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L’ECRITURE : UNE ARME ET LA SEULE REALITE

Dans le document Jarry et les revues (Page 58-69)

L’écriture est une arme

Nous avons pu souligner que Jarry use, pour mettre à mort symboliquement Fargue, et plus que Fargue d’ailleurs, le sentiment qui les liait, de l’écriture comme d’une arme. Et l’on peut dire que, dans cette optique, la revue est la main qui porte l’arme.

Cela n’est pas seulement vrai pour Fargue, ça l’est également pour La renaissance latine, pour Louis Lormel etc. Sans étudier encore le cas Gourmont en parlant de L’amour en visites (exemple le plus frappant de cette manière d’utiliser le coupant de l’écriture pour trancher les liens), nous tacherons ainsi, en bouleversant quelque peu la chronologie, de voir en quoi Jarry se sert de l’écriture comme d’une arme (à travers l’exemple de la Renaissance latine principalement), puis nous remarquerons qu’elle est aussi pour l’auteur pouvoir de mystification ; en dernier lieu nous verrons qu’elle est même plus que cela, puisqu’elle est seule réalité possible.

La renaissance latine refuse à Jarry son troisième texte (« Toomaï des éléphants ») par retour du courrier. Jarry répond, très en colère, à Binet-Valmer (directeur de la revue) dès le 6 janvier: « Mon cher ami, Je vous remercie de m’avoir permis de me documenter sur ce phénomène qu’il ne m’avait point été donné, jusqu’à ce jour, d’observer, le retour d’un manuscrit.

N’ayez point de regrets et l’affaire a d’ailleurs peu d’importance. Mais si les princes ne considèrent plus avec un respect suffisamment ébloui nos œuvres complètes… quo vadimus ? » 135. Il s’agit de noter avec quelle adresse Jarry se sert du langage comme d’une arme : on peut observer ici le tranchant de l’ironie, grâce à quoi Jarry retourne les choses à son avantage. En effet, il n’est plus victime, mais observateur (« me documenter sur ce phénomène

135 Cité par Bordillon, in Gestes et opinions d’Alfred Jarry écrivain, p 100.

qu’il ne m’avait point été donné, jusqu’à ce jour, d’observer »), il n’est plus passif (il n’est pas dans la position de quelqu’un qui subit) mais actif. Notons le syntagme « l’affaire a d’ailleurs peu d’importance » (lequel fait d’ailleurs écho à la lettre que Jarry avait envoyée à Vallette avec « Haldernablou ») qui permet à Jarry de retourner complètement les choses à son avantage, puisqu’il se place dans la posture de quelqu’un qui n’est pas troublé (et donc pas touché) par un refus.

En vérité, Jarry prend ce refus comme un désaveu : il voit sa liberté d’écrivain bafouée. Comment va-t-il répondre à cet affront ?

Au moment du retour du manuscrit de Jarry par la Renaissance latine, Jarry envisage sérieusement un duel (à la mode à l’époque). Est-ce un coup médiatique ? (Les directeurs des revues sont au courant. Ainsi, il écrit notamment au directeur de La Plume Karl Boès, le 31 janvier 1903, pour lui demander de l’argent 136 : « l’aventure avec le prince rebelle et esclave indigne Bibescu(l), dit de Brancovan, a réalisé, en quelque sorte, un tremblement de terre dans les phynances du roi de Pologne. J’aurais pu exciper cupidement du traité conclu avec ces gens, mais alors j’aurais perdu le plaisir de les convier à venir s’exposer au fer vengeur ». Jarry laisse entendre que le prince commanditaire de la Renaissance latine a refusé par lâcheté la proposition du duel – ainsi cette lettre est un moyen supplémentaire de renverser les choses à son avantage). Pourquoi un duel ? Ce n’est pas impossible que Jarry ait espéré grâce à, sinon le duel, du moins l’idée du duel, obtenir de la publicité, une certaine réhabilitation littéraire. Sinon un coup médiatique, du moins l’admiration de certaines personnalités des revues littéraires. S’est-il souvenu du roman de Rachilde Le Mordu 137 : « Quand Doris eut reçu sa réhabilitation, sous la forme d’une belle éraflure dans le gras du bras droit, il tendit la main gauche à Maurice. – A présent que nous nous sommes montré mutuellement une intéressante façon de nous fendre, grommela-t-il, peux-tu me dire pourquoi nous nous sommes battus ? – Volontiers, répondit Maurice, c’est pour chauffer mon dixième mille. Holer voulait un enlèvement de mineure ou un duel, moi, j’ai préféré le duel ».

