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L’exode et le déni d’hospitalité

Dans le document Td corrigé GUÉBO Josué Yoroba - BEC-UAC pdf (Page 138-143)

LA CRISE DE L’IMMIGRATION COMME CRISE DES POLITIQUES DE CIVILISATION

2. L’exode et le déni d’hospitalité

La souffrance des migrants clandestins rappelle celle des esclaves du temps du commerce triangulaire (I. B. Kaké, p. 35), des Africains pourchassés, attrapés, jetés, maltraités dans les cales des navires ; vendus aux enchères et utilisés comme bêtes de somme dans la production capitaliste, sans contrepartie économique. Entre l’époque de la traite des esclaves et celle contemporaine des migrants clandestins, seules les formes de souffrance semblent avoir changé, mais le traitement

cruel, inhumain et dégradant semble rester le même. (M. Peraldi, 2002, p.

57). En effet, ni la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, ni les pactes internationaux de 1966 relatifs aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, a fortiori la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ne semblent avoir changé la condition humaine de la jeunesse africaine qui emprunte le chemin de la migration clandestine. La seule véritable différence est que si les esclaves d’antan étaient déportés, aujourd’hui, les candidats à l’immigration prennent volontairement la décision de partir, de s’expatrier. (G. Sciortino, 2010, p.

53).

La décision du clandestin migrant de partir se justifie par les politiques de régression qui n’arrivent pas à l’intégrer socialement, économiquement et politiquement. Or, la jeunesse, légitimement, est avide d’avenir ; le système, quel qu’il soit, ne lui convient presque jamais.

Dans le cas actuel, le système économique mondial exploite et rejette à la périphérie des contrées comme l’Afrique. Les États africains, à leur tour, reproduisent le même rejet vis-à-vis de leur jeunesse. À cette dernière, partir apparaît comme la seule option salvatrice. Si l’esclavage d’antan était un arrachement familial forcé, l’exode du jeune migrant d’aujourd’hui est quelque chose qui se vit, d’abord intérieurement, avant d’être matérialisé comme une aventure humaine qui consiste à tout abandonner pour « la terre promise », en l’occurrence l’Europe et/ou les États-Unis.

Partir, n’est donc pas une décision qui se prend sans un débat ou un colloque intérieur avec soi-même, une introspection au cours de laquelle les arguments pour ou contre - quitter son pays, affronter les affres du désert et de la mer - se livrent un combat acharné. Lorsque les raisons qui militent en faveur du départ l’emportent, le candidat à l’immigration clandestine fait feu de tout bois : les économies et/ou les maigres ressources familiales sont mobilisées, certaines sont bradées pour constituer les provisions de cette aventure humaine incertaine. De ce fait, le projet devient familial, car celui ou celle qui part devient une promesse, un programme d’une famille désespérée qui attend, une fois la terre promise atteinte, des résultats au bénéfice du clan ou de la tribu. On ne

s’expatrie pas seulement pour soi-même, mais également pour sauver des vies désespérées et avides de lendemain meilleur.

Il faut à présent caractériser cet exode, depuis l’enfer vécu chez soi jusqu’à celui enduré dans les pays d’accueil, en passant par les pays de transit, la traversée du désert et de la méditerranée. L’un des premiers défis pour le migrant est de subir déjà chez lui une administration corrompue, dans le cadre de l’établissement des pièces d’état civil. En effet, l’une des tares de l’administration ici est que l’usager est souvent incité à payer le fonctionnaire pour que celui-ci fasse le travail pour lequel il est commis et payé. Quand ce ne sont pas des relations claniques qui déterminent l’obtention de documents administratifs. Dans le cadre de la traversée des postes frontaliers, malgré les traités régionaux et sous régionaux, susmentionnés dans le premier paragraphe de cette partie, en faveur de la libre circulation des biens et des personnes, le migrant, à chaque étape, se voit dépouiller d’une partie de ses maigres ressources.

Ses documents de voyage ne lui servent à rien. L’infortuné clandestin doit posséder avant tout des moyens de corruption pour continuer son chemin.

