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FIN DES PETITES REVUES OU PUBLIE JARRY

Dans le document Jarry et les revues (Page 168-181)

POURQUOI JARRY FAIT-IL PARAITRE DES CHRONIQUES ?

FIN DES PETITES REVUES OU PUBLIE JARRY

La disparition de La Revue Blanche est pour Jarry « un désastre dont il ne se relèvera pas » 439. Elle marque la fin d’une période relativement faste pour Jarry 440, laquelle n’a duré hélas que trois ans (du 1er juillet 1900 au 15 avril 1903). L’auteur s’enfonce dans une misère de plus en plus grande (les soucis aigus d’argent furent monnaie courante dans la vie de Jarry. Le mot de

« phynance », qu’il déforme pour en accentuer la force en même temps que la beauté, revient souvent sous sa plume).

Pourquoi La Revue Blanche s’arrête-t-elle ? Déficit

Misia Sert 441 écrit que la revue coûtait aux frères Natanson

« horriblement cher et d’année en année le déficit devenait plus lourd à combler ». Néanmoins, avec de la persévérance, on peut penser que les frères Natanson auraient pu garder en main leur revue, quitte à raccourcir les rênes (c’est-à-dire à oublier les tirages de luxe et les numéros illustrés, qui ont fleuri pendant le temps de l’apogée de la revue, lequel se situe grosso modo entre 1893 et 1900). « C’est parce que le cœur n’y était plus que les obstacles financiers cessèrent un jour d’être surmontables », comme le notent Barrot et Ory 442.

Le mot de Bernier 443, est juste, me semble-t-il qui décrit les frères Natanson comme mettant fin à son existence, « un beau jour, avec une désinvolture toute olympienne ». Pourquoi s’en sont-ils désintéressés suffisamment pour la céder à Fasquelle ?

Est-ce l’anarchie qui perd La Revue Blanche (sa trop grande implication dans l’époque – hypothèse de Jackson) ? Autrement dit est-ce la dispersion des sensibilités individuelles dans la sphère politique ? « Désormais chaque numéro comprend non plus seulement une Chronique des livres ou des

439 Cahiers du collège de Pataphysique, numéro 10, page 128.

440 Jean Saltas, collaborateur de Jarry pour La papesse Jeanne, cité par Olivier Barrot et Pascal Ory (in La Revue Blanche, Histoire, anthologie, portraits, 10/18, « fins de siècle », 1994, pp 205-206) : « Il me semble pouvoir dire que la meilleure époque d’Alfred Jarry fut le temps qu’il collabora à La Revue Blanche. Il avait là un petit fixe qui lui assurait la vie quotidienne et lui-même se considérait comme le plus heureux des hommes ».

441 Cité par Jackson, in La Revue Blanche, Lettres Modernes, p 137.

442 Olivier Barrot, Pascal Ory, La Revue Blanche, Histoire, anthologie, portraits, 10/18, « fins de siècle », 1994, p 23.

443 In La Revue Blanche, Hazan, p 54.

Notules wagnériennes mais des Notes politiques et sociales. On trouve moins de Sonatines sentimentales et autres Motifs mélancoliques, plus de Question macédonienne et de Pacte trade-unioniste anglais. 444 » Ce « tournant » de la revue coïncide avec l’arrivée des jeunes analystes fougueux que sont Charles Péguy ou Julien Benda, lesquels affûtent dans les pages de La Revue Blanche leurs armes de polémistes.

Le fait que la revue soit devenue le foyer de l’extrême gauche intellectuelle amène Jackson à dire 445 que « ce que la revue gagnait en actualité, elle le perdait en qualité. Le côté social et politique l’emporta enfin sur le côté littéraire et artistique ».

En réalité, je pense que ce dreyfusisme affiché n’a pas provoqué la fin de la revue, tout juste peut-être l’a-t-elle accélérée en poussant les membres à se détacher du groupe pour faire œuvre à part (du reste La Revue Blanche a-t-elle été bénéfique pour les auteurs puisqu’elle leur a permis « très simplement » de « développer [leur] personnalité », comme l’écrit Lucien Muhlfeld le 15 octobre 1891 446).

En effet, l’affaire Dreyfus a révélé à certains collaborateurs leurs véritables intérêts tel Bernard Lazare et Pierre Quillard, qui vont se tourner vers la politique (sans compter Léon Blum). Tristan Bernard, Romain Coolus vont se pencher vers le théâtre, Julien Benda, Jules de Gaultier vers la philosophie.