Mais finalement, après réflexion, Jarry va préférer cette autre arme, autrement plus efficace (et nous verrons en quoi), qu’est l’écriture. Ecrire

136 Cité par Bordillon, in Gestes et opinions d’Alfred Jarry écrivain, p 102.

137 Le Mordu. Mœurs littéraires, Paris, Brossier, 1889, p 217.

devient un acte de mise à mort (et la revue, de part sa diffusion, n’est-elle pas le meilleur bras pour porter cette arme ?).

Le 15 février 1903, dans La Revue Blanche, Jarry fait un compte-rendu d’une opérette de son ami Claude Terrasse (La Botte secrète) dont le livret met en scène un prince de Comagène, mari bafoué. Or Jarry, nous dit Bordillon 138, vient d’apprendre que le prince de Brancovan est peut-être d’origine kurde. Il écrit ainsi dans son compte-rendu : « Ajoutons que, depuis la première douzaine de représentations, le prince est revêtu d’un mirifique costume doré, kurde pour le moins, dûment constellé de crachats, ce qui l’a rendu tellement savoureux à botter, qu’il est devenu nécessaire de renouveler le point percuté : (…) cela est plus conforme au précepte de la morale chrétienne sur les diverses joues ». Par assimilation le prince de Brancovan devient le mari bafoué, et est par conséquent couvert de honte.

Dans une réponse à une enquête sur le duel, peu après, Jarry écrira

139 : « Le duel est une invention merveilleuse. Celui qui nous a – ou que nous avons – insulté est toujours un goujat par rapport à nous [Jarry prend donc ce refus de La Renaissance latine comme une insulte] – fût-il prince. Or on ne se commet pas avec un goujat, mais on peut l’écarter du bout d’une pincette.

L’épée a ceci de bon, qu’elle est une pincette à une seule branche. Le contact est moindre ». Le trait d’esprit vise à ridiculiser l’adversaire. Ainsi, on peut dire que l’écriture remplace le duel (elle est moyen d’écarter l’adversaire « du bout d’une pincette »). Les mots portent en eux la force des coups.

Voulant s’en prendre à Christian Beck, collaborateur comme lui au Mercure et à La Revue Blanche, Jarry l’appellera « Bosse-de-Nage » dans Faustroll.

Nous savons que Lormel a apposé à Jarry, dans un texte assez violent (la nouvelle Entre soi), la dénomination de « Tête de Mort » et à Fargue celle d’ « Androgyne » (a-t-il été blessé que Jarry délaisse totalement sa revue au moment d’entrer au Mercure ? C’est bien possible).

Jarry répliquera aussitôt comme nous l’explique Arnaud 140 « par le chapitre 12 de Faustroll, qui paraîtra dans le Mercure de mai 1898. C’est à l’état de charogne que Louis Lormel se montre, à la fois homme et île ; l’homme, putréfié du cerveau et des centres antérieurs de la moelle (…) ; l’île – et donc

138 In Gestes et opinions d’Alfred Jarry, écrivain, p 101.

139 Cité par Bordillon, in Gestes et opinions d’Alfred Jarry, écrivain, p 101.

140 Alfred Jarry, d’Ubu roi au docteur Faustroll, p 100.

l’homme –, recouverte d’immondices, est signalée par « un phare obscur, souterrain et cloacal » ».

La volonté de Jarry ne s’arrête pas là. Il ne s’agit pas seulement de se venger.

Pour Jarry, comme pour tout auteur, l’écriture justifie la vie, fut-elle abjecte ou proprement intolérable, en lui conférant une raison d’être (en ordonnant le hasard, l’œuvre apparaît comme une victoire prise par l’homme sur les aléas du présent face auxquels il ne peut qu’être victime). In « Le nouveau microbe » (chronique de La Revue Blanche), Jarry parle d’un « mal qui répand la terreur mais dont il n’est point si déplorable que souffrent quelques milliers de Français puisqu’il a fourni à un écrivain de France [Charles-Louis Philippe]

l’occasion de ce petit chef-d’œuvre, Bubu-de-Montparnasse. » 141

Mais Jarry va plus loin. Il ne s’agit pas de recomposer le hasard mais de corriger la réalité (l’écriture apparaît ainsi comme la réimpression de la réalité).

