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Langage et reconquête de la vérité

Dans le document Td corrigé GUÉBO Josué Yoroba - BEC-UAC pdf (Page 178-183)

KANON GBOMENE Hilaire

2. Langage et reconquête de la vérité

Pour servir à l’instrumentalisation, le langage donne au mot un sens équivoque pour permettre aux uns et aux autres de pouvoir s’en servir selon leur convenance. Le langage est fasciste. Ce qui le prédispose en soupape de domination. Pour répondre à l’instrumentalisation du langage, le retour à son sens véritable s’impose. Le langage, pour la reconquête de la vérité, doit recourir à son sens nominal. Ce qui suppose d’emblée une dialectique entre mimésis et séparation. Le langage, moment de médiation, suscite le dialogue au niveau interne et externe.

2.1. Langage entre mimésis et séparation : de la connaissance à la reconnaissance

Le langage est toujours porteur d’un signe qui incarne les formes de la pensée et les systèmes de la croyance. Il est le moyen par lequel s’extériorise nos ressentis, impressions et pensées. Le mot est la traduction de ce qui est pensé. Il est la pensée extérieure tandis que la pensée est un langage intérieur. Le langage se rapporte toujours à une réalité autre. Le sens des mots réside dans cette relation au représenté.

Ce caractère montre que le langage n’envisage aucune assimilation, ni uniformisation. Il se caractérise par la distanciation, l’identité et l’altérité.

C’est justement par rapport à ces postulats que l’on qualifie le langage totalitaire d’anti langage ou de meurtre du langage. Le langage totalitaire refuse toute altérité. Du moins, il renferme cette altérité dans une mêmeté malsaine qui nie toute possibilité de distinction. Dans son intention d’aboutir à une totalisation uniforme qui élimine toute transcendance, le langage totalitaire plonge l’humain dans la souffrance et la misère. Ainsi, à travers ces attributs malsains, il conduit l’humanité aux antipodes des valeurs que l’on projetait dans le langage.

À travers les caractéristiques du langage totalitaire, l’on peut d’emblée dire ce que n’est pas le langage. De facto, nous convenons que le véritable langage n’est pas un instrument dont on pourrait en disposer.

Dans la mesure où il s’évertue à révéler la chose elle-même, l’on établit une correspondance entre langage et savoir. Cette connaissance dérive de l’adéquation entre les concepts et les choses. Elle relève du lien entre le sujet et l’objet, entre le langage et le monde ou encore entre le mot et la chose. Cependant, si la conception traditionnelle conçoit ce lien en termes d’adéquation, Horkheimer parle plutôt d’affinité mimétique. La mimétique relève de la mimèsis qui est chez Horkheimer la présentation de l’objet en un autre. « Dans cette mimésis, le penser s’égale au monde ». (M.

Horkheimer et T. W. Adorno, 1974, p. 53). L’affinité mimétique conçoit le langage en tant que reflet de la totalité. Elle permet au sujet de se projeter au-delà de lui-même pour s’affirmer dans l’objet. L’idée de mimésis témoigne une correspondance du sujet à l’objet. Cependant, loin d’être une simple imitation, elle nécessite le rejet des idées préconçues dans l’identification à la chose. L’affinité mimétique prévient contre les clichés, les stéréotypes utilisés par l’appareil totalitaire dans sa propagande autoritaire. Néanmoins, l’affinité mimétique comporte un risque d’assimilation à la réalité, qui finalement ferait retomber dans les travers du langage totalitaire.

