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LA RUPTURE AVEC GOURMONT ET SES CONSEQUENCES

Dans le document Jarry et les revues (Page 115-152)

UNE INSCRIPTION REELLE DANS LE MONDE DES LETTRES : L’YMAGIER

LA RUPTURE AVEC GOURMONT ET SES CONSEQUENCES

Mais alors, qu’en est-il de L’amour en visites ? Jarry n’a-t-il pas recherché un tant soit peu le scandale, au moins dans le monde clos des revues, en publiant une nouvelle compromettant fortement la maîtresse de Gourmont, Berthe (de) Courrière 288 ?

Au cours de septembre 1895, Berthe de Courrière glisse dans un ouvrage qu’elle prête à Jarry une lettre enflammée intitulée Tua res agitur.

Jarry rompt brutalement avec celle qu’il nomme « la vieille dame », et du même coup avec Remy de Gourmont, son amant (il va jusqu’à l’appeler « M.

Le Vieux Daim » qu’il juge être le masculin de « La vieille dame »). En octobre 1894, elle avait déjà fait un geste dans la direction de Jarry en publiant dans le Mercure un texte sur « César-Antéchrist » (qui est en réalité une paraphrase de l’œuvre de Jarry) dont « L’acte unique » avait paru dans le numéro de

285 Est-ce pour cela que Jarry acceptera qu’elle lui enseigne à « écrire comme tout le monde » ?

286 Monsieur de la Nouveauté (1880), qui annonce étrangement Au bonheur des dames.

287 Citée in L’étoile-absinthe, 9/12ème tournée, « Alfred Jarry, Pont-Aven & autres lieux », société des amis d’Alfred Jarry, 1982, p 88.

288 Courrière (le de est usurpé) inspire à Gourmont le personnage de Sixtine. Il la décrit ainsi :

« Kabbaliste et occultiste, instruite en l’histoire des religions et des philosophies asiatiques, attirée par le charme des symboles, fascinée par le voile d’Isis, initiée, par de dangereuses et personnelles expériences, aux plus redoutables merveilles de la Magie noire, théurgiste et pourtant catholique, et encore artiste passionnée… [Le peu qu’elle a écrit] affirme une âme à qui le Mystère a parlé – et n’a pas parlé en vain. » (Remy de Gourmont, éditions de l’Herne, 2003, p 16).

juillet-août de la revue. Dans le numéro 9-10 de l’Art littéraire 289, Lormel écrit :

« Lire dans Mercure de France, un bel article de Mme B. de Courrière sur César-Antéchrist, par Alfred Jarry. »

En outre, hypothèse personnelle 290 (et qu’on ne pourra sans doute jamais vérifier), je pense que si Berthe (de) Courrière finance avec facilité l’Ymagier, c’est autant pour Gourmont que pour Jarry, dans le but probablement de pouvoir rencontrer plus facilement ce jeune auteur, et de s’adjoindre ainsi avec plus d’aisance ses faveurs (elle pratique l’adultère comme s’il s’agissait d’un art, c’est en tout cas ce qu’il ressort de L’amour en visites). Au moment où Jarry se détournera d’elle et de Gourmont, fondant sa propre revue, n’ira-t-elle pas, peu de temps après, jusqu’à abandonner le financement de l’Ymagier ? Encore faudrait-il, pour que cette hypothèse soit plausible, savoir avec exactitude si Berthe de Courrière a connu (ou au moins aperçu) Jarry avant la création de l’Ymagier (ce qui est plus que probable ; elle accompagnait peut-être Gourmont aux salons de Rachilde).

