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Partie 2 : Evolution de l’agriculture de montagne de l’Oriente

1. À l’aube du XXe siècle : un système agropastoral arboré

1.3 Les types d’acteurs participant à la production alimentaire

1.3.1 Les familles avec un grand cheptel

la ressource parfois inaccessible (végétation trop haute ou trop dense) ; les quelques feux créent des trouées où le maquis repousse depuis un stade pionnier.

La ressource est saisonnée. Les châtaignes tombent d’octobre à novembre. Les glands, qui tombent un an sur deux, sont présents au sol de septembre à janvier pour le chêne blanc et de novembre à février pour le chêne vert. L’hiver, il reste principalement le feuillage persistant du maquis et des chênes. A la hauteur des villages et de leurs contrebas (de 400 à 800 m), l’herbe commence à pousser entre mi-mars et mi-avril, selon l’altitude et l’exposition, et avec elle les jeunes pousses du maquis dont sont friands les bovins et les caprins.

1.3 Les types d’acteurs participant à la production alimentaire

1.3.1 Les familles avec un grand cheptel

Les familles ayant un grand cheptel sont d’une catégorie sociale moyenne. Ils sont moins aisés que les grands propriétaires terriens, mais ont plus de capital et sont moins dépendants que les journaliers (cf. paragraphes suivants). Comme tous les paysans, ils ont un micro-élevage : au moins un ou deux cochons, des poules et des lapins, et parfois quelques chèvres ou vaches. Elles

peuvent également avoir des animaux de trait et de bât, bœufs et ânes ou mulet. Ils sont propriétaires d’au moins une partie de leurs jardins, de 100 à 200 châtaigniers et de 50 à 500 pieds de vignes (excepté à Pianello qui est trop en altitude) ; une part minoritaire est empruntée. Comme en témoigne la figure 12, l’espace de production arboré représente en moyenne un tiers de l’espace villageois.

Certaines familles ont la spécificité d’avoir développé un cheptel caprin, ovin, porcin ou bovin, duquel elles tirent une production marchande. On vend ou échange les veaux, les cabris et les agneaux, les porcs sur pieds ou la charcuterie, le fromage et le lait de chèvre ou de brebis. Ces produits sont très majoritairement en circulation à l’intérieur du village, vendus ou échangés contre des terrains ou d’autres produits. Il est rare que ces paysans aient besoin de vendre leur force de travail. La diversité de ces productions au sein d’un même

système agraire nous permet de le qualifier de système agropastoral arboré.

Pour assurer l’ensemble des productions, les tâches agricoles sont réparties entre les différents membres de la famille. L’entretien des cultures et les récoltes représentent un pic de travail et mobilisent presque toute la famille, alors que les ateliers liés à l’élevage ne mobilisent qu’une personne à la fois. A cette époque, les foyers avoisinent la dizaine de personnes et tous, depuis l’âge auquel les enfants peuvent surveiller les bêtes (entre 7 et 10 ans), contribuent au système de production de la famille. C’est la famille qui, par cette organisation, assure l’essentiel de sa propre subsistance. Elle est donc l’unité de base de ce système agropastoral arboré.

Le châtaignier

Les paysans (propriétaires ou sous bail oral) débroussaillent manuellement la châtaigneraie en été, avec hache et faucille, afin que le sol soit propre lors du ramassage des châtaignes. Ils émondent les branches du porte-greffe en septembre, après les pluies d’août, qui donneraient de moins bons fruits, et les donnent en

Des échanges entre les villages malgré une quasi- autarcie

Même s’il y avait une très forte part d’autoconsommation dans les familles et des échanges entre les habitants d’un même village, il existait également des échanges avec l’extérieur du village. Muletiers ou paysans traversaient les montagnes avec leur âne ou leur mule chargé(e) de marchandises pour commercer avec d’autres villages ou villes. C’était par exemple le cas de Pietraserena qui vendait du vin à Corte et en rapportait des biens non produits au village.

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fourrage aux animaux. En octobre-novembre, toute la famille réunie, parfois avec l’aide de journaliers, ramasse les châtaignes tombées au sol. Ils se disposent en ligne en bas de la parcelle et remontent progressivement tous ensemble, munis d’une ruspaghljola (petite fourche à trois dents avec laquelle on écarte des châtaignes les feuilles et les bogues) et d’un spurtellu (paniers) (figure 15), au rythme de la récolte. Chargées sur le dos d’un âne ou d’une mule, les châtaignes sont ramenées à la maison où, sous le toit, on les fait sécher sur des claies au-dessus d’un feu entretenu en permanence. On consomme la châtaigne sous de nombreuses formes, à partir des fruits entiers ou en farine. Une petite partie était gardée fraîche pour les animaux de bâts. A cette époque, un arbre donne environ 150 kg de châtaignes fraîches et il faut environ 4 t de châtaignes fraîches pour faire 1 t de farine.

Il arrive que l’on exploite le bois de châtaignier, pour la menuiserie ou la charpenterie.

Il y a quelques cas de châtaigneraies sous lesquelles on récolte des céréales ou du foin. Je n’ai pas l’explication de cette particularité.

