d’installer un équipement de traite. Nous faisons l’hypothèse supplémentaire que cet investissement n’était pas une priorité. Un autre éleveur, trentenaire installé depuis une dizaine d’années, ajoute qu’il trait à une vitesse de 60 L/h alors qu’un ami éleveur trait au pot trayeur 40 L en 2 h, soit trois fois moins vite.

2.3.5 La disparition de la catégorie des journaliers et autres emprunteurs

Comme nous venons de le voir, les familles de grands propriétaires terriens quittent la montagne pour la ville ou bien leurs descendants s’y installent avec une activité agricole en montant un cheptel à partir du capital accumulé. Cependant, les prêts de capital cessent.

Les besoins en main-d’œuvre extra-familiale s’amenuisent à mesure que les familles abandonnent les vergers. Il y a donc de moins en moins de possibilité de s’employer comme journalier dans les villages. Cette