Jarry réagit à la déclaration de Courrière par un cinglant coup littéraire

291 : il écrit tout d’abord « L’inscription mise sur la grande histoire de la veille dame » (PL I, 905-906) puis « Chez la vieille dame » qui deviendra un chapitre de L’amour en visites et qui rapporte en détails cette aventure, puisque Jarry y met la lettre de Berthe de Courrière 292 ainsi que des télégrammes qu’elle lui a adressés, allant jusqu’à recopier certaines fautes d’accord ou d’orthographe, les commentant d’un (sic) impitoyable autant que laconique. Ce texte est une charge impitoyable contre Berthe (de) Courrière. Il lui fait dire : « Je ne me lave jamais, sinon avec de la vaseline. Je l’achète à bas prix chez un pharmacien suburbain, lequel me fournit aussi de la pommade antiherpétique. Ces soins m’ont permis de conserver la finesse de ma peau. Oh ! ne me regardez pas ainsi à la lumière. Ce ne sont que de petits boutons rouges » 293 etc.

289 In « Notes et échos », Slatkine Reprints, Genève, p 160.

290 Que je n’ai plus en relisant mon mémoire, deux ans après.

291 Il réagit toujours violemment aux déclarations semble-t-il puisque, lorsqu’un sculpteur lui fera des avances, il tirera à blanc sur lui, et commentera son geste en disant que c’est de la littérature, façon d’affirmer que tout est littérature, et peut-être aussi que toute littérature est par essence surprise, violence…

292 Jarry écrit d’elle (p 647 de l’édition Bouquins Laffont), impitoyable, qu’elle « supplée aux grâces absentes, qu’il est courtois de supposer défuntes, par l’imprévu de sa conversation ». Cendrars écrira d’elle, in Bourlinguer (Gallimard, Folio, 1994, p 398), et c’est comme un écho : « Elle n’était plus toute jeune, outrageusement maquillée et recouverte de faux bijoux. Mais elle avait dû être belle. »

293 Œuvres, Bouquins Laffont, p 650.

Deux ans après l’affront, c’est-à-dire en septembre 1897, Jarry envisage de publier L’amour en visites chez un éditeur d’ouvrages semi pornographiques que Rachilde lui conseille. Il paraîtra effectivement en mai 1898 chez Pierre Fort, dans une nouvelle collection qui fera voisiner son texte avec des romans aux titres évocateurs : La Fleur de chair de Frédéric Darghenthal ; Sous l’édredon ou les amours d’un petit homme de Félix Steyne ; Minette, histoire d’une jeune fille sage d’Auguste Villiers etc. 294

Ce qui est essentiel, c’est de s’attarder sur la structure de ce livre. Jarry ne fournit pas un manuscrit qu’il avait l’intention de faire publier, mais effectue, dans le but de cette publication que lui prescrit Rachilde, un travail de rassemblement parmi ses textes. Ainsi, l’intention de publier chez Pierre Fort est première au désir de créer un ensemble de textes qui s’appellerait L’amour en visites.

Pourquoi Rachilde tient-elle 295 à ce que Jarry publie chez un éditeur d’ouvrages semi-pornographiques ? Je pense que ça a quelque chose à voir avec l’ambition qu’elle s’est fixée de faire entendre raison à Jarry au sujet de son style. Il faut « écrire comme tout le monde » 296. Mais qui est « tout le monde » ? Jarry n’a sûrement pas donné trop de poids à ce commandement un peu facile, qui était, pour Rachilde, bien plus qu’un conseil : elle voyait la réalisation de son idée comme la condition sine qua non de sa survie dans le monde des lettres et dans le monde tout court, puisque Rachilde affirme que cela lui permettra de « gagner sa vie ».