Dans son « exhortation au lecteur » du premier Almanach du père Ubu

142, Jarry écrit : « …ou nous vous dirons ce que vous avez lu partout ailleurs, le témoignage universel vous assurera ainsi de notre véracité ; ou vous ne trouverez nulle part la confirmation de nos dires : notre parole s’élèvera donc en sa vérité absolue, sans discussion ». Ainsi, dans tous les cas, la parole de Jarry s’élève comme seule vérité. Il s’agit de laver l’affront en le niant en quelque sorte. Jarry use de l’écriture comme d’un moyen de mystification. En somme, l’écriture permet à une réalité terne et triste d’entrer dans le cycle du merveilleux.

L’écriture : moyen d’une mystification.

L’exemple le plus frappant de cet effort de mystification est une lettre que Jarry envoie à une librairie, datée du 19 octobre 1905 (PL I, p 593) :

« Informés comme vous êtes des choses de librairie, vous n’ignorez pas que j’ai publié, au Mercure d’abord, puis à La Revue Blanche, puis chez Fasquelle (…), Ubu roi qui a fait pas mal de bruit en son temps, Messaline (à La Revue Blanche, aujourd’hui chez Fasquelle), Le Surmâle (id.), autrefois au Mercure : Les Minutes de sable mémorial, César-Antéchrist, Les Jours et les Nuits, Le

141 Cité par Maurice Saillet, in La Chandelle Verte, Le livre de Poche, p 23.

142 Cité par Maurice Saillet, in La Chandelle Verte, Le livre de Poche, p 10.

Dr Faustroll, etc., etc., tous livres qui eurent une vente assez considérable. Or j’ai eu la fantaisie – en 1899 et par les soins du Mercure – de faire tirer un de mes livres à très petit nombre et en fac-similé autographique. Ce livre s’appelle L’amour absolu. C’est un in-4 couronne de 104 pages, couverture non imprimée, tirage limité à 50 exemplaires hors commerce. C’était une fantaisie, pour pouvoir donner le manuscrit autographié à quelques amis. » Jarry prête au Mercure la publication du Docteur Faustroll, ce qui n’a jamais eu lieu (de plus, le « etc. » est significatif). Il explique que tous ses livres eurent une vente « assez considérable », ce qui n’a jamais été le cas, et du reste, les Minutes furent tirées à 216 exemplaires et César-Antéchrist à 206 exemplaires seulement ! Ces tirages ne sont pas importants, mais il faut rappeler, comme le fait Arnaud 143, que maints ouvrages de poètes consacrés n’avaient pas des tirages plus importants. Et les Minutes peuvent véritablement être considérées comme un recueil de poèmes. Ainsi ne faut-il pas voir le geste éditorial de Vallette comme une manifestation d’un désintérêt (ou du moins d’un manque d’intérêt) pour l’auteur.

Aussi, pour Jarry, écrire, c’est véritablement recréer le monde : comme Faustroll, Jarry est Dieu 144 à sa manière, il peut créer un monde « pur et magnifique » qui n’est plus soumis au hasard et aux vicissitudes de toutes sortes, et de ce monde il sort toujours grandi (l’on songe à Mallarmé écrivant à Armand Renaud, le 20 décembre 1866 145 : « J’ai infiniment travaillé cet été, à moi d’abord, en créant, par la plus belle synthèse, un monde dont je suis le Dieu, - et à un Œuvre qui en résultera, pur et magnifique, je l’espère. »)

L’écriture en imposant sur le papier une typographie aussi « définitive qu’une inscription sur une porte d’enfer » (PL II, p 608) devient seule réalité. Bordillon écrit 146 à propos de Métal conjugal, dernier texte spéculatif du Périple de la littérature et de l’art paru (le 15 janvier 1904) à La Plume : « N’était-il pas bien tentant, une nouvelle fois, de s’infiltrer dans les inconséquences de la réalité pour démontrer, s’il était encore besoin, que le monde n’existe que par les écrits qui en rendent compte ? »

143 In Alfred Jarry, d’Ubu roi au docteur Faustroll, p 125.

144 Jarry propose dans le Surmâle cette définition intéressante de Dieu : « Il est plus grand que toute dimension, sans qu’il soit hors de toute dimension, ni immatériel, ni infini. Il n’est qu’indéfini » (Le Surmâle, Ramsay / Pauvert, 1990, p 96).

145 Mallarmé, Œuvres Complète, II, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p 712.

146 In Gestes et opinions d’Alfred Jarry, écrivain, p 115.

L’écriture est plus qu’un artifice

Allons plus loin. En réalité, l’écriture ne doit pas être considérée comme un subterfuge, un artifice visant à corriger ce qui de la réalité peut apparaître comme intolérable (un pinceau corrigeant une surface). Elle n’est pas un moyen choisi pour qu’une réalité autre, conforme à l’honneur, puisse accéder à la conscience et à la postérité.

