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1. La formation linguistique des adultes migrants en France

1.4. Derrière la langue

Derrière la langue il y a toute cette attente administrative, mais avant tout il y a des parcours de vie, des parcours migratoires. Migrations choisies ou subies, volonté de s’installer en France ou pays transitoire, les apprenants que nous accueillons arrivent avec leur vécu, leurs idéaux, leurs désillusions, leurs langues, leurs cultures et leurs perceptions.

1.4.1. Les relations avec la France :

Beaucoup d’apprenants accueillis en ASL sont originaires d’Algérie et d’anciennes colonies francophones d’Afrique. Ils se sont construits, dans leurs pays, à travers la langue du colonisateur, la langue dominante. Cette langue, qu’ils apprennent aujourd’hui en France, peut avoir une connotation douloureuse car pourrait représenter la langue de l’envahisseur, de celui qui a conféré à leur peuple un statut de peuple inférieur.

1.4.2. L’interlangue de la rue :

Ces apprenants issus d’anciennes colonies francophones ont eu bon gré mal gré, le

français comme langue seconde (FLS)18. Peu scolarisés ou scolarisés dans des systèmes

très différents du système français, ils ont pour bagage linguistique ce que je qualifierai d’un FLS de la rue : acquis dans les échanges sociaux, au gré des voyages de leurs pères/pairs entre la France pour travailler et leur pays d’origine.

L’interlangue est un processus naturel dans l’acquisition d’une langue étrangère. Ce processus peut évoluer et tendre vers l’appropriation d’une langue et de son système ou simplement s’arrêter et geler ainsi une maîtrise approximative du système de la langue

17 http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2015/07/cir_39839.pdf 18

cible. L’apprentissage d’une langue passe par son acquisition en milieu naturel, au travers des interactions langagières avec des locuteurs natifs et/ou non natifs, au sein de l’environnement social d’un individu. L’interaction est donc située socialement et la fonction qu’attribuent à la langue ses locuteurs se répercute sur son utilisation. Comme l’explique Adami (2009/2: 38-39) les adultes migrants peu scolarisés et peu qualifiés ont construits leur interlangue dans l’urgence d’un savoir communiquer au sens strict de comprendre et être compris.

Directement dépendant des interactions sociales et langagières, son enrichissement peut être stoppé à partir du moment où deux individus peuvent communiquer, peu importe si cela se fait ou non dans les règles de l’art. La réalité veut que les migrants peu scolarisés et peu qualifiés évoluent, dès leur arrivée en France, dans un milieu social précaire dans lequel évoluent d’autres personnes natives ou non qui, elles-mêmes, de par leur éloignement souvent précoce du système scolaire, ne voient la langue que comme un outil pour communiquer dans l’immédiat. Adami parle ici de l’orientation praxéologique des pratiques sociolangagières qui contribue à construire une interlangue axée sur la

recherche de l’efficacité immédiate au détriment de la recherche de solutions linguistiques moins situées et plus aptes à s’adapter à des situations de communication variées. (2009/2:

46)

1.4.3. Le déclassement socio-professionnel :

C’est un phénomène particulièrement présent parmi les populations migrantes. Les ateliers de Français Langue d’Insertion Professionnelle mettent en évidence cette situation. La plupart des apprenants du groupe se destinent aux emplois que la société leur attribue : peu qualifiés, ne demandant aucune ou presque formation, une faible rémunération, une connaissance minimale de la langue française, tout ceci en dépit de leurs diplômes qui, sans reconnaissance ni équivalence, n’ont qu’une valeur symbolique, presque dérangeante dont ils souhaitent à peine parler. Il y a 3 ans, dans un précédent groupe FLIP que je co- animais, M. M ne voulait pas parler de son statut de juriste en Algérie et préférait orienter sa recherche d’emploi en France vers un poste d’agent de sécurité.

1.4.4. La tête dans les démarches :

Les apprenants demandeurs d’asile vivent avec anxiété leur apprentissage de la langue. Au fil de leurs démarches et de leurs recours, il devient pour eux difficile de s’investir dans l’apprentissage de la langue d’une société qui ne semble pas vouloir les

accueillir. Certains, pris par leur divers rendez-vous avec l’Administration française, oublient l’heure des cours de français ou, le cas échéant, viennent l’esprit ailleurs.

1.4.5. Le sentiment de rejet :

La surmédiatisation que nous connaissons aujourd’hui a tendance à amplifier et à catégoriser les populations migrantes qui s’installent en France et beaucoup, au fil de l’actualité, ne se sentent pas bienvenus. Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, lors de notre atelier qui se déroulait le mardi suivant, beaucoup de nos apprenants ont souhaité parler de ce qui s’était passé. L’incompréhension des apprenants de confession musulmane face à l’escalade de l’islamophobie (aux sens de peur et de rejet), et l’insécurité dans laquelle ils se sentent plongés, eux, étrangers et montrés du doigt, suspects potentiels ne fait qu’accroître ce sentiment. C’est du moins ce qui est ressorti de mon groupe d’apprenants présents à cet atelier particulier. Je n’oublierai jamais l’intervention conclusive d’un de nos apprenants, M. B : « Nous tous, nous avons fui nos

différents pays pour trouver un paradis, la France, et aujourd’hui notre paradis est en train de brûler »

Certaines réactions ou comportements de nos apprenants peuvent surprendre et déconcerter. Le manque d’investissement supposé de certains de nos apprenants peut-être décourageant La prise en compte de tous ces paramètres liés au déracinement de nos publics permet de se décentrer, en tant qu’animateur, et de faire preuve de beaucoup de psychologie et de philosophie. En tant qu’enseignant, face à la pluralité des profils linguistiques de nos apprenants, les approches didactiques sont multiples.