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LITTORALES : UN STATUT JURIDIQUE INADAPTÉ

Section 2. La protection fragmentée de l'environnement en France

L’adoption de dispositions nationales spécifiquement dédiées à la pollution des sols fut tardive. Il existait, au sein de la législation relative aux installations classées288 et

notamment du décret d’application du 21 septembre 1977289, des mesures permettant la

remise en état des sites et sols pollués à la fin de l’exploitation d’une installation classée. Mais il a fallu attendre 1993 pour que les pouvoirs publics lancent une « véritable politique de traitement des sites et des sols pollués »290 par le biais d’une

simple circulaire291. Il existe une explication relativement simple à ce phénomène : le

sol, contrairement à l’air ou à l’eau, est un objet de propriété privée. Dès lors, « sa protection ne concerne (...) que son propriétaire »292. Néanmois, il nous semble que

cette affirmation est erronée. Différents textes, qu’il s’agisse de lois codifiées ou de dispositions constitutionnelles comme la Charte de l’environnement293, affirment que le

territoire294 ou encore, l’environnement tel qu'il est défini à l’article L. 110-1 du Code de

l’environnement295, font partie du patrimoine commun de la nation. Autrement dit, le sol

288 Loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux Installations Classées pour la Protection de

l’Environnement, JO, 20 juillet 1976, p. 4320 (Codifiée aux articles L. 511-1 s. du Code de l’environnement).

289 Décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 pris pour l’application de la loi du 19 juillet 1976 relative aux

installations classée pour la protection de l’environnement, JO, 8 octobre 1977, p. 4897, complété par la circulaire du 18 décembre 1983 relative à la directive européenne SEVESO et modifié par les décrets n° 94-484 du 9 juin 1994 (JO n°135, 12 juin 1994, p. 8516), n° 96-18 du 5 janvier 1996 (JO n° 9, 11 janvier 1996, p. 427) et n° 2000-258 du 20 mars 2000 (JO n° 69, 22 mars 2000, p. 4417).

290 DEFRANCE Gustave, « La politique nationale en matière de site et sols pollués : orientations et mise

en œuvre », BDEI, 1995, n° spécial, p. 3, cité in BOIVIN Jean-Pierre, Les installations classées. Traité

pratique du droit de l’environnement industriel, Le Moniteur, coll. Analyse Juridique, 2ème éd., 2003,

Paris, p. 345.

291 Circulaire du 3 décembre 1993 du ministère de l’environnement, relative à la politique de

réhabilitation et de traitement des sites et sols pollués (non publiée). Le texte de la circulaire est disponible sur le portail de la prévention des risques et des pollutions du Ministère de l'écologie : http://www.aida.ineris.fr/.

292 DE MALAFOSSE Jehan, « La protection de la faune terrestre contre les pesticides », Revue de droit

rural, 1976, n° 6, p. 37, cité in PRIEUR Michel, Droit de l’environnement, Dalloz, Précis, 5ème éd., 2004,

Paris, p. 589.

293 Loi constitutionnelle n° 2005-205, du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, JO n° 51,

2 mars 2005, p. 3697.

294 Article L. 110 du Code de l’urbanisme : « Le territoire français est le patrimoine commun de la

nation ».

295 Article L. 110-1 du Code de l’environnement : « Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites

et paysages, la qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation ».

n’est pas seulement un bien individuel en tant que surface, il est aussi, en théorie, un bien commun en tant que milieu. Il convient de prendre en compte cette dynamique dans l’usage que l’on fait du bien considéré. Nous le verrons, il est envisageable d’avancer la théorie selon laquelle la propriété que l’on détient sur le sol remplit une fonction sociale, voire écologique296. Cependant, cette théorie ne fut pas retenue, ni

même semble-t-il, envisagée par les institutions françaises. Dès lors, on comprend la réticence du législateur à adopter des textes clairs traitant de la pollution des sols. Comment établir des restrictions d'usage généralisées pour un objet dont le propriétaire jouit et dispose librement en vertu de son droit de propriété ?