Elle est pour Jarry bien plus que cela.

Disons tout d’abord que l’écriture ne peut être considérée comme un artifice puisqu’elle entretient avec la réalité, avec toute réalité un rapport très étroit. La chose réelle et le mot qui la nomme ne sont pas séparables, forment un tout (c’est ce que Annie Le Brun nomme la « confusion irrésistible du signe et de la chose signifiée »).

Le mot est ce qui illumine la réalité, ce qui de cette réalité met en avant le côté le moins apparent, mais aussi le plus symptomatique, le plus singulier (la dimension sacrée, « à peine soupçonnée »). Le mot témoigne de la réalité secrète d’une chose (l’on songe au sens du mot Jésus qui dit précisément

« dieu sauve, a sauvé et sauvera ». L’histoire est déjà écrite dans le nom).

In La Dragonne, « La Bataille de Morsang », Jarry écrit (PL III, pp 461-462) : « …Erbrand Sacqueville choisit ce champ de bataille de même qu’on achète un volume sur le titre. Poe a écrit : « Sang, ce roi des mots ». Or, Sacqueville, de qui les yeux portaient loin, avait lu sur une plaque bleue à l’entrée d’un petit village gai, derrière des arbres, abrité par une roche et fermant le fer à cheval : MORSANG. » Soulignons que les jeux de mot chez Jarry ne sont pas légers, ce ne sont même pas des jeux : il écrit ainsi quelque part dans La Dragonne 147 : « Les paronymes 148 ont un sens mystérieux et clair pour qui sait les lire, et les jeux de mots ne sont pas un jeu 149 ».

Jarry lit (et invite à lire) les réalités en se reportant aux « titres » (démarche de l’enfance) : il déchiffre la réalité non pas au moyen d’une connaissance empirique – tel que le recommandait Descartes – mais au

147 Cité par Bordillon et Arnaud, in Gestes et opinions…, suivi de L’amour absolu, Poésie / Gallimard, p 13.

148 Se dit de mots de sens différents mais de formes relativement voisines.

149 Jarry joue beaucoup sur les mots dans ses spéculations. On peut avoir à l’esprit par exemple la fin de « Les cartes d’électrices », où Jarry se demande : « … qui oserait prétendre » que les prostituées

« ne sont pas déjà fonctionnaires et, par leurs fonctions, les mieux préparées à la vie publique ? » En insistant en ouverture d’« Anthropophagie » sur le fait que cette pratique soit encore vivante :

« l’anthropophagie ne se meurt point, l’anthropophagie n’est point morte », Jarry joue sur le sens du mot mourir (être anthropophage consiste à manger des humains, qui, par définition, sont morts) etc.

moyen des mots qui la nomment – et qui en la nommant, ne l’expliquent pas, mais l’éclairent.

In « L’obéissance active » (PL II, 374), Jarry écrit : « … DRAPS – PEAUX.

Nous avons conjecturé qu’il s’agissait de l’épiderme de quelque peuplade sauvage, pauvre mais guerrière et forcée de parader nue, laquelle s’efforce ingénieusement de suppléer audit épiderme clairsemé à la suite de scalps ou autres pelades occasionnées par le contact ferrugineux d’autrui, au moyen de quelque subterfuge, ainsi que l’on se pare de dents fallacieux ou de cheveux dérobés le plus souvent au ver à soie ».

Ainsi, le mot n’explique pas, échoue à nommer le réel puisqu’il nous guide dans l’erreur, mais en se faisant il ouvre sur le rêve, sur une dimension supplémentaire du réel à laquelle on peut accéder par la pensée, par l’imagination. Ainsi, le mot confère au réel une poésie.

On conjecture à partir du mot des choses qui n’ont aucune occasion d’avenir, mais qui, en étant couchées sur le papier, surgissent d’une façon aussi vraie qu’une chose réelle.

L’intuition de Jarry va plus loin que l’intuition toute pataphysicienne d’une pluralité de réalités (la réalité écrite aurait autant de poids qu’une réalité vécue. Ainsi les mots seraient une façon d’envisager une possibilité or, toutes les possibilités vivant au même moment, les mots ne sont pas mensongers mais ajoutent à la réalité perceptible une dimension supplémentaire, elle imperceptible si ce n’est par le pouvoir de la lecture).