Pour éviter cette difficulté, il faut d’emblée établir une distinction entre l’affinité mimétique et l’identification logique que développe le langage totalitaire. Dans la logique du langage totalitaire, les différences, les contradictions disparaissent au profit d’une réalité uniformisée. Elle sacrifie toutes les individualités sur l’autel du conformisme. Dans ce totalitarisme, il est impossible de prétendre à la connaissance dans la mesure où l’unité logique ne crée pas pour autant une complémentarité entre les éléments. Les choses restent dans la séparation même dans l’universalité en raison du manque d’affinité. Ils sont dans une simple substitution. Or, pour Horkheimer, la substitution constitue la mesure de la domination et non de connaissance. Elle refuse toute interdépendance pour adopter la posture du dominant. En revanche, la mimésis repose la

substitution sur cette affinité ontologique. Les choses présentent des qualités communes qui permettent leur substitution. La mimésis sert de modèle de représentation. Elle renvoie au symbole car on ne mime que ce qu’on veut voir se reproduire. Le langage doit être vu comme recherche de symboles et non comme système de signes. Les signes renvoient à l’identité logique tandis que le symbole est une représentation. Il permettrait au langage de remplir sa tâche de faire voir la chose même.

« La connaissance serait en effet impossible s’il n’y avait aucune affinité entre le sujet et l’objet, entre le langage et le monde. Ce n’est donc pas le moment strictement conceptuel ou logique de la connaissance, mais bien l’affinité mimétique entre le sujet et l’objet qui constitue (…) la condition de possibilité de la connaissance » (Ricard Marie-André., 1999, p.284).

Ainsi, toute connaissance nécessite ce lien entre le mot et la chose. Elle se conçoit à travers une affinité mimétique entre le représentant et le représenté.

La connaissance suppose certes une affinité mimétique mais elle ne se conçoit pas totalement dans la substitution. Elle exige une séparation entre le représentant et le représenté. Ainsi, la prise en compte de la mimésis et de la séparation présente le langage comme une connaissance et une reconnaissance. La connaissance à laquelle conduit le langage est la reconnaissance d’une chose comme étant cette chose-là et non pas autre chose. Le langage ne doit pas seulement être mimétique. Il doit permettre à l’autre de se représenter en lui donnant la possibilité de s’identifier à soi et non à autre chose. Il ne s’agit plus de rendre l’autre identique à soi. La logique identitaire est désastreuse pour le langage et pour la civilisation. Ainsi, la véritable tâche du langage serait d’être nominative.

2.2. Nomination, idéal du véritable langage

Le langage, dans sa tâche de connaissance et de reconnaissance, sert à lever tout équivoque sur l’identité des choses et des êtres. Le rejet du lien mimétique avec le représenté montre l’intention de reprendre le langage de son aspect dénotatif pour qu’il redevienne connotatif. La dénotation est

le sens littéral que l’on attribue à un terme. Elle découle de l’assimilation du mot à la chose. La dénotation ne fait pas de différence entre le mot et l’objet qu’il désigne. « Le mot doit avoir un pouvoir direct sur le fait ; expression et intention signifiante se confonde » (M. Horkheimer et T. W.

Adorno, 1974, p.100). Cependant, la substitution du mot à la chose ne prend pas en compte le contenu de cette désignation. Le mot peut désigner toute représentation. La dénotation renvoie ainsi à un formalisme puisqu’elle permet au mot de renvoyer à n’importe quel contenu. Elle devient un moyen de modification de fait, de manipulation et non ce qui sert à déterminer le sens réel des choses. Le langage dénotatif sert d’instrument de domination dans la mesure où il a la possibilité de se substitue à la chose qu’il représente et d’usurper sa place. Il est la catégorisation du langage totalitaire qui finit par conduire à la société administrée. « La phase de la société administrée renvoie en revanche à une réduction conformistes de l’identification, par l’école, les médias et la culture de masse » (J.-M. Durand-Gasselin, 2012, p.203). Pour Durant-Gasselin, la société administrée utilise des moyens de propagande pour contrôler et manipuler les sujets. Avec l’application des règles rhétoriques qui ne se soucie nullement de vérité, la société administrée parvient à déchoir toute contradiction. Cette capacité à la manipulation est assurée par le sens dénotatif du langage dans la mesure où il n’établit pas de relation causale entre le signe et son référent. En d’autres termes, il crée une rupture entre le mot et ce qu’il nomme. Ce qui prête toute chose à la manipulation. Le sens dénotatif est donc une préforme à l’instrumentalisation. Pour sortir de l’impasse de la domination, l’on préconise le retour au sens connotatif du langage.