La politique ainsi lancée au début des années 1990, est fondée sur trois éléments majeurs. Le premier considère que ce n’est pas tant la présence de polluants dans le sol qui pose problème que le fait que ces derniers puissent être mobiles et susceptibles d’affecter une population exposée ou l’environnement (notamment l’eau et les écosystèmes). Il convient de garder à l’esprit que le sol est avant tout un milieu d’échanges et d’interactions dont la capillarité peut entraîner des dommages graves pour les autres milieux. Ensuite, l’impact d’un site pollué concerne les eaux souterraines dans la quasitotalité des cas. L’impact sur la santé de l’homme est donc probable. Enfin, conserver la mémoire d’un site pollué et veiller à l’information des opérateurs ou aménageurs sont indispensables pour éviter qu’un site pollué, mais sans impact immédiat, puisse à l’avenir poser problème en raison de travaux ou d’un nouvel usage. Cette préoccupation a donné naissance à la base de données sur les sites et sols pollués, BASOL297, qui recense les sites pollués ou potentiellement pollués, en conserve la

mémoire et fournit des informations aux acteurs de l’urbanisme ou du foncier.

Contrairement à l’eau, aux déchets, au bruit, au paysage, il n’existe toujours pas en France de « loi-cadre » relative aux sols pollués. Toutefois, plusieurs textes traitant de la protection de l'environnement contiennent quelques dispositions relatives à la gestion des sols pollués (§2). Cette réglementation est sans nul doute, appelée à évoluer sous l’influence des normes supérieures, qu’elles soient communautaires ou

296 Voir infra, Seconde Partie, Titre 2, Chapitre 2, Section 2, §2, « Repenser la propriété du sol : vers une

fonction écologique de la propriété privé », p. 534 s.

constitutionnelles. La Charte de l’environnement adoptée en mars 2005 a permis de franchir un nouveau cap en matière de protection de l’environnement, créant un droit à l’environnement, s’alignant ainsi sur la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (§1).

§1. La Charte de l’environnement : de la consécration du droit à l'environnement à la paralysie jurisprudentielle

Pour comprendre l’impact de l’adoption de la Charte de l’environnement, il paraît nécessaire de la replacer dans l’évolution du droit de l’environnement298. Le droit

de l’environnement était tout d’abord, un droit sur la protection de la nature jusqu’au milieu des années 1970. L’intervention du juge prenant en compte les éventuelles atteintes à l’environnement de façon presque surabondante299 et l’adoption de la loi du

10 juillet 1976 relative à la protection de la nature300 l’ont transformé en un droit de

l’environnement. Puis, sous l’impulsion de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, le droit de l’environnement, en intégrant le droit au respect de la vie privée et le droit à la vie301 est devenu un droit à l’environnement302. Ainsi, dans sa jurisprudence Lopez

Ostra303, s’appuyant sur l’article 8 de la Convention Européenne des droits de l'homme

298 Voir notamment le rapport du 6 juillet 1994, « Droits de l'homme et environnement », établi par Mme

Fatma Zohra KSENTINI, ref. E/CN.4/Sub.2/1994/9, p. 9 et s.

299 Citons l’affaire dite « des boues rouges de Cassis » où le Conseil d’Etat, plutôt que de se limiter à

constater que les travaux de canalisation entraient dans le cadre législatif et étaient donc d’utilité publique, a souligné que les déversements ne porteraient pas « atteinte à la santé publique, ou à la faune

et à la flore sous-marine » (CE, 15 mars 1968, Commune de Cassis, rec. Leb. p. 189). Par ailleurs, cette

jurisprudence posait, parmi d’autres, les prémices de la théorie du bilan consacré quelques années plus tard dans la jurisprudence Ville-Nouvelle-Est (CE, Ass., 28 mai 1971, Ministre de l’Equipement et du

Logement c/ Fédération de défense des personnes concernées par le projet Ville-Nouvelle-Est, req. n°

78825, rec. Leb. p. 409 ; concl. BRAIBANT Guy, RA, 1971, p. 422 ; Chron. LABETOULLE et CABANNES, AJDA 1971, p. 404 ; note LEMASURIER, D., 1972, p. 194 ; WALINE, RDP, 1972, p. 454 ; HOMONT, JCP G., 1971, II, p. 16873 ; VIROLE, CJEG, 1972, p. 38).

300 Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, JO, 13 juillet 1976, p. 4203. 301 CEDH, 30 novembre 2004, Öneryildiz c/ Turquie, req. n° 48939/99 ; TREBULLE François-Guy, « A

propos de quelques développements récents des droits environnementaux de l’homme », RDI, mars-avril 2005, p. 98-102 ; RABILLER Stéphanie, « La CEDH sanctionne l’inertie des autorités publiques face à un risque industriel », AJDA, n° 20, 30 mai 2005, p. 1133-1138.