Pour Jarry, l’écriture est (et non plus devient, comme nous l’écrivions plus haut) seule réalité.

C’est l’écriture qui confère aux objets leur propriété. Elle n’est pas là dans un but d’illustration. Elle ne nomme pas (comme nous l’avons déjà suggéré) mais confère aux choses leurs spécificités. Ainsi, pour une même substance nous dit Jarry, deux étiquettes différentes feront qu’une substance sera toxique et l’autre non 150. La légende du poison (PL II, 398) : « … chacun a été à même d’observer que ces substances, qu’on est convenu d’appeler poisons, constituent, dans bien des conjonctures, une nourriture excellente. Ce qui tue,

150 Remarquons qu’une autre idée chère à Jarry est que des produits toxiques employés à grande quantité deviennent bénéfiques : ainsi en est-il de la strychnine (poison violent qui contracte convulsivement les muscles – Petit Robert –) et de l’alcool qui, réunis à haute dose, servent de

« dopant » aux cyclistes dans le Surmâle. En outre Jarry a-t-il probablement été séduit par l’idée comme quoi la strychnine rend les muscles convulsifs…, c’est-à-dire travaillant déjà avant même d’être sollicités…

d’après la menace d’horrifiques étiquettes rouges, est en même temps ce qui fait vivre, sous le titre de médicaments ».

Ainsi, et c’est là le point ultime de notre raisonnement, l’écriture fait plus que corriger la réalité, elle la fait advenir. L’écriture a valeur performative.

Jarry accepte la phrase de Mallarmé 151 : « … tout, au monde, existe pour aboutir à un livre » (la vie commence et finit dans le Livre) mais la dépasse en la retournant. Tout dans les livres existe pour aboutir au monde. Les livres, aussi singuliers que cela puisse paraître, sont pour Jarry premiers au Monde.

Ils en sont comme la cartographie secrète. On pourrait donner cette définition du livre pour Jarry : le livre est à la fois l’acte de naissance et le plan détaillé du monde.

La vie naît de la littérature

Ce qui va advenir naît des mots. In « Faits divers » (PL II, 518), Jarry écrit : « … mais le fait divers est-il autre chose, sinon qu’un roman, du moins qu’une nouvelle due à la brillante imagination des reporters ? Si les reporters devaient attendre que le fait divers existât, leur journal paraîtrait le surlendemain. (…) Mais le fait divers… C’est un fait » (chute de l’article).

Jarry a pu lire Eliphas Lévi (Abbé Constant) lequel écrit in Dogme et rituel de la haute magie (1856) 152 : « (…) l’idée mère du verbe est l’unique raison d’être des formes. »

Et plus encore que les mots, c’est la littérature qui est à l’origine de toute chose (elle est première au monde).

L’écriture ne naît pas d’une absolue nécessité de dire le monde. La littérature est première, la vie naît de la littérature. C’est ce qu’explique merveilleusement bien Jarry in « Edgar Poe en action » (PL II, 284) : « Nous assistons aujourd’hui à un phénomène autrement émouvant, d’autant qu’indiscutable : la vie d’un homme forcé de réaliser, point par point, toutes les aventures d’un personnage imaginaire, de plagier avec tous ses actes des actes prédits dans une littérature moderne qui assume la rigueur d’une fatalité antique ». Ainsi, la vie plagie la littérature.

Le baron J. d’Adelsward-Fersen est compromis dans une affaire de mœurs et c’est le rapprochement de son nom avec celui du héros d’un roman de

151 « Le livre, instrument spirituel » in Divagations, Pléiade, tome 2, p 224.

152 Dogme et rituel de la haute magie, tome 1, Paris, Felix Alcan, 1894, p 60.

Rachilde qui survient à l’esprit de Jarry, comme si ce baron était l’incarnation du héros de Rachilde (in « L’âme ouverte à l’art antique » : Jarry écrit : « En 1897, un roman de moeurs « inverties » – l’actualité était à l’affaire Wilde-Douglas –, les «Hors-nature» de Rachilde, nommait ses héros Reutler et

Rachilde qui survient à l’esprit de Jarry, comme si ce baron était l’incarnation du héros de Rachilde (in « L’âme ouverte à l’art antique » : Jarry écrit : « En 1897, un roman de moeurs « inverties » – l’actualité était à l’affaire Wilde-Douglas –, les «Hors-nature» de Rachilde, nommait ses héros Reutler et

Dans le document Jarry et les revues (Page 58-69)

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