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Langage, entre propagande et fascisme

Dans le document Td corrigé GUÉBO Josué Yoroba - BEC-UAC pdf (Page 173-178)

KANON GBOMENE Hilaire

1. Langage, entre propagande et fascisme

L’omniprésence de la domination dans le processus de capitalisation des intérêts conduit à une dépossession des valeurs. La perte de l’élément critique conduit la raison à adopter un langage instrumental. Le langage devient un moyen de propagande et de manipulation qui annihile toute possibilité d’émancipation de l’individu. Vu comme le moyen de réduire l’individu à de simples composants d’une masse, le langage se pose comme un avatar du totalitarisme. Il arrime le vécu social au fascisme. Ce fascisme s’analysera à travers la subtilité de la propagande dont le but est de combattre toute forme de singularité.

1.1. Propagande et contrôle : caractéristique du langage de la rationalité instrumentale

L’esprit des Lumières consacre la Raison40 dans le processus d’autonomisation du sujet. La raison, envisagée dès le siècle précédent, est intronisée comme le socle du processus d’auto-réalisation. Elle requiert toute la confiance vu ses caractéristiques que sont la cohérence, l’universalité, la prévision et l’ordre. Ces qualités faisaient présager le progrès de la civilisation. La raison dans l’histoire est synonyme de progrès. Compris comme penser lucide, elle s’oppose aux mythes. Dans la pratique, elle abolit l’état de nature pour instaurer la liberté, l’égalité, etc.

Ce qui s’avère être l’avènement d’une société meilleure. Cependant, la suite de l’évolution fait comprendre que toutes les digues élevées par l’esprit de la rationalité font place à l’horreur, à la barbarie. Elles menacent même d’anéantir l’humanité. La compréhension de ce tableau sombre de la civilisation impose une césure de la Raison. Entre la rationalité objective et humaniste d’une part et la rationalité subjective et instrumentale d’autre part, la réalité actuelle répond aux caractéristiques

40Dans leur ouvrage en commun, La dialectique de la raison, Horkheimer et Theodor Adorno emploient la Raison dans le sens large de pensée en progrès, p.16

de la seconde rationalité. Sous l’emprise des attributs tels que la froideur et la lucidité, la rationalité instrumentale a en vue le profit, la productivité et la planification. La rationalité, réduite à la pure domination, devient un organe pur et simple. « La Raison se comporte à l’égard des choses comme un dictateur à l’égard des hommes ; il les connaît dans la mesure où il peut les manipuler » (M. Horkheimer et T. Adorno, 1974, p.31). La raison est le substrat de la domination. Elle agit pareillement à un dictateur dont l’intention est de contrôler.

Le sens de la raison est de parvenir au contrôle. Son opposition au mythe, à l’irrationalité est un avertissement contre tout désordre. La rigueur du cheminement rationnel augure une classification de laquelle découle le principe d’ordonnancement. L’ordonnancement sert de moyen de réglementation qui prévient contre toute incohérence. Ainsi, la raison, devenue penser pragmatisé ayant perdu son élément critique, servira de vecteur à toute prétention à l’assimilation. Pour permettre la massification, elle utilise un langage propagandiste pour davantage parvenir à contrôler l’individu. La tâche d’un tel langage consiste à contraindre les hommes à être de véritables copies conformes. « La propagande aliène l’individu et elle prend part à la destruction de sa capacité à faire appel à son esprit critique » (M. Q. Nguyen, 2002, p.97). L’objectif de la propagande est de parvenir à la destruction des modalités de penser de l’individu. Ces modalités, réfractaires à toutes tendances d’uniformisation, seront liquidées en tant que « résidus irrationnels »41. La rationalité instrumentale réprime toute trace d’une intellection qui potentialiserait la subjectivité du sujet. Elle qualifie de rébarbatif tout ce qui refuse de s’identifier aux clichés dans la mesure où ces spécificités sont inopérantes au processus de standardisation et de productivité. La rationalité instrumentale permet au monde capitaliste, dans son organisation et son fonctionnement, de créer un langage dont le vocabulaire correspond à son intention de domination. La syntaxe de ce langage pervertit le sens du mot. Ainsi chaque mot devient-il « une suggestion, un slogan ou une prescription »

41Le terme de « résidus irrationnels » est employé par Herbert Marcuse dans L’homme unidimensionnel. Par ce terme, il fait référence à la mémoire, au temps et au souvenir qui sont des éléments critiques de la pensée, p. 124

qui donne des commandements (M. Horkheimer, 1974, p.190). Avec un mode impératif subtilement déguisé, le langage de la rationalité instrumentale devient un moyen de commandement au lieu de s’engager dans la recherche de la vérité.

Pour finalement parvenir à la domination, le langage de la raison instrumentale utilise un vocabulaire de propagande. Dans la communication, la propagande annihile toute possibilité à l’émancipation.

Pris dans l’engrenage de la massification, l’individu est contraint de se conformer aux systèmes de communication qui le prive de sa cognition de manière à le rendre acéphale. Il n’a plus de valeur à part sa capacité à se conformer. La valeur ne réside plus dans le nécessaire et le fondamental.