302 Pour Michel Prieur, « la reconnaissance du droit de l'homme à l'environnement est une condition

nécessaire à la mise en oeuvre de l'objectif du développement durable ». PRIEUR Michel, « Droit de

l'homme à l'environnement et développement durable », colloque de Ouagadougou, « Développement durable : leçons et perspectives », 1er au 4 juin 2004, p. 104. Texte disponible sur le site internet du colloque : http://www.francophonie-durable.org/

qui dispose que « [t]oute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », la Cour européenne des droits de l'homme condamne l’Etat espagnol en soulignant qu' « il va pourtant de soi que des atteintes graves à l’environnement peuvent affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger la santé de l’intéressée » (point 51)304. Retraçant cette

évolution, Christian Huglo considère que le droit de l’environnement est un droit colonisateur305.

Dès lors, on ne peut affirmer que la Charte consacre de nouveaux droits. Certes, elle donne une nouvelle valeur aux principes d’ores et déjà établis en les « adossant »306

à la Constitution. Cependant, si elle reprend ces principes déjà affirmés comme le principe de précaution ou le principe de prévention, la formulation maladroite tend parfois à la régression (A). Enfin, la question de son invocabilité reste en suspens, du fait de la généralité des termes employés et de l'interprétation des juges (B).

A. Des principes constitutionnels lacunaires

Sans revenir en détail sur l'ensemble des dispositions de la Charte de l’environnement et sans remettre en cause la valeur et la portée du texte, nous constatons que certains de ses articles présentent des imperfections et des lacunes. Des termes généraux ont été retenus nécessitant parfois l’adoption de lois précisant les

304 La jurisprudence ultérieure de la Cour européenne des droits de l'homme va élargir le champ

d'application de l'article 8 de la Convention aux risques environnementaux. Elle va notamment admettre que la crainte des requérants découlant des effets dangereux d'une activité présente « un lien suffisamment

étroit avec la vie privée et familiale » pour appliquer l'article 8 (CEDH, 10 novembre 2004, Taskin et a. c/ Turquie, req. n° 46117/99 ; TREBULLE François-Guy, « A propos de quelques développements

récents des droits environnementaux de l’homme », RDI, mars-avril 2005, p. 98-102 ; note BENOIT Lilian, Environnement, janvier 2005, p. 24-26), cité in SUDRE Frédéric, Droit européen et international

des droits de l'homme, PUF, coll. Droit fondamental, 8ème éd., 2006, Paris, p. 452.

305 Propos recueillis lors de l’émission radiophonique « Le bien commun », consacrée à la Charte de

l’environnement, 11 mars 2006, France Culture.

306 Loi constitutionnelle n° 2005-205, du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, JO n° 51,

conditions d’application de ces principes. Si les doutes sur la valeur constitutionnelle de la Charte furent rapidement levés (1), d’autres subsistent quant à sa portée juridique (2).

1. Une valeur constitutionnelle évidente

Comme l'affirment certains auteurs, « [à] partir du moment où le choix de la voie constitutionnelle était retenu, l'accord s'établissait à peu près sans débat sur la valeur, elle-même constitutionnelle, de la Charte »307. De nombreuses controverses sont

nées de la valeur qu’il convenait d’accorder à la Charte et aux droits qu’elle consacrait. Comme le soulignent Patricia Savin et Laurent Verdier, « la formule de l’adossement était nouvelle et avait donné lieu à de nombreuses spéculations »308. L'expression

« adossement »309 est pertinente dans la mesure où il ne s'agissait pas de modifier la

Constitution, mais d'intégrer un renvoi à la Charte dans le préambule de la Constitution de 1958, dont la valeur constitutionnelle est indiscutable310. Tandis que certains auteurs

précisaient que ce renvoi l'intégre dans le corpus juris du texte constitutionnel311,

d'aucuns312 estimaient qu'il fallait attendre une décision du Conseil constitutionnel pour

trancher sur la valeur de la Charte.

307 CHAHID-NOURAÏ Noël, « La portée de la charte pour le juge ordinaire », AJDA, n° 21, 6 juin 2005,

p. 1175.

