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L’apport du juré à l’affaire

Le juré populaire, par le caractère temporaire de sa fonction et par sa méconnaissance du dossier, prévient l’accusé de toute lassitude d’un juge professionnel (A) mais permet également d’émettre jugement qui se veut rassurant pour l’accusé, en raison du fait qu’il est rendu par un citoyen pour un citoyen, ayant la même place dans la société (B).

A. Un regard neuf.

« Par leur fraicheur et la conscience toute particulière qu’ils mettent à remplir leur office, les magistrats non professionnels contribueraient ainsi à maintenir la justice en permanence en éveil, toujours sur le qui-vive184 ».

Benoît Frydman décrit ici l’avantage que détient le juré par rapport au juge professionnel : l’appréhension du dossier avec un regard neuf. Mais quel est cet atout ? Qu’apporte le jury au juge professionnel ? En quoi permettrait-il au magistrat professionnel de mieux juger une affaire ? En voici l’explication.

La fonction professionnelle du juge est permanente. Juger, déterminer la vérité judiciaire est son quotidien. Chaque jour, il travaille sur des affaires différentes, et, en tant que juriste, il qualifie les faits en utilisant la plupart du temps, la méthode syllogistique, pour en déterminer une conclusion. Au regard du nombre de dossiers traités par semaine, en matière correctionnelle notamment, le juge professionnel n’a pas ou peu le temps de lire le dossier en entier, doit simplement le parcourir et se faire une idée sommaire du cas qu’il a à juger. Ce quotidien peut parfois pousser le juge à avoir une vision déformée et à se faire rapidement, - voire trop rapidement - une idée sur l’affaire. Le risque, à terme, est la déformation professionnelle du magistrat. Les jurés, eux, ont une fonction temporaire. C’est, en réalité, ce facteur temps qui est une garantie

184 FRYDMAN Benoît, « Juges professionnels et juges citoyens à la croisée des mondes » in Frydman Benoît, La

pour l’accusé. Si tous les juges ne tombent pas dans le caractère « routinier185 » des jugements et

« même s’ils sont intellectuellement honnêtes186 », l’habitude du juge semble un risque à éviter.

Ainsi, le jury, siégeant pour une seule session de cour d’assises, permet aux magistrats qui statuent avec lui, de les préserver d’automatismes.

D’une part, le jury qui siège le premier jour de la cour d’assises n’a jamais entendu parler de l’affaire auparavant. Il découvre le cas à juger par les débats et les témoignages et non par le dossier, dû au principe de l’oralité des débats en cour d’assises. D’autre part, le jury, ne statuant pas en droit, peut poser des questions orientées sur les faits, interrogations que le magistrat professionnel n’aurait peut-être pas eu l’idée de poser, concentré sur le droit ou croyant connaitre suffisamment le dossier. C’est en cela que le jury « évite à la cour d'assises de sombrer dans le caractère routinier187 ». Il a un « œil neuf188 » sur l’affaire, certes non avisé car non professionnel

mais une vision qui ne risque pas d’être “trompée” par la lassitude des dossiers ou la « routine189 ».

Ce regard nouveau était d’autant plus important avant l’abolition de la peine de mort en 1981, car la cour d’assises pouvait décider de l’exécution de l’accusé. Ainsi, l’importance d’un jugement bon et juste, bien que toujours fondamental aujourd’hui l’était davantage, car la vie d’un homme était en jeu. Précisément, Marcel Rousselet, magistrat du XXe siècle, sur un ton certes ironique,

résumait bien la situation, en considérant que « l’accoutumance à faire mourir et condamner les hommes altère la douceur naturelle du juge et le rend inhumain […] Rester humain renvoie ici, fondamentalement, à la capacité d’exprimer une vérité sociale. Cela ne recouvre pas autre chose que l’idée d’être jugé par ses pairs, par les siens190 ». La routine quotidienne à laquelle sont

confrontés les juges peut parfois les mener à un jugement d’habitude, plutôt qu’à un véritable jugement basé sur les faits de l’espèce.