Peut-être le fait de présenter à Jarry un éditeur assez clandestin mais néanmoins ouvert à tout un public peu familier sans doute de petites revues est-il un moyen pour Jarry de se tester, de faire un premier pas vers cette démocratisation de l’écriture dont Rachilde rêve pour lui. Ce petit éditeur qu’est Pierre Fort, c’est le moyen par excellence de se faire lire par les gens qui n’ont sans doute pas accès à La Revue Blanche ou au Mercure de France, et qui exigent de la littérature sa lisibilité première (plus que sa forme,

294 Voir Bouquins Laffont, p 625.

295 Lettre de Fort à Rachilde du 18 septembre 1897, citée par Arnaud (in Alfred Jarry, d’Ubu roi au docteur Faustroll, pp 378-379) : « Madame Rachilde, Je viens de lire votre aimable Lettre dans laquelle vous me dites qu’un de vos camarades désirerait traiter avec un éditeur pour la production d’un ouvrage L’(Amour en visite)... Je prendrai connaissance du manuscrit (…) »

296 In Jarry ou Le Surmâle de Lettres de Rachilde (pp 22-23), on peut lire : « Comme un jour je lui avouais ne rien comprendre à la lecture de César-Antechrist : « Tout de même, Père Ubu, si vous vouliez écrire comme tout le monde… » « - Apprenez-moi ! » coupa-t-il de sa voix cinglante. « Ce que je fis, d’ailleurs, un peu pour le plaisir de me venger du mot et aussi pour lui permettre de gagner sa vie. »

son fond). Publier chez un tel éditeur (selon Arnaud 297 : « le pire, ou presque, chez qui puisse échouer un auteur du Mercure, ami de Mallarmé, de Fénéon, de Schwob et des hommes les plus subtils et doctes de son temps ») suggère-t-il de se mettre au niveau de son public ? Assurément… Jarry en tout cas le refuse (il espérera encore avec Messaline – publication en volume en 1901 – atteindre le succès sans avoir à faire de concessions sur son style.

Je pense qu’Arnaud a raison lorsqu’il écrit 298 que Jarry « se faisait de ses lecteurs une idée flatteuse » 299. Etudiant brillant, pétri de culture classique – lire pour s’en rendre compte Les cultures de Jarry –, curieux de tout, grand lecteur d’ouvrages très divers, allant de la philosophie aux sciences 300 en passant (!) par la littérature, Jarry pensait peut-être que tout lecteur était comme lui ; aussi quand il rédige un article sur Messaline dans le but de convaincre les lecteurs potentiels, il cite la pléthore d’auteurs antiques dont il s’est inspiré).

Par ailleurs, comme l’exprime Giorgio Manganelli 301 : « Faire de la littérature n’est pas un geste social. Elle peut trouver un public ; toutefois, dans la mesure où elle est littérature, il n’en est que le destinataire provisoire. Elle est crée pour des lecteurs imprécis, à naître, destinés à ne pas naître, déjà nés et déjà morts ; et même, pour des lecteurs impossibles. »

Le titre L’amour en visites (que suggéra Pierre Fort, ou Rachilde ?) ne jure pas avec les autres titres de la collection comme Cabotines d’amour mais, du texte de Jarry, on peut affirmer qu’il n’y a que le titre qui convienne à la ligne éditoriale de Pierre Fort (les lecteurs furent sûrement déçus, habitués à nourriture plus épicée).

On sait que Jarry a toujours considéré les éditeurs comme étant ceux qui accueillent ses œuvres, sans avoir à exiger quoi que ce soit. Ainsi est-il outré par le pouvoir du comité de lecture, qu’il juge exorbitant (et tout à fait déplacé pourrait-on dire).

Aussi, dans sa chronique des théâtres du 16 janvier 1903, il écrit : « Cet hiver, nous acceptâmes aussi, à titre d’essai, un prince, pour un travail facile, transmettre des parcelles de notre œuvre complète, mensuellement, à un

297 Alfred Jarry, d’Ubu roi au docteur Faustroll, p 377.

298 Gestes et opinions..., suivi de L’Amour Absolu, Poésie/Gallimard, 1980, p 7.

299 Jarry écrit à mon sens comme Valéry pour « le lecteur « intelligent ». Pour celui à qui ni l’emphase, ni le ton n’en imposent » (Cahiers II, Gallimard, Pléiade, 1974, p 1178) ; il écrit pour le « lecteur étroit, avec finesse, avec lenteur, avec le temps et la naïveté armée… » (idem, p 1167).