Les jardins et les autres plantes pérennes

Ces familles ont des jardins, majoritairement en propre et parfois aussi en bail oral. Elles les cultivent avec des outils manuels sur des terrasses bordées d’arbres fruitiers (notamment des pommiers, des pruniers, des néfliers, des noyers). Les paysans fument leurs jardins avec les déjections de leurs propres animaux, ramassées dans la bergerie ou dans l’abri des animaux de bâts et des animaux du micro-élevage. S’y ajoute un transfert vertical de fertilité dû à la chute des feuilles des arbres fruitiers sur le sol.

Tous les villages ont des vignes et des oliviers auxquels a accès la grande majorité des familles. Celles-ci font du vin et de l’eau de vie avec le maigre équipement dont elles disposent dans des maisonnettes près des vignes et dans les caves de leur maison. Ces mêmes familles font leur huile soit dans des moulins familiaux, soit à façon dans des moulins appartenant à de grands propriétaires.

Les céréales

Parmi les céréales cultivées on trouve l’orge, le seigle, l’avoine, et surtout le blé. Elles sont cultivés sur la

presa, généralement en rotation avec des friches pâturés selon le schéma suivant :

Céréale/Céréale/Friche/Friche(/Friche)6. Il semble que la reproduction de la fertilité soit assurée exclusivement par les années de friche. Le blé est moissonné en été à la faucille puis étalé sur des aires de battage situées dans des endroits ventés. Le battage était réalisé par les bœufs lors d’une opération appelée

tribbiera. Les rendements sont de 5 à 8 qx/ha. Les paysans amènent le grain au moulin où un meunier le

transforme en farine. Le micro-élevage

On distingue deux types d’élevage : un micro-élevage, destiné à l’autoconsommation avec des animaux gardés près de la maison, et un élevage avec plus d’animaux, dont les produits sont vendus ou échangés. Toutes les familles possèdent quelques poules et lapins. De rares familles ont quelques ruches.

Les paysans qui n’ont pas de bande de cochons ont un ou deux porcs gardés près de la maison et engraissés « à l’auge », ce sont les porcs dits mannarini. Ce dernier atteint les 90 à 150 kg au bout d’un an. Chaque foyer abat et charcute son porc mannarini. Traditionnellement, la charcuterie se fait après la saison des châtaignes, durant l’hiver, de sorte que les porcs soient « finis à la châtaigne », ce qui leur donne un goût

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particulier. De plus, le climat hivernal, plus frais et plus sec, présente de meilleures conditions pour le séchage de la charcuterie.

De même, les familles qui n’ont pas de troupeau de chèvres en ont une ou deux pour l’approvisionnement de la famille en lait ; ce sont les chèvres dites capre casareccie. Le lait est transformé en fromage et le petit lait est soit transformé en brocciu (fromage frais) soit donné aux cochons.

Le grand cheptel

Les porcs sont en bande de 30 à 200 têtes (il semble toutefois que ce soit plus fréquemment en dessous de la centaine) et atteignent 70 kg en un an du fait de leur alimentation et de leurs importants déplacements dans les chênaies et châtaigneraies à l’automne et en hiver. Ces porcs di banda, rendent une charcuterie plus maigre que les porcs mannarini. Ces porcs ne sont sous les châtaigniers qu’à l’automne, pour glaner après les récoltes ou bien dès le début de la saison sur des terrains dont l’éleveur est propriétaire ou sous bail oral. Le reste de l’année, ils sont maintenus à l’écart des cultures et des pacages.

Les troupeaux de chèvres sont de 150 à 250 têtes. Elles sont traites à la main le matin puis surveillées sur les pacages par le berger de la famille (ou parfois un enfant) qui

part pour la journée. Au printemps, elles sont traites également le soir. Les mises-bas ont lieu en mars et surtout en novembre, afin de vendre les cabris à Noël où la coutume corse est d’en consommer.

Les brebis ne sont conduites qu’en troupeau d’environ 250 têtes et avec un parcours de transhumance. La traite est également manuelle. Roquefort s’implantant en Corse dans les années 1890-1900, cette laiterie absorbe une part croissante des volumes de lait de brebis produits.

L’élevage bovin a toujours existé dans le paysage Corse. Tant que le blé était cultivé dans les montagnes, c’était un élevage surtout lié à la production de bœufs de trait, indispensables au travail des céréales et au battage (a

tribbiera). Mais c’est aussi l’occasion de vendre des veaux

au boucher du village. L’élevage bovin est alors fait de troupeaux de 5 à 20 têtes. Les paysans laissent leurs vaches sur des pacages toute l’année, sans surveillance. Dehors en permanence, le paysan leur donne seulement une alimentation d’appoint en hiver. La race Corse ne produit pas d’importants volumes de lait et n’a pas de qualité bouchère particulière. Toutefois, elle est d’une grande rusticité, qui lui permet de survivre dehors toute l’année et par toute les intempéries, et de continuer à mettre bas pratiquement tous les ans. Il y a une production de foin sur la presa mais elle est surtout destinée aux animaux de de trait et de bât (les bœufs et les ânes).