Par ailleurs, devant le tribunal correctionnel par exemple, lorsqu’un rapport d’expertise se trouve dans le dossier, le juge aurait tendance à croire facilement l’expert, bien que l’exposé soit soumis au principe du contradictoire et qu’il puisse être discuté par les parties. Mais, selon certains auteurs, le juge, qui n’a pas toujours les compétences techniques substantielles pour statuer, va souvent suivre l’avis de l’expert. Le jury, lui, « non déformé, non désabusé, ne croit pas aveuglément l’expertise ou la preuve scientifique191 ». Le juré atteste de la valeur de celle-ci. La

relation qu’a le juge à l’expertise pourrait peut-être parfois être mise en parallèle à celle qu’avait

185 KIEJMAN Georges, « Entretien », in Valdman Édouard, Pour une réforme de la cour d’assises, L’harmattan,

1996, p. 113.

186 Ibid., p. 112.

187 TEMIME Hervé, « Ne tuons pas la cour d’assises », Libération, 1996 (Source : Valdman Édouard, Pour une

réforme de la cour d’assises, L’harmattan, 1996, p. 194.)

188 KIEJMAN Georges, « Entretien », in Valdman Édouard, Pour une réforme de la cour d’assises, L’harmattan,

1996, p. 113.

189 Ibidem.

190 ROUSSELET Marcel, Histoire de la justice, PUF, 1943, p. 35.

191 GARÇON Maurice, « Faut-il modifier la composition et les attributions du jury ? », Rev. Dr. Pén. Et de Crim.,

le juge avec l’ordalie du système probatoire franc. De nombreux auteurs192 s’y risquent d’ailleurs.

En effet, à l’époque franque, l’accusé doit utiliser des « moyens de purgation193 », afin de se

purger de l’acte d’accusation. Un de ces moyens est l’ordalie. Le juge décide du choix de celle-ci mais est ensuite lié par son résultat. Ainsi, Tarde ironise : « les ordalies étaient les expertises divino-légales du passé194 ». Le jury, lui, ose remettre en question un compte rendu d’experts, ou

prend également en compte d’autres paramètres.

En conséquence, le jury assure à la cour d’assises un regard neuf grâce à sa fonction temporaire, qui apporte un nouveau souffle aux juges professionnels, parfois “aveuglés” par le dossier. Du fait de son caractère populaire, le jury permet également à l’accusé d’être rassuré sur le jugement qu’il va rendre.

B. Un jugement rassurant.

« Une telle fonction de légitimation a évidemment partie liée avec la politique et donc avec la représentation symbolique du corps social au niveau du siège que l’on retrouve [...] dans le jury populaire, tiré au sort parmi l’ensemble des citoyens195 ».

Benoît Frydman explique ici comment l’origine populaire du jury lui permet d’être légitime à l’égard de l’accusé et de la victime. Selon lui, le tirage au sort de citoyens appelés à juger aux assises garantit l’origine sociale du jury, et favorise ainsi l’accès à un jugement rassurant pour l’accusé. D’où vient cette idée ? En quoi le jugement par des jurés d’assises, n’ayant aucune connaissance juridique, serait apaisant pour les parties au procès pénal ?

Il est vrai que les juges professionnels ont acquis de nombreuses compétences pendant leur formation et tout au long de leur carrière. Le jury d’assises, lui, est composé de citoyens qui sont tirés au sort parmi la population. Ceux-ci n’ont aucune qualification supplémentaire. Pourtant, le fait qu’ils soient juges dans une affaire criminelle rassure l’accusé qui s’estime avoir le même statut que ceux qui le jugent. L’accusé est réconforté car le jugement est rendu par ses pairs. Il se reconnait parmi ses juges, qui semblent appartenir au “même monde”. Benoît Frydman pense « que la présence au siège d’un égal, censé comprendre et partager les préoccupations du justiciable, ses intérêts, voire son langage et sa culture favorise l’accès à la justice et garantie jusqu’à un certain point au justiciable qu’il sera réellement entendu et compris par le tribunal ou la cour196 ». L’accusé pourra, in fine, mieux accepter la décision. C’est la thèse de nombreux

192 Notamment TARDE Gabriel, La criminalité comparée, Hachette, 1924.

193 PFISTER Laurent, Séminaire d’Histoire de la justice, Master 2 Justice et Droit du procès, octobre-décembre 2018. 194 TARDE Gabriel, La criminalité comparée, Hachette, 1924.