300 Rachilde écrit (Le Surmâle…, p 150) : « excellent élève, Jarry remportait tous les prix et avait absorbé une telle quantité de sciences qu’il en débordait, littéralement. »

301 La littérature comme mensonge, L’arpenteur, Gallimard, 1991, p 244.

imprimeur 302. Mais nous le surprîmes qui gaspillait une notable fraction de temps assigné par nous à ce service de transport, en lisant, indiscrètement d’ailleurs et sans notre permission préalable, notre propre manuscrit ! ». Jarry fait œuvre. D’abord et avant tout il cherche à obéir à l’exigence qu’il nourrit, qu’il développe inlassablement vis-à-vis de lui-même et qui trouvera son répondant le plus fort peut-être dans L’amour absolu (il construit une œuvre qui lui appartient en propre pour reprendre une expression de Arnaud). Il ne cherche pas à combler l’horizon d’attente du lecteur (c’est en tout cas ce que suggère avec force la lettre qu’il écrit à Vallette 303 à propos de l’Amour absolu : « … il est bien entendu que même s’il paraît invendable au Mercure, je n’y change rien dans l’ordre des chapitres ni en rien ». Lorsqu’il parle de Messaline, il indique que sa « forme est (…) définitive » 304. Gourmont l’a bien compris, qui écrit des Minutes de Sable mémorial dans le numéro d’octobre 1894 du Mercure de France : « On aimera, en ce gros petit volume, une originalité ingénue, de ce noble égoïsme plus soucieux de se dire que de s'informer si le discours charme autrui » 305).

Est-il besoin de signaler que la vente de L’amour en visites sera mauvaise, et qu’elle inquiétera rapidement Pierre Fort ? En effet, le 21 juin 1898, il écrit à Rachilde : « … je prend la liberté de vous écrire pour vous demander çi (sic) vous avez fait le service de Presse pour votre volume L’Amour en visites car ne j’ai pas obtenu encore de bon résultat (…) je voudrais faire un peu de réclame pour que je ne sois pas obligé de le solder je crois que vous avez tout intérêt. » 306

Des lettres de Rachilde à Jarry publiées dans L’Etoile-Absinthe 307 montrent que Rachilde, contrairement à ce qu’on pensait d’abord, a déconseillé fortement à Jarry de publier « Chez la vieille Dame » dans L’amour en visites. Elle ira jusqu’à lui écrire ces mots prémonitoires quant à son avenir littéraire : « Je vous prie, prenez garde à votre… peinture de mœurs et tâchez au moins de n’y point salir votre avenir de petit homme de génie 308… »

302 Très intéressant : Jarry rejette le pouvoir du comité de lecture. L’éditeur est un intermédiaire entre l’auteur et l’imprimeur.

303 Lettre à Vallette datée probablement de 1899 (PL I, 1075).

304 Cité par Bordillon, in Gestes et opinions d’Alfred Jarry, écrivain, p 85.

305 Cité par Bordillon, in « Gourmont et Jarry », Quinzaine littéraire, n° 374, 1er-15 juillet 1982.

306 Arnaud, in Alfred Jarry, d’Ubu roi au docteur Faustroll, p 402.

307 Dans le numéro 46, pp 18-19.

308 In Duvet-d’Ange. Confession d’un jeune homme de lettres, Paris, Messein, 1943, p 119, Rachilde qualifiera Jarry de « fou de génie ».

Ces lettres nous apprennent une chose : on peut penser que Jarry tenait vraiment à ce que le texte charge contre Berthe (de) Courrière soit publié (« envers lui-même et contre tous » 309 pourrait-on dire).

Lorsque Alfred Vallette, dans son oraison funèbre 310, parle de Jarry comme de quelqu’un de « volontaire, tenace, hableur un peu », qui « s’illusionnait facilement et toujours dans le sens de l’optimisme – d’où quelques bonnes sottises qui lui furent préjudiciables », est-ce à cet épisode en particulier qu’il fait référence ? On peut le penser.