Elle réside désormais dans le superflu, voire dans la dose du tape-à-l’œil comme c’est le cas de la publicité. Pour Marcuse, la publicité est une

« technique méthodique utilisée pour établir une image qui se fixe à la fois dans l’esprit et sur le produit, et qui facilite la vente des hommes et des choses. Paroles et textes sont ramassés autour des lignes chocs, autour des points qui excitent l’attention » (1968, p.116). Le rôle de la publicité est de faire passer le superflu pour le nécessaire aux yeux de l’individu, devenu un simple consommateur réduit à du matériel statique. Elle use de subtilité pour rabâcher l’esprit du consommateur afin qu’il ne perçoive pas la supercherie de l’uniformisation des produits. La publicité présente des produits différenciés qui sont finalement les mêmes. Ainsi, la publicité fait comprendre que le langage de la rationalité instrumentale réduit les sens par la créations de stéréotypes dans le but d’installer une uniformisation complète de la réalité sociale.

1.2. Totalitarisme et fascisme comme finalité du langage instrumental

La rationalité technique est une rationalité de la domination. Elle utilise la propagande pour contrôler l’individu, devenu un simple consommateur massifié. La propagande est une forme d’idéologie qui sert à organiser la masse. Elle utilise une structure narrative coercitive qui laisse transparaitre la présence d’un système totalitaire. Le totalitarisme, comme

nous l’exprimons, renvoie à la superfluité de la vie humaine, à la non-pensée et à la massification. Avec des catégories telles que l’autorité, la domination et le pouvoir, le totalitarisme réduit complètement l’individu à l’état d’impuissance. En tant que système de néantisation de l’individu, la domination totalitaire est une technique de contrôle de l’individu massifié.

Elle le manipule afin de le maintenir dans une mêmeté absolue. En tant que perte de l’individu, le totalitarisme désigne la sortie de l’humanité. Le totalitarisme est l’abîme de la civilisation. Le langage, en tant que moteur de cet abîme, devient le support de cette inhumanité. Horkheimer compare ce type de langage totalitaire au fascisme. Le fascisme traite « le langage comme un instrument de pouvoir, comme un moyen d’emmagasiner du savoir, à utiliser dans la production et la destruction en tant de guerre et en temps de paix » (1974, p.185). Le fascisme est la forme politique de notre temps. Il a tendance à vouloir donner un tour autoritaire à l’appareil administratif, judiciaire et politique. Dans l’ensemble, c’est toute la bureaucratie qui répond au langage de totalisation. Elle s’érige du coup en une instance nihiliste de l’individu au profit de la bourgeoisie. « L’homme isolé, non sauvegarder par des contrats, non protégé par un puissant, l’étranger, l’individu tout court, est sacrifié sans pitié » (M. Horkheimer, 1978, p.77).

La référence à la bourgeoisie est présente dans la distinction que Walter Benjamin établit dans son essai sur « le langage en général et sur le langage humain ». Dans cet essai, il qualifie d’instrumental le langage bourgeois dans la mesure où ce langage sert à communiquer des désirs et des besoins spécifiques à ceux d’une classe (2000, p.145). Dans ce sens, le langage instrumental est un langage purement utilitaire qui sert de moyen de pérennisation à la classe bourgeoise. Ce langage s’envisage comme un opérationnalisme. Il considère le nom des choses comme des indicatifs de leur mode de fonctionnement. Chaque mot est une occurrence qui répond à un besoin spécifique. Le mot joue un rôle d’organisation. Il procède par ordonnancement. Ce qui tend à supprimer

les « termes médiats »42 qui sont les étapes du processus de la connaissance et de l’évaluation cognitive. Cette dépossession des facultés cognitives qu’occasionne le langage instrumental conduit Herbert Marcuse à le définir comme un langage clos. Le langage clos exclut les catégories de la compréhension mutuelle inhérentes au langage. Il n’envisage ni démonstration, ni explication qui susciterait la convocation des facultés cognitives de l’individu. Contrairement à la promotion des valeurs, le langage clos « communique la décision, le diktat, l’ordre » (1968, p.126).

Ces attributs donnent au langage clos un rôle fonctionnel. Il sert de moyen de contrôle de l’individu dépourvu de toute capacité de contradiction.

Le langage opérationnel est un langage anti-historique qui empêche le recours aux facultés oppositionnelles. L’histoire prend en compte le passé, la mémoire et le souvenir qui finalement constituent le contenu de la pensée critique. En effet, la mémoire qui permet le souvenir est la faculté de dissociation des faits. Le souvenir du vécu permet à l’individu d’évaluer la réalité sociale actuelle et de prendre conscience des contradictions inhérentes. Le souvenir représente une forme de méditation qui permet à la mémoire de rappeler à la fois la terreur et l’espoir. Par la remémoration, la mémoire s’érige en une conscience critique qui parle le langage de la connaissance. C’est à cet élément critique que s’attaque le langage opératoire qui absorbe tout ce qui est transcendant, négatif et oppositionnel. Le langage totalisant crée une syntaxe avec laquelle il est difficile d’exprimer la différentiation, la distinction et la séparation. « Ce langage, qui impose constamment des images, empêche le développement et l’expression des concepts » (H. Marcuse, 1964, P.119).

Le concept laisse entrevoir une activité intellectuelle de formulation d’idées à partir d’effort personnel. Il nie toute assimilation de la chose à sa fonction. Ainsi, le langage fonctionnel, en supprimant le concept, substitue des images fixes, voire des formules hypnotiques. Ce qui pour finir conduit au nihilisme de l’individu. N’est-ce pas pour cela que Horkheimer, en assimilant ce type de langage au fascisme, préconise une autre orientation

42Les « termes médiats » sont des concepts qui appréhendent les faits et les

transcendent. Ils permettent au mot de toujours garder à l’esprit la fonction cognitive lié au langage.

de la compréhension du langage basée sur la portée de la nomination ? Cette autre orientation du langage permettra de mettre en évidence son vecteur à l’humanisation.

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