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Les débuts timides de la politique de protection des consommateurs

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I. La réforme de la commission européenne : la DGSANCO

1. Les débuts timides de la politique de protection des consommateurs

Le traité de Rome de 1957114 ne fait référence au consommateur que de manière secondaire et indirecte ; il s’agit avant tout de permettre la création d’un marché commun entre les six pays d’origine en mettant en place une politique essentiellement axée sur le gommage progressif des restrictions à l’échange économique entre les pays signataires115. Ainsi ce sont essentiellement des mesures visant à garantir des libertés spécifiques aux acteurs économiques de ces pays (circulation, prestation, libre établissement) (Dehousse, Magnette, 2009, p. 34). Dans cette perspective la place du consommateur et de sa protection est tout à fait minime.

Cependant si à l’origine de la construction européenne le droit des consommateurs reste tout à fait secondaire, cela n’est pas le cas à l’échelle des nations (Pinto, 1990 ; Susan Strasser, Charles McGovern, Matthias Judt, 1998 ; Cochoy, 1999 ; Chessel, 2002, 2012 ; Cohen, 2003 ; Cochoy, Canu, 2004). En effet, dès le début du vingtième siècle, en Europe comme aux États-Unis, une politique prenant en compte les consommateurs leur information et leur protection commence à se mettre en place (Chessel, 2012). On parle donc d’une individualisation du droit économique qui s’était jusque-là contenté de légiférer uniquement du côté des producteurs et faisait porter la charge de la preuve et de la responsabilité entièrement sur le consommateur (Stanziani, 2005 ; Cochoy, Canu, 2004). Ainsi dans certains pays, l’idée que le rôle de l’État est aussi de permettre de rééquilibrer les rapports entre producteurs et consommateurs, se traduit progressivement par la mise en place d’un véritable droit de la consommation (Pinto, 1990 ; Cohen, 2003 ; Chessel, 2002). Celui-ci place au cœur de sa philosophie l’information des consommateurs, la réglementation de la qualité et de la sécurité des marchandises ainsi que la possibilité pour les consommateurs d’accéder aux instances décisionnaires et d’y faire entendre leur voix notamment par le biais des associations de consommateurs (Pinto, 1990).

Même si le droit à la consommation est logiquement plus tardif à l’échelle communautaire, la construction européenne est aussi le fruit de cette avancée politique de la figure des consommateurs et de leurs droits. Ainsi même dans le Traité de Rome, ceux-ci sont présents, en creux. En effet, l’un des objectifs définis en sus du marché commun concerne le

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Communauté économique européenne, 1957, Traité de Rome : traité sur le fonctionnement de l’Union

européenne,signé à Rome, le 25 mars 1957.

115 Après l’échec de la mise en place d’une Europe de la défense dans les années 1950, les six pays

fondateurs, l’Allemagne, la France, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et le Luxembourg, décident de se tourner vers une union économique jugée plus faisable (Dehousse, Magnette, 2009, pp.31-35).

175 relèvement du niveau de vie, ce qui implique donc la prise en compte des conditions de vie des individus. En outre, harmoniser les législations nationales en vue d’établir le marché commun supposait aussi d’harmoniser les politiques nationales en matière de protection des consommateurs. Pour autant, l’idée d’un déséquilibre entre consommateurs et producteurs n’était pas non plus totalement absente à l’échelle des fondateurs européens, comme en témoigne cette déclaration de Sicco Mansholt116, datée de 1961, dans laquelle il soulignait que les « intérêts généraux des consommateurs du marché commun ne sont pas représentés dans les mêmes proportions que le sont ceux des producteurs » (Commission Européenne, 1991, p. 13). Cette déclaration ne visait pas tant à l’époque à mettre en place une politique de protection des consommateurs qu’à inciter ceux-ci à s’organiser afin de peser d’un poids plus conséquent dans le processus de décision politique européen (Commission européenne, 1991, p. 13). Pour cela, la Commission créa en 1962 le « comité de contact des consommateurs de la communauté », qui, après moult changements de noms et redéfinitions des compétences et modes de travail, deviendra le « groupe consultatif européen des consommateurs » encore en place aujourd’hui117.

