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La sécurité sanitaire européenne et les réformes annoncées

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I. La réforme de la commission européenne : la DGSANCO

3. La sécurité sanitaire européenne et les réformes annoncées

En 2000 paraît le Livre blanc sur la sécurité alimentaire (Commission européenne, 2000). Ce livre, très important car il fixe un programme de réformes précises, est le point de départ d’un renforcement très net de l’intervention européenne dans le domaine alimentaire. Il annonce la création prochaine de l’Autorité de sécurité alimentaire destinée à fournir à la Commission et aux autres instances communautaires, des avis scientifiques indépendants et à permettre ainsi une intégration et une harmonisation communautaires des pratiques d’expertises (Demortain, 2006, 2008b). Parmi les quatre-vingts autres actions exposées dans ce livre, la nutrition tient une place importante. Le changement de ton est d’ailleurs assez marqué. En effet, comme nous l’avons vu dans les textes européens traitant de nutrition, celle- ci est encore appréhendée en 1990 comme un élément normal ou positif. Or lorsque la question est abordée dans le chapitre sur l’information des consommateurs du livre blanc, il est clairement fait référence au paradigme de la nutrition négative. Dès le début, celle-ci est présentée comme un constat :

« La protection de la santé publique ne se limite pas à la sécurité chimique, biologique et physique des aliments. Elle devrait également viser à assurer l’ingestion des nutriments

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essentiels tout en limitant l’ingestion d’autres éléments afin d’éviter les effets négatifs sur la santé, y compris les effets antinutritionnels. Des informations scientifiques ont démontré qu’un régime adapté et varié est un facteur essentiel de bonne santé et de bien- être général. Ce peut être particulièrement vrai aujourd’hui que de nouveaux types de produits dont la valeur nutritive est modifiée apparaissent sur le marché et peuvent avoir une influence favorable ou défavorable sur le comportement et le bien-être des consommateurs. De plus, les informations qui permettraient aux consommateurs d’effectuer des choix corrects ne sont pas systématiquement disponibles de façon claire et accessible. » (Commission européenne, 2000, p. 38)

La neutralité de l’information nutritionnelle ou l’idée qu’elle ne peut être que positive ou sans conséquence semble s’affaiblir à l’aube du nouveau millénaire. Par ailleurs, cette volonté de réformer l’encadrement des informations nutritionnelles se traduit aussi par l’annonce d’un projet de règlement ou d’une révision des règles sur la publicité trompeuse prenant spécifiquement en compte les allégations relatives aux aliments et mobilisant la santé ou la nutrition. Alors que jusque-là le Conseil et la Commission étaient sur une posture d’interdiction de toutes allégations autres que quantitatives (quantité de nutriments), c’est bien un assouplissement de cette interdiction qui est ici proposé, en échange de la mise en place d’un règlement spécifique à l’emploi de telles allégations ainsi que d’une augmentation voire d’une obligation générale en matière d’étiquetage nutritionnel, bien que ce dernier point ne soit pas explicitement spécifié. On voit ainsi se dessiner le scénario américain des années quatre-vingt-dix. D’autant que les personnes en charge de la rédaction du livre blanc et des propositions de réforme sur l’étiquetage nutritionnel ont été envoyées aux États-Unis pour faire une sorte de stage d’observation au sein des services de la FDA. C’est une personne interviewée à la Commission européenne et connaissant très bien le dossier qui m’a raconté cet épisode :

« Enfin moi, quand j’ai repris le dossier en 1999, ma préoccupation a été de rendre l’étiquetage nutritionnel obligatoire. J’ai donc dit, voilà, maintenant on va y aller et je ne me suis pas vraiment penché sur le problème de savoir pourquoi on ne l’avait pas fait plutôt mais c’était comme ça. Alors j’ai recruté deux collaboratrices et le jour où elles sont arrivées ici, à la commission, je leur ai dit, voilà, c’est vous qui allez faire le projet étiquetage nutritionnel pour le rendre obligatoire. […] Donc je leur ai dit, voilà pour commencer à travailler vous partez 15 jours aux États-Unis et vous allez faire un stage à la FDA. Vous allez leur poser toutes les questions qu’il faut : Comment ils l’ont rendu obligatoire ? Pourquoi ils l’ont fait, quels étaient les problèmes… Et alors quand elles sont revenues elles m’ont dit : tu sais, la première chose qu’ils nous ont dit c’est que, quand ils ont rendu l’étiquetage obligatoire, ils l’ont fait avec une équipe de 60 personnes. Alors je leur ai dit : eh bien oui mais vous vous serez deux. Et finalement on l’a fait ! » (Entretien 1 Commission européenne, Bruxelles, mars 2011)

Cette intégration dans les textes de la nutrition négative est comme cela vient d’être montré, largement liée à un contexte de crise du marché agroalimentaire et des règlements qui l’encadrent ayant abouti à un renforcement des pouvoirs de la Commission européenne dans le domaine alimentaire et à une volonté de revoir et de renforcer les lois. C’est également un

183 effet de la construction d’une politique de santé publique qui, à l’échelle européenne, passe essentiellement par le marché et s’adresse davantage à des individus ou des consommateurs, qu’à une population (Guigner, 2011). Ces événements sont, en ce qui concerne la nutrition, plutôt venus réorienter et précipiter une problématique déjà en germe au niveau de l’Union du fait des pressions des instances internationales comme l’OMS et d’autres acteurs comme les États-Unis ou les pays nordiques et anglo-saxons. Ils ont donc surtout permis de poser un cadre d’action. Cependant, cette inscription de la nutrition négative dès les années 2000 est également très fortement marquée par la constitution de l’obésité comme objet urgent d’intervention politique au niveau mondial. En effet, alors que l’Europe est aux prises avec les scandales sanitaires, au niveau de l’OMS, les tenants de la nutrition négative continuent d’accumuler des preuves et d’étoffer leur dossier concernant la nécessité d’une action plus intrusive sur le marché et les produits.

La partie suivante débute par un léger retour en arrière et reprend les activités de l’OMS là où elles avaient été laissées après la publication en 1990, du rapport 797 sur les maladies chroniques et la nutrition.

II. Réunifier nutrition, nutrition productiviste, nutrition négative et

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