308 SAVIN Patricia et VERDIER Laurent, « Charte de l’environnement : premières applications

jurisprudentielles en matière constitutionnelle et contentieuses », comm. TA Châlons-en-Champagne, ord. 29 avril 2005, Conservatoire du patrimoine naturel et autres, req. n° 0500828, Droit de l’environnement, n° 133, novembre 2005, p. 252-255.

309 Dans son discours prononcé à Avranches le 18 mars 2002, le Président de la République, Jacques

Chirac précisait : « Je proposerai aux Français d'inscrire le droit à l'environnement dans une Charte

adossée à la Constitution ». Cité in GARREAU Olivier, « La constitutionnalisation du droit de l'homme à l'environnement », in Environnements, Mélanges en l'honneur de Jean-Philippe COLSON, PU

Grenoble, juin 2004, p. 279.

310 La question de la valeur juridique du préambule de 1958 a été tranchée par le Conseil constitutionnel

dans sa décision du 16 juillet 1971, Liberté d'association, n° 44-DC. Explicitant la référence au préambule « en en tirant expressément les " principes fondamentaux reconnus par les lois de la

République ", le Conseil constitutionnel montre qu'il entend mettre en oeuvre tous les textes auxquels renvoie le Préambule, y compris ceux qui contiennent les formules les plus incertaines (...) ». FAVOREU

Louis et PHILIP Loïc, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 14ème éd., 2007, p. 245. La valeur juridique du préambule de 1958 avait par ailleurs été reconnue par le Conseil d'Etat dans sa décision du 12 février 1960, Société Eky (rec. Leb., p. 101 ; note VEDEL Georges, JCP, 1960, II, n° 11 629 bis ; note L’HUILLIER, D., 1960, p. 236,).

311 RENOUX Thierry S. et de VILLIERS Michel, Code constitutionnel, Litec, coll. Juriscode, 2005, Paris,

Le Conseil constitutionnel ouvra la voie en mars 2005313, en précisant que le

Traité établissant une Constitution pour l'Europe n'était pas contraire à la Charte de l'environnement. Il confirma cette solution en avril en contrôlant, sommairement, la constitutionnalité de la loi du 3 mai 2005314 renforçant la sécurité et la sûreté maritime

par rapport à la Charte de l’environnement315, et plus particulièrement aux principes

d’intégration et de développement durable de l’article 6316. En l’espèce, les requérants

avançaient l’argument selon lequel la loi créant le registre international français organisait le critère du « moins disant social », ce qui portait préjudice à la sécurité maritime et donc au principe d’intégration des préoccupations environnementales au sein des législations sectorielles (considérant n° 36). Citant l’article de loi concerné, le Conseil constitutionnel répond simplement que l’article 4 de la loi ne méconnaît pas les exigences de l’article 6 de la Charte (considérant n° 38). L’examen de la disposition législative à la lumière de l’article 6 de la Charte de l’environnement indique clairement la valeur constitutionnelle de cet article.

En 2008, lors de l'examen de la loi relative aux organismes génétiquement modifiés317, le Conseil constitutionnel318 affirme explicitement la valeur

constitutionnelle de l'ensemble de la Charte de l'environnement. Après avoir cité l'article 5 de la Charte, le Conseil constitutionnel souligne que « ces dispositions, comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, ont valeur constitutionnelle ; qu'elles s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif (...) ».

312 Opinion de M. Christophe Caresche, Examen du projet de loi relatif à la charte de l'environnement,

deuxième séance du 25 mai 2004, devant l'Assemblée nationale.

313 CC, 24 mars 2005, sur requêtes de MM. Hauchemaille et Meyet, rec. CC, p. 56, JO, 31 mars 2005,

p. 5834.

314 Loi n° 2005-412, du 3 mai 2005, relative à la création du registre international français, JO n° 103, 4

mai 2005, p. 7697.

315 CC, 28 avril 2005, Loi relative à la création du registre international français, n° 2005-514 DC, JO, 4

mai 2005, p. 7702.

316 L'article 6 dispose : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet

effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ».

317 Loi n° 2008-595, du 25 juin 2008, relative aux organismes génétiquement modifiés, JO n° 148, 26 juin

2008, p. 10218 ; comm. TROUILLY Pascal, Environnement, n° 8-9, août-septembre 2008, comm. n° 123.