Parallèlement à la création de cette passerelle entre instances européennes et consommateurs, la Commission met en place en 1968, au sein de la DG concurrence, un service chargé d’examiner les questions qui, dans les directives et règlements, sont susceptibles d’impacter les consommateurs ou d’avoir des conséquences environnementales. Par la suite, ce service gagne en indépendance puisque, dès 1981, il devient une direction générale baptisée « DG XI, Environnement, protection des consommateurs et sécurité nucléaire ». Comme son nom l’indique, la sûreté nucléaire fait partie de ses attributions et bien que ce service soit devenu une direction générale, l’organigramme de la Commission de décembre 1981 montre la très faible dotation en personnel de cette nouvelle DG (Commission européenne, 1981).

En matière d’actions politiques, cette prise en compte des consommateurs va se faire progressivement et de façon plutôt timide. En effet, nombre de travaux ont contribué à montrer que la Commission européenne était loin d’être homogène (Cram 1994, 2005 ; Cini 1996) et que cela se traduisait notamment par une concurrence entre ses directions générales et les politiques dont celles-ci ont la charge et entre différentes logiques d’action, au premier rang desquelles la logique économique souvent opposée à la logique sanitaire ou sociale

116 Vice président de la Commission de 1958 à 1972, président de la Commission en 1972 et 1973 et

responsable de la politique agricole.

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(Guigner, 2003). Ainsi, vingt ans après le traité de Rome, la volonté d’intégrer la protection des consommateurs à la toute jeune politique commune européenne va commencer à prendre une tournure concrète au moins dans la rédaction de textes spécifiques même si leur mise en œuvre effective ne survient que plus tard et de façon partielle.

En 1975, le Conseil adopte une résolution intitulée « Programme préliminaire de la Communauté Économique Européenne pour une politique de protection et d’information des consommateurs ». Dans ce programme le consommateur est défini non plus seulement comme « un utilisateur de biens et de services pour un usage personnel, familial ou collectif mais comme une personne concernée par les différents aspects de la vie sociale qui peuvent directement ou indirectement l’affecter en tant que consommateur» (Conseil de la CEE, 1975). Par ailleurs, si, à cette époque, l’Europe n’a aucune légitimité dans le domaine des politiques de santé, la politique de protection des consommateurs qui est proposée intègre la santé comme une dimension centrale en inscrivant comme premier droit fondamental du consommateur, le « droit à la protection de sa santé et de sa sécurité » (Conseil de la CEE, 1975). L’approche de la santé se fait donc à l’échelle européenne par le chemin détourné du marché et de la consommation (Hauray, 2010).

Néanmoins, cette prise en compte du consommateur et de sa santé, demeure un point complètement dépendant et subalterne, de la politique économique européenne. C’est bien la Direction générale de la concurrence qui est en charge de ces questions. Le consommateur a aussi le droit à l’information et à l’éducation (Conseil de la CEE, 1975, p. 2, par. 3). Dans le domaine alimentaire, l’étiquetage sur les caractéristiques essentielles des produits, dont l’étiquetage nutritionnel, est présenté comme une priorité (Conseil de la CEE, 1975, p. 9, par. 35). Enfin, l’idée de favoriser l’information volontaire du côté des industriels et des autres acteurs économiques est, elle aussi, présentée comme essentielle, en particulier dans le domaine alimentaire (Conseil de la CEE, 1975, p. 9, par. 35). Ce premier programme se veut plutôt ambitieux et, même s’il prône la coopération avec les acteurs économiques, il justifie la nécessité d’intervention européenne en prenant appui sur une conception inégalitaire et de plus en plus asymétrique entre consommateurs et producteurs118. Cependant, dix ans plus tard,