195 FRYDMAN Benoît, « Juges professionnels et juges citoyens à la croisée des mondes » in Frydman Benoît, La

participation du citoyen à l’administration de la justice, Bruylant, 2006, p. 26.

196 FRYDMAN Benoît, « Juges professionnels et juges citoyens à la croisée des mondes » in Frydman Benoît, La

auteurs qui y voient une des vertus de l’institution du jury. William Roumier, docteur en droit et avocat, considère notamment que la justice populaire « permet également de faire accepter la décision au peuple car elle est prise par le peuple197 ». Cet assentiment est également dû au fait

que les jurés participent au délibéré et auront un impact sur la décision finale. Cette idée est, par ailleurs, valable pour la victime qui pourra se sentir mieux comprise par des jurés plutôt que par des juges professionnels, et qui acceptera mieux la décision.

Pourtant, cette théorie semble entrer en contradiction avec la représentation commune du juge, tiers arbitre, indépendant et impartial, gardien de bonne justice. Cette vision appuie donc le fait que ces garanties institutionnelles, si chères à l’état de droit, ne seraient pas assurées seulement par le juge professionnel, mais le seraient totalement par l’aide du jury, citoyen non doté d’une casquette de juge. Ces deux points de vues, extrêmes, semblent être à nuancer. Si le juré permet de rassurer l’accusé, le juge professionnel peut, néanmoins, également assurer ce rôle de garantie de bonne justice.

Par ailleurs, certains auteurs, contre cette institution, considèrent que la présence des jurés ne serait qu’une « tromperie tendant tout à la fois à rassurer les honnêtes gens par le caractère exemplaire de la peine, conforter leur foi dans les vertus de la justice grâce à la contribution d’une douzaine de particuliers198 ». Cette allégation part du postulat que les jurés jugeraient plus

durement que les juges professionnels. De nombreux auteurs affirment en effet que la “démocratisation” du jury a aggravé la répression pénale (cet argument sera développé ultérieurement). Or, cette thèse n’est pas partagée par la majorité des auteurs.

Enfin, une partie de la doctrine pense que les jurés, semblables aux parties du procès pénal, rendraient une décision juste. Selon Alexandre Zabalza, maître de conférences en droit privé à l’Université de Bordeaux, « le jury populaire réalise l’idée de justice199 » car « le citoyen est placé

dans une situation de proximité de l’institution, du droit et de la décision200 ». En outre, selon lui,

le « jury populaire oblige le droit à s’interroger sur ces différentes fractures et sur le sens d’une décision juste et d’une décision politiquement juste201 ». Il conclut en affirmant que « quand dans

une démocratie, ce mouvement est harmonique, il fonctionne sans dissonance, presque en silence. Alors le droit est juste, accepté de tous. Alors, il est véritablement populaire202 ».

Ainsi, le jury, par sa fonction temporaire, fournit un regard neuf sur l’affaire, et, par son caractère populaire intrinsèque à cette institution, assure une justice rendue par ses pairs. Les

197 ROUMIER William, L’avenir du jury criminel, LGDJ, 2003, p. 108.

198 DAYEZ Bruno, « La cour d’assises, une fois aux monstres », Journal des procès, 1999, p. 14.

199 ZABALZA Alexandre, « Le sens du jury populaire », in « Le jury populaire en questions », Revue pénitentiaire

et de droit pénal, 2012, p. 350.

200 Ibid. 201 Ibid. 202 Ibid.

parties au procès sont rassurées, le jury contribuant donc à apporter une plus-value à l’affaire. Le jury permet également d’améliorer l’appareil judiciaire criminel.