Trait d’immaturité ? (Vallette mais l’accent sur l’immaturité, qui fut, il est vrai, la dominante principale de la personnalité de Jarry : « Ses désirs furent des impulsions d’enfant : un livre en caractères alors rares en France, un canot, une cabane au bord de la Seine : il les a réalisés immédiatement – incontinent eût-il dit – sans souci des possibilités, envers lui-même et contre tous » 308.) Goût de la vengeance ? Peut-être, mais pas seulement. Cette publication est je pense une façon de consommer la rupture avec Remy de Gourmont, de s’affranchir définitivement de sa tutelle (ainsi ne prendra-t-il pas le risque de subir de trop prêt son influence, ce qui, on peut le penser, aurait pu avoir un effet destructeur sur son œuvre, dans la mesure où face à un homme d’une telle personnalité, d’un tel rayonnement 311, une certaine forme de mimétisme aurait pu s’instaurer, et ce mimétisme aurait pu mener insidieusement et progressivement à ce que Jarry devienne un second Gourmont).

Ainsi, L’amour en visites peut-être considéré comme le livre qui

« interdira définitivement » (ce sont les mots de Bordillon) à Jarry la possibilité de publier, après 1898, un nouveau volume aux éditions du Mercure de France. En effet, le dernier livre de Jarry qui paraît au Mercure de France est

309 Alfred Vallette, « mort d’Alfred Jarry », idem, p 374.

310 « Mort d’Alfred Jarry », in Mercure de France, 16 novembre 1907, p 374.

311 Pascal Pia écrit en 1971 (Gourmont, éditions de l’Herne, 2003, p 344) : « Au Mercure de France d’avant 1914, Gourmont faisait un peu figure de maître à penser. Ce n’est pas qu’il y fît la loi ni qu’il voulût la faire, mais la place qu’il y occupait dans chaque numéro et la faculté qu’il avait de traiter de omni re scibili, avaient fini par lui donner dans la maison de la rue de Condé une situation de Leader ».

De plus, « Gourmont jouira d’une grande réputation au début du 20ème siècle auprès de la nouvelle génération, plus précisément auprès de ceux qui étaient en train de renouveler la poésie et l’art, au moment où le symbolisme donnait ses premiers signes de lassitude » (Mario Richter, Gourmont, éditions de l’Herne, 2003, p 58).

Cendrars écrira : « Depuis quarante ans, je crois ne pas avoir publié ou écrit un livre sans que son nom y figure ou que je ne le cite d’une façon ou d’une autre. C’est dire combien profondément j’ai subi l’emprise du maître que je m’étais choisi à vingt ans. » (in Bourlinguer, Œuvres complètes 3, Paris, Denoël, 1961, p 267).

Les jours et les nuits (le 18 mai 1897), si l’on excepte Ubu roi (republié différemment 312 – déjà publié en volume le 11 juin 1896) en octobre 1897.

Considérons L’amour absolu. C’est la marque la plus visible des conséquences de la rupture avec Gourmont. Ce livre a été réalisé en fac-similé autographique (comme la seconde publication d’Ubu Roi au Mercure) à cinquante exemplaires. Jarry souhaitait que le livre paraisse au Mercure.

Il a été refusé sans doute pour des raisons de rentabilité commerciale 313 par Vallette, et pour des raisons de pertinence littéraire par Rachilde (Rachilde n’a peut-être pas été touchée par ce texte qu’elle jugeait sûrement trop

« abstrus » pour reprendre le mot de Félix Fénéon). En résumé, l’on peut dire que Rachilde et Vallette, qui reprochent comme on le sait à Jarry un certain hermétisme, doutent quant à la rentabilité de publier des livres comme L’amour absolu (cette hypothèse est renforcée par le fait que les éditions du Mercure de France ont tenu à publier deux fois Ubu roi, qui a eu le succès que l’on connaît), et qu’en outre ils n’ont probablement pas aimé suffisamment le manuscrit pour se risquer à le défendre.