L’esprit a fait défaut qui aurait pu cimenter toutes les individualités. Les forces ont peut être manqué à Fénéon pour continuer d’œuvrer à la construction d’une parole plurielle (mais il n’existe peut-être rien de plus difficile que de tenir ces paroles éclatées ensemble, quand les auteurs dirigent leurs pensées hors des murs de la revue). Les collaborateurs ne sont plus suffisamment nourris par la revue, ils ont besoin de s’épanouir ailleurs. La foi, l’enthousiasme littéraire ont fini par faire défaut. « Une lassitude apparaît de la part de la génération « si brillante » venue à la poésie au début des années 90 » note Besnier 447, qui se demande aussitôt si c’est un « contrecoup aussi de la mort de Mallarmé » 448. Dans l’hommage inséré dans le numéro du 15

444 Olivier Barrot, Pascal Ory, La Revue Blanche, Histoire, anthologie, portraits, 10/18, « fins de siècle », 1994, p 21.

445 La Revue Blanche, Lettres Modernes, p 147

446 Cité par Olivier Barrot, Pascal Ory, La Revue Blanche, Histoire, anthologie, portraits, 10/18, « fins de siècle », 1994, p 11.

447 Alfred Jarry, Plon, page 59.

448 Paul Dukas (cité par Bernier, in La Revue Blanche, Hazan, p 43) décrit les années 1880 ainsi :

« Impressionnisme, symbolisme, réalisme poétique se confondaient dans un grand concours d’enthousiasme, de curiosité, de passion intellectuelle ».

septembre 1898 de La Revue Blanche 449, on a pu lire, à propos de Mallarmé :

« ... notre pitié douloureuse ne songe qu’à pleurer un maître que nous chérissions… Cette maison qui fut sienne est toute dans l’affliction. »

On peut penser qu’il n’y a eu personne au sein de la revue qui ait su, non pas réunifier le groupe (car ça n’a jamais été vraiment le cas) mais réinsuffler à celle-ci une raison d’être qui aurait poussé chacun, de toutes ses forces, à la défendre.

« Les entreprise culturelles meurent peut-être moins souvent d’un échec que de cette maladie de langueur » écrivent Barrot et Ory 450.

La nécessité vitale qui met les textes en valeur, leur donne dans les pages de la revue leur nécessité, leur réelle dimension vient à manquer dans les derniers numéros. Bernier insiste sur le fait que les sommaires restent brillants 451, contrairement à Ory qui émet, plus justement me semble-t-il, une réserve : « L’amicale, à tous prête (…) mourut un peu de s’être trop ouverte, au point qu’il ne restait plus guère en avril 1903 de signatures d’octobre 1891.

Plus trace de Tristan Bernard ou de Léon Blum, de Gustave Kahn ou de Félix Vallotton depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Plus significatif encore est l’effacement progressif » des frères Natanson. » 452

On peut penser que la revue s’épuise de l’intérieur, meurt « d’une étouffante clôture narcissique » comme l’écrit Besnier 453. « Manquent les esthétiques radicales »… qui pousseraient la revue à renaître. Renaître est bien le mot. Il aurait fallu insuffler à cette revue moribonde un second souffle, un second élan irrésistible, qui aurait annihilé les doutes…

En somme, ce qui s’offre à une revue qui perd cette dimension sacrée laquelle alimente chaque phrase et la rend comme indispensable (juste et à sa juste place) dans l’esprit des collaborateurs est soit tout bonnement la

449 Cité par Joan Ungersma Halperin, in Félix Fénéon, art et anarchie dans le paris fin de siècle, Gallimard, 1991, p 354.

450 Olivier Barrot, Pascal Ory, La Revue Blanche, Histoire, anthologie, portraits, 10/18, « fins de siècle », 1994, p 23.

451 La Revue Blanche, Hazan, 1991, p 289 : « On trouve dans les sommaires de la dernière année les noms d’écrivains comme Paul Adam, Jean Lorrain, Mirbeau ou Claude Anet, « dont le succès tenait, écrit Bernier, à ce que (…) l’époque se reconnaissait en eux. Gustave Kahn donnait toujours sa lucide chronique de la poésie en même temps que continuaient à collaborer à la revue des historiens des idées, et des critiques de la qualité de Julien Benda ou de Daniel Halévy. Le passage du grave au brillant était toujours brillamment assuré par Tristan Bernard, Franc-Nohain et Coolus. Les sommaires seraient-ils devenus moins brillants et moins variés que Fénéon – on peut être sûr – serait intervenu… »

452 Olivier Barrot, Pascal Ory, La Revue Blanche, Histoire, anthologie, portraits, 10/18, « fins de siècle », p 23.

453 Alfred Jarry, Plon, p 27.

disparition, soit une certaine forme de routine (comme ce sera le cas pour Le Mercure de France).

