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La restriction des jurys pour motif économique

« Nous avons le sentiment que sous couvert d’efficacité, de modernisation, de recentrage du rôle des magistrats sur leur cœur de métier, on voudrait camoufler [le] manque de moyens et faire reculer les principes fondateurs et républicains de la justice548 ».

Jérôme Gavaudan, président de la Conférence des bâtonniers, avait déclaré ceci à Madame la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, quand les corps juridiques avaient donné leur avis sur le projet de réforme. Cette réforme semble en effet être pensée avant tout pour réduire des coûts jugés désormais inutiles.

547 MINISTÈRE DE L’ACTION ET DES COMPTES PUBLICS, « Forum de la performance », Site internet [en

ligne], [consulté le 9 avril 2019].

548 GAVAUDAN Jérôme, Conférence des bâtonniers (Source : GARNERIE Laurence, « Réforme de la justice : les

Est-ce vraiment le cas ? Quels sont les dépenses imputées à la cour d’assises et au jury ? En quoi la cour criminelle départementale, nouvellement créée, permettra-t-elle la réduction de ces frais ? La question du coût de la cour d’assises, fondamentale, est maintenant étudiée.

De nombreux défenseurs de la mesure appuient le fait que l’institution du jury d’assises est onéreuse et ce, pour diverses raisons. D’abord, les frais sont financiers. Ceux-ci sont, d’une part, imputables à l’État. En effet, un juré coûte « en moyenne 1 800 euros si on prend en compte l’ensemble des indemnités549 ». Il est vrai que le juré a droit à plusieurs dédommagements. Qu’il

travaille dans le secteur privé ou public, il a droit à une indemnité de session de 86,24 euros par jour de session550. Il peut également recevoir une indemnité de transport qui peut lui être versée,

qu’il ait pris le train, les transports en commun, ou la voiture pour venir siéger en cour d’assises. Enfin, il peut percevoir une indemnité de séjour, s’il ne peut retourner dormir chez lui chaque soir. De plus, certaines de ces compensations ne sont pas imposables, ce qui est une perte de plus pour l’État551. S’il est salarié du secteur privé, le juré peut également recevoir une somme d’argent pour

« perte de revenu professionnel552 », correspondant au nombre d’heures de sessions multipliées

par 10,03 euros. D’autre part, les entreprises doivent également supporter ces coûts financiers. En effet, une société, ayant un salarié tiré au sort pour venir siéger en cour d’assises, doit le laisser partir, sans le sanctionner évidemment, car c’est un de ses devoirs civiques. Cependant, une somme supplémentaire est à sa charge, qui doit engager, si besoin, une personne assurant l’intérim. Pourtant, cet argument ne parait pas décisif. Les mêmes frais reposent sur l’entreprise lorsqu’une femme salariée tombe enceinte, elle doit également être remplacée.

Le coût est par ailleurs « exorbitant en moyens humains553 ». Il est vrai que l’organisation

de la session de cour d’assises est chronophage et requiert un nombre important de fonctionnaires. Il est en effet nécessaire de réunir neuf personnes - douze en appel -, ce qui demande une organisation importante, bien plus que la rencontre de trois magistrats professionnels pour une audience criminelle devant la cour criminelle.

La diminution de ces dépenses semble être la motivation principale de la création de cette nouvelle juridiction. De nombreux acteurs le regrettent, étant contre « la pression gestionnaire554 »

qui assaille petit à petit l’appareil judiciaire. La justice est davantage considérée comme une entreprise privée, dont les coûts doivent être réduits, par le biais d’une stratégie de “cost killers”. Ces auteurs soulignent que cette « mesure qui écarte les citoyens fait primer l’économique sur

549 BRAFMAN Julie, « Aux assises, les jurés sur un siège éjectable », Libération [en ligne], 2018, [consulté le 2

décembre 2018].

550 SERVICE PUBLIC, « Quelles sont les indemnités dues aux jurés d’assises ? », Site internet [en ligne], [consulté

le 4 avril 2019].

551 Ibid. 552 Ibid.

553 FRYDMAN Benoît, « La contestation du jury populaire : symptômes d’une crise rhétorique et démocratique »,

Questions de communication [en ligne], 2015, p. 115, [consulté le 2 novembre 2018].