Vallette refusa donc de faire paraître L’amour absolu à ses frais, puisque l’argent lui manquait, mais le fit « à sa fantaisie », comme il le dira plus tard. L’amour absolu est publié (en mai 1899) sans mention d’éditeur, sous couverture muette. Notons qu’en mars 1899 Le Mercure de France (numéro 111, p 856) annonça L’amour absolu dans la rubrique « à paraître chez divers éditeurs ». En tout et pour tout, Le Mercure ne fut que dépositaire du volume 314, dont les cinquante exemplaires furent mollement proposés (il restait encore 32 exemplaires invendus sur 50 fin 1905, selon une lettre de Jarry à un libraire parisien 315). Or, en avril 1904, Jarry écrit à Prochazka (directeur d’une revue de Prague) qui doit traduire Messaline : « L’amour absolu est un tirage à petit nombre d’exemplaires autographiques, (en fac-similé) au Mercure de France mais hors commerce. J’écris par ce courrier à Alfred Vallette pour qu’il vous en fasse parvenir au plus tôt un exemplaire

312 Publication sous la forme d’un fac-similé autographique accompagné de la partition de la musique de Claude Terrasse.

313 Paul Léautaud rapporte dans son journal (Journal littéraire, tome 1, nov. 1893-juin 1928, Paris, Mercure de France, 1986, 22 mars 1896) cette phrase de Vallette : « Si on mettait de l’argent sur les écrivains comme on en met sur les chevaux, j’en mettrais sur Tinan ».

314 Dans une lettre à une librairie datée du 19 octobre 1905 (PL III, 594), Jarry écrit : « Le volume n’a jamais été catalogué. Le titre a été seulement annoncé par Le Mercure, en 1899 [dans le numéro de mars], pour prendre date. »

315 Lettre datée du 19 octobre 1905 (PL III, 593) : « Sur les 50 exemplaires il en reste, déposés au Mercure, 32 ou 33. »

quoique l’ouvrage doive être presque épuisé ». (PL III, 583). On ne s’étonnera pas de cette mystification (que l’on a déjà soulignée), qui est constante chez Jarry et qui lui permet par l’écriture de corriger la réalité, dans « le sens ascendant de la hiérarchie des métaux » pourrait-on dire.

L’amour absolu fut cependant inscrit au catalogue du Mercure de France en mars 1899, au prix exorbitant de 10 francs. En mai 1899, dans le Mercure, Vallette fait publier la note suivante : « Le père d’Ubu Roi, M. Alfred Jarry, vient de faire tirer en fac-similé autographique cinquante copies d’une roman inédit : L’amour Absolu. Ce manuscrit, d’un peu plus de cent pages in-4° Tellière, n’est pas mis en librairie ; et, comme il s’agit d’un tirage privé, qui ne sera catalogué nulle part, nous pensons être agréables à quelques-uns de nos lecteurs en nous mettant à leur disposition pour leur procurer une des

L’amour absolu fut cependant inscrit au catalogue du Mercure de France en mars 1899, au prix exorbitant de 10 francs. En mai 1899, dans le Mercure, Vallette fait publier la note suivante : « Le père d’Ubu Roi, M. Alfred Jarry, vient de faire tirer en fac-similé autographique cinquante copies d’une roman inédit : L’amour Absolu. Ce manuscrit, d’un peu plus de cent pages in-4° Tellière, n’est pas mis en librairie ; et, comme il s’agit d’un tirage privé, qui ne sera catalogué nulle part, nous pensons être agréables à quelques-uns de nos lecteurs en nous mettant à leur disposition pour leur procurer une des

Dans le document Jarry et les revues (Page 115-152)

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