La femme migrante, elle, est parfois harcelée, obligée de payer de son corps, pour passer les barrières et les frontières. Au calvaire subi par les migrants dans les pays de transit et aux postes frontaliers, s’ajoute celui vécu entre les mains des passeurs qui les dépouillent de leurs ressources avant de les abandonner à leur sort soit aux portes du désert, soit dans l’incertitude des pirogues de fortune qui bravent les flots des océans.

Combien meurent en cours de route, dans le désert et dans les eaux glacées des mers ? Combien parviennent-ils à regagner l’Europe dans des bonnes dispositions de santé physique et psychique ? Il sera difficile d’établir des statistiques fiables à ce niveau.

Au voyage clandestin périlleux, suit la vie enfermée et clocharde dans les pays d’accueil. (REA Andrea, 2010). Au chemin de la croix succède « le travail au noir », car sans papier de séjour ni permis de travail, les migrants clandestins deviennent la proie des employeurs sans scrupule qui les utilisent sans contrat. (S. V. Valsum, 2010, p. 69). Aucune humanité

ne semble être reconnue à des hommes et des femmes qui ont quitté leurs pays pour essayer de gagner un peu de dignité. (C. W. De Wenden, 2012, p. 40). Pour être reconnu comme tel, il faut être capable d’exploit héroïque comme MamoudouGassama - ce migrant malien clandestin, qui a affronté le désert et l’océan pour se retrouver d’abord en Italie, puis en France -, reçu par le Président français et qui, à sortie d’audience, obtient un titre de séjour et un travail comme sapeur-pompier, pour avoir sauvé un enfant français suspendu au quatrième étage de l’immeuble où son père l’avait laissé seul. Sinon, les candidats à l’émigration doivent avoir quelques talents - en sport ou dans les arts - pour être reconnu comme une personne digne d’avoir la nationalité du pays d’accueil. (J. Barou, 2001, p. 82). On est passé des politiques de migration choisie à une politique anti-migratoire qui bloque les candidats aux portes du désert, notamment celles de la Libye. À ce niveau, une autre inhumanité, qu’on pensait révolue éclate au grand jour : la vente aux enchères de jeunes migrants noirs, par des trafiquants locaux.

Depuis que la télévision américaine CNN a diffusé un reportage sur cette vente aux enchères d'émigrants africains en Libye, les réactions d'indignation ont fusé de partout dans le monde. La vidéo très émouvante postée sur les réseaux sociaux par l'animateur vedette de la Radio France Internationale (RFI), Claudy Siar, a été le point de part de ces réactions d'indignation qui interpellent les instances des Nations unies, les organisations régionales africaines, mais surtout les dirigeants africains pour mettre non seulement fin au calvaire des infortunés jeunes migrants africains, mais aussi pour traduire les coupables et les complices de ces pratiques devant les juridictions compétentes. Mais, s'il y'a lieu de s'indigner de ces pratiques inhumaines, cruelles, dégradantes et humiliantes, parce qu'anachroniques et heurtant la conscience mondiale qui, depuis la Déclaration Universelle des Droits de l'homme de 1948, a résolument tourné le dos à l'esclavage et aux pratiques assimilées ; il y a lieu aussi de se demander pourquoi, plus de cinquante ans après les indépendances des États africains, de tels comportements persistent sur le sol africain. En effet, cette actualité brûlante est une opportunité pour

se réinterroger sur l'État en Afrique et ses capacités à fixer et à intégrer systématiquement les citoyens. Si des jeunes africains se sont retrouvés et transformés en esclaves en Libye, c’est parce que, quelque part comme développé plus haut, cela traduit la faillite des États africains qui n'arrivent pas à intégrer socialement, économiquement et politiquement leurs jeunesses. La raison est que, depuis les indépendances des années 1960, ces États, sont affectés par une tare congénitale dont l'esclavage des migrants, aujourd'hui décrié, est l'un des symptômes frappants. (M. H.

Talibi, 2015, p. 27). L’aliénation est la caractéristique permanente de l'État africain post colonial, quel que soit par ailleurs les formes historiques ou politiques qu'ils arborent. Il y a donc nécessité de reconstruire un autre monde, plus humain et plus ouvert.

3. Construire la solidarité mondiale et réhabiliter la dignité

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