554 DUFOUR Olivia, « Qui a peur du jury populaire ? », Gaz. Palais, [en ligne], 2018, [consulté le 5 novembre 2018],

l’humain555 ». La cour d’assises était, jusqu’à présent, la “reine” des juridictions, la “vitrine” de

l’appareil judiciaire français, « la seule juridiction qui jusqu’ici échappe aux problèmes de moyens556 », où « on y prend le temps de juger les affaires sur plusieurs jours, voire semaines,

d’entendre l’accusé, la victime, les témoins, les experts557 », mais elle disparait aujourd’hui, la

pression gestionnaire étant trop forte.

D’autant que cette réduction des coûts n’est, d’après certains, « dûe qu’à un manque de moyens et donc à un choix politique558 ». En effet, un des remèdes pour accélérer le temps des

procédures, être plus efficace, et garder les institutions révolutionnaires tel le jury serait simplement d’augmenter le budget de la justice et d’allouer plus de moyens financiers et humains. Cette solution, pourtant optimale, ne semble, néanmoins, pas au goût du jour et, la justice fonctionnant à budget constant (budget de 8,72 milliards en 2018, de 8,54 milliards en 2017, de 8,19 milliards en 2016559), il semble nécessaire de trouver des alternatives en prenant en compte

ce refus d’augmentation de budget. Le choix politique ne relevant pas de la décision de la garde des Sceaux, celle-ci ne semble pas être la personne responsable de cette réforme. Elle répond simplement au cadre strict posé par ce choix, par la “meilleure solution”, compte tenu des circonstances. Frédéric Clément de Clety, ignorant les contraintes budgétaires qui pèsent sur l’État souhaite, au contraire, une « extension des compétences de la cour d’assises et tant pis si cela coûte un peu d’argent560 ». Il fait remarquer « que la justice est déjà le parent pauvre du budget

de l’État, et les motifs économiques invoqués à l’encontre de la cour d’assises apparaissent sordides face à mille et une gabegies qui n’interpellent personne561 ». Il ironise en affirmant

qu’« aucun procès ne coutera jamais le prix d’un pont sans route, oublié au milieu d’un champ562 ». Cette observation, bien que peu réaliste et datant de 2005, paraît, cependant, assez

juste. En effet, les jurés sont sacrifiés car les caisses de l’État sont vides, mais des dépenses excessives sont quotidiennement réalisées en vue de réaliser des projets moins symboliques pour la démocratie.

555 ARNOUX-POLLAK Yann, « Le barreau de Marseille est une belle PME, pluridisciplinaire, avec des acteurs

engagés », Gaz, Palais, [en ligne], 2019, p. 11, [consulté le 8 mars 2019]

556 DUFOUR Olivia, « Qui a peur du jury populaire ? », Gaz. Palais, [en ligne], 2018, [consulté le 5 novembre 2018],

p. 6.)

557 Ibid.

558 HEINICH Laure et ADER Basile, « Réforme de la Cour d’assises : un recul insensé du droit des femmes », L’obs

[en ligne], 2018, [consulté le 8 mars 2019].

559 MINISTÈRE DE L’ACTION ET DES COMPTES PUBLICS, « Forum de la performance », Site internet [en

ligne], [consulté le 9 avril 2019].

560 CLEMENT DE CLETY Frédéric, « Plaidoyer pour la cour d’assises », Journal des procès, 2005, p. 9. 561 Ibid.

Il est également à noter qu’au Royaume Uni, les mêmes préoccupations hantent les institutions judiciaires. Le jury est davantage remis en cause, pour des raisons d’efficacité et de coût. Ce mouvement de restriction des dépenses dans la justice n’est pas spécifique à la France mais concerne l’ensemble de l’UE, dont les systèmes judiciaires sont en concurrence, ce qui sera expliqué plus loin.

Section deuxième : Les raisons techniques expliquant la

mesure.

La justice se dirige de plus en plus selon des règles de managérialisation. Elle a donc pour vocation de rentrer dans l’ère de la technicité (I), ainsi que dans celle de la technologie (II), pour être plus efficace. L’institution du jury d’assises ne semble plus y trouver sa place.