Le sens connotatif prend à la fois en charge la mimétique et la séparation pour déterminer le nom de l’objet. Cela suppose que le langage doit déchoir en stratégie pour connaitre la nature de la chose. La connaissance est moins une simple identification du mot à la chose. Elle prend en compte les différences, les nuances et les similitudes pour trouver au mot le nom qui reflète son essence. Le connotatif donne au langage son sens nominatif. Il donne le pouvoir à l’homme d’appeler les choses, de les

identifier et de les spécifier des autres. Le langage sert de moyen d’herméneute. Dans sa fonction d’Hermes, le langage s’oppose à toute totalisation. En effet, le sens d’une chose est d’avoir un nom. L’individu n’a de sens que lorsqu’il est nommé. « Ce qui n’est pas appelé n’a pas de nom. Personne ne s’appelle lui-même » (B. F. Dellaloglu, 2009, p.220). Le nominatif permet à l’individu d’accéder à son identité. Le nom doit être le reflet de ce qu’il indique. C’est pour cette raison que la tradition judaïque interdit la nomination de Dieu. « Dans la religion judaïque, où l’idée patriarcale aboutit à la destruction du mythe, le lien entre le nom et l’être se reconnait par l’interdiction de prononcer le nom de Dieu » (M.

Horkheimer et T. W. Adorno, 1974, p.50). Dieu est un être infini qui ne peut pas être saisi par un mot fini. Son statut transcende le mot qui servirait à son appellation. Le sacré ne peut pas se réduire au connu. Ainsi, compte tenu de l’exigence nominative du mot qui doit refléter le sens de la chose nommé, Dieu s’exempte de toute appellation. Prononcer le nom de Dieu signifierait l’invoquer puisque la chose est son nom. Ce qui serait une profanation de vouloir nommer l’absolu par son nom.

Le refus de donner un nom à Dieu est le refus de l’imposture qu’on accorderait au langage totalitaire. La nomination est la reconnaissance de l’affinité inhérente à la proximité représentant-représenté. Horkheimer fait valoir cette valeur nominative du langage à travers le sens de la raison objective. D’emblée, il définit la raison comme la perception de la véritable nature des choses. Cette raison est différente de celle qui trame le fonctionnement du langage totalitaire. Elle n’est pas préoccupée par la planification et la manipulation d’une vie qui ne se préserve que par l’anéantissement des autres et de soi-même. À travers sa fonction de percevoir l’être des choses, elle laisse transparaître sa capacité à nommer les choses et les êtres par leur nom. Au-delà de l’intérêt de la vérité qui sous-tend la référence à la nomination, ce qui intéresse Horkheimer est la capacité de rendre un témoignage fidèle de la réalité sociale. La nomination donne donc à la raison la possibilité de « se libérer de ses propres illusions, regarder en face, reconnaître l’enfer pour ce qu’il est.

Savoir le nommer. Ce serait l’unique espoir pour la raison » (O. Ombrosio,

2008, p. 143). La réalité sociale actuelle se structure dans une totale domination que cautionne la Raison. Celle qui prétendait fournir à l’humanité les clefs d’une civilisation heureuse s’érige en instance de domination. Pour Horkheimer, la conscience de cet échec ne sera possible que par l’aspect nominatif de la raison. Cela donnera à la raison une autre possibilité de connaitre parce qu’elle aura reconnu ses limites, ses responsabilités dans cette horreur. La nomination est donc une ouverture à un regain d’optimisme.

Dans le document Td corrigé GUÉBO Josué Yoroba - BEC-UAC pdf (Page 178-183)