118 En effet, voici comment est introduite et justifiée dans le détail du Programme, cette politique : « Si la

protection des consommateurs est un fait établi de longue date dans les États membres de la Communauté, en revanche, le concept d’une politique en matière de consommation est relativement récent. Il constitue une réponse aux conditions, parfois sources d’abus et de frustrations, dans lesquelles se trouve le consommateur devant l’abondance et la complexité accrues des biens et services offerts par un marché en expansion. Bien qu’un tel marché présente des avantages, le consommateur n’est plus en mesure de jouer pleinement, en tant qu’usager du marché, son rôle de facteur d’équilibre. Cet équilibre entre fournisseurs et consommateurs a eu

177 le deuxième choc pétrolier est passé par là et cette posture défensive à l’égard de l’industrie ainsi que les grandes ambitions du programme de 1975 ont été largement refroidies. Cet extrait d’un document de la Commission publié en 1985 et intitulé « Nouvelles impulsions pour une politique de protection des consommateurs » (Commission des Communautés Européennes, 1985), revient sur les raisons de l’échec du programme fixé en 1975 :

« La première influence négative a été la grave récession économique de la décennie écoulée. Le premier programme à l’égard des consommateurs a été entrepris alors que la croissance économique, qui avait atteint des niveaux élevés dans les années 60, connaissait un ralentissement à la suite de la crise pétrolière de 1973; la publication du deuxième programme a coïncidé avec les répercussions du choc pétrolier de 1978. Les gouvernements et les milieux industriels ont manifesté une certaine réserve vis-à-vis des deux programmes, arguant que le coût d’une réglementation était pour eux une charge financière supplémentaire alors qu’ils subissaient déjà les effets de la récession. On distingue, en filigrane derrière cet argument, l’attitude “paternaliste” selon laquelle les activités de promotion et de protection des intérêts des consommateurs ne doivent se pratiquer qu’en période de prospérité et ne sont pas de mise en période de récession, bref, sont réservées aux années de vaches grasses. Cette attitude ignore le fait que la récession affecte les consommateurs au moins autant que les autres agents économiques. C’est lorsque le pouvoir d’achat diminue, comme cela a été le cas au cours des dix dernières années, que le rapport qualité-prix est le plus important pour les consommateurs. » (Commission des Communautés Européennes, 1985, pp. 3-4).

Deux ans plus tard, en 1987, l’entrée en vigueur de de l’Acte unique européen119 inscrit officiellement la politique de protection des consommateurs comme objectif politique de l’action européenne (Conseil de la CEE, 1986). La sous-direction « Politique des consommateurs », jusqu’ici dépendante de la DG XI, devient un service indépendant en 1989 (Cini, 1996). Cette inscription de la protection des consommateurs à l’agenda des affaires européennes s’ajoute donc aux causes, introduites dans le chapitre précédent, ayant conduit à la mise en place de l’étiquetage nutritionnel en 1990. Cependant, comme le montrent les limites de la directive de 1990, qui se veut neutre et ne prend pas vraiment parti sur la question de la qualité nutritionnelle, l’Acte unique européen laisse en effet la protection des consommateurs dans un rapport subalterne vis-à-vis des impératifs économiques ; le marché n’est pas une menace, seulement un objet un peu flou qu’il convient de clarifier.

Il faut attendre 1992, pour que le traité de Maastricht120 consacre la politique de protection des consommateurs comme domaine d’action indépendant et 1995, pour que la politique des consommateurs devienne une Direction Générale à part au sein de la Commission

tendance à se rompre au profit des fournisseurs du fait de l’évolution des conditions du marché. » (Conseil de

la CEE, 1975, p. 3, par. 6).

119 Communauté économique européenne, 1987, Acte unique européen, Luxembourg et La Haye 17 et 28

février 1986

120 Union européenne, 1993, Traité de Maastricht : traité sur l’Union européenne (TUE), Maastricht, 1

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européenne. Cette nouvelle direction générale, la DG XXIV, a pour intitulé « Politique des consommateurs ». Néanmoins, cette DG va très vite être remaniée. En effet, un an après sa création éclate la crise de la vache folle. Les conséquences de cette crise vont peser de tout leur poids dans le renforcement de la politique des consommateurs et de la prise en compte de la santé, et contribuent fortement à la renégociation du rapport entre l’Europe et l’un de ses domaines historiques d’intervention : l’alimentation (Guigner, 2003).

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