La Revue Blanche aurait certes pu continuer à vivre sans cette passion de tous les instants (elle aurait assurément perdu de sa qualité) mais il aurait alors fallu qu’elle trouve une routine qui lui soit propre (le meilleur exemple est l’Art littéraire), une structure relativement inamovible qui refuse aux bonheurs du hasard de colorer les pages et de créer entre les différentes contributions une tension toujours neuve, et riche d’émotions qui tiennent pour beaucoup à la conception en recueil. La toujours prête Revue Blanche a peut-être été trop amicale, trop accueillante (contrairement à Remy de Gourmont, qui a dirigé le Mercure vers le symbolisme et le néo-symbolisme, Fénéon était peut-être un homme aux goûts trop éclectiques).

Pour conclure, je pense que l’éclectisme a amené la revue à se penser, au final, comme rassemblement arbitraire de voix (aucun « isme » ne la colorait), guidé par nulle nécessité, et donc voué à l’échec, à la disparition.

Pourquoi les revues où Jarry publie disparaissent-elles presque toutes ?

Avant même la disparition de La Revue Blanche en avril 1903, Jarry collabore, depuis le début de l’année, à La Plume. Or, La Plume disparaît avant même la fin de l’année 1903 ! Il collabore fin avril au Canard Sauvage, en mai à L’œil, l’un et l’autre dirigés par l’ami Franc-Nohain. Le Canard Sauvage disparaît en octobre, L’œil dès le mois d’août ! Ainsi en automne 1903, Jarry se trouve dénué de toute source de revenu.

Pourquoi toutes ces disparitions successives 454 ? François Caradec avance cette hypothèse : elles disparaissent « faute selon toute vraisemblance de pouvoir régler leurs fournisseurs » 455.

Je pense que la raison profonde de ces abandons n’est pas une raison financière mais une généralisation dans les consciences du sentiment de lassitude, celui-là même qui a poussé La Revue Blanche à mourir (on peut penser que cette dernière a montré le chemin aux autres du « peu profond ruisseau calomnié »).

454 Encore ne peut-on pas vraiment comparer La Revue Blanche et Le Canard Sauvage qui est une encore toute jeune revue au moment de sa disparition.

455 Colloque de Cerisy, Jarry, Belfond, p 160.

Ces revues étaient irrévérencieuses, gouvernées par une liberté chronique, un refus des valeurs et des dogmes, chaque numéro était poussé en avant par un instinct de vie, par la nécessité de faire vivre le souffle dans toute sa singularité, quitte à emprunter les détours que propose la beauté. Si ces revues avaient continué à vivre, il aurait fallu qu’elles trouvent une voie de garage, qu’elles gagnent en sagesse. La revue serait devenue une vitrine de littératures, au mieux un étalage de gourmandises (comme c’est le cas aujourd’hui de La Nouvelle Revue Française), en elle se serait éteint le brasier des pensées et des rêves (des ambitions aussi) qui pousse les souffles à se regrouper autour du foyer et à rivaliser d’âpreté et de justesse.

Le Figaro

Les petites revues faisant défaut, Jarry choisit de se tourner vers la grande presse. Si Jarry avait vraiment voulu faire de l’écriture une façon de gagner correctement sa vie, il se serait tourné beaucoup plus tôt vers les quotidiens. Je pense (même si d’aucuns diront que si Jarry a pu être publié au Figaro, c’est grâce à la réputation qu’il avait acquise grâce à ses « Gestes » et

« Spéculations ») que c’est volontairement que Jarry ne s’est pas d’abord tourné vers la grande presse (soulignons qu’il demande au figaro de publier ses chroniques alors qu’il est dérouté face à une misère qu’il sait grandissante, La Revue Blanche et La Plume venant de disparaître).

Si Jarry n’est pas tenté par la grande presse 456, c’est sans doute parce qu’il ne veut pas être soumis à ses impératifs de lisibilité (inhérents à son principe de fonctionnement, à son exigence d’ouverture). Les petites revues offrent encore plus de liberté que les maisons d’éditions (l’exemple le plus probant est la publication des chapitres centraux de Faustroll dans Le Mercure de France et un refus du directeur concernant la parution en volume) : la raison en est principalement financière. En effet, une revue peut promouvoir plus facilement des écritures difficiles (si celles-ci restent néanmoins en nombre restreint) : le risque est pratiquement nul, les lecteurs étant acquis et les coûts minimes.