318 CC, 19 juin 2008, Loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés,

La valeur constitutionnelle de la Charte est clairement affirmée par le Conseil constitutionnel, suivi par le Conseil d'Etat dans son arrêt Commune d'Annecy319 qui

prend acte de l'intégration de la Charte de l'environnement dans le bloc de constitutionnalité. Toutefois, des questions subsistent quant à la portée de ses dispositions (2).

2. Une portée limitée

Outre un préambule pour le moins sommaire320, certains des principes

fondamentaux retenus par la Charte sont formulés dans des termes très généraux. L’article premier consacre pour chacun « le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Autrement dit, la Charte renvoie à une certaine qualité de vie, représentative d’un équilibre entre les milieux, les espaces sans compromettre la santé. Si l’on suit Bertrand Mathieu, on peut s’interroger sur la portée juridique ce nouveau droit à l’environnement : liberté fondamentale ou objectif à valeur constitutionnelle ? Michel Prieur considère que le droit ainsi consacré est un « droit fondamental subjectif et un droit créance »321 dont chacun peut se prévaloir, permettant

ainsi de défendre les droits individuels (« Chacun a droit »). On en déduit que les droits ainsi consacrés sont tout à fait invocables et justiciables devant les juges. Ce droit- créance est également source de devoir, car si chacun peut s’en prévaloir, toute personne, selon l’article 2 de la Charte, doit « prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Pour définir l’objet de ce droit et de ce devoir, Michel Prieur fait référence à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement qui « explicite lui-même en détail le contenu de l’environnement », soulignant que « le nouveau droit de l’homme est concret et visible et répond bien aux exigences

319 CE, 3 octobre 2008, Commune d'Annecy, req. n° 297931 ; concl. AGUILA Yann, Droit de

l'environnement, n° 162, octobre 2008, p. 19-31

320 Bertrand Mathieu souligne à ce propos que l'exposé des motifs « témoigne d'une philosophie ambiguë

et d'un certain bricolage conceptuel ». MATHIEU Bertrand, « La portée de la Charte pour le juge

constitutionnel », AJDA, n° 21, 6 juin 2005, p. 1170.

321 PRIEUR Michel, « Les nouveaux droits », Dossier spécial « La Charte de l’environnement », AJDA, n°

d’intelligibilité et d’accessibilité »322. Or, l’interprétation littérale de l'article L. 110-1

précité écarte les sols ab initio. En effet, cet article ne concerne que les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques. Dans cette perspective, le droit-créance et subjectif institué par la Charte ne peut être invoqué à l’appui d’un recours contestant une atteinte à la préservation des sols, sauf à le considérer, à l’instar de la Commission européenne323, comme un milieu naturel, comme une ressource324 ou

comme un milieu participant à un environnement équilibré325.

Par ailleurs, la Charte de l'environnement constitutionnalise un principe que l'on aurait pu assimiler au principe pollueur-payeur. Son article 4 dispose : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi ». Le Code de l’environnement énonce le principe pollueur-payeur à l’article L. 110-1, II, 3°, « selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ». Si l'on considère que l'article 4 de la Charte renvoie au principe pollueur-payeur, force est de constater la régression évidente des dispositions constitutionnelles par rapport aux dispositions législatives : il n’est plus question de prévention ou de réduction dans la Charte et le responsable « contribue » à la réparation des dommages. Il ne s’agit plus pour Christian Huglo d’une obligation de réparation, mais d’une action de « charité »326. Si le terme est un peu fort, dans la mesure où la

Charte pose une obligation (« Toute personne doit contribuer (...) ») alors que la charité renvoie à un acte de volonté, il illustre cependant la regrettable régression du principe. Cela étant, elle sera très certainement plus théorique que pratique puisque le juge administratif exige la transposition législative des dispositions de la Charte pour permettre leur application directe327. Or, dans l'hypothèse où l'on considère que l'article

322 Idem, p. 1160.

323 Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité économique et social

Européen et au Comité des Régions, du 22 septembre 2006, « Stratégie thématique en faveur de la protection des sols », COM (2006) 231 final.

324 Voir infra, Première Partie, Titre 2, Chapitre 1, « Un cadre juridique communautaire pour la protection

des sols », p. 179 et s.

325 Article 1 de la Charte de l'environnement.

326 Propos de Christian Huglo recueillis lors de l’émission radiophonique « Le bien commun », consacrée