Le Figaro est le journal sur lequel va se focaliser son attention. Pourquoi ? Même si depuis 1870, Le Figaro emploie « une brillante galerie de critiques,

456 En 1907, Georges Sorel, qui fut presque exclusivement un homme de revues, pouvait écrire à Édouard Berth : « Les journaux font du journalisme ; les revues font de la culture ; il ne faut pas se laisser aller à confondre les rôles. » Source : Universalis.

tels que Léon Daudet, Maupassant, Barrès, Bourget… » 457, on peut penser que ce qui motive Jarry, ce n’est pas sa portée littéraire, c’est la relative facilité avec laquelle il pense pouvoir y entrer, étant donné que certains de ses amis y travaillent, comme Fénéon ou Mirbeau.

Encore Fénéon n’y est-il embauché qu’en tant que journaliste anonyme d’informations générales. Aide-t-il Jarry à pénétrer la forteresse Figaro ? On peut se le demander, puisque Fénéon refuse habituellement de « solliciter un tour de faveur pour ses anciens collaborateurs. A une demande de Karl Boès », ancien directeur de La Plume, « il répond, en mars 1904 : « Mon cher Boès, je ne vois rien de disponible au Figaro. D’ailleurs, une fois placés le

« Monde et Ville », les théâtres, les sports, les réclames et les dépêches de la guerre, il n’y a plus place pour rien. Quant aux autres journaux, je ne sais pas du tout ce qui s’y passe… » 458.

Jarry semble hésiter, se tourne vers une lointaine parenté à lui : Gaston Calmette (lequel est influent au Figaro), pour qu’il lui ouvre les portes du quotidien. Ainsi, le 1er décembre 1906, il écrit à son ami Terrasse : « Ai pris bonne note de votre idée : Fernand Calmette (le médecin) va écrire pour moi, au Figaro, à G. Calmette. »

Cette collaboration se soldera par un échec. Elle dure selon Bordillon

459 3 semaines, et Jarry publie ses chroniques dans la rubrique « Fantaisies parisiennes ». Il semble 460 qu’il ait fait paraître deux textes, et non pas un :

« 14 juillet » (le 14 juillet 1904), et le « Vaccin du soleil » (le 3 août 1904).

Pourquoi cette collaboration se solde-t-elle pour un échec ? On peut penser que les règles rigoureuses de la grande presse, qui ne tolère aucun retard, ne conviennent pas à Jarry.

C’est en tout cas l’hypothèse retenue par Bordillon, qui correspond au témoignage du docteur Saltas. Jarry aurait lui-même quitté Le Figaro parce qu’on l’aurait réprimandé pour un retard, et aurait même été jusqu’à déchirer la copie sur place. Ce geste irresponsable de Jarry (aux conséquences

457 Joan Ungersma Halperin, Félix Fénéon, art et anarchie dans le Paris fin de siècle, Gallimard, 1991, p 376.

458 Joan Ungersma Halperin, Félix Fénéon, art et anarchie dans le Paris fin de siècle, Gallimard, 1991, p 377.

459 Gestes et opinions d’Alfred Jarry, écrivain, p 119.

460 Pendant longtemps on (Saillet ou encore Joan Ungersma Halperin dans sa biographie de Fénéon parue en 1988…) a cru qu’un seul texte avait été publié par Le Figaro, même si Saltas apporte dès après la mort de Jarry (dans un article publié par la revue Les Marges) l’information comme quoi deux articles parurent (« cette collaboration n’alla pas plus loin que deux articles » : cité par Rachilde, in Alfred Jarry ou Le Surmâle de lettres, p 208).

catastrophiques pour ses phynances) va bien dans le sens de son immaturité chronique.

L’hypothèse de Saillet est toute autre. Selon lui, Jarry arrête volontairement de publier au Figaro, parce que Fénéon quitte ce périodique et qu’ainsi il n’a plus personne pour le soutenir en la place. Ainsi Jarry quitterait Le Figaro « plutôt que de s’exposer à la censure ou au refus ». Je ne le crois pas. En effet, Jarry refuserait-il des piges aussi conséquentes (Jarry écrit à Apollinaire le 1er août 1904 : « Constellé des ors du Figaro… » 461), lui qui est dans le besoin presque constamment ? Cela n’a pas de sens, d’autant plus qu’il n’y avait pas une ligne au Figaro, de part l’immense lectorat, qui n’ait à rapporter en publicité rédactionnelle (et on sait combien Jarry était à l’affût de toute source de publicité éventuelle).

Bien entendu, l’on peut poser une troisième hypothèse, et se demander si les chroniques de Jarry n’ont pas été rejetées plus ou moins directement par le Figaro qui n’en assumait pas le tour de phrase ou l’humour noir. En vérité, lorsqu’on se penche sur les textes publiés, l’on se rend compte qu’ils ressemblent très peu aux autres chroniques. Ils sont étonnamment sages. On est bien loin de l’irrévérence de La Revue Blanche, telle qu’elle pouvait se manifester dans une spéculation comme « Battre les femmes » : « D’autres fervents probables des castigateurs seront ces êtres dénaturés qui battent leurs femmes : ainsi s’épargneront-ils un temps précieux. (…) Il est remarquable, à ce propos, que la castigation puisse suppléer en quelque sorte aux complaisances conjugales, quand pour quelque raison l’on s’en trouve incapable ou empêché. Qu’est-ce en somme que l’œuvre de chair (…) sinon une castigation intérieure ? » (PL II, 342-343).

Jarry a sans doute voulu ne pas effaroucher le « très ministériel et mondain Gaston Calmette (…) qui préside aux destinées figaresques », comme l’écrit Saillet.

Saillet renforce son argument en stipulant que Jarry estime peu honorable, au moment où sa collaboration au Figaro s’arrête, de caser ses textes ailleurs (comme il l’a fait avec « Toomaï des éléphants » à La Plume).

En fait, ce n’est pas vrai puisque Jarry choisit de faire son choix de chroniques pour un florilège à paraître chez Sansot parmi les textes parus à la Revue Blanche, règle qu’il s’est fixée semble-t-il pour restreindre les possiblités

461 Cité par Saillet, in La Chandelle Verte, p 23.

(aussi, gain de temps et difficulté amoindrie), avec cet écart notable : à cet ensemble il a ajouté la première « fantaisie parisienne » publiée intitulée « 14 juillet ». De plus, quand Jarry écrira à Lormel pour lui faire part de ce que contiendra la Chandelle Verte, il nommera les « fantaisies parisiennes ». Je pense que Jarry était très fier d’avoir pu faire paraître des textes au Figaro.

Jarry cherche vraisemblablement à être pour Le Figaro un bon chroniqueur, c’est-à-dire qu’il raccourcit la longueur et qu’il travaille la chute.

Voici celle de la première chronique publiée (« 14 juillet ») : « Les pères de nos tourlourous, il est vrai, prirent bien la Bastille un quatorze juillet, mais

« prendre » quelque chose, en l’esprit de leurs descendants, évoque-t-il autre chose, cet aujourd’hui torride, que celle d’une boisson délicieuse et glacée, canalisée par une paille légère. « Garçon, une Bastille ! » (PL II, 535). L’on sent la volonté de Jarry de se rapprocher d’un auteur comme Alphonse Allais (1854-1905) 462, lequel travaillait toujours suavement ses chutes.

Jusque-là, Jarry donnait certes dans l’écriture journalistique, mais il s’était tourné (à bon escient) vers des petites revues ouvertes à l’éclectisme, à la singularité de ton, à l’irrévérence enfin, et jusqu’à la polémique pour La Plume.

Avec la grande presse, c’est tout autre chose. Jarry pressent qu’il n’est plus libre de se laisser aller à faire chanter ce ton inimitable qui est le sien et qui élève de singuliers non-sens mâtinés d’humour noir au rang des possibles.

On peut penser que si Jarry faisait preuve de totale liberté à La Revue Blanche par exemple, pour le Figaro, il se bride volontairement (de peur sans

462 La spéculation intitulée « les mœurs des noyés » fait également penser, par sa chute (« C’est la vie »), à Allais.

Pour avoir une idée du style et de la maîtrise d’Allais, l’on peut citer « Mœurs de ce temps-ci », extrait de A se tordre, III, Paris, Albin Michel 1925, pp 15-16 : « A la fois très travailleur et très bohème, il partage son temps entre l’atelier et la brasserie, entre son vaste atelier du boulevard Clichy et les gais

Pour avoir une idée du style et de la maîtrise d’Allais, l’on peut citer « Mœurs de ce temps-ci », extrait de A se tordre, III, Paris, Albin Michel 1925, pp 15-16 : « A la fois très travailleur et très bohème, il partage son temps entre l’atelier et la brasserie, entre son vaste atelier du boulevard Clichy et les gais

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